16ème dimanche du temps ordinaire

Temps liturgique: Temps ordinaire
Année liturgique: A
Date : 23 juillet 2023
Auteur: André Wénin

« Toi, Seigneur, dieu de tendresse et de pitié,
lent à la colère, plein d’amour et de fidélité ! »
(Psaume 86,15)

Force et miséricorde (Sagesse 12,13.16-19)

Il n’y a pas d’autre dieu que toi, qui prenne soin de tout, pour que tu doives montrer que tes jugements ne sont pas injustes. […] Ta force est le fondement de ta justice, et ta maîtrise sur tout t’amène à tout ménager. Tu montres ta force à ceux qui ne croient pas à la plénitude de ta maîtrise, et ceux qui la bravent sciemment, tu les confonds. Mais toi qui maîtrises ta force, tu juges avec indulgence, tu nous gouvernes avec beaucoup de ménagement, car tu n’as qu’à vouloir pour exercer ta maîtrise. En agissant ainsi, tu as enseigné à ton peuple que le juste doit être ami des humains ; et tu as rendu tes fils pleins d’une belle espérance, car tu accordes la conversion pour les péchés.

Cette méditation sur la douce puissance de Dieu s’insère dans l’évocation de l’attitude de ce dernier vis-à-vis des peuples cananéens lors de l’arrivée des Israélites dans la terre promise. Prenant ses distances vis-à-vis du récit du livre de Josué, l’auteur raconte comment, malgré les fautes abominables des habitants de Canaan, Dieu est intervenu de façon progressive dans l’espoir qu’ils comprennent, grâce à des châtiments mesurés, que leur avantage était de se repentir et de se détourner de leur conduite. L’auteur y voit la marque de la sollicitude divine envers tous les humains. Aussi, s’il juge et châtie, on ne peut le soupçonner d’être injuste. Les v. 14-15, omis dans la lecture, précisent que, pas plus qu’un éventuel autre dieu, aucun roi ne pourrait défendre ceux que Dieu a jugés coupables : son comportement est irréprochable, et « il estime incompatible avec sa puissance de condamner quelqu’un qui ne mérite pas d’être châtié » (v. 15b).

La méditation se poursuit sur l’usage que Dieu fait de sa force et de la maîtrise qu’elle lui assure sur toute chose et/ou sur tous les humains (le grec ne permet pas de décider). Ce qui régule cet usage, c’est le ménagement, l’indulgence, résultat de la capacité divine à maîtriser sa propre puissance. En réalité, il ne la montre qu’à ceux qui la mettent en doute : il les confond pour les ramener à la raison. Mais vis-à-vis des autres, cette force – disponible en permanence – est comme mise en sourdine par respect pour les humains : Dieu mitige son jugement en faisant preuve d’une indulgence qui constitue un discret appel à la conversion. C’est également une leçon adressée indirectement à ceux qui font partie de son peuple : quiconque désire vivre en juste commencera par aimer les êtres humains, à l’image du dieu indulgent.

Paraboles (Matthieu 13,24-43)

Jésus proposa cette parabole à la foule : « Le royaume des Cieux est comparable à un homme qui a semé du bon grain dans son champ. Or, pendant que les gens dormaient, son ennemi survint ; il sema de l’ivraie au milieu du blé et s’en alla. Quand la tige poussa et produisit l’épi, alors l’ivraie apparut aussi. Les serviteurs du maître vinrent lui dire : “Seigneur, n’est-ce pas du bon grain que tu as semé dans ton champ ? D’où vient donc qu’il y a de l’ivraie ?” Il leur dit : “C’est un ennemi qui a fait cela”. Les serviteurs lui disent : “Veux-tu donc que nous allions l’enlever ?” Il répond : “Non, en enlevant l’ivraie, vous risquez d’arracher le blé en même temps. Laissez-les pousser ensemble jusqu’à la moisson ; et au temps de la moisson, je dirai aux moissonneurs : ‘Enlevez d’abord l’ivraie, liez-la en bottes pour la brûler ; quant au blé, ramassez-le pour le rentrer dans mon grenier’.” »

Il leur proposa une autre parabole : « Le royaume des Cieux est comparable à une graine de moutarde qu’un homme a prise et qu’il a semée dans son champ. C’est la plus petite de toutes les semences, mais, quand elle a poussé, elle dépasse les autres plantes potagères et devient un arbre, si bien que les oiseaux du ciel viennent et font leurs nids dans ses branches. » Il leur dit une autre parabole : « Le royaume des Cieux est comparable au levain qu’une femme a pris et qu’elle a enfoui dans trois mesures de farine, jusqu’à ce que toute la pâte ait levé. »

Tout cela, Jésus le dit aux foules en paraboles, et il ne leur disait rien sans parabole, de sorte que s’accomplisse ce qui a été dit par le prophète : “J’ouvrirai la bouche pour des paraboles, je publierai des choses cachées depuis la fondation du monde”.

Alors, laissant les foules, il vint à la maison. Ses disciples s’approchèrent et lui dirent : « Explique-nous clairement la parabole de l’ivraie dans le champ. » Il répondit : « Celui qui sème le bon grain, c’est le Fils de l’humain et le champ, c’est le monde ; le bon grain, ce sont les fils du Royau­me ; l’ivraie, ce sont les fils du méchant. L’ennemi qui l’a semée, c’est le diable ; la moisson, c’est la fin du monde ; les moissonneurs, ce sont les anges. De même que l’on enlève l’ivraie pour la jeter au feu, ainsi en sera-t-il à la fin du monde. Le Fils de l’humain enverra ses anges, et ils enlèveront de son Royaume toutes les causes de chute et ceux qui font le mal ; ils les jetteront dans la fournaise de feu : là, il y aura des pleurs et des grincements de dents. Alors les justes resplendiront comme le soleil dans le royaume de leur Père. Celui qui a des oreilles, qu’il entende ».

