Jérusalem restaurée (Isaïe 62,1-5)
À cause de Sion, je ne me tairai pas, et pour Jérusalem, je n’aurai pas de répit, jusqu’à ce que son innocence éclate comme le jour, et son salut comme une torche qui brûle. Alors les nations verront ton innocence, et tous les rois ta gloire. On te nommera d’un nom nouveau que la bouche du Seigneur fixera. Tu seras une couronne de splendeur dans la main du Seigneur, un diadème royal dans la paume de ton Dieu. On ne te dira plus : « Délaissée », à ta terre, on ne dira plus : « Désolation » Tu seras appelée « Mon plaisir en elle », et ta terre « Épousée », car le Seigneur a mis son plaisir en toi, et ta terre sera épousée. Comme un jeune homme épouse une vierge, tes fils[1] t’épouseront, et comme la jeune mariée fait la joie de son mari, tu seras la joie de ton Dieu.
Cet oracle tiré de la 3e partie du livre d’Isaïe annonce la restauration de Jérusalem dans sa splendeur d’antan (largement idéalisée sans doute). Il réagit à une accusation implicite. Le prophète, en effet, avait annoncé de la part de Dieu un retour d’exil grandiose. En réalité, celui-ci s’est avéré plutôt décevant : Dieu reste apparemment inactif face à la désolation du pays où les anciens déportés sont rentrés parce qu’il les y a exhorté. Face aux reproches que cela lui vaut, le prophète répond ici : il va intercéder sans relâche, animé par la conviction que Dieu ne peut laisser ses fidèles dans cet état, en le traitant comme des coupables. Aussi, le prophète insistera dans son intercession jusqu’à ce que Dieu y réponde et montre que son peuple est juste, restaurant ainsi sa dignité aux yeux des nations et des rois.
Dans un bel élan poétique, le prophète recourt à plusieurs images pour évoquer ce qu’il ne cesse de demander à Dieu : la restauration de Jérusalem et de ses habitants. La ville reçoit d’abord de Dieu un nom nouveau, signe de son adoption. Elle est ensuite comparée à une couronne, à un diadème, symbole de la royauté de Dieu. Celui-ci ne la porte cependant pas sur la tête, mais dans la main, comme pour en exhiber la beauté et la richesse, mais aussi pour manifester que la ville lui appartient et qu’il la protège. Ainsi transformée, Jérusalem changera de visage. Prise par les Babyloniens, elle a été abandonnée par sa population déportée ou en fuite, tandis que le pays alentour était ravagé par l’armée ennemie. Tout cela ne sera déplus qu’un mauvais souvenir. La splendeur retrouvée de la ville sera le signe qu’après avoir châtié son peuple infidèle, le Seigneur met à nouveau son plaisir en lui et renoue l’alliance brisée. De là les nouveaux noms de la ville et du pays. Enfin, le prophète file la métaphore conjugale amorcée, et cela, dans une double direction. D’une part, heureux de voir Jérusalem revêtue de sa gloire passée, ses habitants s’attacheront de nouveau à elle. D’autre part, l’alliance entre elle et Dieu sera renouée dans une joie partagée.
Une lignée, une histoire (Matthieu 1,1-25)
Livre de la genèse de Jésus, Christ, fils de David, fils d’Abraham. Abraham engendra Isaac, Isaac engendra Jacob, Jacob engendra Juda et ses frères, Juda engendra Pharès et Zara de Tamar, Pharès engendra Esrom, Esrom engendra Aram, Aram engendra Aminadab, Aminadab engendra Naassone, Naassone engendra Salmone, Salmone engendra Booz de Rahab, Booz engendra Jobed de Ruth, Jobed engendra Jessé, Jessé engendra le roi David. — David, engendra Salomon de la [femme] d’Ourias, Salomon engendra Roboam, Roboam engendra Abia, Abia engendra Asa, Asa engendra Josaphat, Josaphat engendra Joram, Joram engendra Ozias, Ozias engendra Joatham, Joatham engendra Achaz, Achaz engendra Ézéchias, Ézéchias engendra Manassé, Manassé engendra Amone, Amone engendra Josias, Josias engendra Jékonias et ses frères à l’époque de l’exil à Babylone. — Après l’exil à Babylone, Jékonias engendra Salathiel, Salathiel engendra Zorobabel, Zorobabel engendra Abioud, Abioud engendra Éliakim, Éliakim engendra Azor, Azor engendra Sadok, Sadok engendra Akim, Akim engendra Élioud, Élioud engendra Éléazar, Éléazar engendra Mattane, Mattane engendra Jacob, Jacob engendra Joseph, l’homme de Marie de laquelle fut engendré Jésus, celui qui est dit christ. — Le nombre total des générations est donc : d’Abraham jusqu’à David, 14 générations ; de David jusqu’à l’exil à Babylone, 14 générations ; depuis l’exil à Babylone jusqu’au Christ, 14 générations.
