« Le Seigneur est bon, éternel est son amour,
sa fidélité demeure d’âge en âge. »
(Psaume 100,5)
Proposition divine (Exode 19,1-6a)
Au 3e mois de la sortie des fils d’Israël du pays d’Égypte, en ce jour-ci, ils arrivèrent au désert du Sinaï. Ils étaient partis de Rephidim et arrivèrent au désert du Sinaï, et ils campèrent dans le désert ; Israël campa là en face de la montagne, et Moïse monta vers Dieu. Le Seigneur l’appela de la montagne : « Tu diras ainsi à la maison de Jacob, tu annonceras aux fils d’Israël : “Vous avez vu ce que j’ai fait à l’Égypte, comment je vous ai portés sur des ailes d’aigles et vous ai amenés jusqu’à moi. Maintenant, si vous écoutez ma voix et gardez mon alliance, vous serez mon domaine particulier parmi tous les peuples. Oui, toute la terre m’appartient, mais vous, vous serez pour moi un royaume de prêtres, une nation sainte.” Telles sont les paroles que tu communiqueras aux fils d’Israël. »
Ce bref discours divin occupe une place centrale dans le livre de l’Exode. Il inaugure le processus qui va conduire à l’alliance entre le dieu libérateur et les anciens esclaves qu’il a libérés d’Égypte. Dieu propose à ces gens de s’allier à lui pour devenir une nation à part entière structuré comme un peuple. Il présente son initiative en la replaçant sur l’arrière-fond des événements récents qui sont rappelés dans l’introduction narrative (introduction rabotée par le censeur qui, manifestement, n’aime pas les répétitions). Celle-ci évoque successivement la sortie d’Égypte, le chemin parcouru dans le désert depuis l’étape à Rephidim, puis l’établissement du campement face à la montagne de Dieu, vers qui Moïse prend l’initiative de monter. C’est alors que le Seigneur l’interpelle en le renvoyant vers le peuple avec une proposition à lui faire, une proposition qui suit une ligne chronologique : rappel du passé, évocation du présent (« et maintenant »), perspectives pour l’avenir. Une telle façon de procéder montre que la proposition d’alliance consiste à donner un sens, une direction à l’histoire de ce groupe qui, hier encore, était soumis à l’arbitraire d’un dictateur.
En évoquant le passé, le Seigneur reprend ce qui vient d’être rappelé. Mais alors que les premières phrases remémorent les faits de façon descriptive, Dieu fait voir l’envers de ces faits, ce qui se cache par dessous. Ainsi, la sortie d’Égypte devient « ce que j’ai fait à l’Égypte », c’est-à-dire un haut fait de Dieu qui a contraint le pharaon à laisser partir ses esclaves. Le chemin au désert est décrit à l’aide d’une métaphore qui souligne à nouveau l’action divine, « je vous ai portés sur des ailes d’aigles » : c’est lui, en effet, qui les a guidés et protégés tout au long du chemin. Enfin, l’arrivée face à la montagne est comprise elle aussi comme l’œuvre de Dieu qui a « amené » les fils d’Israël jusqu’à lui en vue de la rencontre qui va avoir lieu. Ainsi, Dieu révèle aux Israélites son action tout au long du processus qui les a conduits de l’esclavage à la rencontre avec lui, but de l’ensemble du processus.
La fin du discours révèle quant à elle le projet qui a amené le Seigneur à libérer les Israélites. Il désire faire d’eux une « une nation sainte ». Qu’est-ce à dire ? Par deux fois, Dieu affirme sa souveraineté universelle : « tous les peuples » sont siens et « toute la terre lui appartient ». Mais parmi ces peuples, Israël deviendra le domaine que le roi divin se réserve, la « nation sainte » qu’il met à part pour lui. Et pourquoi la met-il à part ? Pour qu’elle soit un « royaume de prêtres » : il sera le roi, et eux seront des prêtres dont la fonction sera de faire le lien entre lui et toutes les nations qui lui appartiennent. L’élection d’Israël n’est donc pas un privilège, mais une tâche, une responsabilité que Dieu lui confie. Israël sera témoin de la sainteté de Dieu, c’est-à-dire de sa différence : il est un dieu qui rend libre, qui n’est pas concurrent des humains puisqu’il s’allie à eux, qui fait d’eux ses partenaires et veut même pouvoir compter sur eux pour réaliser son désir : se faire connaître à toutes les nations comme un dieu de vie. Israël sera donc à la fois une nation solidaire des autres, tout en étant différente des autres à qu’il est chargé de faire connaître son dieu.
