12ème dimanche du temps ordinaire

Temps liturgique: Temps ordinaire
Année liturgique: A
Date : 25 juin 2023
Auteur: André Wénin

La grâce de Dieu s’est répandue en abondance sur la multitude,
cette grâce qui est donnée en Jésus Christ.

(Lettre aux Romains 5,15)

Jérémie dans la tourmente (Jérémie 20,10-13)

Moi Jérémie, j’entends les calomnies de bien des gens, terreur venant de partout : « Dénoncez ! – Oui, dénonçons-le ! » Quiconque est en paix avec moi guette mon faux pas. Ils disent : « Peut-être se laissera-t-il abuser, de sorte que nous pourrons le vaincre et nous venger de lui ! » Mais le Seigneur est avec moi, tel un guerrier redoutable : mes persécuteurs trébucheront, ils ne vaincront pas. Ils seront couverts de honte car ils ne réussiront pas : déshonneur éternel, ineffaçable ! « Seigneur de l’univers, toi qui scrutes le juste, qui vois les reins et les cœurs, je verrai ta vengeance contre eux, car c'est à toi que j’ai remis ma cause ». Chantez pour le Seigneur, louez le Seigneur : il a délivré la vie du malheureux de la main des méchants.

Les Écritures en témoignent : annoncer la Parole n’est pas une sinécure. Comme Jésus, ceux qui s’y essaient rencontrent souvent opposition et même hostilité. Les deux lectures de ce dimanche l’évoquent chacune à leur manière.

Le prophète Jérémie vit des moments difficiles. Le message qu’il proclame courageusement prend les gens à rebrousse-poil dans un contexte tendu pour tout le monde. Les dirigeants de la petite province de Juda et de sa capitale, Jérusalem, redoutent en effet que Nabuchodonosor, le roi de Babylone (la grande puissance de l’époque) ne lance son armée contre leur pays. Aussi cherchent-ils à s’allier avec l’Égypte pour résister aux Babyloniens. Mais Jérémie en est convaincu : des derniers incarnent le châtiment que le Seigneur envoie à son peuple infidèle qui ne cesse de se détourner de lui. Le peuple doit donc s’incliner devant la décision de son dieu et accepter sa juste sentence en se rendant à leurs ennemis.

Ce discours à contre-courant est évidemment mal vu. Le prophète est accusé par de nombreux adversaires : il démoralise le peuple et le démobilise, alors qu’il faudrait l’encourager, le soutenir pour qu’il résiste à l’envahisseur. On tente alors de réduire au silence cet empêcheur de tourner en rond, et tous les moyens sont bons pour y parvenir. Jérémie s’en rend compte : on le terrorise, on le dénonce, on pousse ses amis à l’épier pour le prendre en défaut, on le trompe pour le réduire au silence et lui faire payer son obstination… Son unique appui est le Seigneur, au nom de qui il parle et vers qui il tente de ramener le cœur du peuple.

Ainsi, dans l’adversité que sa parole suscite, Jérémie s’en remet à celui qui est plus fort que ses persécuteurs. Pensent-ils l’emporter sur lui ? C’est en réalité à Dieu qu’ils s’en prennent. C’est pourquoi Jérémie en est sûr : ils échoueront ! Recourant à un vocabulaire judiciaire (« scruter », « juste », « vengeance » – autrement dit rétablissement de la justice –, « cause » au sens de procès), il en appelle au Seigneur comme à un juge, certain que son jugement sera juste. Car Dieu perce les secrets des cœurs. Il sait qui est dans son droit, qui a tort. Et il rendra justice à son prophète qui, sûr de son dieu, invite déjà à le chanter, comme en un psaume. Au centre de sa louange, il met l’action du Seigneur en faveur des malheureux : littéralement, il arrache leur gorge à la main des malfaisants, leur sauvant ainsi la vie. C’est bien ce qu’il va faire pour son prophète.

On pourrait mettre sur les lèvres de Jérémie les versets du psaume 69 repris pour faire écho à ce qu’il dit dans la 1re lecture (soit les versets 8-10, 14.17 et 33-35) :

C’est pour toi que j’endure l’insulte, que la honte me couvre le visage :
je suis un étranger pour mes frères, un inconnu pour les fils de ma mère.
La passion pour ta maison m’a dévoré ; les insultes de ceux qui t’insultent tombent sur moi.
Et moi, je te prie : Seigneur, c’est l’heure de ton bon vouloir :
dans ton grand amour, Dieu, réponds-moi ; dans ta fidélité, sauve-moi.
Réponds-moi, Seigneur, car il est bon, ton amour ; dans ta grande tendresse, regarde-moi.
Les pauvres ont vu, ils se réjouissent : « Vous qui cherchez Dieu, que vive votre cœur ! »
Car le Seigneur écoute les malheureux, il ne méprise pas les siens emprisonnés.
Que le ciel et la terre le louent, les mers et tout leur peuplement ! 