De Jésus, Christ, la genèse fut ainsi. Marie, sa mère, avait été accordée en mariage à Joseph. Avant qu’ils aient été ensemble, elle fut trouvée enceinte de l’Esprit Saint. Joseph, son homme, qui était un juste et ne voulait pas la dénoncer publiquement, décida de la renvoyer en secret. Comme il avait formé ce projet, voici, un messager du Seigneur lui apparut en songe disant : « Joseph, fils de David, ne crains pas de prendre Marie comme ta femme, car ce qui est engendré en elle est de l’Esprit Saint. Elle enfantera un fils et tu lui donneras le nom de Jésus [“Le-Seigneur-sauve”], car c’est lui qui sauvera son peuple de ses péchés. » Tout cela arriva pour que soit accompli ce qui fut dit par le Seigneur à travers le prophète : Voici, la vierge sera enceinte et enfantera un fils et on lui donnera le nom d’Emmanuel qui se traduit “Dieu-avec-nous”. Éveillé du sommeil, Joseph fit ce que le messager du Seigneur lui avait prescrit et prit sa femme chez lui et ne la connut pas jusqu’à ce qu’elle ait enfanté un fils ; et il lui donna le nom de Jésus.
La seconde partie du texte correspond à la « lecture brève » (encore les ciseaux !) ; c’est aussi l’évangile du 4e dim. de l’Avent (année A - voir le commentaire proposé). L’équipe liturgique (?) peut donc décider de lire ou non la généalogie qui occupe les premiers versets de l’évangile de Matthieu. Car c’est bien par cette liste de noms que Matthieu commence son évangile et donc que le lecteur entre dans le Nouveau Testament, selon l’ordre canonique de ses livres. Une généalogie, c’est un peu l’histoire réduite à son strict minimum, une sorte de condensé. Ici, l’histoire en question n’est autre que l’aventure biblique, qui commence avec Abraham. Le début du Nouveau Testament, c’est donc l’Ancien, de la Genèse à Joseph et Marie. Ce qui sera raconté ensuite de la vie de Jésus – puis le reste du second Testament – ne prendrait-il sens que sur l’arrière-plan de toute cette histoire qui précède ?
Que dire de cette longue histoire à partir des noms que Matthieu aligne en les redoublant ? Il procède à un séquençage en trois périodes de 14 générations. La première correspond à l’époque des patriarches : on entre donc dans cette histoire par la saga familiale qui commence avec Abraham, l’homme de la rupture, celui qui s’en va à l’appel de Dieu. Malgré ses erreurs, il est l’idéal de celui qui accueille Dieu dans sa vie et se laisse éduquer par lui à la justice, condition pour que la bénédiction de Dieu le traverse et atteigne les autres. Il trace ainsi le chemin pour ceux qui le suivront. Sa descendance sera cependant moins docile. Jacob est un homme rusé qui n’hésite pas à tromper autrui à son propre avantage ; trompé à son tour, il sera au cœur de conflits où le projet de vie de Dieu risque de s’enliser. Mais Dieu le travaille de l’intérieur dans les aléas d’une vie difficile, montrant que l’épaisseur humaine ne lui fait pas peur et qu’elle peut être traversée par la grâce. Son fils Juda n’est guère brillant non plus, proposant de vendre son frère puis trompant son père. Il saura néanmoins se laisser éduquer par une femme, Tamar, une étrangère grâce à qui il apprendra ce que veut dire être juste. Viennent ensuite des gens dont on ne sait rien : la liste est reprise à la fin du livre de Ruth (4,18-22 ; les noms figurent aussi dans la liste du 1er livre des Chroniques, ch. 2). Seul ajout : le nom de Rahab, la prostituée de Jéricho, la protectrice des espions de Josué, qui a permis l’entrée d’Israël dans le pays promis. Quant à Ruth, elle complète le trio des femmes étrangères sans lesquelles l’histoire initiée avec Abraham se serait interrompue prématurément. Elles l’ont fécondée par la justesse de leur action en faveur de la vie, signe que Dieu est à l’œuvre aussi hors de la lignée initiée avec Abraham. Sans elles, pas de roi David !
