« Quand vous avez reçu la parole de Dieu (…),
vous l’avez accueillie pour ce qu’elle est réellement : non une parole d’hommes,
mais la parole de Dieu qui est à l’œuvre en vous, les croyants. »
(1re Lettre aux Thessaloniciens 2,13)
Les lectures de ce dimanche parlent toutes de personnes détenant une autorité au sein de communautés croyantes. Le prophète Malachie parle des prêtres, l’évangéliste Matthieu, des spécialistes de la Loi et des pharisiens, tandis que l’apôtre Paul évoque sa propre position dans la communauté de Thessalonique.
Prêtres indignes (Malachie 1,14b–2,2b.8-10)
Je suis un grand roi – dit le Seigneur de l’univers –, et mon nom est craint parmi les nations. Maintenant, prêtres, à vous cet ordre : Si vous n’écoutez pas, si vous ne prenez pas à cœur de donner gloire à mon nom – dit le Seigneur de l’univers –, j’enverrai sur vous la malédiction, je maudirai vos bénédictions […].
Mais vous, vous vous êtes écartés du chemin, vous avez fait de la Loi une occasion de chute pour beaucoup, vous avez détruit l’alliance de Lévi – dit le Seigneur de l’univers. À mon tour, je vous ai livrés au mépris, à l’abaissement devant tout le peuple, parce que vous n’avez pas gardé mon chemin, mais agi avec partialité en appliquant la Loi.
N’y a-t-il un seul père pour nous tous ? N’est-ce pas un seul dieu qui nous a créés ? Pourquoi nous mentir les uns aux autres (entre frères), profanant ainsi l’alliance de nos pères ?
À l’époque de Malachie, à savoir peu après le retour de déportation, ce sont surtout les prêtres qui exercent une autorité instituée. En plus du culte sacrificiel, leur fonction est au sein du peuple est d’y faire entendre la parole divine, de deux façons : lui enseigner la Torah et lui transmettre les bénédictions de Dieu. Pour cela – c’est le passage que le censeur a cru intelligent de sauter –, il a conclu une alliance avec Lévi, la tribu des prêtres (v. 5-7). Voici ce que dit le Seigneur par la bouche du prophète :
Mon engagement envers lui (Lévi), c’était la vie et la paix ; je les lui ai données pour qu’il me craigne, et il m’a craint, et devant mon nom, il a tremblé. La Loi de vérité était dans sa bouche, on ne trouvait pas d’injustice sur ses lèvres. Il a marché avec moi dans la paix et la droiture, et il en a détourné beaucoup du mal. En effet, les lèvres du prêtre gardent la connaissance (de Dieu), c’est à sa bouche que l’on demande la Loi, parce qu’il est un messager du Seigneur de l’univers.
Tel était l’accord : Dieu assurera à Lévi la paix et la vie, Lévi transmettra la Loi qui dit la vérité de Dieu, en pratiquant lui-même la Loi comme un digne messager du Seigneur. Le but de cet accord ? Détourner le peuple du mal grâce à l’enseignement de Dieu. Tel est le chemin dont se sont détournés les prêtres à qui le prophète adresse ses sévères reproches. Au lieu d’éloigner les gens du mal grâce à la Loi, ils ont fait de celle-ci une pierre d’achoppement qui les fait tomber. Alors qu’elle doit mener à la vie, la Torah est devenue un facteur de mort. Plus spécifiquement, ils distillent la loi « à la tête du client », et font donc comme si la Loi n’était pas la même pour tout le monde. En tout cela, ils ont rompu le pacte conclu par Dieu en faveur de Lévi, et ils en subissent les conséquences sous les yeux de ceux et celles qu’ils ont dévoyés.
La dernière phrase de la lecture est le début d’un autre oracle de Malachie. Elle n’a pas vraiment de lien avec ce qui précède, mais vu son contenu qui devait lui plaire (Dieu sait pourquoi… mais lire la fin du passage de Matthieu lève une partie du voile), le censeur l’a retenue (et il a mis une majuscule à « Père », présumant qu’il s’agit de Dieu, alors que ce pourrait être Adam ou Jacob…). La question rhétorique introduit une série de reproches adressés non plus aux prêtres, mais aux autres Israélites qui, par leurs pratiques, sombrent dans diverses formes d’idolâtrie. Ce faisant, tout comme les prêtres, ils trahissent l’alliance que Dieu – le créateur du peuple – a conclue jadis avec leurs pères – les fils de Jacob-Israël. Ils se détournent ainsi de ce qui les fonde en tant que peuple, ils se renient eux-mêmes.
