Deuxième dimanche de l'Avent B

Temps liturgique: Avent
Année liturgique: B
Date : 10 décembre 2023
Auteur: André Wénin

 

« Ce que nous attendons, selon la promesse du Seigneur,
c’est un ciel nouveau et une terre nouvelle où la justice habitera. »
(2e Lettre de Pierre 3,13)

Un passage du psaume proposé à la méditation après la 1re lecture de ce dimanche esquisse la logique des passages d’Isaïe et de Marc. « La promesse du Seigneur, c’est la paix pour son peuple, ses fidèles » (Ps 85,9). Pour que cette nouveauté advienne, une rencontre entre ciel et terre doit avoir lieu, une convergence entre Dieu et les humains « pourvu qu’ils ne retournent pas à leur folie ».

Bienveillance et fidélité se rencontrent, justice et paix s’embrassent ;
la fidélité germera de la terre et la justice se penchera du ciel (v. 11-12).
C’est ce que les deux lectures me semblent développer, chacune à leur façon. 

Une bonne nouvelle (Isaïe 40,1-5.9-11)

Consolez, consolez mon peuple – dit votre Dieu – parlez au cœur de Jérusalem. Proclamez que son service est terminé, que sa faute est expiée, qu’elle a reçu de la main du Seigneur le double pour toutes ses erreurs. Une voix proclame : « Dans le désert, préparez le chemin du Seigneur ; tracez droit dans la steppe une route pour notre Dieu : tout vallon sera rehaussé, toute montagne et toute colline, abaissées ; et les escarpements deviendront plaine, les sommets, une large vallée ! Alors se révélera la gloire du Seigneur, et tout être de chair la verra, car la bouche du Seigneur a parlé. » […]

Monte sur une haute montagne, toi qui portes une bonne nouvelle à Sion. Élève la voix avec force, toi qui portes la bonne nouvelle à Jérusalem. Élève la voix, ne crains pas. Dis aux villes de Juda : Voici votre Dieu ! Voici le Seigneur Dieu ! Il vient avec puissance ; son bras le rend souverain. Voici : son salaire est avec lui, et devant lui, sa récompense. Comme un berger, il fait paître son troupeau : son bras rassemble les agneaux, il les porte en son sein, il mène les brebis qui allaitent.

Un mot pour contextualiser cette proclamation. Nous sommes dans la seconde moitié du 6e siècle. Le peuple de Jérusalem et de Judée – du moins une partie « qui compte » – a été déporté en Babylonie suite à une défaite cuisante. Ces gens sont désemparés, perdus ; leur avenir est incertain, ils ne savent à quel saint se vouer, si je puis dire. C’est à eux qu’un prophète, sans doute un lointain disciple d’Isaïe, adresse un message de consolation de la part de Dieu. Désormais, le peuple a payé pour avoir rompu l’alliance avec lui. Il n’y a donc plus de raison qu’il reste asservi aux Babyloniens. Voilà ce dont le prophète doit convaincre ces gens en « parlant à leur cœur ». Écarté par les siens, le Seigneur était loin, mais voilà qu’il revient. Il va à nouveau révéler qui il est (sa gloire) : un dieu qui pardonne, qui console, qui rétablit la relation rompue, signe de sa fidélité, de son respect de la parole donnée. En effet, dans un intermède (les v. 6-8, sautés par le censeur), le Seigneur rappelle qu’au contraire des êtres humains qui ne font que passer, sa parole reste stable à jamais.

Dieu invite alors le prophète à se tourner vers Jérusalem (Sion) et les villes de Judée qui ont été ravagées et désertées lors de la défaite que leur ont infligée les Babyloniens. Pour ces villes, il a une bonne nouvelle : Dieu revient vers elles pour être à nouveau leur Seigneur. Comme un berger, il ramène son troupeau, à savoir les gens qui ont été déportés ; il prend soin de lui, en particulier de celles et ceux qui réclament davantage d’attention et de sollicitude. Ainsi, de part et d’autre, en Babylonie et en Judée, toutes et tous sont au courant de l’initiative miséricordieuse de Dieu.

