19e dimanche ordinaire A – 13 août 2023
« J’écoute : Que dira le Seigneur Dieu ?
Ce qu’il dit, c’est la paix pour son peuple et ses fidèles. »
(Psaume 85,9)
Le Seigneur se fait connaître à Élie (1 Rois 19,8b-13)
[Élie marcha 40 jours et 40 nuits] jusqu’à l’Horeb, la montagne de Dieu. Là, il entra dans la caverne et y passa la nuit. [Et voici : la parole du Seigneur vint à lui. Il lui dit : « Que fais-tu ici, Élie ? » Il dit : « Je suis passionné, oui, passionné pour le Seigneur le dieu des armées, car les Israélites ont abandonné ton alliance : tes autels, ils les ont démolis ; tes prophètes, ils les ont tués par l’épée ; je suis resté moi seul, et ils cherchent à m’ôter la vie ».] Le Seigneur dit : « Sors et tiens-toi sur la montagne devant le Seigneur. Voici : le Seigneur va passer. »
Il y eut un ouragan fort et violent fendant les montagnes et brisant les rochers devant le Seigneur : le Seigneur n’était pas dans l’ouragan. Et après l’ouragan, un tremblement de terre : le Seigneur n’était pas dans le tremblement de terre. Et après le tremblement de terre, du feu : le Seigneur n’était pas dans le feu. Et après le feu, une voix de léger silence. Aussitôt qu’il l’entendit, Élie se couvrit le visage avec son manteau, il sortit et se tint à l’entrée de la caverne…
Une fois de plus, le texte du livre des Rois a été amputé pour la lecture de ce dimanche [entre crochets ci-dessus les parties censurées]. Dans la traduction (revue) que j’en donne, je reprends le texte intégral que l’on a « coupé » sans doute pour « coller » à la lecture de l’évangile : Dieu (ou Jésus) se manifeste dans le cadre d’une tempête qui s’apaise. Mais pourquoi donc triturer le texte de l’Ancien Testament pour lui faire dire plus ou moins la même chose que le Nouveau, alors que sa signification est bien plus riche ?
Comme d’habitude, c’est le contexte qui permet d’affiner la compréhension d’une scène (voir 1 Rois 17–19). Depuis son apparition dans le récit, Élie se pose en champion du Seigneur, comme il le rappelle lui-même en répondant à Dieu qui l’interpelle : « Je suis passionné, oui, passionné pour le Seigneur le dieu des armées… » C’est que, sous l’impulsion du roi Achab et de la reine Jézabel, une grande partie du peuple d’Israël a choisi le dieu Baal, s’est donc détourné de l’alliance avec le Seigneur et s’en est pris violemment à ses porte-parole. Le tableau brossé par Élie est exagéré, cependant. Il sait, parce qu’on le lui a dit, qu’au moins 100 prophètes ont survécu grâce au majordome de la cour qui les cachés dans des grottes et les a ravitaillés.
C’est donc plutôt son sentiment d’abandon qu’Élie exprime quand il dit qu’il est resté seul. Et la reine en veut effectivement à sa vie. Pourquoi cela ? Parce qu’il est un prophète du Seigneur, sans doute, mais aussi pour un autre motif. Jusque-là, en effet, Élie a adopté la manière forte pour défendre « le dieu des armées » (ce n’est pas un hasard qu’il emploie ce titre pour qualifier le Seigneur) : il a défié le roi, provoqué une sécheresse et une famine, assassiné 450 prophètes de Baal (le dieu rival du Seigneur) après les avoir ridiculisés devant le peuple… C’est cette violence que Jézabel entend lui faire payer. Au fond, Élie est pris à son propre jeu, au point d’en être déprimé et de demander à mourir (voir 19,1-4).
Mais Dieu ne l’entend pas de cette oreille ! Il pousse Élie à se rendre à la montagne où il s’est manifesté à Israël et à Moïse lorsqu’il a conclu l’alliance avec eux après la sortie d’Égypte. Une fois sur place, il invite Élie à dire pourquoi il en est arrivé là. En réponse, celui-ci ne fait que se plaindre, plutôt que de faire son examen de conscience et de comprendre que c’est son attitude qui lui vaut la haine de la reine et qui l’a contraint à fuir le pays d’Israël. Le Seigneur lui annonce alors que, comme il l’a fait avec Moïse, le premier des prophètes, il va « passer » devant lui sur la montagne (voir Exode 33,18-23 et 34,5-8). Sa façon de « passer » constitue en réalité un message pour Élie. Car aucun des signes de puissance – l’ouragan dévastateur, le tremblement de terre et le feu dévorant – n’est le lieu du passage du Seigneur. Ces signes sont pourtant ceux par lesquels, au même endroit, Dieu avait signalé sa présence au peuple lors de l’alliance (Exode 19–20). Mais ces signes sont trompeurs. Ils cachent Dieu plus qu’ils ne le montrent. Ils signalent que quelque chose va se passer, qui vient après eux. Élie le comprend puisque c’est seulement quand il entend le murmure de la brise légère qu’il comprend que c’est Dieu qui passe près de lui. Alors, pour éviter de le regarder, il se voile le visage et sort, comme il en a reçu l’ordre.
