Sainte Trinité

Temps liturgique: Temps ordinaire
Année liturgique: A
Date : 4 juin 2023
Auteur: André Wénin

Que la grâce du Seigneur Jésus Christ, l’amour de Dieu
et la communion du Saint-Esprit soient avec vous tous.
(2 Corinthiens 13,13)

Le long temps de Pâques est un moment où le mystère de Dieu apparaît dans une lumière nouvelle. Pour le dire avec les mots que l’apôtre Paul emploie au début de la lettre qu’il adresse aux chrétiens de Rome, Jésus « issu selon la chair de la lignée de David » a été « établi selon l’Esprit saint, Fils de Dieu avec puissance par son relèvement d’entre les morts », Dieu se révélant ainsi « notre Père ». Plus loin, Paul ajoutera que c’est l’Esprit saint qui permet aux fidèles de se reconnaître filles et fils de ce Père (8,14-17). Cette dynamique conduira peu à peu les chrétiens à formaliser l’idée d’un Dieu Trinité.

Dieu proclame son Nom (Exode 34,4b-6.8-9)

Moïse se leva de bon matin, et il gravit la montagne du Sinaï comme le Seigneur le lui avait ordonné. Il prit avec lui deux tables de pierre. Le Seigneur descendit dans la nuée et vint se placer là, auprès de lui. Il proclama son nom : le Seigneur. Le Seigneur passa devant lui et proclama :
« Le Seigneur, le Seigneur, Dieu tendre et miséricordieux, lent à la colère, plein d’amour et de fidélité. […] » Aussitôt Moïse s’inclina jusqu’à terre et se prosterna. Il dit : « Je te prie, si j’ai trouvé grâce à tes yeux, mon Seigneur, que mon Seigneur veuille marcher au milieu de nous. Puisque c’est un peuple à la nuque raide, tu pardonneras nos fautes et nos péchés, et tu feras de nous ton héritage. »

Quel culot ! Dieu révèle lui-même son nom à Moïse, et le censeur romain s’arroge le droit de sauter une phrase entière ! Inutile de préciser que les lectionnaires officiels ne laissent aucun signe de cette censure, aucun […] comme dans le texte traduit ci-dessus. Quelle est donc la raison d’une telle coupe sombre dans le texte biblique ? Lisons tout le discours du Seigneur à Moïse pour tenter de comprendre.

Le Seigneur proclama : « le Seigneur, le Seigneur, Dieu tendre et miséricordieux, lent à la colère, plein d’amour et de fidélité. Il maintient l’amour pour des milliers, portant faute, rébellion et péché ; mais il ne peut jamais tenir pour innocent, visitant la faute de pères sur des fils et des petits-fils, sur une troisième et une quatrième génération. »

En lisant tout le texte, on voit que le texte de la liturgie ne garde de Dieu que la miséricorde, l’amour, la fidélité. Elle dissimule un élément qui semble obscurcir l’image positive d’abord donnée de Dieu. Or, cet élément est tellement essentiel qu’il figure même dans le Décalogue ! Il dit comment ce Dieu plein de bonté se situe face au mal – « faute, rébellion et péché ». C’est justement le cœur du texte d’où ce passage est extrait.

Quel est donc le contexte ? Le Seigneur a fait alliance avec Israël et celui-ci s’est engagé solennellement à lui être loyal en se conformant à ce qu’il attend de son allié humain. Moïse est ensuite monté sur le Sinaï à l’invitation de Dieu qui veut lui donner les tables de la Loi et le plan d’une tente à édifier pour que le Seigneur puisse habiter au milieu de son peuple. Après 40 jours, Moïse n’est toujours pas redescendu. Se sentant perdu en plein désert, délaissé, vulnérable, le peuple se fait un taurillon d’or, image d’une divinité puissante capable de calmer son angoisse, au contraire du Seigneur qui, apparemment, l’a oublié. Israël refuse ainsi la condition essentielle de l’alliance : être fidèle en tout à son Seigneur et affronter ses angoisses dans la confiance.

