« Le Seigneur est mon berger : je ne manque de rien.
Sur des prés d’herbe fraîche, il me fait reposer… »
(Psaume 23,1-2a)
Conversion (Actes des apôtres 2,14a.36-41)
Le jour de la Pentecôte, Pierre, debout avec les onze autres Apôtres, éleva la voix et fit cette déclaration : « Que toute la maison d’Israël le sache avec certitude : Dieu l’a fait Seigneur et Christ, ce Jésus que vous aviez crucifié. » Les auditeurs furent touchés au cœur ; ils dirent à Pierre et aux autres Apôtres : « Frères, que devons-nous faire ? » Pierre leur répondit : « Convertissez-vous, et que chacun de vous soit baptisé au nom de Jésus Christ pour le pardon de ses péchés ; vous recevrez alors le don du Saint-Esprit. Car la promesse est pour vous, pour vos enfants et pour tous ceux qui sont loin, aussi nombreux que le Seigneur notre Dieu les appellera. » Par bien d’autres paroles encore, Pierre les adjurait et les exhortait en disant : « Détournez-vous de cette génération tortueuse, et vous serez sauvés. » Alors, ceux qui avaient accueilli la parole de Pierre furent baptisés. Ce jour-là, environ trois mille personnes se joignirent à eux.
Ce passage fait suite à celui qui a été lu le 3e dim. der Pâques A. Il commence par la dernière phrase du discours de Pierre le jour de la Pentecôte. Cette phrase conclusive synthétise le cœur du discours dont la pointe est l’affirmation de la résurrection de Jésus. Cet événement bouleverse radicalement ce que l’on aurait pu croire – ce que les Judéens pensaient – de Jésus le soir de sa mort. Le coupable aux yeux des représentants de la Loi, condamné, rejeté, crucifié et donc maudit est réhabilité par Dieu qui a cassé le jugement des hommes. Innocenté, élevé, reconnu élu de Dieu, il est Seigneur et Messie. Voilà ce que doit savoir « toute la maison d’Israël ».
La question « que devons-nous faire ? » est celle de Judéens, d’Israélites qui, en entendant Pierre se rendent compte qu’ils se sont lourdement trompés à propos de Jésus. Comment réagir après une telle erreur ? Il s’agit, dit Pierre, de « se convertir » en « se détournant de cette génération tordue ». Une société qui, en pensant bien agir au regard de ses principes et de sa religion, condamne un innocent, met à mort un juste, le rejette, l’écrase et le maudit, ne peut être que « tordue ». Il est urgent de s’en désolidariser car elle fausse forcément le jugement de celles et ceux qui lui appartiennent. La mort de l’innocent doit ouvrir les yeux sur le mal qui se tapit derrière la bonne conscience collective. Et une fois les yeux ouverts, il s’agit de changer sa façon de voir, de penser et donc d’agir (metanoia). Le signe de ce retournement, c’est le baptême, que Pierre propose à ses interlocuteurs : plongée dans les eaux, il mime la mort nécessaire à ce qui, en soi, est complice de l’injustice par aveuglement ; sortie des eaux, il mime l’entrée dans une vie nouvelle à la suite de Jésus.
Conversion (1re lettre de Pierre 2,20b-25)
Bien-aimés, si vous supportez la souffrance pour avoir fait le bien, c’est une grâce aux yeux de Dieu. C’est bien à cela que vous avez été appelés, car c’est pour vous que le Christ, lui aussi, a souffert ; il vous a laissé un modèle afin que vous suiviez ses traces. Lui n’a pas commis de péché ; dans sa bouche, on n’a pas trouvé de mensonge. Insulté, il ne rendait pas l’insulte, dans la souffrance, il ne menaçait pas, mais il s’abandonnait à Celui qui juge avec justice. Lui-même a porté nos péchés, dans son corps, sur le bois, afin que, morts à nos péchés, nous vivions pour la justice. Par ses blessures, nous sommes guéris. Car vous étiez errants comme des brebis ; mais à présent vous êtes retournés vers votre berger, le gardien de vos vies.
Une fois n’est pas coutume. Comme le passage de la lettre de Pierre évoque la figure du pasteur présente aussi dans la lecture de l’évangile de Jean, j’en dis un mot rapide. Cette méditation sur la passion de Jésus s’inspire fortement du poème du Serviteur souffrant d’Isaïe qu’il cite à deux reprises (souligné ; cf. 52,13–53,12, commenté pour le Vendredi saint). De manière un peu paradoxale, cependant : chez Isaïe, le Serviteur est comme un agneauconduit à l’abattoir ; chez Pierre, le Christ est pasteur et protecteur de la vie des croyants.
Pour Pierre, le Christ est innocent de tout péché et de tout mensonge (à l’image du Serviteur d’Isaïe). Quand il s’est trouvé en bute au mal, à l’insulte, à la souffrance, il a pris cette violence sur lui sans entrer dans son jeu, sans rendre mal pour mal, ni même menacer. Il s’est au contraire appuyé sur Dieu dont il attendait le seul jugement qui vaille. C’est ainsi que, crucifié, il s’est chargé du péché de ses bourreaux et plus largement des fautes de tous les humains. À la vue de l’innocent mourant par la méchanceté de ses semblables, quiconque peut ouvrir les yeux sur le mal qu’il fait – souvent à son insu, du reste. Ainsi rendu lucide sur le mal dont il est capable, il peut s’en détourner et « vivre pour la justice » au lieu d’errer de façon aveugle dans le mal. Cela, il le doit au Christ qu’il a pris pour berger en « se retournant » vers lui.
