5ème dimanche de Pâques

Temps liturgique: Temps de Pâques
Année liturgique: A
Date : 7 mai 2023
Auteur: André Wénin

" Elle est droite, la parole du Seigneur ; il est fidèle en tout ce qu’il fait.
Il aime le bon droit et la justice ; la terre est remplie de son amour. »
(Psaume 33,4-5) 

Les lectures des dimanches après Pâques proposent divers éclairages sur les multiples significations de la résurrection de Jésus. Pâques signifie aussi la fin de la présence terrestre de Jésus, et c’est le sens de la fête de l’Ascension. Comme on l’a souvent dit, c’est « le temps de l’Église » qui commence. C’est la thématique de base des lectures de ce dimanche. Je les prends dans un ordre différent, que j’estime plus logique.

« Je suis le chemin… » (Jean 14,1-12)

Au cours de son dernier repas avec ses disciples, Jésus leur disait : « Que votre cœur ne soit pas bouleversé : vous croyez en Dieu, croyez aussi en moi. Dans la maison de mon Père, il y a de nombreuses demeures ; sinon, vous aurais-je dit : ‘Je pars vous préparer une place’ ? Quand je serai parti vous préparer une place, je reviendrai et je vous emmènerai auprès de moi, afin que là où je suis, vous soyez, vous aussi. Pour aller où je vais, vous savez le chemin. »

Thomas lui dit : « Seigneur, nous ne savons pas où tu vas. Comment pourrions-nous savoir le chemin ? » Jésus lui répond : « Moi, je suis le Chemin, la Vérité et la Vie ; personne ne va vers le Père sans passer par moi. Puisque vous me connaissez, vous connaîtrez aussi mon Père. Dès maintenant vous le connaissez, et vous l’avez vu. »

Philippe lui dit : « Seigneur, montre-nous le Père ; cela nous suffit. » Jésus lui répond : « Il y a si longtemps que je suis avec vous, et tu ne me connais pas, Philippe ! Celui qui m’a vu a vu le Père. Comment peux-tu dire : ‘Montre-nous le Père’ ? Tu ne crois donc pas que je suis dans le Père et que le Père est en moi ! Les paroles que je vous dis, je ne les dis pas de moi-même ; le Père qui demeure en moi fait ses propres œuvres. Croyez-moi : je suis dans le Père, et le Père est en moi ; si vous ne me croyez pas, croyez du moins à cause des œuvres elles-mêmes. Amen, amen, je vous le dis : celui qui croit en moi fera les œuvres que je fais. Il en fera même de plus grandes, parce que je pars vers le Père ».

Dans le long discours qu’il adresse à ses disciples au cours de la dernière Cène, Jésus parle de son départ. Cela va les bouleverser, dit-il. Livrés à eux-mêmes, ils seront désemparés. Aussi les invite-t-il à vivre ce temps dans la confiance et à aller vers Dieu, eux aussi. Un chemin y conduit, ajoute-t-il, lui-même : « Je suis le chemin… » L’image du chemin est fréquente dans l’Ancien Testament : le chemin à parcourir, c’est une parole à vivre. C’est ce qu’illustre le Deutéronome lorsqu’il évoque la traversée du désert au ch. 8.

Ce que Jésus dit de lui-même à ses disciples s’éclaire à la lumière de l’aventure de l’exode d’Israël, qui commence avec la sortie d’Égypte, la Pâque. Jésus est le chemin : sa parole permet que le long cheminement tortueux de l’être humain devienne un lieu de croissance et de liberté (comme Israël dans le désert). Il est la vérité : sa vie et sa parole révèlent Dieu comme un dieu d’alliance (comme pour Israël au Sinaï). Il est la vie : sa parole, en effet, invite à choisir la vie et dénonce ce qui conduit à la mort ou à l’esclavage (comme la Loi d’Israël). C’est ainsi qu’en Jésus, « le Père » se donne à voir. Or, qu’est-ce qu’un père, sinon quelqu’un qui donne la vie : la vie physique d’abord, par génération ; la vie psychique aussi, par la parole qui ouvre l’enfant à l’altérité et au monde, de sorte qu’il apprenne, si, possible, à y tracer son chemin en adulte. Considérer Dieu comme un père ne suppose pas que l’on reste un enfant (le vocabulaire liturgique le laisse souvent entendre). Un père tient la main de l’enfant jusqu’au moment où il marche seul, il accompagne sa liberté jusqu’au moment où est prêt à s’assumer en sujet. Au fond, n’est-ce pas ce que fait Jésus avec les disciples dans ce discours ? Il les a accompagnés un temps ; à présent, en s’en allant, il leur lâche la main pour qu’ils puissent aller leur propre chemin avec confiance, et « faire des œuvres plus grandes encore », selon sa parole, ou mieux : selon ce qu’ils en comprendront dans le concret de leur existence et dans le contexte de leur communauté, à la lumière de l’Esprit.

