6ème dimanche de Pâques

Temps liturgique: Temps de Pâques
Année liturgique: A
Date : 14 mai 2023
Auteur: André Wénin

 « Il changea la mer en terre ferme : ils passèrent le fleuve à pied sec.
De là, cette joie qu’il nous donne ! »
(Psaume 66,6) 

Absence présence (Jean 14,15-21)

[Jésus disait à ses disciples :] « Si vous m’aimez, vous garderez mes commandements. Quant à moi, je prierai le Père, et il vous donnera un autre défenseur qui sera pour toujours avec vous : l’Esprit de vérité que le monde ne peut recevoir car il ne le voit pas et ne le connaît pas ; vous, vous le connaissez, car il demeure auprès de vous, et il sera en vous. Je ne vous laisserai pas orphelins, je reviens vers vous. D’ici peu de temps, le monde ne me verra plus, mais vous, vous me verrez vivant, et vous vivrez aussi. En ce jour-là, vous connaîtrez que je suis en mon Père, que vous êtes en moi, et moi en vous. Celui qui a mes commandements et les garde, c’est lui qui m’aime ; et celui qui m’aime sera aimé de mon Père ; moi aussi, je l’aimerai, et je me manifesterai à lui. »

À l’approche de l’Ascension, le choix de cette lecture est pertinent, car elle évoque clairement ce qui se passera pour les disciples une fois que Jésus se sera absenté. (En réalité, l’auteur du 4e évangile parle de la situation qui est la sienne et celle des communautés qu’il connaît.) Certes, le Christ va laisser les disciples. Mais ceux-ci ne seront pas abandonnés à eux-mêmes. Ils seront assistés en permanence par l’Esprit que le Père leur enverra à la prière de Jésus, tandis que ce dernier leur restera lui-même paradoxalement présent. Mais il y a des « si » : au début, « Si vous m’aimez », vous serez fidèles à mes commandements ; à la fin, celui-ci qui « a ses commandements et les garde » aime Jésus.

Ainsi, c’est la fidélité concrète au maître et à son commandement nouveau de l’amour qui ouvre le croyant à un autre type de présence de Jésus dans sa vie. Mais cette fidélité doit se vivre au milieu d’un « monde » hostile. D’où la nécessité d’un défenseur : « l’Esprit de vérité », présence intime du souffle, c’est-à-dire de la puissance de Dieu qui, au cœur du fidèle, révèle ce qu’il en est en vérité de Dieu, de Jésus et de l’être humain, et lui permet ainsi de tenir bon. Voilà ce qui fera vivre quiconque est fidèle aux commandements de Jésus. Voilà ce qui lui permettra d’entrer dans la connaissance de l’alliance entre Jésus, son Père et le disciple, une alliance où l’amour circule et devient débordement de vie.

Succès (Actes des apôtres 8,5-8.14-17)

Philippe [l’un des Sept], arriva dans une ville de Samarie, et là il proclamait le Christ. Les foules, d’un même cœur, s’attachaient à ce que disait Philippe quand elles entendaient et voyaient les signes qu’il accomplissait. Beaucoup de possédés étaient délivrés des esprits impurs, qui sortaient en poussant de grands cris. Beaucoup de paralysés et de boiteux furent guéris. Et il y eut dans cette ville une grande joie. […]

Les apôtres, qui étaient à Jérusalem, apprirent que la Samarie avait accueilli la parole de Dieu. Alors ils y envoyèrent Pierre et Jean. À leur arrivée, ceux-ci prièrent pour ces Samaritains afin qu’ils reçoivent l’Esprit saint ; en effet, l’Esprit n’était encore descendu sur aucun d’entre eux, ils étaient seulement baptisés au nom du Seigneur Jésus. Alors Pierre et Jean posèrent les mains sur eux et ils reçurent l’Esprit Saint

Le récit des Actes offre une autre vision de l’après Ascension. La présence du Christ se fait sensible dans le succès de la mission, d’abord auprès des Judéens d’une autre confession (si l’on peut dire), les Samaritains. Les miracles de Philippe qui viennent corroborer son annonce de la parole de Dieu emportent en effet l’adhésion aussi massive que rapide et joyeuse de la population. Pourtant, un échec n’était pas impossible a priori. Dans le passage que notre censeur liturgique a laissé dans son exemplaire du Nouveau Testament (utiliserait-il une édition où ces versets ne figurent pas ?), on apprend que, dans la ville, un mage recueillait un succès unanime depuis un certain temps ! Il aurait pu faire de l’ombre à Philippe, voire s’opposer violemment à celui qui le privait, pour ainsi dire, de son fond de commerce (v. 9-13).

