La consolation de Jérusalem (Isaïe 52,7-10)
Comme ils sont beaux sur les montagnes, les pas du messager de bonne nouvelle, celui qui annonce la paix, du messager de bonheur, celui qui annonce le salut, en disant à Sion : « Il règne, ton Dieu ! » Une voix : tes guetteurs élèvent la voix, tous ensemble ils crient de joie car, les yeux dans les yeux, ils voient le retour du Seigneur à Sion. Éclatez en cris de joie, toutes ensemble, ruines de Jérusalem, car le Seigneur console son peuple, il rachète Jérusalem ! Le Seigneur a déployé son bras de sainteté aux yeux de toutes les nations et toutes les extrémités de la terre verront le salut de notre Dieu.
Cet oracle de salut fait écho au début du chapitre 40 du livre d’Isaïe qui annonce la consolation d’Israël et de Jérusalem (v. 1-11). Il s’adresse à celles et ceux qui ont été déportés en Babylonie, ou sans doute plutôt à leurs enfants nés en exil, mais élevés dans la fidélité à leurs racines et dans le refus de se laisser assimiler par la population du pays des bourreaux de leurs parents. (Environ 60 ans ont passé, en effet, depuis la première déportation.) Ici, le prophète prend le point de vue de Jérusalem, Sion. Même si la ville est en ruine, il l’invite à la joie, à la jubilation : elle va bientôt renaître de ses cendres.
En soi, il est plutôt paradoxal d’inviter des ruines à sauter d’allégresse. Mais ici, c’est différent : un messager bondissant sur les montagnes arrive de Babylone avec de bonnes nouvelles : il annonce la paix, le bonheur, le salut. Le malheur va donc laisser la place à une prospérité nouvelle. En effet, car celui qui détient le pouvoir royal n’est pas le roi de Babylone qui a pris Jérusalem et l’a mise à sac – ce que beaucoup ont compris comme la défaite du dieu d’Israël, vaincu par celui des Babyloniens. Le seul roi, c’est le dieu d’Israël. Un temps, il a abandonné le peuple qui l’avait abandonné, juste retour des choses. Mais à présent, le messager l’annonce : il a repris les rênes, il règne à nouveau pour la paix et le bonheur de son peuple.
La voix des guetteurs proclame alors l’incroyable nouvelle. Eux qui sont chargés de surveiller les abords de la ville pour l’avertir de possibles dangers, ils ne lancent pas d’alerte, cette fois : leurs cris sont des éclats de joie ! Une fois arrivée la bonne nouvelle du messager, ils guettaient sa concrétisation. À présent, ils n’en croient pas leurs yeux : c’est Dieu qui leur revient, consolation pour le peuple, signe qu’il va le « racheter ». En d’autres termes, il va agir comme quelqu’un qui ne laisse pas son proche parent dans la dèche, mais restaure en même temps son droit et sa dignité : en sa faveur, il « déploie son bras de sainteté ». On peut paraphraser cette expression comme ceci : en mettant en œuvre sa puissance (« son bras ») pour relever son peuple, Dieu montre sa « sainteté », sa différence, car, en sauvant les siens, il agit autrement que les puissants ou les autres dieux qui s’imposent en punissant et en opprimant. Mais que Jérusalem n’aille pas croire que le Seigneur agit de la sorte seulement pour ses beaux yeux : en rachetant son peuple, Dieu manifeste qui il est, à la vue de toutes les nations. En sauvant Israël, le Seigneur espère que, jusqu’aux extrémités de la terre, les nations verront combien sa miséricorde le rend différent, et qui cela les attirera vers lui.
Une parole lumière (Jean 1,1-18)
Au commencement était le Verbe, et le Verbe était auprès de Dieu, et le Verbe était Dieu. Il était au commencement auprès de Dieu. C’est par lui que tout est venu à l’existence, et rien de ce qui s’est fait ne s’est fait sans lui. En lui était la vie, et la vie était la lumière des humains ; la lumière brille dans les ténèbres, et les ténèbres ne l’ont pas arrêtée.
Il y eut un humain envoyé par Dieu ; son nom était Jean. Il est venu comme témoin, pour rendre témoignage à la Lumière, afin que tous croient par lui. Cet humain n’était pas la Lumière, mais il était là pour rendre témoignage à la Lumière. Le Verbe était la vraie Lumière, qui éclaire tout humain en venant dans le monde. Il était dans le monde, et le monde était venu par lui à l’existence, mais le monde ne l’a pas reconnu. Il est venu vers ce qui est à lui, et ceux qui sont à lui ne l’ont pas reçu. Mais à tous ceux qui l’ont reçu, il a donné de pouvoir devenir enfants de Dieu, eux qui croient en son nom. Ce n’est pas du sang, ni d’une volonté charnelle, ni d’une volonté d’homme, mais de Dieu qu’ils ont été engendrés. Et le Verbe s’est fait chair, il a habité parmi nous, et nous avons vu sa gloire, la gloire qu’il tient de son père comme fils unique, plein de grâce et de vérité.
