« Béni soit Dieu, le Père de notre Seigneur Jésus Christ :
dans sa grande miséricorde, il nous a fait renaître pour une vivante espérance
grâce à la résurrection de Jésus Christ d’entre les morts »
(1re lettre de Pierre 1,3)
Communauté idéale (Actes des apôtres 2,42-47)
Les frères étaient assidus à l’enseignement des apôtres et à la communion fraternelle, à la fraction du pain et aux prières. La crainte de Dieu était dans tous les cœurs à la vue des nombreux prodiges et signes accomplis par les apôtres.
Tous les croyants vivaient ensemble, et ils avaient tout en commun ; ils vendaient leurs biens et leurs possessions, et ils en partageaient le produit entre tous en fonction des besoins de chacun. Chaque jour, d’un même cœur, ils fréquentaient assidûment le Temple, ils rompaient le pain dans les maisons, ils prenaient leurs repas avec allégresse et simplicité de cœur ; ils louaient Dieu et avaient la faveur du peuple tout entier. Chaque jour, le Seigneur leur adjoignait ceux qui allaient être sauvés.
Ce passage des Actes des apôtres est un sommaire. En quelques lignes synthétiques, il propose un regard sur la communauté des 3 000 personnes qui, après les événements de la Pentecôte relatés juste avant, ont accueilli la proclamation de Pierre et son appel à adhérer au Christ ressuscité. Luc (l’auteur du livre) y brosse le tableau d’une communauté enthousiaste, assoiffée de l’enseignement de Jésus repris par les apôtres et fascinée par les signes manifestant la fécondité de cet enseignement. C’est manifestement une image stylisée au moyen de laquelle Luc propose à ses lecteurs son idée de la communauté chrétienne idéale : avide de recevoir l’évangile, pratiquant le partage fraternel tout autant que la prière, sachant lire les signes de Dieu dans leur quotidien. La vie des croyants s’y trouve profondément renouvelée, de la gestion du plus concret – les biens mis en commun – jusqu’à la vie de foi : tout en maintenant les traditions juives (se rendre au Temple pour le culte), cette vie prend une autre dimension quand elle fait mémoire de Jésus en refaisant les gestes de la fraction du pain et en lui donnant d’être le véritable ciment de la fraternité. En racontant comment de nouveaux membres rejoignent cette communauté, Luc insiste : c’est le signe que Jésus est à l’œuvre. C’est ainsi que la communauté attire de nouveaux croyants : elle témoigne en effet qu’un vivre-ensemble fraternel est possible et que, sur une communauté irriguée par la vie du ressuscité, le mal ne trouve pas de prise.
Jésus, les Douze et Thomas (Jean 20,19-31)
C’était après la mort de Jésus. Le soir venu, en ce premier jour de la semaine, alors que les portes du lieu où se trouvaient les disciples étaient verrouillées par crainte des Juifs, Jésus vint, et il était là au milieu d’eux. Il leur dit : « La paix soit avec vous ! » Après cette parole, il leur montra ses mains et son côté. Les disciples furent remplis de joie en voyant le Seigneur. Jésus leur dit de nouveau : « La paix soit avec vous ! De même que le Père m’a envoyé, moi aussi, je vous envoie. » Ayant ainsi parlé, il souffla sur eux et il leur dit : « Recevez l’Esprit Saint. À qui vous remettrez ses péchés, ils seront remis ; de qui vous dominerez ses péchés, ils seront dominés. »
Or, l’un des Douze, Thomas, appelé Didyme (c’est-à-dire Jumeau), n’était pas avec eux quand Jésus était venu. Les autres disciples lui disaient : « Nous avons vu le Seigneur ! » Mais il leur déclara : « Si je ne vois pas dans ses mains la marque des clous, si je ne mets pas mon doigt dans la marque des clous, si je ne mets pas la main dans son côté, non, je ne croirai pas ! »
Huit jours plus tard, les disciples se trouvaient de nouveau dans la maison, et Thomas était avec eux. Jésus vient, alors que les portes étaient verrouillées, et il était là au milieu d’eux. Il dit : « La paix soit avec vous ! » Puis il dit à Thomas : « Avance ton doigt ici, et vois mes mains ; avance ta main, et mets-la dans mon côté : cesse de ne pas croire, sois croyant. » Alors Thomas lui dit : « Mon Seigneur et mon Dieu ! » Jésus lui dit : « Parce que tu m’as vu, tu crois. Heureux ceux qui croient sans avoir vu. »
Il y a encore beaucoup d’autres signes que Jésus a faits en présence des disciples et qui ne sont pas écrits dans ce livre. Mais ceux-là ont été écrits pour que vous croyiez que Jésus est le Christ, le Fils de Dieu, et pour qu’en croyant, vous ayez la vie en son nom.