Il y avait déjà dans la ville un homme du nom de Simon ; il pratiquait la magie et stupéfiait la population de Samarie, prétendant être quelqu’un d’important. Tous, du plus petit au plus grand, s’attachaient à lui en disant : « Cet homme est la Puissance de Dieu, celle qu’on appelle la Grande. » Ils s’attachaient à lui du fait que depuis un certain temps il les stupéfiait par ses pratiques magiques. Mais quand ils crurent en Philippe qui annonçait la Bonne Nouvelle du règne de Dieu et du nom de Jésus Christ, hommes et femmes se firent baptiser. Et Simon lui-même devint croyant et, une fois baptisé, il ne quittait plus Philippe ; voyant les signes et les actes de grande puissance qui se produisaient, il était stupéfait.

Ainsi, même l’opposition potentielle se rend à l’évidence : la parole proclamée par Philippe et les actes qui l’accompagnent vont jusqu’à pousser Simon à se convertir. Lui qui, par ses pratiques magiques, stupéfiait la population de la ville entière, le voici à son tour stupéfait devant les signes par lesquels Philippe montre que, en Christ, le règne de Dieu se fait proche. Ce Simon qui était suivi car tous voyaient en lui la toute-puissance de Dieu incarnée, le voici sidéré devant la puissance que révèlent les gestes de Philippe. Au point de se convertir et d’imiter ceux qui, jusque-là, s’attachaient à lui, en se faisant baptiser et en s’attachant à celui qui, loin de se faire passer pour quelqu’un d’im­portant, annonce la bonne nouvelle qu’il a reçue d’un autre, le Christ Jésus.

L’extrait de la lettre de Pierre est beaucoup moins idyllique : elle rejoint plutôt ce que dit le Jésus de Jean à propos d’un monde hostile incapable de voir et de connaître l’Esprit de vérité… 

Face à l’hostilité (1re lettre de Pierre 3,15-18)

Bien-aimés, honorez dans vos cœurs la sainteté du Seigneur, le Christ, prêts à tout moment à présenter une défense devant quiconque vous demande de rendre raison de l’espérance qui est en vous. Mais faites-le avec douceur et respect, gardant une conscience droite, afin que vos adversaires soient pris de honte sur le point même où ils disent du mal de vous pour la bonne conduite que vous avez dans le Christ. Car si telle est la volonté de Dieu, mieux vaut souffrir en faisant le bien qu’en faisant le mal. Car le Christ, lui aussi, a souffert pour les péchés, une fois (pour toutes), lui, le juste, pour les injustes, afin de vous introduire devant Dieu ; il a été mis à mort dans la chair ; mais vivifié dans l’Esprit.

Le passage du 4e évangile évoque ce que devient la relation entre le croyant et Dieu une fois Jésus retourné vers le Père. Dans ces quelques lignes, Pierre développe un autre aspect de la vie des fidèles confrontés à l’hostilité de ce que Jean nomme « le monde ». En les voyant pleins d’espéran­ce, en effet, des gens posent des questions : qu’ont ces chrétiens à vivre autrement, avec joie et confiance dans l’avenir ? À ce regard sceptique, il ne faut pas se dérober. Et les chrétiens doivent toujours être prêts à rendre compte de ce qui change leur vie. Et cela sans agressivité, avec douceur et respect envers soi-même et envers l’interlocuteur. L’opposition latente de ce dernier n’est donc pas à voir comme une occasion d’adopter à son égard une attitude prosélyte qui, en général, fait peu de cas de la position de l’autre.

Mais l’attitude des non-chrétiens peut être plus agressive et sournoise comme l’est la calomnie. La différence assumée des fidèles du Christ peut susciter, en effet, l’opposition, la malveillance, la critique acerbe de personnes que leur conduite exemplaire met mal à l’aise, voire éveille de la jalousie. Face à eux, le chrétien n’a pas à se départir de son calme et de sa douceur, pour éviter d’entrer dans l’escalade qu’engendre le désir de rendre le mal pour le mal. À l’exemple du Christ de la Passion, le disciple fera barrage au mal en refusant de faire mal à son tour, même s’il doit pour cela s’exposer à la souffrance à l’instar de son maître. Comme pour Jésus, en effet, c’est là le chemin qui plaît à Dieu dans la mesure où il conduit à la vie, et à la vie en plénitude. Et qui sait si un tel choix n’amènera pas les malfaisants à devenir des justes ?

 

Bible et liturgie

Commentaires des lectures du dimanche par André Wénin

L’Église ne sait pas ce qu’elle perd à négliger le Testament de la première Alliance…

Les textes qu’on lira sous cette rubrique ne sont pas des homélies. J’y propose plutôt un commentaire, à mi-chemin entre une analyse exégétique et une lecture attentive à la fois au texte biblique et à la réalité humaine qui est la nôtre.
La traduction des textes commentés (le plus souvent les passages de l’Ancien Testament et de l’évangile) est très souvent corrigée. La version liturgique est globalement insatisfaisante, en effet. Elle lisse le texte au point d’en gommer les difficultés, c’est-à-dire précisément les points où peut venir "s’accrocher" le commentaire parce qu’ils posent question. Quant au texte de l’Ancien Testament, il est fréquemment amplifié de manière à restaurer le passage dans son intégralité en vue du commentaire. 

André Wénin