21ème dimanche du temps ordinaire

Temps liturgique: Temps ordinaire
Année liturgique: A
Date : 27 août 2023
Auteur: André Wénin

21e dim. ordinaire A – 27 août 2023

« Si haut que soit le Seigneur, il voit le plus humble ;
de loin, il reconnaît l’orgueilleux ».
(Psaume 138,6)

Heurs et malheurs des puissants (Isaïe 22,19-23)

Parole du Seigneur adressé à Shebna le maître du palais : « Je vais te chasser de ton poste, t’expulser de ta place. Et, ce jour-là, j’appellerai mon serviteur Éliakim, fils d’Helkias. Je le revêtirai de ta tunique, je lui attacherai ta ceinture, je remettrai ton pouvoir en sa main : il sera un père pour les habitants de Jérusalem et pour la maison de Juda. Je mettrai sur son épaule la clef ouvrant la maison de David : s’il ouvre, personne ne fermera ; s’il ferme, personne n’ouvrira. Je le planterai comme une cheville dans un endroit solide et il deviendra un trône de gloire pour la maison de son père. ».

Encore une fois, ceux qui ont choisi cet oracle prophétique pour la liturgie l’ont découpé de façon à le rendre incompréhensible. Tel qu’il figure ci-dessus, il ne fait que mettre en évidence l’arbi­traire du Seigneur qui dégomme un haut fonctionnaire pour en mettre un autre à sa place. Un dieu marionnettiste qui s’amuse à user et (surtout) abuser de son pouvoir… Voilà comment on taille un costume exécrable au « dieu de l’Ancien Testament » ! Mais il y a gros à parier que cet élagueur de la Parole de Dieu n’a même pas vu ce qu’il faisait dire à ce pauvre Isaïe. La seule chose qui intéresse ce censeur, ce sont les clés du palais de David, un passage auquel Matthieu fait allusion dans l’évan­gile du jour. L’Ancien Testament : des bribes pour éclairer le Nouveau ?

Pourquoi donc ce brave Shebna se fait-il débarquer par le Seigneur ? Pour le savoir, il faut lire ce qui précède. Dieu envoie le prophète Isaïe auprès de ce dignitaire, majordome de la maison royale. Il le trouve, selon toute vraisemblance, près du tombeau qu’il se fait creuser dans la roche : « Que possèdes-tu ici et qui t’appartient ici pour que tu creuses ici un tombeau ? On se creuse un tombeau sur la hauteur, on se taille une habitation dans la roche ! » (v. 16) Par ces mots, le Seigneur reproche deux choses à Shebna : il se comporte comme si les choses et les gens liés au palais royal lui appartenaient, et il agit de telle sorte que sa gloire lui survive en se faisant creuser un sépulcre prestigieux. Bref, il se comporte comme un potentat. Lui dont la fonction est de servir la maison royale, « il fait honte à la maison de son maître » avec « ses chars qui font sa gloire » (v. 18b). C’est pourquoi, ajoute le prophète : « Le Seigneur va te jeter d’un jet puissant, t’envoyer te cacher et te blackbouler, boule blackboulée comme une balle dans un vaste territoire. Là, tu mourras, là se retrouveront tes chars qui font ta gloire » (v. 17-18a). Avant cela, il connaîtra la honte : il sera chassé de son poste officiel et verra un autre occuper la place qui lui permettait de se prendre pour le roi (c’est le début de la lecture ci-dessus).

Pour faire sentir à Shebna la honte qui va s’abattre sur lui qui ne rêve que de gloire, le prophète détaille la scène de sa destitution sous les traits de l’installation d’Éliakim, dont le nom signifie précisément « Dieu installera, élèvera ». (Il s’appelle « serviteur de Dieu » et son père, Hilqiyahou, « le Seigneur est ma part d’héritage ».) On a l’impression d’assister à la scène où Shebna est dépouillé des insignes de son rang : sa tunique lui est ôtée et donnée à Éliakim ; puis c’est sa ceinture, donnée au serviteur du Seigneur ; enfin le symbole de son pouvoir lui est arraché et placé dans la main de son successeur. Mais ce pouvoir, précise le prophète, Éliakim ne l’exercera pas comme un satrape qui ne sert que ses intérêts propres. Il sera plutôt un père pour les gens de Jérusalem et du royaume (Juda), à la fois protecteur bienveillant et soucieux du respect de la loi qui garantit la vie et le droit de chacun. Bref, il exercera le pouvoir sans arbitraire, mais avec la préoccupation qui est celle d’un père : faire grandir des enfants et les amener à l’autonomie.

De façon plus précise, son pouvoir en tant « maître du palais » est symbolisé par le pouvoir des clés « de la maison de David », autrement dit du palais royal. Posées sur son épaule dans un geste rituel, ces clés manifestent que, dorénavant, c’est lui qui décidera de l’ouverture et de la fermeture de cette demeure, mais sans doute aussi qui réglera l’accès au roi en filtrant ceux et celles qui demandent à le voir : il jouera donc un rôle de premier plan dans les domaines cruciaux pour la vie de la nation. C’est dans cette fonction, qu’il saura agir en père, de sorte que, solidement ancré dans sa fonction, il fera le prestige de sa famille.

Ici s’achève la lecture prévue. Pourtant, l’oracle d’Isaïe ne se termine pas ici. Il s’achève même de façon inattendue (v. 24-25) :

Alors, ils suspendront sur lui tout le poids de la maison de son père, les branches et les rameaux, tous les petits ustensiles, des bols jusqu’aux jarres de toutes sortes. En ce jour-là, déclare le Seigneur maître de l'univers, la cheville plantée dans un endroit solide sera ôtée, elle sera brisée et tombera, et la charge qui était sur elle sera supprimée – car le Seigneur a parlé.

