2ème dimanche ordinaire

Temps liturgique: Temps ordinaire
Année liturgique: A
Date : 15 janvier 2023
Auteur: André Wénin

« Faire ta volonté, mon Dieu, voilà ce que j’aime : ta loi me tient aux entrailles. »
(Psaume 40,9)

Un serviteur (Isaïe 49,3.5-6)

Pauvre Isaïe ! Le censeur a encore frappé. Impitoyablement. Je renonce donc à reproduire un texte liturgique amputé au point d’en devenir incompréhensible, et je cite l’ensemble de l’oracle (en réalité, seulement sa première partie) d’Isaïe 49,1-6. Entre crochets les amputations…

[« Écoutez-moi, Îles, prêtez attention, peuples du lointain ! Le Seigneur m’a appelé dès la matrice, dès les entrailles de ma mère il a mentionné mon nom. Il a fait de ma bouche comme une épée tranchante, dans l’ombre de sa main il m’a dissimulé. Il a fait de moi une flèche acérée et dans son carquois il m’a caché. Il] m’a dit : “Mon serviteur, c’est toi, Israël ; en toi je manifesterai ma splendeur”.

[Je m’étais dit : “C’est pour rien que j’ai peiné, pour le vide et en vain que j’ai épuisé mes forces”.

Pourtant mon droit est auprès du Seigneur et ma récompense avec mon dieu.] Et maintenant, a dit le Seigneur qui m’a façonné dès la matrice comme un serviteur pour lui, comme celui réunit Jacob près de lui et rassemble Israël pour lui – oui, j’ai de l’importance aux yeux du Seigneur et mon Dieu est ma force ! – il a dit : « C’est trop peu que tu sois pour moi un serviteur pour relever les tribus de Jacob et pour ramener les rescapés d’Israël : je te donne comme lumière des nations, pour que mon salut parvienne jusqu’aux extrémités de la terre. »

Ce discours du prophète comprend trois parties. Il rappelle d’abord l’appel initial du serviteur. Il évoque ensuite sa crise personnelle due au sentiment d’avoir échoué dans sa tâche. Enfin, il fait état de la confirmation par Dieu de sa mission. Ces trois temps rappellent l’aventure de Moïse. Envoyé chez Pharaon pour réclamer la libération des fils d’Israël (Exode 3,1–4,17), Moïse échoue lamentablement : Pharaon lui refuse de laisser filer sa main d’œuvre gratuite, tandis que les Israélites l’accusent d’être responsable de l’aggravation de leur condition (ch. 5). Dieu confirme alors Moïse dans sa mission et lui annonce son succès malgré les inévitables difficultés qu’il rencontrera (6,1-13). Il existe cependant une grande différence entre le serviteur et Moïse. Elle est soulignée, de part et d’autre du discours prophétique, par l’évocation de l’ampleur universelle de la mission du serviteur : au début, il prend les îles et les peuples éloignés à témoin de son appel par Dieu ; à la fin, il cite la parole divine qui trace l’horizon international de son rayonnement.

La vocation du serviteur est relatée dans des termes proches de ceux que Jérémie met dans la bouche de Dieu pour rapporter son appel prophétique : « Avant de te façonner dans la matrice, je t’ai connu, avant que tu naisses du sein, je t’ai mis à part, je t’ai donné (comme) prophète pour les nations » (Jérémie 1,5). Cette mission, le serviteur ne l’a pas choisie, puisque Dieu la lui a assignée alors qu’il n’était pas né. Elle est donc constitutive de son être, coextensive à son existence, et c’est ce qui rendra dramatique son échec apparent. Les métaphores qui suivent sont empruntées au domaine du combat. La bouche du serviteur est une épée qui tranche dans le vif par les paroles qui en sortent, et sa personne est une flèche permettant à Dieu d’atteindre ses adversaires à distance. Mais ce sont des armes que Dieu tient cachées, de peur, sans doute, que le prophète ne fasse les frais du combat où il est engagé sans l’avoir voulu et dont le but est de manifester qui est Dieu. Mais que signifie concrètement « manifester la splendeur de Dieu » ? À ce stade, aucune précision n’est donnée.

Le dernier mot de l’expression « Mon serviteur, c’est toi, Israël » a fait couler des flots d’encre exégétique. Le terme est-il un vocatif, comme si Dieu prenait son peuple à témoin de son choix du serviteur ? C’est possible, de même qu’il est envisageable que ce soit Israël en tant que peuple qui est le serviteur, même si cette solution rend difficile la lecture de la suite. Je penche plutôt pour une autre solution, consistant à faire de « Israël » une apposition à « mon serviteur ». On pourrait traduire : « mon serviteur, c’est toi ; c’est toi Israël, en qui je manifesterai ma splendeur ». L’infidélité d’Israël est telle que sa fonction de témoin de Dieu parmi les nations est désormais endossée par le seul à lui être fidèle, à savoir le Serviteur. S’il en est ainsi, on comprend mieux encore la crise qui est la sienne quand il a le sentiment d’avoir échoué dans sa tâche, ruinant les derniers espoirs de Dieu de manifester sa splendeur au sein de l’humanité.