Jean lui rend témoignage en proclamant : « C’est de lui que j’ai dit : Celui qui vient derrière moi est passé devant moi, car avant moi il était. » Tous, nous avons eu part à sa plénitude, nous avons reçu grâce après grâce ; car la Loi fut donnée par Moïse, la grâce et la vérité sont venues par Jésus christ. Dieu, personne ne l’a jamais vu ; le fils unique, lui qui est Dieu, lui qui est dans le sein du père, c’est lui qui l’a fait connaître.
L’auteur du 4e évangile entame son écrit autrement que Matthieu et Luc. Loin d’évoquer la naissance de Jésus par des récits de nature théologique mais aussi pleins de charme, il choisit de renouer avec le grand récit qui démarre à la première page de la Genèse : « Au commencement ». Il en donne d’ailleurs une exégèse. Car au chapitre 1 de la Genèse, la création est initiée par la parole divine : « Qu’il y ait de la lumière ». Une parole lumineuse. Selon la traduction courante, un « Verbe » lumineux. Ce terme, calqué sur le latin uerbum, qui signifie « parole », n’a rien à voir avec le sens qu’il a en français courant. C’est un « liturgisme » et qui masque le sens du texte évangélique sous une couleur ésotérique.
Donc, au commencement – plus exactement « au fondement » car ici, le commencement n’est pas d’abord une notion chronologique – au fondement, donc, il y a le Dieu-parole. Et quand il parle, il donne naissance à tout un univers, comme le dit Genèse 1 qui raconte le surgissement des éléments du monde, un surgissement scandé par la parole du créateur. Une parole vive qui fait vivre, une parole qui est lumière et fait brèche dans l’obscurité : « Et Dieu dit : “Qu’il y ait de la lumière”, et il y eut de la lumière. Et Dieu vit que la lumière était bien, et il sépara la lumière des ténèbres » (Gn 1,3-4). Ainsi donc, la lumière est manifestation de Dieu, et le monde est un message qu’il adresse aux créatures, aux humains en particulier. Tout ce qui existe, existe par une parole de Dieu, et parle donc de Dieu.
Comme tous les prophètes qui l’ont précédé, Jean (le baptiste) rend témoignage à la parole divine dont la fonction est de faire jaillir la lumière pour éclairer le chemin des humains. Son but, comme celui de tous les prophètes, c’est que les humains croient en ce Dieu dont la parole est vie et tente de faire reculer les ténèbres pour que cette vie donnée puisse s’épanouir. Mais même si le monde est cette parole de vie que Dieu adresse à tous et chacun, les humains ne l’ont pas reconnue. Alors, la parole est venue en Israël – ce peuple qui appartient à Dieu par alliance – mais ceux qui sont « les siens » ne l’ont pas accueilli. (Tel est du moins l’avis de l’évangéliste qui ne tient pas les Juifs en très haute estime, c’est le moins que l’on puisse dire !) Il est néanmoins des humains, à commencer par Abraham, qui ont accueilli la lumière de la Parole et ont vécu une nouvelle naissance, « engendrés par Dieu ».
Après avoir inlassablement envoyé ses prophètes dans l’espoir que sa parole soit largement reçue, Dieu a fait un pas de plus : la parole est devenue chair, et c’est ce dont témoignent l’évangéliste et sa communauté (le « nous » dont il parle). La parole-chair « a planté sa tente » au sein du peuple, comme autrefois la Tente qui accompagnait Israël dans sa marche au désert, présence mystérieuse de son allié divin en son cœur. La communauté de l’évangéliste, aujourd’hui, en témoigne : elle a vu la gloire même de Dieu en cet homme ; elle a reconnu en lui le Fils qui incarne la bienveillance fidèle (la « grâce ») et la présence fiable (la « vérité ») de Dieu. Et de même que Jean (le baptiste), à l’instar de tous les prophètes, a témoigné de la parole lumière de Dieu, il a aussi témoigné de la présence de la parole-chair en la désignant à ceux qui l’écoutaient.
Ce témoignage de Jean, c’est la communauté qui le porte à présent, après avoir reçu de la parole-chair tant de grâce. Et elle témoigne : Moïse a donné la Loi qui enseigne comment plaire à Dieu ; mais à travers Jésus, le christ, Dieu a manifesté ce qu’il est en vérité dans sa bienveillance gratuite et à jamais fidèle. Par ce qu’il a été – une parole lumière – le fils a déployé aux yeux de tous ce qu’est le dieu invisible et indicible. De la sorte, il a ouvert à tous les humains un chemin pour naître à nouveau, pour être « engendrés par Dieu », donnés à eux-mêmes par celui qui dit « que soit lumière ».
Voilà comment l’auteur du 4e évangile entame son livre. Il témoigne de l’expérience qu’il a faite en naissant à nouveau grâce à Jésus reconnu comme Christ. Et il a vu d’autres personnes parcourir elles aussi ce chemin, apprenant à voir le monde comme un message d’amour du dieu de vie. Aussi, par son récit, va-t-il témoigner de cela, de façon à inviter la lectrice, le lecteur à aller à Jésus. S’il écoute sa parole, se laisse éclairer par elle et répond à l’invitation de Dieu à vivre pleinement, il reflétera à son tour quelque chose de la lumière que Dieu, depuis le commencement, désire répandre sur le monde et sur les vivants.