3ème dimanche de Pâques

Temps liturgique: Temps de Pâques
Année liturgique: A
Date : 23 avril 2023
Auteur: André Wénin

« Tu m’apprends le chemin de la vie :
devant ta face, débordement de joie ! »

(Psaume 16,10)

Le psaume parle de Jésus (Actes des apôtres 2,14.22b-33)

Le jour de la Pentecôte, Pierre, debout avec les onze autres apôtres, éleva la voix et fit cette déclaration [aux gens qui s’étaient rassemblés] : « Vous, Judéens, et vous tous qui résidez à Jérusalem, sachez bien ceci, prêtez l’oreille à mes paroles. […] Jésus le Nazaréen, un homme que Dieu a accrédité auprès de vous en accomplissant par lui des miracles, des prodiges et des signes au milieu de vous, comme vous le savez vous-mêmes, cet homme, livré selon le dessein délibéré et la prescience de Dieu, vous l’avez supprimé en le clouant sur le bois par la main des impies. Mais Dieu l’a relevé en le délivrant des douleurs de la mort, car il n’était pas possible qu’elle le retienne en son pouvoir.

En effet, c’est de lui que parle David dans le psaume [16,8-11] : “Je voyais le Seigneur devant moi sans relâche : il est à ma droite, je suis inébranlable. C’est pourquoi mon cœur est en fête, et ma langue exulte de joie ; ma chair elle-même reposera dans l’espérance : tu ne peux m’abandonner au séjour des morts ni laisser ton fidèle voir la corruption. Tu m’as appris des chemins de vie, tu me rempliras d’allégresse par ta présence”.

Frères, il est permis de vous le dire avec assurance, au sujet du patriarche David : il est mort, il a été enseveli, et son tombeau est encore aujourd’hui chez nous. Comme il était prophète, il savait que Dieu lui avait juré de faire asseoir sur son trône un homme issu de lui. [voir Psaume 132,11 et 2 Samuel 7,12-13]. Il a vu d’avance la résurrection du Messie, dont il a parlé ainsi : “Il n’a pas été abandonné au séjour des morts, et sa chair n’a pas vu la corruption”. Ce Jésus, Dieu l’a ressuscité ; nous tous, nous en sommes témoins. Élevé par la droite de Dieu, il a reçu du Père l’Esprit Saint qui était promis, et il l'a répandu sur nous, ainsi que vous le voyez et l’entendez.

Il est frappant de constater que les textes évoquant le relèvement de Jésus d’entre les morts (essentiellement des discours de personnages) citent tous des textes de l’Écriture. Le premier de ces textes est le discours que Pierre adresse à la foule des Judéens de toutes origines qui se sont rassemblés, attirés par le bruit violent provoqué par la descente de l’Esprit sur les apôtres. Avant d’annoncer le relèvement de Jésus – le cœur de ce dont Pierre veut témoigner au nom des apôtres – deux préalables sont indispensables : (1) préciser qui est Jésus et comment il est mort ; (2) évoquer un passage de l’Écriture qui permet de comprendre qu’il a été relevé de la mort par Dieu.

Le premier préalable présente la lecture des faits par les apôtres, leur façon de voir Jésus et sa mort. Cet homme qui jouissait de toute la confiance de Dieu, comme ses miracles le manifestent clairement, les Judéens l’ont fait supprimer par les romains (littéralement, les « sans loi », ceux qui ne pratiquent pas la Loi de Moïse). Ironiquement, ils mettaient en œuvre, à leur insu, le dessein de Dieu pour qui cette mort est destinée à offrir le salut à tous (ce que Pierre explicitera vers la fin de son discours lue le 4e dim. de Pâques A ; voir aussi, par ex. Actes 3,17-26 ou 4,10-12). Dieu a donc cassé le jugement de condamnation des Judéens en délivrant Jésus des « douleurs de l’enfantement » (sic), la mort étant pour lui le lieu d’une nouvelle naissance.

Le second préalable consiste à montrer que, ainsi que Pierre l’a affirmé, cela s’est passé « selon le dessein délibéré et la prescience de Dieu ». Cette démonstration ne peut que s’appuyer sur les Écritures où Dieu a manifesté sa volonté et ses desseins. Dans le psaume longuement cité, c’est David qui, en « prophète », a révélé à l’avance la résurrection du Messie. Il ne s’exprimait pas en son nom propre, puisque les évidences montrent qu’il est resté dans la mort – son tombeau est ici ! En réalité, il prêtait sa voix à un futur Messie, un homme « issu » de lui, que Dieu lui a juré de susciter dans sa lignée (ce que confirme une autre quasi-citation, inspirée du Psaume 132 et de 2 Samuel 7). Le Psaume 16 évoque ainsi la confiance inébranlable que ce Messie place en Dieu jusque dans le séjour des morts. Fidèle en tout à son Seigneur, il sait qu’il ne le laissera pas dans la mort puisque ses chemins sont des chemins de vie. C’est bien ce qui s’est passé et dont les apôtres témoignent : Dieu a relevé Jésus de la mort et il l’a élevé par sa droite – c’est-à-dire en manifestant ainsi sa puissance.