Des choses cachées depuis la fondation du monde. Comme le raconte le 1er chapitre de la Genèse, ce qui apparaît quand le monde est fondé, ce sont les éléments visibles – le monde visible, sensible tel qu’on peut le voir. Mais ce récit raconte aussi que le monde visible procède de la parole de Dieu et donc aussi de son désir et de son projet pour la création. Il y a là un profond paradoxe : montrer, c’est aussi cacher ! Aussi Jésus choisit-il de dévoiler ce qu’il en est du royaume des Cieux en le cachant derrière des paraboles, des figures, des énigmes. Son choix est pédagogique : plutôt que d’expliquer clairement les choses, il préfère susciter l’envie de chercher, d’aller au-delà des apparences, d’oublier le désir de savoir pour s’engager dans un questionnement. C’est là une garantie de vérité. Car celle-ci n’est pas de l’ordre d’un contenu objectif, mais de l’ordre de l’expérience, de la relation – comme le montre la scène où les disciples interrogent Jésus, inscrivant leur recherche dans la relation avec lui, et comme ne le montre pas la scène où Jésus, ou plutôt l’évangéliste qui le fait parler, décode de façon mécanique la parabole pour en tirer un sens utile à sa théologie du jugement : ce n’est qu’à la fin que le fils de l’humain révélera la vérité des choses, comme l’illustre une autre parabole, propre à Matthieu : la parabole dite « du jugement dernier » (25,31-46).

L’histoire de l’ivraie contient un trait des plus curieux : la réaction des serviteurs du maître. Quelle personne sensée penserait à arracher de l’ivraie poussant au beau milieu du blé ? C’est tellement évident qu’il serait absurde de compromettre ainsi toute la récolte. Ce personnage collectif est un modèle d’idiotie. Mais c’est peut-être pour cela qu’il constitue une clé pour la parabole. Dans la communauté de Matthieu, comme dans tous les groupes humains (et peut-être en chaque individu), il y a des puristes qui croient pouvoir en finir rapidement avec le mal et prônent des solutions radicales.

La sagesse qui émane des paroles du maître prend en compte la complexité de la réalité humaine. Bien et mal s’y entremêlent obscurément, comme l’ivraie et le blé sont liés au niveau des racines et donc de manière cachée – ce à quoi les sots ne pensent pas. C’est donc faire preuve de naïveté voire d’aveuglement que de penser qu’il est possible de séparer bien et mal en soi, chez d’autres ou dans une communauté. Pour faire bref, ce qui fait du bien ou ce qui semble bien n’est pas forcément bien, et vice versa. Et quand quelqu’un pose un choix, il croit en général que c’est le bon – si du moins il est conscient de poser un choix – mais quelque temps plus tard, il constatera peut-êtrequ’il s’est fait des illusions ou s’est trompé. Inversement, quand quelqu’un est victime d’un geste ou d’une situation, il n’imagine guère que, peut-être, il découvrira un jour les effets positifs de ce qu’il a subi… D’une chose on peut être sûr : le mal vient de l’ennemi. Ennemi de qui ? Du maître – Dieu, peut-être – mais aussi de ceux qui le servent. D’une autre aussi : au terme, ne subsistera que ce qui nourrit, ce qui est bon, ce qui est utile à la vie. En attendant, il s’agit de prendre le risque de vivre sans certitude, en traduisant dans sa manière de vivre l’espoir que le blé ne sera pas étouffé par l’ivraie.

Les deux petites paraboles qui font suite à celle de l’ivraie peuvent résonner en écho avec elle et éclairer le chemin de celles et ceux qui désirent faire partie du royaume des Cieux et donc de contribuer à promouvoir le bien. L’histoire de la graine de moutarde suggère que l’infime peut avoir des conséquences que l’on n’imagine pas, qu’un presque-rien peut engendrer une réalité aussi agréable que vitale. Ce n’est pas vrai seulement de la parole de Dieu figurée par la semence dans l’explication de la parabole du semeur (voir 15e dim. A). Cela se vérifie dans bien des domaines de la vie humaine. Dès lors, l’attention à l’infime est cruciale pour qui désire être un artisan du bien, car c’est dans l’infime que germe la semence. Quant à la brève parabole du levain, elle suggère plusieurs choses : ce qui opère vraiment est modeste par rapport à l’ensemble ; son œuvre se développe à l’abri des regards, imperceptiblement ; l’ancien peut donner lieu à la nouveauté. Nouvelle leçon sur ces choses cachées depuis la fondation du monde, à méditer par ceux qui désirent que Dieu soit leur roi.

 
Bible et liturgie

Commentaires des lectures du dimanche par André Wénin

L’Église ne sait pas ce qu’elle perd à négliger le Testament de la première Alliance…

Les textes qu’on lira sous cette rubrique ne sont pas des homélies. J’y propose plutôt un commentaire, à mi-chemin entre une analyse exégétique et une lecture attentive à la fois au texte biblique et à la réalité humaine qui est la nôtre.
La traduction des textes commentés (le plus souvent les passages de l’Ancien Testament et de l’évangile) est très souvent corrigée. La version liturgique est globalement insatisfaisante, en effet. Elle lisse le texte au point d’en gommer les difficultés, c’est-à-dire précisément les points où peut venir "s’accrocher" le commentaire parce qu’ils posent question. Quant au texte de l’Ancien Testament, il est fréquemment amplifié de manière à restaurer le passage dans son intégralité en vue du commentaire. 

André Wénin