Enseignants indignes (Matthieu 23,1-12)
Alors Jésus parla aux foules et à ses disciples en disant : « Les scribes et les pharisiens sont assis sur la chaire de Moïse. Donc, tout ce qu’ils peuvent vous dire, faites-le et observez-le. Mais n’agissez pas selon leurs actes, car ils disent et n’agissent pas. Ils lient des fardeaux pesants et difficiles à porter et les mettent sur les épaules des gens, mais eux-mêmes ne veulent pas les remuer du doigt. Toutes leurs actions, ils les font pour être remarqués des gens : ils élargissent leurs phylactères et rallongent leurs franges ; ils aiment les places d’honneur dans les banquets, les sièges d’honneur dans les synagogues et les salutations sur les places publiques, et ils aiment être appelés Rabbi par les gens. Pour vous, ne vous faites pas appeler Rabbi, car vous n’avez qu’un seul enseignant, et vous êtes tous frères. N’appelez personne père sur la terre, car unique est pour vous le père céleste. Ne vous faites pas non plus appeler professeurs, car votre professeur est unique : le Christ. Le plus grand de vous sera votre serviteur. Qui s’élèvera lui-même sera abaissé, qui s’abaissera lui-même sera élevé. »
Dans la communauté judéo-chrétienne de Matthieu, les autorités morales judéennes sont les connaisseurs de la Loi et les pharisiens. Ils enseignent la Torah et expliquent comment la vivre au quotidien. À ce titre, ils restent précieux. Mais seulement à ce titre. Car pour le reste, ils sont à éviter, tant leur façon de vivre est en porte-à-faux avec ce qu’ils enseignent. (Matthieu est probablement caricatural, dans son souci de faire en sorte que les Judéens de sa communauté ne soient pas tentés de retourner à un judaïsme strict en se détournant du Christ.) Les reproches sont au nombre de trois. (1) Ils disent et ne font pas, comme si la Loi qu’ils proclament ne valait que pour les autres. (2) Leur interprétation de la Loi fait de celle-ci un fardeau insupportable, et puisqu’ils estiment que la pratiquer n’est pas leur affaire, ce sont les autres qu’ils écrasent. (3) Si vivre selon la Loi n’est pas ce qui les préoccupe, quel est le moteur de leur agir ? C’est l’image qu’ils donnent d’eux-mêmes. Ainsi, non contents d’imposer leur pouvoir aux autres au moyen de la Loi, ils cherchent à le renforcer en se fabriquant un personnage de façon à être au centre de l’attention des autres. Le sommet pour eux, c’est d’être appelés « Rabbi », Maître ou enseignant de la Loi. Sommet d’hypocrisie !
Par la bouche de Jésus, l’évangéliste les démasque pour mieux rappeler que, dans une communauté chrétienne, il ne peut en être ainsi. Monseigneur, Père (Abbé, c’est pareil), Maître (Dom, c’est la même chose), Professeur : tous ces titres reviennent à Dieu seul et à Jésus. Accepter de les endosser, c’est risquer de se prendre pour un seigneur, un père, un maître, un professeur. Et risquer par là-même de saper ce qui est le ciment de la communauté : la fraternité et donc le service mutuel sous l’égide du seul vrai père qui soit. S’il y a un conseil évangélique qui n’a guère été pratiqué dans les Églises, c’est bien celui-là – même si les détenteurs de l’autorité prêchent le contraire. Nihil sub sole novum (Qohélet 1,10).
Une autorité au service (1re lettre aux Thessaloniciens 2,7b-9.13)
[Frères,] nous avons été pleins de douceur avec vous, comme une mère qui prend soin de ses nourrissons. Ayant pour vous une telle affection, nous aurions voulu vous donner non seulement l’Évangile de Dieu, mais jusqu’à nos propres vies, car vous nous étiez devenus très chers. Vous vous rappelez, frères, notre travail et notre fatigue : c’est en œuvrant nuit et jour pour n’être à la charge d’aucun d’entre vous, que nous vous avons annoncé l’Évangile de Dieu. […]
Voici pourquoi nous ne cessons de rendre grâce à Dieu : quand vous avez reçu la parole de Dieu que nous vous faisions entendre, vous l’avez accueillie pour ce qu’elle est réellement, non pas une parole d’hommes, mais la parole de Dieu qui est à l’œuvre en vous qui croyez.
Ce que Paul dit de lui-même mais aussi de Sylvain et Timothée qui ont amené la bonne nouvelle de l’évangile à Thessalonique, est tout à l’opposé des prêtres visés par Malachie et des autorités judéennes critiquées par Matthieu. J’ignore pourquoi le censeur a choisi de faire commencer la lecture au verset 7b, comme si les phrases précédentes ne présentaient aucun écho à l’évangile du jour : « Nous n’avons pas recherché la gloire qui vient des hommes, que ce soit de vous ou d’autres. Nous aurions pu nous donner du poids en tant qu'apôtres de Christ… » (v. 6-7a) ; et il poursuit (si je traduis littéralement) : « mais nous sommes devenus des petits enfants au milieu de vous ; comme une nurse qui prend soin de ses rejetons, ayant envers vous une telle affection, nous aurions voulu vous donner… jusqu’à notre propre vie ». Sollicitude et douceur envers celles et ceux à qui l’on parle, don de soi et de l’évangile à celles et ceux qui accueillent cette parole, refus de revendiquer quelque droit que ce soit au titre de l’annonce de la parole de Dieu : voilà l’attitude qui convient à quiconque apporte l’évangile. Avant de toucher ceux à qui il est adressé, l’évangile a transformé ses porteurs eux-mêmes en personnes évangélisées.
Mais que lit-on aux versets 10-12 qu’une fois de plus le censeur a estimés inutiles ?
Vous êtes témoins, et Dieu aussi, que nous nous sommes comportés d’une manière sainte, juste et irréprochable envers vous qui croyez. De même, vous savez que nous avons été pour chacun de vous comme un père est pour ses rejetons : nous vous avons encouragés, consolés, adjurés de marcher d’une manière digne de Dieu qui vous appelle à son royaume et à sa gloire.
Après l’image de ceux qui, tout en nourrissant les enfants avec affection, se font eux-mêmes des petits enfants pour éviter de croire supérieurs, c’est l’image du père qui est convoquée pour parler des apôtres de l’évangile. Non qu’ils se disent « pères » et encore moins qu’ils attendent d’être appelés par ce nom. C’est plutôt leur manière de faire qui a quelque chose de « paternel » dans leur souci d’éduquer les croyants à une façon de marcher qui soit digne de Dieu.
La cohérence entre l’annonceur et ce qu’il annonce : tel est l’essentiel pour qui est au service de la parole de vie.