Voyant ce que le peuple est en train de faire (avec la complicité active d’Aaron, le frère de Moïse), Dieu se fâche tout rouge. Il parle même d’exterminer Israël. Moïse s’interpose et plaide pour qu’il ne le fasse pas. Mais une fois au pied de la montagne et face au taurillon d’or, Moïse se fâche à son tour et punit les coupables en ordonnant leur mise à mort. Puis il se remet à implorer Dieu. Car à présent, une question se pose, et elle est cruciale : le Seigneur peut-il accompagner la marche d’un peuple aussi prompt à le renier ? Peut-il demeurer au milieu d’un peuple pécheur ? Après de longues tractations, Moïse obtient que Dieu maintienne son projet d’habiter au sein du peuple. C’est dans ce contexte qu’il précise comment il réagira si Israël vient à retomber dans ses travers et à trahir la parole donnée.

Si les Israélites font le mal au mépris de la vie et de la liberté que Dieu leur a données, que peut faire celui-ci ? Si, dans sa miséricorde, il passe sur leur faute, ne les pousse-t-il pas à persévérer dans leur voie mauvaise ? S’il se contente de punir les pécheurs, ne va-t-il pas semer la mort ? Dans un cas comme dans l’autre, il obtiendra le contraire de ce qu’il désire promouvoir au sein du peuple : le bien ou la vie. Il lui faut dès lors trouver un compromis, une position paradoxale. C’est ce qu’il exprime lorsqu’il proclame son nom devant Moïse qui est remonté vers lui.

Le Seigneur commence par réaffirmer l’essentiel : « Dieu tendre et miséricordieux, lent à la colère, plein d’amour et de fidélité, qui maintient l’amour pour des milliers, pardonne faute, rébellion et péché ». Au cœur de Dieu, l’amour bienveillant, tendre et fidèle, le pousse spontanément à pardonner, à rendre une possibilité de vie à qui a pris un chemin de mort, à rendre la liberté à qui a choisi les liens de l’esclavage.

Mais le pardon n’empêche pas que le mal commis continue à produire ses effets et à faire du mal à celui qui l’a commis aussi bien qu’à d’autres. (C’est une constante de l’agir des humains : dans le bien comme dans le mal, ce que l’on fait n’est jamais sans conséquence…) Face à cela, que fera le dieu que le récit met en scène ? « Il ne tient jamais pour innocent, visitant la faute de pères sur des fils et des petits-fils, sur une troisième et une quatrième génération. » Il vient voir, il « visite » – et non « punit » comme le veut la traduction officielle qui réduit la signification du verbe à un sens particulier. Et que vient-il voir ainsi ? Les effets à long terme des choix erronés des humains. N’importe qui peut faire le même constat, d’ailleurs. Si, absorbé par son travail, quelqu’un néglige sa famille, son conjoint n’en souffre-t-il pas ? et ses enfants n’en seront-ils pas affectés toute leur vie, jusque dans la façon dont ils agiront eux-mêmes en tant que parents ? Si une société se construit dans une logique de profit, ne crée-t-elle pas des exclus, n’abîme-t-elle pas la nature pour longtemps ? Inutile de multiplier les exemples…

Voilà le genre de choses que Dieu constate en « visitant » les fautes du peuple. Et que fera-t-il dans ce cas ? Il est clair qu’il ne peut innocenter les responsables de ces fautes sans s’en faire le complice. Dès lors, il y aura jugement. Comment libérer du mal, en effet, s’il n’est pas désigné et assumé comme tel ? Cela dit, Dieu est libre de voir comment gérer au mieux le mal commis : soit il « portera » lui-même le poids du mal pour qu’il n’écrase pas les fautifs et leurs victimes ; soit il marquera ses distances au moyen d’un juste châtiment, consistant le plus souvent à laisser les coupables porter les effets négatifs que leurs actes ont sur eux-mêmes.

Face à ces deux possibilités, Moïse répond (à la fin du passage) en suppliant le Seigneur de laisser parler sa miséricorde et de pardonner. C’est à cette condition seulement qu’il pourra habiter malgré tout au milieu d’un peuple « à la nuque raide », un peuple rebelle et rétif face à qui veut l’éduquer au bien et à la liberté.