La deuxième période correspond à l’époque où Israël est un royaume indépendant. Elle débute avec David le roi « modèle ». Mais à lire ses aventures dans les livres de Samuel et des Rois, on s’aperçoit vite que le personnage n’est pas aussi lisse que la tradition voudrait. Certes, il est proche de Dieu, mais il est aussi un homme de pouvoir avec ce que cela suppose d’intelligence politique, de flair, d’opportunisme et de violence. Que son fils Salomon naisse « de la femme d’Ourias » rappelle d’ailleurs un sombre épisode de convoitise, d’adultère, de mensonge, de violence et de dissimulation… qui se soldera par de graves désordres au sein de la famille. Salomon, le roi sage par excellence selon la tradition, ne devra de monter sur le trône qu’à une cabale orchestrée par sa mère et le prophète Nathan, et il ne s’y maintiendra qu’au prix de la vie de son frère Adonias et d’autres concurrents potentiels. Cela donne le ton de la suite de l’histoire des rois, où seuls Ézéchias et Josias tireront leur épingle du jeu en tant que réformateurs religieux, à en croire le livre des Rois (d’où les 14 noms sont tirés). Entre leurs règnes, Manassé et Amone ont rivalisé d’infidélité et ont largement contribué au malheur de leur peuple en préparant la catastrophe qui a signé la fin du royaume de Juda : l’exil à Babylone.
La troisième période est évoquée par des gens inconnus, à l’exception des trois premiers, cités selon le texte grec de 1 Chroniques 2,17.19 : déporté à Babylone, le roi Jékonias a fini par être réhabilité par un roi babylonien (cf. 2 Rois 25,27-30), et son petit-fils Zorobabel a guidé la première caravane ramenant des exilés au pays (Esdras 2,1-2). Pour le restes, les noms qui suivent sont apparemment ceux d’illustres inconnus. D’eux, l’histoire n’a rien retenu, bien que, chacun à sa façon et probablement tant bien que mal, ils ont transmis la vie et la foi des pères jusqu’à Joseph, fils de Jacob.
Tous ces noms évoquent ainsi le parcours séculaire d’un peuple ni meilleur ni pire que d’autres. La seule particularité de ce peuple est d’avoir été accompagné par un dieu fidèle qui s’est allié à lui dans le meilleur et en supportant le pire, dans l’espoir un peu fou qu’à travers lui, il pourrait rejoindre d’autres peuples pour féconder aussi leur histoire de sorte qu’elle devienne bénédiction. Au long de ce parcours, Dieu a connu beaucoup d’échecs, quelques joies aussi sans doute, mais surtout, il a tenu bon. Si cette histoire est digne de mémoire, c’est donc principalement parce qu’elle est portée de bout en bout par l’espoir de Dieu : celui de devenir la lumière qui guide les nations vers la justice et la paix. La naissance de Jésus est une nouvelle concrétisation de cet espoir, définitive celle-là. Après 3 fois 14 générations – ou 6 semaines de 7 générations – en attente du nouveau David[2], christ véritable, une 7e semaine commence, qui couronnera de vie les 6 précédentes.
[1] Trad. liturgique facilitée : « ton Bâtisseur », au prix d’une double correction : du texte et de sa vocalisation.
[2] 14 est le chiffre de David (dwd), selon la valeur numérique des lettres hébraïques (D = 4 et W = 6) : 4+6+4 = 14.