15ème dimanche du temps ordinaire

Temps liturgique: Temps ordinaire
Année liturgique: A
Date : 16 juillet 2023
Auteur: André Wénin

« La création attend avec impatience la révélation des fils de Dieu. »
(Lettre aux Romains 8,19)

Une création en souffrance… (Romains 8,18-23)

J’estime qu’il n’y a pas de commune mesure entre les souffrances du temps présent et la gloire qui va être révélée pour nous. En effet la création attend avec impatience la révélation des fils de Dieu. Car la création a été soumise au pouvoir du néant, non pas de son plein gré, mais à cause de celui qui l’a livrée à ce pouvoir. Pourtant, elle a gardé l’espérance d’être, elle aussi, libérée de l’esclavage de la dégradation, pour connaître la liberté de la gloire donnée aux enfants de Dieu. Nous le savons bien, la création tout entière gémit, elle passe par les douleurs d’un enfantement qui dure encore. Et elle n’est pas seule. Nous aussi, en nous-mêmes, nous gémissons ; nous avons commencé à recevoir l’Esprit Saint, mais nous attendons notre adoption et la rédemption de notre corps.

Ce passage de la lettre aux Romains offre un cadre aux deux autres lectures de ce dimanche. Un cadre aux dimensions du monde. Pour Paul, la création a pour but la manifestation de ce qu’est Dieu (sa « gloire ») et l’épanouissement maximal de l’être humain. Mais le temps présent est marqué par la souffrance, car le projet de vie et de bénédiction du créateur est livré à la vanité, au néant et à la dégradation. Pourquoi ? Parce que les humains se laissent mener par le bout du nez par leur convoitise, leur désir insatiable. Malgré tout, Paul voit dans cette souffrance une raison d’espérer. Elle est un peu comme les douleurs de l’accouchement, qui débouchent sur une vie nouvelle. Les souffrances présentes sont le signe d’un monde en « travail », qui sort douloureusement de l’esclavage et de la prison où la convoitise l’enferme, pour entrer dans un temps nouveau où le projet de vie de Dieu ne rencontrera plus d’obstacle et où les humains pourront s’épanouir pleinement, conformément au désir de Dieu.

Ce cadre que Paul décrit épouse la dynamique même de la Bible. Ce mouvement part de la création dévoyée par les choix malheureux des humains qui refusent les limites nécessaires à la vie en commun et au respect d’autrui et de la vie (= début de la Genèse), et il culmine dans la révélation du monde tel que Dieu désire qu’il soit (= fin de l’Apocalypse). Mais pourquoi Paul croit-il que les souffrances que la création et l’humanité traversent dans l’histoire sont un douloureux « travail » d’enfantement d’un monde nouveau ? Pourquoi parle-t-il de l’espérance de la création ? Parce que, à ses yeux, Dieu ne se résigne pas à l’échec de son projet de vie, comme le manifeste la résurrection de Jésus. Par son Esprit de sainteté, il œuvre dans l’histoire : il lutte contre la convoitise, cet esclavage qui sème la mort, pour en libérer le monde et les humains. Avant lui, le prophète Isaïe affirmait que c’est par sa parole féconde et vivifiante que Dieu travaille au cœur du monde.

Une parole efficace (Isaïe 55,10-11)

Ainsi parle le Seigneur : « La pluie et la neige qui descendent des cieux n’y retournent pas sans avoir abreuvé la terre, sans l’avoir fécondée et l’avoir fait germer, donnant la semence au semeur et le pain à celui qui doit manger ; ainsi ma parole qui sort de ma bouche ne me reviendra pas sans résultat, sans avoir fait ce qui me plaît, sans avoir accompli sa mission. »

L’image à laquelle Isaïe recourt est celle de l’eau : comme l’eau, la parole du Seigneur est indispensable à la vie. Comme la pluie et la neige, elle permet une germination, processus caché, imperceptible, lent, progressif mais sûr, qui ouvre au futur en permettant d’autres semailles, et qui soutient le présent en nourrissant les humains comme le pain peut le faire. De même, la parole de Dieu ne peut manquer son but, échouer dans sa mission : redonner vie à un monde marqué par la mort.

Ce thème est repris et prolongé par l’évangéliste Matthieu dans une parabole bien connue.

Quelle terre pour la Parole semence ? (Matthieu 13,1-23)

Ce jour-là, Jésus était sorti de la maison, et il était assis au bord de la mer. Auprès de lui se rassemblèrent des foules si grandes qu’il monta dans une barque où il s’assit ; toute la foule se tenait sur le rivage. Il leur dit beaucoup de choses en paraboles

« Voici que le semeur sortit pour semer. Comme il semait, des grains sont tombés au bord du chemin, et les oiseaux sont venus tout manger. D’autres sont tombés sur le sol pierreux, où ils n’avaient pas beaucoup de terre ; ils ont levé aussitôt, parce que la terre était peu profonde. Le soleil s’étant levé, ils ont brûlé et, faute de racines, ils ont séché. D’autres sont tombés dans les ronces ; les ronces ont poussé et les ont étouffés. D’autres sont tombés dans la bonne terre, et ils ont donné du fruit à raison de cent, ou soixante, ou trente pour un. Celui qui a des oreilles, qu’il entende ! »