Ce que le serviteur ignorait tandis qu’il se désespérait de voir ses efforts réduits à néant, c’est que Dieu se préparait à juger en sa faveur et à le récompenser pour sa peine. Et de fait, le Seigneur montre qu’il tient toujours à son projet. C’est pourquoi il remet en selle celui qu’il s’est façonné dans le ventre maternel. Et pourquoi s’est-il ainsi préparé un serviteur ? C’est ici qu’on l’apprend (en lien avec le contexte du ch. 49) : il avait besoin de quelqu’un pour rassembler le peuple de Dieu dispersé en exil et le ramener à son Seigneur. Voilà ce qui manifeste la splendeur d’un dieu qui, malgré les fautes de son peuple, lui fait grâce et le libère du malheur dans lequel il s’est lui-même précipité. Ainsi relancé, le serviteur comprend toute l’importance qu’il a aux yeux de Dieu ; il comprend aussi que, si ses forces sont épuisées, c’est Dieu qui est sa force. Il est alors prêt à endosser son nouveau statut : non seulement relever Israël et le ramener dans son pays, mais faire luire la lumière du salut de Dieu aux yeux de toutes les nations.

À lire ce bref oracle, on comprend que ce serviteur anonyme, où confluent les figures de Moïse et de Jérémie (qui a lui aussi connu l’échec), ait été vu par les premiers disciples de Jésus comme un creuset où il devenait possible de penser, à la lumière de la parole de Dieu, la destinée paradoxale de leur maître.

Témoignage (Jean 1,29-34)

Le lendemain, il (Jean le baptiste) voit Jésus venant vers lui et dit : « Voici l’agneau de Dieu, qui enlève le péché du monde ; c’est celui dont j’ai dit : derrière moi vient un homme qui est passé devant moi, car avant moi il était. Et moi, je ne le connaissais pas ; mais c’est pour qu’il soit manifesté à Israël que je suis venu en baptisant dans l’eau. » Et Jean rendit ce témoignage : « J’ai vu l’esprit descendre du ciel comme une colombe, et il demeura sur lui. Et moi, je ne le connaissais pas, mais celui qui m’a envoyé baptiser dans l’eau, celui-là m’a dit : ‘Celui sur qui tu verras l’Esprit descendre et demeurer, c’est celui qui baptise dans l’Esprit Saint.’ Et moi, j’ai vu, et je rends témoignage : c’est lui le Fils de Dieu. »

Ce texte marque l’entrée en scène de Jésus dans le récit du 4e évangile. Mais ici, le personnage reste passif, simple objet du témoignage du baptiste. Un baptiste qui, soit dit en passant, ne baptise personne dans cet évangile où il se contente de témoigner en paroles. Ici son témoignage lui est inspiré par deux visions : celle, concrète, de Jésus s’approchant de lui ; celle, symbolique, de l’esprit descendant sur le même Jésus, ce qu’il interprète grâce à une parole divine qui lui a révélé son identité cachée. Celle-ci a deux pans essentiels : supérieur à Jean, Jésus est l’agneau de Dieu qui prend sur lui le péché du monde (début du texte) ; il est le fils de Dieu qui, revêtu de son esprit, baptisera dans ce même esprit (fin du texte).

Ces deux façons de voir Jésus sont en tension l’une avec l’autre. La métaphore de l’agneau portant le péché est inspirée d’une double figure de l’Ancien Testament : l’agneau pascal qui sauve de la mort les Israélites qui croient en la volonté de Dieu de les libérer (Exode 12,7.13), et le serviteur du Seigneur décrit par Isaïe comme un agneau conduit à l’abattoir, chargé des péchés de ceux à qui il apporte la paix (Isaïe 53,3b-7). La figure anticipe clairement la passion et la mort de Jésus qui libérera le monde de son refus de Dieu et lui offrira une chance d’entrer en alliance avec lui. Par ailleurs, Jésus est qualifié comme « fils de Dieu », celui dont le prologue a affirmé qu’il est « dans le sein du Père » et qu’il donne à connaître ce dieu que « nul n’a jamais vu » (Jean 1,18). Dans ces conditions, le titre « Fils de Dieu », détaché des résonnances royales qu’il a dans l’Ancien Testament, insiste sur la relation de totale intimité entre Jésus et Dieu. Une intimité scellée par le don de l’esprit dont Jean est constitué témoin, non parce qu’il l’a désiré, mais parce qu’une parole de Dieu lui a donné de l’être.

Bible et liturgie

Commentaires des lectures du dimanche par André Wénin

L’Église ne sait pas ce qu’elle perd à négliger le Testament de la première Alliance…

Les textes qu’on lira sous cette rubrique ne sont pas des homélies. J’y propose plutôt un commentaire, à mi-chemin entre une analyse exégétique et une lecture attentive à la fois au texte biblique et à la réalité humaine qui est la nôtre.
La traduction des textes commentés (le plus souvent les passages de l’Ancien Testament et de l’évangile) est très souvent corrigée. La version liturgique est globalement insatisfaisante, en effet. Elle lisse le texte au point d’en gommer les difficultés, c’est-à-dire précisément les points où peut venir "s’accrocher" le commentaire parce qu’ils posent question. Quant au texte de l’Ancien Testament, il est fréquemment amplifié de manière à restaurer le passage dans son intégralité en vue du commentaire. 

André Wénin