Voilà donc pour le futur que le Seigneur envisage pour Israël. Mais il n’imagine pas contraindre ses futurs partenaires. D’où la proposition pour le présent : « Maintenant, si vous écoutez ma voix et si vous gardez mon alliance ». Il invite ainsi les Israélites à ratifier librement son projet en mettant sa parole au centre de leur vie et en consentant à l’inscrire dans le lien d’alliance qu’il leur propose d’établir. En s’alliant ainsi au Seigneur, Israël se fera différent des autres nations et, de la sorte, il sera prêt à se mettre au service de leur lien avec Dieu. La suite du processus – en particulier les Dix paroles – précisera ce que signifie concrètement « garder l’alliance ».
Mission (Matthieu 9,36–10,8)
Voyant les foules, Jésus eut les entrailles retournée à leur propos parce qu’elles étaient désemparées et abattues comme des brebis sans berger. Il dit alors à ses disciples : « La moisson est abondante, mais les ouvriers sont peu nombreux. Priez donc le maître de la moisson d’envoyer des ouvriers pour sa moisson. » Alors Jésus appela ses douze disciples et leur donna le pouvoir d’expulser les esprits impurs et de guérir toute maladie et toute infirmité. Ceux-ci sont les noms des douze envoyés [apostoloi] : le premier, Simon, nommé Pierre ; André son frère ; Jacques, fils de Zébédée, et Jean son frère ; Philippe et Barthélemy ; Thomas et Matthieu le publicain ; Jacques, fils d’Alphée, et Thaddée ; Simon le Zélote et Judas l’Iscariote, celui-là même qui le livra. Ces douze, Jésus les envoya en mission avec les instructions suivantes : « Ne prenez pas le chemin qui mène vers les nations païennes et n’entrez dans aucune ville des Samaritains. Allez plutôt vers les brebis perdues de la maison d’Israël. Sur votre route, proclamez que le royaume des cieux est tout proche. Guérissez les malades, ressuscitez les morts, purifiez les lépreux, expulsez les démons. Vous avez reçu gratuitement : donnez gratuitement. »
La façon de faire de Jésus est analogue à celle du dieu d’Israël dans le livre de l’Exode. Il ne peut agir seul et attend des « ouvriers » pour travailler à « la moisson » pour laquelle le Maître l’a envoyé. Qui dit moisson dit rassemblement des gerbes. Cette image se superpose à la précédente : privées de berger, les foules sont désemparées, dispersées : il est nécessaire dès lors de les rassembler auprès de celui qui peut leur rendre confiance et leur donner la vie. Pour cela, il s’agit aussi de combattre les maux qui les accablent : les libérer de tout ce qui les aliène et les tient loin de Dieu, guérir les maladies et les infirmités qui affectent les corps et les esprits. Vaste programme face auquel Jésus perçoit la nécessité de s’entourer de collaborateurs. C’est ainsi qu’il appelle ses douze disciples pour initier la tâche au sein du peuple des Judéens. Et Matthieu de donner leurs noms en les groupant deux par deux, comme pour suggérer la familiarité que Jésus a avec eux. La fin de la liste où il est dit que Judas livrera Jésus indique que ces Douze ne sont pas des parfaits, mais des pécheurs.
Puisqu’il s’agit de rassembler un troupeau dispersé, Jésus envoie les douze « envoyés » ou apôtres vers les brebis qui errent çà et là. Leur mission ? Proclamer comme le Baptiste et comme Jésus que Dieu se fait proche et prépare un monde nouveau où il régnera et où les pauvres et les exclus du bonheur auront la première place, ainsi que Jésus l’a annoncé en prononçant les béatitudes. Cette proclamation s’accompagnera de signes montrant concrètement que le Royaume est déjà en train d’advenir : en guérissant les malades, en rendant la vie aux morts, en purifiant les lépreux et en expulsant les démons, les disciples manifesteront qu’à travers eux, Dieu fait œuvre de vie, et qu’il le fait par pure grâce. D’où la gratuité dont les disciples feront preuve, signe d’un nouveau monde en marche.