Les disciples s’approchèrent de Jésus et lui dirent : « Pourquoi leur parles-tu en paraboles ? » Il leur répondit : « À vous il est donné de connaître les mystères du royaume des Cieux, mais ce n’est pas donné à ceux-là. À celui qui a, on donnera, et il sera dans l’abondance ; à celui qui n’a pas, on enlèvera même ce qu’il a. Si je leur parle en paraboles, c’est parce qu’ils regardent sans regarder, et qu’ils écoutent sans écouter ni comprendre. Ainsi s’accomplit pour eux la prophétie d’Isaïe : Vous aurez beau écouter, vous ne comprendrez pas. Vous aurez beau regarder, vous ne verrez pas. Le cœur de ce peuple s’est alourdi : ils sont devenus durs d’oreille, ils se sont bouché les yeux, de peur que leurs yeux ne voient, que leurs oreilles n’entendent, que leur cœur ne comprenne, qu’ils ne se convertissent – et moi, je les guérirai. Mais vous, heureux vos yeux puisqu’ils voient, et vos oreilles puisqu’elles entendent ! Amen, je vous le dis : beaucoup de prophètes et de justes ont désiré voir ce que vous voyez, et ne l’ont pas vu, entendre ce que vous entendez, et ne l’ont pas entendu.

« Vous donc, écoutez ce que veut dire la parabole du semeur. Quand quelqu’un entend la parole du Royaume sans la comprendre, le Mauvais survient et s’empare de ce qui est semé dans son cœur : celui-là, c’est le terrain ensemencé au bord du chemin. Celui qui a reçu la semence sur un sol pierreux, c’est celui qui entend la Parole et la reçoit aussitôt avec joie ; mais il n’a pas de racines en lui, il est l’homme d’un moment : quand vient la détresse ou la persécution à cause de la Parole, il trébuche aussitôt. Celui qui a reçu la semence dans les ronces, c’est celui qui entend la Parole ; mais le souci du monde et la séduction de la richesse étouffent la Parole, qui ne donne pas de fruit. Celui qui a reçu la semence dans la bonne terre, c’est celui qui entend la Parole et la comprend : il porte du fruit à raison de cent, ou soixante, ou trente pour un. »

La parabole du semeur ajoute une dimension à la comparaison d’Isaïe : si la parole de Dieu est efficace et féconde, sa fructification fruit dépend aussi du terrain dans lequel la semence se dépose. La parabole lance donc à l’auditeur une invitation implicite à travailler sa propre « terre » pour que la parole y porte son meilleur fruit. C’est cette portée de la parabole que Matthieu développe lui-même dans le dernier paragraphe du texte, en racontant que Jésus explique la parabole à ses disciples – ce qui dispense le commentateur de devoir le faire ! Merci, Matthieu…

Mais avant de proposer sa propre lecture de la parabole du semeur, l’évangéliste aborde une autre question : qu’en est-il de celles et ceux dont le cœur ne comprend pas ce que veut dire la parabole ? Matthieu explique ainsi pourquoi Jésus parle en paraboles et pourquoi il termine par un appel à tou(te)s : « Celui qui a des oreilles, qu’il entende ! » Tout le monde devrait donc pouvoir y comprendre quelque chose…

Matthieu évoque alors ces gens qui, plongés dans les vicissitudes et les souffrances de l’histoire, sont fermés aux appels pressants de la Parole. Aveugles qui s’ignorent, ils regardent sans voir ; sourds à leur insu, ils entendent sans écouter, ou écoutent sans comprendre que la parole parle d’eux et de leur vie. Toutes et tous sont susceptibles de faire partie de ces gens. Pas forcément par mauvaise volonté. Mais parce qu’ils sont « alourdis », ils tournent le dos à la guérison de leur humanité, au renouveau de leur existence ; leur cœur, leurs yeux et leurs oreilles se ferment, comme s’ils pressentaient que la parole de Dieu pourrait les toucher et bouleverser leur vie.

Pourtant, le prophète Isaïe cité (et interprété) par Matthieu fait dire à Dieu qu’il peut guérir ces gens-là. Sa parole n’est donc pas réduite à l’impuissance : elle leur arrive indirectement, de façon masquée, en paraboles – des histoires fictives comme il y en a tant dans la Bible. En effet, puisque le message y est dissimulé, la parabole laisse la liberté à celui qui écoute, elle n’exerce aucune pression sur lui, elle ne le contraint en rien, ne l’oblige pas à adhérer. Elle peut seulement l’intriguer, le questionner, pourvu qu’il prête l’oreille. La parabole, c’est une parole qui espère mettre l’auditeur en chemin sans le brusquer, en respectant sa liberté ou sa souffrance. Ainsi, la parabole, comme tant d’histoires racontées dans la Bible (souvent dans l’Ancien Testament, d’ailleurs), est une parole de Dieu qui se fait discrète, indirecte, légère. Une parole où se tapit le secret espoir de Dieu de toucher les cœurs, même ceux que la vie a fermés et que les souffrances ont endurcis ; l’espoir qu’ils trouvent eux aussi le chemin de la guérison et soient rendus à la vie.

Bible et liturgie

Commentaires des lectures du dimanche par André Wénin

L’Église ne sait pas ce qu’elle perd à négliger le Testament de la première Alliance…

Les textes qu’on lira sous cette rubrique ne sont pas des homélies. J’y propose plutôt un commentaire, à mi-chemin entre une analyse exégétique et une lecture attentive à la fois au texte biblique et à la réalité humaine qui est la nôtre.
La traduction des textes commentés (le plus souvent les passages de l’Ancien Testament et de l’évangile) est très souvent corrigée. La version liturgique est globalement insatisfaisante, en effet. Elle lisse le texte au point d’en gommer les difficultés, c’est-à-dire précisément les points où peut venir "s’accrocher" le commentaire parce qu’ils posent question. Quant au texte de l’Ancien Testament, il est fréquemment amplifié de manière à restaurer le passage dans son intégralité en vue du commentaire. 

André Wénin