Pierres vivantes d’un temple saint (1re lettre de Pierre 2,4-9) 

Bien-aimés, approchez-vous de Christ le Seigneur, la pierre vivante rejetée par les hommes, mais choisie et précieuse devant Dieu. Vous aussi, comme pierres vivantes, entrez dans la construction de la demeure spirituelle, pour devenir un sacerdoce saint et présenter des sacrifices spirituels, agréables à Dieu, par Jésus Christ. En effet, il y a ceci dans l’Écriture : Voici que je pose en Sion une pierre angulaire, une pierre choisie, précieuse ; celui qui met en elle sa foi ne connaîtra pas la honte (Isaïe 28,16). Ainsi donc, honneur à vous les croyants, mais, pour ceux qui ne croient pas, il est écrit : La pierre qu’ont rejetée les bâtisseurs est devenue la pierre d’angle (Psaume 118,22) et une pierre d’achoppement, un rocher sur lequel on trébuche (Isaïe 8,14). Ils achoppent, ceux qui n’obéissent pas à la Parole, et c’est bien ce qui devait leur arriver. Mais vous, vous êtes une descendance choisie, un sacerdoce royal, une nation sainte, un peuple destiné au salut pour que vous annonciez les merveilles (Exode 19,5-6 et Isaïe 43,20-21) de celui qui vous a appelés des ténèbres à son admirable lumière.

La lettre de Pierre parle plus explicitement de l’Église qu’il compare à un temple en construction. Le temple de Jérusalem était vu comme le lieu de la présence divine, lieu où il vient à la rencontre des croyants, lieu où résonnait une Parole qu’ils écoutent et à laquelle ils répondent, lieu où s’échangent des dons en signe d’alliance. C’était aussi un espace « sacré », n’appartenant à personne, un espace symbolisant la nécessité d’un vide « entre nous », un vide qui manifeste que la vie en commun se fonde sur une altérité insaisissable qui donne à chacune et chacun d’habiter sa propre singularité.

Dire de l’Église qu’elle est un temple, c’est reconnaître qu’elle offre un tel espace à la vie. La première pierre de ce temple vivant, c’est Jésus. C’est ce que Pierre commente en s’appuyant sur des passages de l’Écriture (évidemment l’Ancien Testament) : deux du prophète Isaïe (ch. 28 et 8) et un autre du psaume 118. Ces textes parlent de la pierre d’angle d’un temple nouveau, que Pierre identifie à Jésus. Dieu, en effet, l’a choisi alors que les Judéens l’ont rejeté. Plutôt que de susciter leur foi, il a été pour eux une pierre d’achoppement. Mais en relevant Jésus d’entre les morts, Dieu a manifesté combien celui qu’ils ont méprisé et éliminé est précieux à ses yeux, digne du plus grand honneur. C’est là un trait caractéristique du nouveau temple vivant : ceux qui sont relégués à la marge y ont une place de choix.

Devenir une pierre vivante de ce temple suppose que l’on « croie », que l’on adhère avec confiance à la Parole de l’Évangile. Sur cette base, en effet, il est possible d’édifier une maison commune, un vivre-ensemble fraternel qui fait véritablement honneur à Dieu. Pierre conclut en mélangeant deux autres passages de l’Écriture pour évoquer ceux qui ont mis leur foi en Jésus. Ils sont « une descendance choisie, la communauté sacerdotale du Roi divin, nation mise à part et peuple que Dieu a acquis » pour proclamer sa merveilleuse action : comme au premier jour du monde (voir Genèse 1,3-5), remporter la victoire sur les ténèbres pour que les humains puissent vivre sous son admirable lumière. En reprenant ces mots de l’Écriture, Pierre applique aux disciples de Jésus ce qui était dit du peuple de l’alliance, le peuple que Dieu se choisit pour en faire le témoin des merveilles de vie et de lumière largement offertes à tous les humains. C’est en cela qu’ils sont un « temple », lieu de la présence de Dieu et de son amour au milieu du monde.