Le berger ou la porte (Jean 10,1-10)
[Jésus déclara devant des pharisiens :] « Amen, amen, je vous le dis : celui qui entre dans l’enclos des brebis sans passer par la porte, mais qui escalade par un autre endroit, celui-là est un voleur et un bandit. Celui qui entre par la porte, c’est le pasteur, le berger des brebis. Le portier lui ouvre, et les brebis écoutent sa voix. Ses brebis à lui, il les appelle chacune par son nom, et il les fait sortir. Quand il a poussé dehors toutes les siennes, il marche devant elles et les brebis le suivent, car elles connaissent sa voix. Un étranger, jamais elles ne le suivront, mais elles s’enfuiront loin de lui, car elles ne connaissent pas la voix des étrangers. » Jésus employa cette image pour s’adresser aux pharisiens, mais eux ne comprirent pas de quoi il leur parlait.
Jésus reprit donc la parole : « Amen, amen, je vous le dis : Moi, je suis la porte des brebis. Tous ceux qui sont venus avant moi sont des voleurs et des bandits; mais les brebis ne les ont pas écoutés. Moi, je suis la porte. Si quelqu’un entre en passant par moi, il sera sauvé ; il entrera et sortira et trouvera un pâturage. Le voleur ne vient que pour voler, égorger, faire périr. Moi, je suis venu pour que les brebis aient la vie, et qu’ils l’aient en abondance. »
Dans le récit du 4e évangile, cette déclaration de Jésus fait suite à la guérison de l’aveugle-né et, plus particulièrement, à la discussion avec les pharisiens qui l’ont expulsé. Quelques-uns d’entre eux qui ont assisté au dialogue qu’il a eu avec l’aveugle guéri et l’ont interrogé. Jésus leur a répondu que ceux qui croient voir sans accepter la lumière de Dieu dont il est porteur sont en réalité des aveugles. C’est à ces pharisiens que Jésus adresse son discours sur le berger et la porte, deux métaphores évoquant sa relation avec ceux qui écoutent sa parole de vie. « Les voleurs et les bandits » ou encore « les étrangers », dont il parle à deux reprises désignent les pharisiens. Que font-ils, en effet, sinon chercher à attirer les disciples dans un autre camp, croyant ainsi les conduire à la lumière ? En les traitant de voleurs et de bandits, Jésus leur révèle ce qu’ils sont en réalité mais qu’ils ne voient pas, précisément parce qu’ils sont aveuglés par ce qu’ils croient, par ce qu’ils « savent » (voir Jean 9,24.29). En réalité, c’est l’auteur de l’évangile qui désigne ainsi des zélateurs de la religion juive qui tentent de détourner des chrétiens pour les (r)amener à une religion qui leur est « étrangère ».
Par opposition à ces gens-là qui escaladent la clôture pour venir voler des brebis, Jésus entre par la porte, comme un pasteur que le portier connaît et n’a pas à se cacher. L’image du berger est une métaphore royale (et même, plus exactement, davidique) par laquelle Jean fait de Jésus le messie fils de David. Ce David a gagné ses galons en défendant le troupeau de Dieu face au prédateur par excellence, le philistin Goliath, ce bandit voleur qui entendait faire des Israélites ses esclaves (1 Samuel 17, en particulier les versets 8-10 et 34-37). Reprenant l’image pour annoncer le nouveau David, le prophète Ézéchiel évoquait le projet de Dieu d’arracher les brebis à leurs prédateurs pour les confier à « mon serviteur David » (34,17-24).
Jean continue à filer la métaphore en soulignant la relation personnelle, voire intime, entre le berger et les brebis, chacune étant connue par son nom. C’est cette relation qui leur inspire confiance au point qu’elles le suivent. Et l’œuvre spécifique de Jésus berger, c’est de « faire sortir » – sans qu’il soit question ensuite de faire rentrer ! –, de conduire dehors. L’image ici se déplace de David vers Moïse. Cet autre grand pasteur biblique conduit les Israélites hors du pays de leur esclavage et les arrache à la complicité intérieure avec leurs anciens maîtres, puis il conduit dans le désert « ceux qui connaissent sa voix », pour les amener à l’alliance avec leur dieu.
De façon inattendue, Jean déplace sa métaphore « pastorale ». Ici, Jésus n’est plus le berger : il est la porte. Et le mouvement s’inverse : non plus « faire sortir », œuvre du pasteur, mais « entrer », choix des brebis. (Attention : non pas « rentrer » dans l’enclos après en être sorti, mais entrer avec la liberté de sortir : « il entrera et sortira et trouvera un pâturage ».) Dans l’image du berger, ce dernier a l’initiative, et les brebis ne font que le suivre dehors. Dans l’image de la porte, en revanche, Jésus a le rôle passif – la porte – et les brebis la partie active : elles peuvent entrer dans l’espace du salut où l’on entre en passant par Jésus ; elles entrent et sortent pour trouver leur nourriture. Image de liberté, d’initiative de responsabilité par rapport à leur vie. Ce ne sont plus des ouailles qui suivent, mais des fidèles qui, de leur pasteur-porte, reçoivent la vie, et la vie en abondance.