À l’exception de Marc, chaque évangéliste propose sa propre version les apparitions de Jésus ressuscité. Chacun relate une apparition au bénéfice du groupe des disciples : Matthieu 28,16-20, Luc 24,36-52 (avec, en finale, l’ascension) et Jean 20,19-31. Ils ont un point en commun : au cours de la rencontre, Jésus se fait reconnaître et envoie les disciples en mission. À part cela, ces récits divergent beaucoup entre eux dans le détail. Chaque évangéliste rapporte aussi une apparition à des individus : chez Matthieu, c’est aux femmes qui reviennent du sépulcre (28,8-10), chez Luc, c’est aux fameux disciples d’Emmaüs (24,13-35), chez Jean, c’est à Marie-Madeleine (20,11-18). Cette étonnante diversité montre que l’historicité de ces événements n’est pas du tout la préoccupation principale, ni des évangélistes, ni des groupes à travers lesquels ils ont sans doute reçu ces histoires. La visée essentielle de ces récits est d’attester la résurrection de Jésus, de fonder son annonce aux nations sur la volonté expresse du Maître et d’illustrer sa présence active dans la vie des communautés et des croyants. Bref, il s’agit de susciter la foi des communautés qui lisent ce texte. La dernière phrase du texte du jour est claire sur ce point : ce qui écrit dans l’évangile l’a été « pour que vous croyiez que Jésus est le Christ, le Fils de Dieu, et pour qu’en croyant, vous ayez la vie en son nom ».
À la fin du 4e évangile, l’apparition aux disciples se passe en deux temps, le premier ayant lieu le soir de Pâques. Dans son récit, Jean souligne le caractère paradoxal de la résurrection par des répétitions : les portes verrouillées n’empêchent pas Jésus de venir et de se tenir au milieu des disciples rassemblés. Est-ce bien lui ? Oui, puisque les plaies de ses mains et de son côté montrent qu’il est effectivement celui qui est mort crucifié. Aussi, en voyant ces plaies, les disciples passent de la peur des Juifs à la joie de reconnaître « le Seigneur » présent. Mais n’est-ce pas un pur esprit, voire une illusion générée par la cruauté de l’absence de Jésus ou par le fol espoir de le retrouver vivant ? Ce sont ces lectures que l’épisode de Thomas vient démentir : absent le premier soir, il refuse obstinément de croire la bonne nouvelle que les autres s’empressent de lui communiquer à son retour. Sceptique, il ne veut pas être victime d’une illusion. Il veut toucher, et toucher précisément ce qui lui permettra d’identifier à coup sûr le crucifié. À ce point, l’évangéliste prend la peine de repréciser que Thomas signifie « jumeau » en hébreu (il l’avait déjà fait en 11,16). Et de qui est-il le jumeau, si ce n’est du lecteur sceptique qui ne réussit pas à croire pas que Jésus a vraiment pu être relevé d’entre les morts ? Le récit de son expérience – non pas de toucher, mais de voir que Jésus est prêt à se laisser toucher et donc à montrer qu’il est bien là « en chair et en os » – introduit la béatitude finale : « Heureux ceux qui croient sans avoir vu », ceux-là qui se fient au témoignage enthousiaste des disciples.
Une autre dimension de ce récit est tout aussi importante : c’est l’envoi en mission des disciples par le Ressuscité, accompagné d’un souffle et d’une parole : « Recevez l’Esprit saint. À qui vous remettrez ses péchés, ils seront remis ; de qui vous maîtriserez les péchés, ils seront maîtrisés. » Dans l’évangile de Jean, le dernier acte de Jésus sur la croix était de « remettre l’esprit », selon les versions courantes. En réalité, le grec parle de « donner, transmettre » l’Esprit, cet Esprit que Jésus a lui-même reçu (voir 1,32-33). Ce don de l’Esprit, qu’il avait annoncé avant la passion (voir 14,26, 15,26 et 16,13), il le confirme à présent pour ses disciples, une fois ressuscité. Et en vue de quoi l’Esprit qui a animé Jésus est-il donné aux disciples ? En vue de combattre le « péché », le mal intérieur qui conduit l’être humain à sa perte parce qu’il l’emprisonne, l’aliène, l’assujettit à autre que lui, l’empêchant ainsi de devenir sujet de sa propre existence. C’est un malheur qui peut rendre méchant sans le savoir, mal-faisant pour soi et pour autrui, mais en toute bonne foi. Et comment les disciples pourront-ils combattre le péché ? Deux voies sont possibles : la gratuité du pardon qui, selon le sens du mot grec, consiste à « délier » ce qui entrave intérieurement, à l’envoyer au loin ; ou la maîtrise, un déploiement de force selon le sens du verbe grec, pour neutraliser la force de ce mal. Mais quoi qu’il en soit, pardonner ou maîtriser le péché ne peut se faire sans l’Esprit. (La traduction liturgique « à qui vous maintiendrez ses péchés, ils seront maintenus » ne me semble pas correcte, mais elle présente l’avantage de légitimer le pouvoir exorbitant des ecclésiastiques qui se réservent le droit de faire obstacle au pardon de Dieu ; ils ont aussi fait de ce passage l’institution du sacrement de pénitence, lieu par excellence où il leur est possible d’exercer leur pouvoir sur les consciences).