Élie est arrivé à la montagne de Dieu pour avoir cru que le Seigneur était d’abord un dieu puissant qu’il faut défendre par la force et, si nécessaire, par la violence fanatique. Il apprend ici qu’au contraire, Dieu n’est pas du côté de la force, mais de la fragilité, de la vulnérabilité, de la douceur discrète d’un murmure. Un murmure qui invite à abandonner tout rêve de puissance pour épouser la discrétion d’un dieu dont l’unique désir est de faire des humains ses alliés, au service de la vie.
La « tempête apaisée » (Matthieu 14,22-33)
Aussitôt après avoir nourri la foule dans le désert, Jésus obligea les disciples à monter dans la barque et à le précéder sur l’autre rive, pendant qu’il renverrait les foules. Quand il eut renvoyé les foules, il monta sur la montagne, à l’écart, pour prier.
Le soir venu, il était là, seul. La barque était déjà à une bonne distance de la terre, elle était battue par les vagues, car le vent était contraire. Vers la fin de la nuit, il vint vers eux en marchant sur la mer. En le voyant marcher sur la mer, les disciples furent affolés, disant : « C’est un fantôme. » Apeurés, ils se mirent à crier. Mais aussitôt Jésus leur parla : « Confiance ! c’est moi ; cessez d’avoir peur ! » Pierre prit alors la parole et dit : « Seigneur, si c’est bien toi, ordonne-moi de venir vers toi sur les eaux. » Il lui dit : « Viens ! » Pierre descendit de la barque et marcha sur les eaux pour aller vers Jésus. Mais, voyant la force du vent, il prit peur et, comme il commençait à enfoncer, il cria : « Seigneur, sauve-moi ! » Aussitôt, Jésus étendit la main, le saisit et lui dit : « Homme de peu de foi, pourquoi as-tu douté ? » Et quand ils furent montés dans la barque, le vent tomba. Alors ceux qui étaient dans la barque se prosternèrent devant lui, et ils lui dirent : « Vraiment, tu es le Fils de Dieu ! »
Ce passage fait suite à une page où Matthieu raconte comment Jésus nourrit 5 000 hommes, qui, elle-même, suit le récit de la mort de Jean, exécuté par le roi Hérode. Au cœur du récit évangélique, cette « passion » du Baptiste annonce la passion et la mort de Jésus, qui sera lui aussi assassiné parce que sa parole dérange les autorités du peuple. En réalité, au chapitre 14 de cet évangile, cette suite de scènes anticipe la fin du récit. Après l’annonce indirecte de la mort de Jésus, le don du pain aux foules évoque clairement la dernière Cène où Jésus prend le pain, le bénit, le rompt et le donne aux disciples. L’épisode de ce dimanche anticipe quant à lui le récit de la passion et surtout de la résurrection.
Après avoir renvoyé ses disciples et la foule, Jésus se trouve seul sur la montagne et prie, comme il le fera plus tard, dans une même solitude, au mont des Oliviers et sur le Golgotha. Le récit glisse ensuite vers le point de vue des disciples : plongés dans la nuit, ils luttent au milieu du lac, contraints d’affronter un vent contraire. Cela évoque quelque chose que le récit de la Passion ne racontera pas : le désarroi des disciples qui, ayant laissé Jésus seul, seront plongés dans les ténèbres et secoués par une tempête intérieure. Mais au petit matin, Jésus vient à eux en marchant sur la mer, image de la résurrection. Dans la Bible, en effet, dès le verset 2 du chapitre 1 de la Genèse, les ténèbres, la mer et la tempête sont des figures du chaos et de la mort. Dans ces conditions, voir Jésus après sa mort, n’est-ce pas assister à l’apparition d’un fantôme ? Mais Jésus invite les siens à la confiance en les rassurant : c’est bien lui ! Vivant, il domine la mort. Sa présence avec eux dans la barque les rassérénera, tandis qu’ils reconnaîtront en lui le fils de Dieu en se prosternant. Celui qui peut vaincre la mort ne peut qu’appartenir à Dieu.
Avec cet épisode, Matthieu (après Marc et avant Jean) raconte que la résurrection ne se limite pas à la sortie de Jésus du tombeau. C’est aussi un événement pour les disciples. En effet, au-delà de la nuit, des difficultés et des angoisses de l’existence, la résurrection de Jésus leur ouvre un nouvel espace de vie où la peur n’a plus lieu d’être. Car la confiance dans le Ressuscité donne l’assurance que ce qui a le dernier mot, ce n’est pas le malheur et la mort. C’est Dieu.
La brève scène avec Pierre n’est pas non plus sans écho dans le récit de la Passion. Lorsque Jésus annonce aux disciples qu’ils tomberont à cause de lui, Pierre se récrie en disant que cela ne lui arrivera pas, qu’il ne reniera jamais son maître, « même s’il faut que je meure avec toi » (Matthieu 26,35). Un peu plus tard, par trois fois, il nie connaître Jésus par peur de ceux l’ont reconnu comme son disciple. De même ici, après avoir manifesté sa foi en Jésus en lui disant qu’il le reconnaîtra s’il lui permet d’aller vers lui sur les eaux, Pierre manifeste combien sa foi est petite quand la peur de la tempête s’empare de lui… C’est à cet « homme de peu de foi », sauvé de la mort par Jésus, que celui-ci dira qu’il bâtira sur lui son Église et qu’il lui confiera les clés du Royaume… avant de le traiter de Satan parce qu’il refuse que Jésus connaisse le rejet, la souffrance et la mort (Matthieu 16,18-23). Un signe que jamais rien n’est définitivement acquis pour un humain.