Selon les Écritures (Luc 24,13-35)

Le même jour [le premier de la semaine], deux disciples marchaient vers un village appelé Emmaüs, à 60 stades de Jérusalem [± 2 heures de route], et ils parlaient entre eux de tout ce qui s’était passé. Or, tandis qu’ils parlaient et s’interrogeaient, Jésus lui-même, s’approchant, marchait avec eux. Mais leurs yeux étaient empêchés de le reconnaître. Jésus leur dit : « De quoi discutez-vous en marchant ? » Alors, ils s’arrêtèrent, tout tristes. L’un des deux, nommé Cléophas, lui répondit : « Es-tu le seul étranger résidant à Jérusalem qui ne sache pas ce qui s’est passé ces jours-ci ? » Il leur dit : « Quoi ? » Ils lui dirent : « Ce qui est arrivé à Jésus de Nazareth. Cet homme était un prophète puissant en actes et en paroles devant Dieu et devant tout le peuple : comment les grands prêtres et nos chefs l’ont livré, l’ont fait condamner à mort et l’ont crucifié. Nous, nous espérions que c’était lui qui allait délivrer Israël. Mais avec tout cela, voici déjà le troisième jour qui passe depuis que c’est arrivé. Mais des femmes de notre groupe nous ont stupéfaits. Quand, dès l’aurore, elles sont allées au tombeau, elles n’ont pas trouvé son corps ; elles sont venues nous dire qu’elles avaient eu aussi une vision : des messagers, qui disaient qu’il est vivant. Quelques-uns des nôtres sont allés au tombeau et l’ont trouvé comme les femmes avaient dit ; mais lui, ils ne l’ont pas vu. » Lui-même leur dit : « Hommes sans intelligence, au cœur lent à croire tout ce que les prophètes ont dit ! Ne fallait-il pas que le Christ souffre cela pour entrer dans sa gloire ? » Et, partant de Moïse et de tous les Prophètes, il leur interpréta, dans toute l’Écriture, ce qui le concernait. Et ils approchèrent du village où ils se rendaient. Lui fit mine d’aller plus loin. Mais ils s’efforcèrent de le retenir en disant : « Reste avec nous, car le soir est proche et déjà le jour baisse. » Alors il entra pour rester avec eux. Quand il fut à table avec eux, prenant le pain, il prononça la bénédiction et, l’ayant rompu, il le leur donnait. Alors leurs yeux s’ouvrirent, et ils le reconnurent, mais il disparut à leurs regards. Ils se dirent l’un à l’autre : « Notre cœur n’était-il pas brûlant en nous, tandis qu’il nous parlait sur la route et nous ouvrait les Écritures ? » À l’instant même, ils se relevèrent et retournèrent à Jérusalem. Ils y trouvèrent réunis les Onze et ceux qui étaient avec eux, qui leur dirent : « Le Seigneur a réellement été réveillé et il est apparu à Simon. » À leur tour, ils racontaient ce qui s’était passé sur la route, et comment il s’était fait connaître par eux à la fraction du pain.

(Ce texte est commenté dans les lectures du Dimanche de Pâques (messe du jour). Je propose ici un autre commentaire basé sur un élément essentiel du récit : le recours aux Écritures.)

Souvent retenu pour sa finale (la fraction du pain), ce récit s’étend davantage sur ce qui se passe en chemin. Il y est question de deux lectures différentes des événements autour de la mort de Jésus. La lecture de Cléophas et de son compagnon est celle de deux aveugles dont Jésus ouvrira peu à peu les yeux. Aveugles, ils le sont parce que, noyés dans leur tristesse et leur désarroi, ils sont incapables de voir ce que les apparences dissimulent derrière leur caractère tragique : Jésus, prophète puissant qui suscite des espoirs de libération ; son élan cassé par les autorités religieuses du peuple qui l’ont condamné à la mort du maudit ; le témoignage de femmes à moitié délirantes, dont l’essentiel n’a pas été corroboré par l’enquête menée par les hommes de leur groupe…

Cette version appelle la réprobation de Jésus. S’en tenir à la surface des choses, ce n’est pas faire preuve d’intelligence, de discernement. C’est surtout négliger la Parole des prophètes et la clé de lecture de l’histoire que Dieu a révélée par leur intermédiaire. C’est cette parole qui permet de passer derrière le voile des apparences pour voir ce qu’il en est en vérité du Messie, du libérateur d’Israël : « Il fallait que le Christ souffre cela pour entrer dans sa gloire ».