Jésus invite ses disciples à la confiance (Matthieu 10,26-33)

« Ne craignez pas les hommes ; rien n’est voilé qui ne sera dévoilé, rien n’est caché qui ne sera connu. Ce que je vous dis dans les ténèbres, dites-le en pleine lumière ; ce que vous entendez au creux de l’oreille, proclamez-le sur les toits. Cessez de craindre ceux qui tuent le corps sans pouvoir tuer l’âme ; craignez plutôt celui qui peut faire périr dans la géhenne l’âme aussi bien que le corps. Deux moineaux ne sont-ils pas vendus pour un sou ? Or, pas un seul ne tombe à terre sans que votre Père le veuille. Quant à vous, même les cheveux de votre tête sont tous comptés. Cessez donc de craindre : vous valez bien plus que beaucoup de moineaux. Quiconque se déclarera pour moi devant les hommes, moi aussi je me déclarerai pour lui devant mon Père qui est aux cieux. Mais celui qui me reniera devant les hommes, moi aussi je le renierai devant mon Père qui est aux cieux. »

Ces paroles de Jésus sont tirées d’un discours qu’il adresse aux Douze au moment de les envoyer en mission pour annoncer que « le Règne des cieux s’est approché » (versets 5-7, cf. évangile du 11e dim. A). En prêtant ces mots à Jésus, l’évangéliste Matthieu donne des recommandations à sa communauté et en particulier à des prédicateurs itinérants en vue de leur annonce de l’évangile. Cette partie du discours fait suite à une autre, où Jésus annonce les difficultés auxquelles les chrétiens doivent s’attendre (versets 16-25). Elles ressemblent à celles que Jérémie a rencontrées : procès iniques, difficultés familiales, haine, calomnies… (cela sent le vécu !). C’est dans ce contexte qu’intervient l’invitation, trois fois répétée, à ne pas craindre.

Ne pas craindre de parler, d’abord, pour dévoiler ce qui est caché. Derrière les apparences du bien, du juste, se cache parfois le mal, et la parole de l’Évangile que les disciples ont entendue au creux de l’oreille démasque le mal caché, faisant ainsi œuvre de lucidité. Ainsi, selon l’évangile de Matthieu, les pharisiens se voient comme des hommes religieux, justes, attachés à la loi de Dieu, et ils se présentent donc comme tels. En réalité, ils sont imbus d’eux-mêmes et jugent les autres ; ce qu’ils cherchent en pratiquant la loi, c’est une sorte de confort spirituel. Quant aux autorités du peuple, elles pensent – sans doute de bonne foi – être les garantes de l’ordre et de la sécurité du peuple. En réalité, elles sont attachées à leur pouvoir et aux honneurs qui en dérivent. Même les disciples, comme Pierre : apparemment, ils ont confiance en Jésus et le suivent. Mais quand les choses se gâtent, ils le laissent seul, le renient, dévoilant leur peu de foi… Voilà ce qui est caché, le plus souvent aux yeux des premiers concernés, et qui se trouve démasqué par la parole de l’Évangile. Mais cela ne fait plaisir à personne d’être mis devant sa propre vérité quand elle est peu glorieuse et qu’on se l’est cachée par aveuglement. Cela peut susciter agressivité, attaques, violence. Voilà ce qu’il ne faut pas craindre des « humains » qui ne peuvent s’en prendre qu’au corps.

Face à l’adversité suscitée par la parole d’évangile, le disciple se trouve devant un choix : ou bien céder à la peur pour son intégrité physique, ou bien – comme Jérémie ou le psalmiste – s’en remettre à Dieu, le « craindre », c’est-à-dire mettre sa confiance en lui pour ne pas « perdre son âme ». Dieu ne prend-il pas soin de la moindre de ses créatures qui a pourtant bien moins de valeur que l’humain ? Ne se préoccupe-t-il pas des êtres humains jusque dans les plus petites choses (les cheveux), comme un père le fait avec ses enfants ? À plus forte raison si quelqu’un prend le risque d’affronter la contradiction pour lui et pour l’évangile ! D’où l’invitation répétée à ne pas laisser la peur l’emporter : que ce ne soit pas elle à guider les choix du disciple, mais la confiance en Dieu. Elle le poussera à se prononcer courageusement pour Jésus et son évangile. Elle évitera aussi à Jésus d’avoir à le renier devant son Père.

Aujourd’hui, le contexte n’est plus celui que connaissait la communauté pour laquelle Matthieu écrivait son évangile. Dans nos pays du moins, les disciples de l’évangile n’ont plus à craindre la persécution violente. Les moqueries ou les quolibets, peut-être. Cela ne signifie pas que cet appel à scruter les apparences pour démasquer la vérité qu’elles cachent est devenu inutile. Faire la vérité, c’est dénoncer ce qui, en sous-main, menace la justice, la paix et la vie, souvent à l’insu des personnes. L’exercice est délicat, cependant. Le disciple de Jésus n’a pas vocation à être un redresseur de torts. Qu’il commence donc par être lucide sur sa propre vérité, et se mette humblement au service de l’évangile de Dieu.

Bible et liturgie

Commentaires des lectures du dimanche par André Wénin

L’Église ne sait pas ce qu’elle perd à négliger le Testament de la première Alliance…

Les textes qu’on lira sous cette rubrique ne sont pas des homélies. J’y propose plutôt un commentaire, à mi-chemin entre une analyse exégétique et une lecture attentive à la fois au texte biblique et à la réalité humaine qui est la nôtre.
La traduction des textes commentés (le plus souvent les passages de l’Ancien Testament et de l’évangile) est très souvent corrigée. La version liturgique est globalement insatisfaisante, en effet. Elle lisse le texte au point d’en gommer les difficultés, c’est-à-dire précisément les points où peut venir "s’accrocher" le commentaire parce qu’ils posent question. Quant au texte de l’Ancien Testament, il est fréquemment amplifié de manière à restaurer le passage dans son intégralité en vue du commentaire. 

André Wénin