Mais entre ces deux pays, la route à travers le désert est longue et les obstacles ne manquent pas. C’est ici que les interlocuteurs du prophète ne peuvent rester inactifs. Accueillir la bonne nouvelle d’un Dieu qui revient à eux suppose qu’ils y mettent du leur, se donnent à faire pour permettre au Seigneur de les rejoindre puis de les ramener dans leur patrie. Mais la description de la tâche à réaliser pour préparer ce chemin est suffisamment irréaliste pour que l’on comprenne qu’il ne s’agit pas de sortir les bulldozers et d’aménager une autoroute rectiligne à travers le désert. C’est dans le désert des cœurs ravagés par l’épreuve qu’il s’agit de lever les obstacles qui risquent d’empêcher ou de ralentir la venue de Dieu, d’offusquer le rayonnement de sa gloire quand elle se révélera. Ainsi, la concrétisation de la bonne nouvelle du pardon offert par le dieu de miséricorde résultera de la synergie entre l’initiative de Dieu et son accueil actif par ceux à qui elle est destinée. Dieu d’alliance, le dieu d’Israël prend au sérieux son partenaire et ne le prive ni de sa liberté ni de sa responsabilité.

Une voix dans le désert (Marc 1,1-8) 

Commencement de la bonne nouvelle de Jésus, christ, fils de Dieu. Comme il est écrit en Isaïe, le prophète, « Voici que j’envoie mon messager en avant de toi, qui préparera ton chemin. Voix de quelqu’un qui crie dans le désert : Préparez le chemin du Seigneur, rendez droits ses sentiers », Jean le baptiseur survint dans le désert. Il proclamait un baptême de conversion pour le pardon des péchés. Toute la Judée et tous les habitants de Jérusalem sortaient vers lui, et ils étaient baptisés par lui dans le Jourdain, en reconnaissant leurs péchés. Jean était vêtu de poil de chameau, une ceinture de cuir autour des reins ; il se nourrissait de sauterelles et de miel sauvage. Il proclamait : « Vient derrière moi celui qui est plus fort que moi ; je ne suis pas digne de défaire, en m’inclinant, la courroie de ses sandales. Moi, je vous ai baptisés avec de l’eau ; lui vous baptisera dans l’esprit saint. »

Le début de l’évangile de Marc (d’où est tirée la plupart des lectures d’évangile de l’année B) est curieux : le « commencement de la bonne nouvelle de Jésus, Messie (et donc) fils de Dieu », c’est le prophète Isaïe. Ou plus exactement, si l’on en croit la citation soi-disant tirée de ce prophète, c’est aussi le livre de l’Exode d’où vient la phrase « Voici que j’envoie mon messager en avant de toi » (Exode 23,20) et le prophète Malachie d’où viennent les mots « il préparera ton chemin » (Malachie 3,1). Bref, le commencement de la bonne nouvelle, c’est l’Ancien Testament. Puis arrive Jean dont l’accoutrement est le même que celui du prophète Élie (voir 2 Rois 1,18) ; il annonce un « plus fort » qui baptisera dans l’esprit saint, à savoir Jésus. Au commencement, toujours l’Ancien Testament… C’est là, dans ce Livre, que débute la bonne nouvelle de Jésus. Un message que peu de chrétiens semblent avoir compris, vu l’estime dans laquelle ils tiennent le Testament de la première alliance.

Pour Marc, la parole que prophète a proclamée au nom de son dieu n’est pas périmée. Isaïe ne dit-il pas que la Parole du Seigneur subsiste à jamais ? Mais si elle subsiste sans garder son actualité, sans être susceptible d’éclairer le présent, à quoi bon ? Ainsi, pour Marc, même si la situation a bien changé depuis la fin de l’exil, l’annonce du disciple d’Isaïe garde tout son sens : le messager, la voix qui se fait entendre dans le désert pour préparer le chemin du Seigneur en invitant son peuple à le préparer, c’est Jean. Dieu ne cesse de venir vers les humains et d’envoyer des messagers pour le crier dans le désert du monde ; à chaque génération revient la tâche de lui ouvrir la route. Comme Moïse, Élie, ou Isaïe, Jean est ce messager pour sa génération, et la venue qu’il annonce, c’est celle de Dieu en Jésus.

Alors qu’Isaïe mettait l’accent sur la bonne nouvelle de la venue du dieu de miséricorde et appelait à la préparer, la prédication de Jean insiste sur ce second volet, avant d’annoncer comment la bonne nouvelle va prendre forme. Mais il ne se contente pas d’être un porte-voix. Dès qu’il est introduit, il est identifié comme « celui qui baptise ». C’est qu’il invente (ou reprend à son compte) une démarche concrète qui vise à permettre, à celles et ceux qui entendent l’appel à préparer la route du Seigneur, de manifester leur désir de le faire. Et puisque le Seigneur vient pour faire miséricorde, le baptême de Jean a précisément pour fonction d’activer le pardon de Dieu dans une démarche de conversion. Qu’est-ce à dire ?