Dieu proclame son Nom (Jean 3,16-18)

Dieu a tant aimé le monde qu’il a donné son Fils unique, afin que quiconque croit en lui ne périsse pas, mais ait la vie éternelle. Car Dieu a envoyé son Fils dans le monde, non pas pour juger le monde, mais pour que, par lui, le monde soit sauvé. Celui qui se fie à lui échappe au jugement ; celui qui ne se fie pas est déjà jugé, du fait qu’il ne s’est pas fié au nom du Fils unique de Dieu.

Une dynamique semblable entre « salut » et « jugement » est présente dans ce bref extrait du 4e évangile. Ce qui fait la différence, ici, c’est la « foi », non au sens d’une déclaration de foi, mais d’une confiance en actes – ce qui, dans la Torah, correspond à l’attitude qui convient à la relation d’alliance médiatisée par la Loi. Dans le régime de la nouvelle alliance, la Loi est remplacée par le Fils unique, parole de Dieu (voir Jean 1,9-14). Et de même que la première alliance avait pour finalité la vie d’Israël, la nouvelle vise à communiquer la « vie éternelle » à quiconque met sa foi dans le « nom » de Jésus, c’est-à-dire dans sa personne et dans la preuve d’amour que Dieu donne en l’envoyant dans le monde.

La liberté des humains reste cependant entière et il leur revient de prendre attitude par rapport au don du Père. Car si la vie est offerte, il est possible de la refuser et dès lors de périr (ou se perdre). Il n’y a donc pas ici de Dieu qui juge : chacun est jugé par le choix qu’il fait. Ceci est éclairé par le passage introduisant les quelques lignes sélectionnées pour ce dimanche (v. 14-15) : « De même que le serpent de bronze fut élevé par Moïse dans le désert, ainsi faut-il que le Fils de l’homme soit élevé, afin qu’en lui tout homme qui croit ait la vie éternelle. » Tiens donc ! L’Ancien Testament éclairerait le Nouveau… L’allusion au récit du livre des Nombres (21,4-9) permet en effet de saisir la logique des paroles de Jésus à Nicodème.

Découragés par leur interminable périple, les Israélites accusent Dieu et Moïse de les avoir tirés d’Égypte non en vue de les faire vivre, mais avec l’intention perverse de les faire mourir de faim au désert. Le Seigneur libère alors contre eux des serpents à la morsure mortelle. Cela amène les gens à prendre conscience de leur faute : ils la confessent à Moïse, le suppliant d’intercéder pour leur salut. Suite à quoi Dieu lui ordonne de dresser comme un étendard un serpent de bronze. Et il précise : «Quiconque, une fois mordu, le regardera, vivra». Et c’est ce qui se passe. Il ne s’agit pas là d’un processus magique. Ce n’est pas le serpent de bronze qui guérit, mais le regard tourné vers lui. Ce regard donne la vie parce qu’il inverse, dans un acte de confiance en ce que Dieu a dit, l’attitude de méfiance qui a précipité le peuple dans la mort. Croire que Dieu veut la mort du peuple et non sa vie, voilà ce qui fait mourir. À l’inverse, se fier à la parole par laquelle Dieu atteste qu’il veut la vie, voilà ce qui fait vivre. Au fond, Dieu ne fait qu’offrir une possibilité de salut et de vie. Qui la refuse reste dans la mort.

Selon le 4e évangile, cette même dynamique est à l’œuvre avec Jésus et sa parole – et jusque dans sa mort, moment où la révélation de l’amour de Dieu atteint son sommet.

 
Bible et liturgie

Commentaires des lectures du dimanche par André Wénin

L’Église ne sait pas ce qu’elle perd à négliger le Testament de la première Alliance…

Les textes qu’on lira sous cette rubrique ne sont pas des homélies. J’y propose plutôt un commentaire, à mi-chemin entre une analyse exégétique et une lecture attentive à la fois au texte biblique et à la réalité humaine qui est la nôtre.
La traduction des textes commentés (le plus souvent les passages de l’Ancien Testament et de l’évangile) est très souvent corrigée. La version liturgique est globalement insatisfaisante, en effet. Elle lisse le texte au point d’en gommer les difficultés, c’est-à-dire précisément les points où peut venir "s’accrocher" le commentaire parce qu’ils posent question. Quant au texte de l’Ancien Testament, il est fréquemment amplifié de manière à restaurer le passage dans son intégralité en vue du commentaire. 

André Wénin