En décrivant le peuple de Dieu comme un temple de pierres vivantes édifié à partir du Christ, la lettre de Pierre n’évoque aucune différence entre les croyants. Aucune hiérarchie, aucune relation de pouvoir d’aucune sorte. À sa place dans l’édifice, chaque pierre est aussi importante que l’autre. Aucune discrimination entre elles. (Une telle image relativise radicalement tout l’appareil ecclésiastique qui s’est mis en place au fil des siècles et a pour ainsi dire confisqué le sacré et l’exercice du pouvoir : c’est en effet l’empire romain qui a servi de modèle, plutôt que l’évangile). Le passage des Actes des apôtres va dans le même sens.

Au service de la communauté (Actes des apôtres 6,1-7)

Comme le nombre des disciples augmentait, les frères de langue grecque récriminèrent contre ceux de langue hébraïque, parce que les veuves de leur groupe étaient désavantagées dans le service quotidien. Les Douze convoquèrent alors l’ensemble des disciples et leur dirent : « Il n’est pas bon que nous délaissions la parole de Dieu pour servir aux tables. Cherchez plutôt, frères, sept d’entre vous, des hommes qui soient estimés de tous, remplis d’Esprit Saint et de sagesse, et nous les établirons dans cette charge. En ce qui nous concerne, nous resterons assidus à la prière et au service de la Parole. » Ces propos plurent à tout le monde, et ils choisirent Étienne, homme rempli de foi et d’Esprit Saint, Philippe, Procore, Nicanor, Timon, Parménas et Nicolas, un converti au judaïsme originaire d’Antioche. Ils les présentèrent aux Apôtres, et après avoir prié, ils leur imposèrent les mains. La parole de Dieu était féconde, le nombre des disciples se multipliait fortement à Jérusalem, et une grande foule de prêtres judéens parvenaient à l’obéissance de la foi.

Au début du livre des Actes, la communauté des croyants de Jérusalem est présentée comme un groupe idéal, quasiment parfait (voir la 1re lecture du 2e dim de Pâques A). Mais des difficultés ne tardent pas à surgir en son sein. Des tensions apparaissent entre des groupes linguistiques différents (rien de nouveau sous le soleil !). Quoi de plus normal ? La justice parfaite n’est pas de ce monde. Ce qui est aussi original que remarquable, c’est la façon d’affronter le conflit : les apôtres (les Douze) rassemblent la communauté et lui soumettent une proposition qui est acceptée. Pas de pouvoir qui s’impose, donc, mais une communauté qui non seulement décide, mais exécute elle-même la décision. Du reste, dans ce texte, il n’est nulle part question de pouvoir mais seulement de service : « service de la Parole » que les Douze assurent par la prédication, « service des tables » (de la solidarité) qui revient aux Sept – ceux-ci, d’ailleurs, portent tous des noms grecs, signe que le groupe minorisé au sein de la communauté a bien été entendu et que l’on a fait droit à ses légitimes revendications. L’imposition des mains ne donne aucun pouvoir : elle ordonne au service. La seule obéissance qui vaille, c’est celle que l’on doit à Dieu, « l’obéissance de la foi ». Rêve de communautés exemptes de cléricalisme ?

Bible et liturgie

Commentaires des lectures du dimanche par André Wénin

L’Église ne sait pas ce qu’elle perd à négliger le Testament de la première Alliance…

Les textes qu’on lira sous cette rubrique ne sont pas des homélies. J’y propose plutôt un commentaire, à mi-chemin entre une analyse exégétique et une lecture attentive à la fois au texte biblique et à la réalité humaine qui est la nôtre.
La traduction des textes commentés (le plus souvent les passages de l’Ancien Testament et de l’évangile) est très souvent corrigée. La version liturgique est globalement insatisfaisante, en effet. Elle lisse le texte au point d’en gommer les difficultés, c’est-à-dire précisément les points où peut venir "s’accrocher" le commentaire parce qu’ils posent question. Quant au texte de l’Ancien Testament, il est fréquemment amplifié de manière à restaurer le passage dans son intégralité en vue du commentaire. 

André Wénin