Baptiser. Le verbe signifie « plonger » dans un liquide, ici, l’eau du Jourdain. Un tel geste ne vise pas à purifier la personne. Il consiste à mimer sa mort par noyade. La « conversion », c’est-à-dire le regret pour ce que l’on est devenu et la transformation de la façon de vivre, suppose une forme de mort. Elle implique de mourir à ce qui doit mourir, pour laisser toute la place à ce qui est porteur de vie. Le « pardon » consiste pour Dieu à accompagner ce mouvement et à le valider en laissant aller, littéralement en envoyant au loin, ces obstacles à la vie que la Bible nomme « péchés ». Mais pour que ce soit possible, il faut savoir reconnaître et admettre la présence de ces forces mortifères en soi, apprendre à les nommer sans faux-fuyant, avec une lucidité soutenue par la promesse du pardon et de la venue miséricordieuse du dieu de la vie. Et si l’on en croit le mouvement « de toute la Judée et des habitants de Jérusalem qui sortent vers Jean », cela suppose que l’on « sorte » de chez soi, que l’on prenne distance par rapport au quotidien, que l’on rompe avec la routine qui amène à se satisfaire de ce que l’on est.

En même temps que le baptême, le style de vie ascétique de ce nouvel Élie est porteur d’un message, d’une invitation. Se contenter de peu pour s’habiller et se nourrir, se satisfaire de ce que la nature offre spontanément, c’est suggérer un comportement qui n’est en rien inspiré par la convoitise, dangereux poison de l’âme qui sème le péché et la mort (voir la lettre de Jacques 1,13-15). C’est indiquer aussi le chemin de la conversion. Mais celle-ci, tout comme le baptême qui la signifie, n’a pas pour but de rendre les gens parfaits, impeccables. Son but, c’est de les rendre vivants pour les préparer à la venue du « plus fort que Jean ». Mais plus fort comment, si ce n’est dans la ligne de celui qui baptise ? et donc plus fort dans la lutte contre ce qui fait mourir l’être humain, plus efficace pour ce qui est de le faire vivre en alliance avec Dieu. Car Jean pousse à la conversion, comme un humble serviteur ; mais celui qui vient après lui donnera accès à la nouvelle naissance. Par lui, Dieu communiquera son propre souffle de vie à quiconque accepte de mourir pour revêtir l’« homme nouveau » et réaliser l’idéal d’Israël : être saint comme Dieu est saint (voir Lévitique 19,1).

Comme dans le texte d’Isaïe, il s’agit donc à nouveau de synergie entre être humain et Dieu. Par l’intermédiaire d’un prophète, d’un homme, donc, Dieu invite les humains à entrer dans une attitude et à poser les gestes par lesquels ils peuvent manifester leur volonté de s’accorder au désir de vie de Dieu en faisant place nette, en ouvrant un espace où pourra venir celui que Jean annonce. Car, dans sa logique d’alliance, Dieu ne veut ni ne peut forcer la porte. Pour reprendre les mots du psaume, Dieu offre son amour bienveillant, il est prêt à rendre justes les humains. Mais cette volonté de vie restera paralysée si ceux-ci ne se montrent pas fiables et ne cherchent pas la « paix » qui est le fruit de l’alliance.

Bible et liturgie

Commentaires des lectures du dimanche par André Wénin

L’Église ne sait pas ce qu’elle perd à négliger le Testament de la première Alliance…

Les textes qu’on lira sous cette rubrique ne sont pas des homélies. J’y propose plutôt un commentaire, à mi-chemin entre une analyse exégétique et une lecture attentive à la fois au texte biblique et à la réalité humaine qui est la nôtre.
La traduction des textes commentés (le plus souvent les passages de l’Ancien Testament et de l’évangile) est très souvent corrigée. La version liturgique est globalement insatisfaisante, en effet. Elle lisse le texte au point d’en gommer les difficultés, c’est-à-dire précisément les points où peut venir "s’accrocher" le commentaire parce qu’ils posent question. Quant au texte de l’Ancien Testament, il est fréquemment amplifié de manière à restaurer le passage dans son intégralité en vue du commentaire. 

André Wénin