Le prophète vient donc d’affirmer qu’une fois établi au cœur du pouvoir, Éliakim deviendra la gloire de son clan paternel. Mais alors, les gens de cette famille ne laisseront pas passer l’aubaine : ils vont s’accrocher à cette cheville solidement plantée dans la maison royale : quelle que soit leur place dans la famille (branches et rameaux), quelle que soit leur importance et leur fonction (bols ou jarres), tous vont profiter de leur puissant parent. Celui-ci, se prêtant au jeu, favorisera l’ensemble de sa famille, et tombera peut-être même dans le népotisme… Installé dans son importante responsabilité sous d’excellents auspices, Éliakim sombrera à son tour dans l’un des vices du pouvoir. Établi père pour le peuple tout entier, il finira au service des intérêts du clan de son père… Aussi, la cheville se brisera, et tout ce qui s’y est suspendu connaîtra la destruction. Ce qui faisait la gloire de la famille aura causé sa ruine !

Lu en entier, l’oracle d’Isaïe est de nature à susciter une réflexion sur les pièges du pouvoir. Trois d’entre eux sont ici pointés du doigt par le prophète : l’abus de position dominante de celui qui prétend tout régenter, la vanité de celui qui a soif de prestige personnel, la faiblesse de celui qui se détourne du service de tous parce qu’il se soumet à des intérêts particuliers. Ces pratiques sont bel et bien un piège : tôt ou tard, elles provoquent la perte du pouvoir et la ruine de ceux qui s’en sont servi plutôt que de servir. Dieu lui-même, précise le prophète, sanctionne cette issue : il manifeste ainsi indirectement quel genre d’exercice du pouvoir trouve grâce à ses yeux.

Quel lien serait donc à faire avec le passage de l’évangile de Matthieu où Jésus confie les clés du Royaume des cieux à l’apôtre Pierre (ci-dessous) ? Ne serait-ce pas que ce pouvoir « spirituel », symbolisé par les clés, est, tout comme celui d’Éliakim, sous la menace de semblables dérives ? Ce n’est pas l’histoire de l’Église – en particulier celle de la papauté – qui le démentira. Et confesser que Jésus est le Christ, le Fils du Dieu vivant, n’est en rien la garantie que l’on exerce(ra) le pouvoir conformément au projet de vie et de liberté qui est celui de Dieu. À quelque niveau que ce soit ! Sans oublier ces autres pièges : croire que l’on n’a pas de pouvoir, et penser que prononcer le mot « service » suffit pour exercer le pouvoir de façon juste.

À négliger ce genre de texte puissant en l’écourtant de façon éhontée, on se condamne à tomber dans les pièges qu’il dénonce… Ce sont alors les conséquences des abus de pouvoir qui viennent rappeler de façon cuisante les avertissements prophétiques que l’on a omis de regarder de près, pensant sans doute que la destitution de Shebna est de l’histoire passée et que le passé n’a rien à dire au présent…

Qui est Jésus ? (Matthieu 16,13-20)

Jésus, arrivé dans la région de Césarée-de-Philippe, demandait à ses disciples : « Au dire des gens, qui est le Fils de l’homme ? » Ils répondirent : « Pour les uns, Jean le Baptiste ; pour d’autres, Élie ; pour d’autres encore, Jérémie ou l’un des prophètes. » Jésus leur demanda : « Et vous, que dites-vous ? Pour vous, qui suis-je ? » Alors Simon-Pierre prit la parole et dit : « Tu es le Christ, le Fils du Dieu vivant ! » Prenant la parole à son tour, Jésus lui dit : « Heureux es-tu, Simon fils de Yonas : ce n’est pas la chair et le sang qui t’ont révélé cela, mais mon Père qui est aux cieux. Et moi, je te le déclare : Tu es Pierre, et sur cette pierre je bâtirai mon Église ; et la puissance de la Mort ne l’emportera pas sur elle. Je te donnerai les clés du royaume des Cieux : tout ce que tu auras lié sur la terre sera lié dans les cieux, et tout ce que tu auras délié sur la terre sera délié dans les cieux. » Alors, il ordonna aux disciples de ne dire à personne que c’était lui le Christ.

Je me contenterai ici de l’éclairage que donne le texte d’Isaïe à ce récit de Matthieu et n’en dirai donc pas plus. En effet, ce passage forme un tout avec celui du 22e dimanche. Je le reprendrai donc dans le commentaire des lectures de ce dimanche.

Bible et liturgie

Commentaires des lectures du dimanche par André Wénin

L’Église ne sait pas ce qu’elle perd à négliger le Testament de la première Alliance…

Les textes qu’on lira sous cette rubrique ne sont pas des homélies. J’y propose plutôt un commentaire, à mi-chemin entre une analyse exégétique et une lecture attentive à la fois au texte biblique et à la réalité humaine qui est la nôtre.
La traduction des textes commentés (le plus souvent les passages de l’Ancien Testament et de l’évangile) est très souvent corrigée. La version liturgique est globalement insatisfaisante, en effet. Elle lisse le texte au point d’en gommer les difficultés, c’est-à-dire précisément les points où peut venir "s’accrocher" le commentaire parce qu’ils posent question. Quant au texte de l’Ancien Testament, il est fréquemment amplifié de manière à restaurer le passage dans son intégralité en vue du commentaire. 

André Wénin