En réalité, les choses ne sont pas si simples, car les Écritures sont foisonnantes et on y trouve tellement de choses pas toujours cohérentes entre elles. Pour y dénicher la clé qui ouvre à l’intelli­gence de ce qui est arrivé au Messie, il fallait scruter ces Écritures à partir de ce qui est arrivé à Jésus, chercher les passages « prophétiques » résonnant avec son destin tragique mais glorieux. Luc le reconnaît quand il fait dire aux deux hommes que c’est le Ressuscité (non encore reconnu à ce moment) qui leur « ouvrait » les Écritures en y pointant des textes éclairant sa propre aventure. Si l’Ancien Testament offre des clés pour comprendre la vie, la mort et le relèvement de Jésus, ce sont ces événements qui permettent de les trouver. Ce n’est pas là un cercle vicieux. C’est la façon d’ap­profondir sans cesse le sens des Écritures à la lumière de la vie de Jésus, et réciproquement sa vie à la lumière des Écritures, dans un incessant va-et-vient.

Ainsi donc, à la lumière de l’aventure de Jésus, un fil rouge devient repérable dans l’Écriture, chez « Moïse et tous les prophètes… dans toute l’Écriture ». « Moïse » – c’est-à-dire la Torah ou Pentateuque – présente la figure de Joseph qui, rejeté par ses frères, descend dans la mort (ou presque) puis en est relevé avant d’être celui qui sauve et les nations (l’Égypte) de la famine et ses frères du manque de fraternité. La figure de Moïse lui-même contient des traits semblables, lui qui doit endurer les murmures et les contestations incessantes du peuple au moment même où il est en train de les conduire vers la vie. Mais Dieu a transfiguré son porte-parole, rendant son visage lumineux, au point qu’il doit le masquer derrière un voile.

« Les prophètes », ce sont d’abord les livres racontant les aventures de Josué (Jésus) conduisant le peuple dans la terre promise, et celles de David qui lui aussi, a été persécuté par son fils, avant de retrouver sa gloire royale au-delà de ses déboires et de ses souffrances. On pourrait citer aussi Élie dans cette série. Puis il y a ceux que l’on nomme « prophètes ». Jérémie est l’exemple biblique le plus clair de la persécution qu’ils subissent à cause de la Parole qu’ils annoncent (des écrits juifs anciens relatent le martyre de ces prophètes). Ainsi, la vie entière de Jérémie est vouée à porter la parole de Dieu, une parole dérangeante qui lui vaut toutes sortes de malheur. Et il ne connaîtra la gloire qu’a posteriori, quand l’histoire aura enfin donné raison à ce qu’il proclamait en vain. Alors, sa parole deviendra un guide pour l’Israël fidèle. À côté de Jérémie, le Serviteur du Seigneur dont Isaïe évoque la passion et l’exaltation est une autre figure susceptible d’éclairer la vie, la passion et la résurrection de Jésus.

Parmi les prophètes, on n’oubliera pas le David « auteur » des psaumes (voir la lecture des Actes ci-dessus : « comme David était prophète… ». Le David des psaumes, en effet, n’est pas le roi glorieux à qui tout réussit. C’est bien plutôt le juste humilié, persécuté, souffrant, mais proche d’un dieu qu’il ne cesse d’appeler à son secours (comme dans le Psaume 22 tellement cité dans les récits de la Passion) et en qui il ne cesse de mettre sa confiance (comme dans le Psaume 16 cité dans la lecture des Actes, ci-dessus).

Toutes ces figures, à travers leurs souffrances, ont contribué au salut de ceux qui ont su rester fidèles à l’alliance avec leur Seigneur. Joseph, Moïse et David l’ont fait par leur action pleine de sagesse et de force ; Jérémie et le Serviteur, par la révélation du péché du peuple, révélation nécessaire à la prise de conscience préalable à la conversion du cœur. Quant aux justes des psaumes, ils ont donné à Dieu, par leur entière confiance en lui, l’occasion de révéler sa puissance de vie au cœur même de la mort. Toutes ces figures convergent ainsi en Jésus, illuminant de leur lumière son aventure qui, comme les disciples d’Emmaüs le croyaient, s’était terminée en un tragique non-sens. Telle est la force des Écritures : donner sens à ce qui, à première vue, est privé.

Bible et liturgie

Commentaires des lectures du dimanche par André Wénin

L’Église ne sait pas ce qu’elle perd à négliger le Testament de la première Alliance…

Les textes qu’on lira sous cette rubrique ne sont pas des homélies. J’y propose plutôt un commentaire, à mi-chemin entre une analyse exégétique et une lecture attentive à la fois au texte biblique et à la réalité humaine qui est la nôtre.
La traduction des textes commentés (le plus souvent les passages de l’Ancien Testament et de l’évangile) est très souvent corrigée. La version liturgique est globalement insatisfaisante, en effet. Elle lisse le texte au point d’en gommer les difficultés, c’est-à-dire précisément les points où peut venir "s’accrocher" le commentaire parce qu’ils posent question. Quant au texte de l’Ancien Testament, il est fréquemment amplifié de manière à restaurer le passage dans son intégralité en vue du commentaire. 

André Wénin