Quatrième dimanche de l'Avent B

Temps liturgique: Avent
Année liturgique: B
Date : 24 décembre 2023
Auteur: André Wénin

« À celui qui est le seul sage, Dieu,
par Jésus christ, à lui la gloire pour les siècles »
(Paul aux Romains 15,29)

Une promesse de Dieu au roi David (2e livre de Samuel, 7,1-5.8b-12.14a.16)

Le roi David habitait enfin dans sa maison. Le Seigneur lui avait accordé la tranquillité, loin de tous les ennemis qui l’entouraient. Le roi dit alors au prophète Nathan : « Regarde : j’habite dans une maison de cèdre, et l’arche de Dieu habite sous un abri de toile ! » Nathan dit au roi : « Tout ce que tu as l’intention de faire, fais-le, car le Seigneur est avec toi. » Mais, cette nuit-là, la parole du Seigneur fut adressée à Nathan : « Va dire à mon serviteur David : Ainsi parle le Seigneur, est-ce toi qui me bâtiras une maison pour que j’y habite ? […] C’est moi qui t’ai pris au pâturage, derrière le troupeau, pour que tu sois un chef sur mon peuple, sur Israël. J’ai été avec toi partout où tu es allé, j’ai abattu devant toi tous tes ennemis. Et je te ferai un nom aussi grand que celui des plus grands qui sont sur la terre, et je fixerai un lieu pour mon peuple, pour Israël, et je l’y planterai : il s’y établira et ne tremblera plus, et les malfaisants ne continueront pas à l’humilier, comme ils l’ont fait autrefois, depuis le jour où j’ai institué des juges sur mon peuple Israël. Et je t’accor­derai la tranquillité, loin de tous tes ennemis : aussi, le Seigneur te fait savoir qu’il te fera une maison. Quand tes jours seront accomplis et que tu reposeras auprès de tes pères, je te susciterai après toi ton descendant qui sera né de toi, et je rendrai stable sa royauté. […] C’est moi qui je deviendrai pour lui un père ; et lui deviendra pour moi un fils. […] Ta maison et ta royauté resteront pour toujours solides devant moi, ton trône sera stable pour toujours. »

Ce passage (amputé, comme d’habitude !) est tiré de l’histoire de David longuement relatée dans les livres de Samuel. C’est un moment clé de l’histoire du fils de Jessé choisi par Dieu à la place du roi Saül qui ne s’était pas montré à la hauteur de la tâche. Après bien des péripéties dues à la jalousie de Saül, David a été successivement élu comme souverain par une tribu du sud du pays, puis, après une période de troubles, par les tribus du nord. Il conquiert ensuite la ville de Jérusalem dont il fait sa capitale. Ensuite, après avoir vaincu définitivement les ennemis philistins avec l’appui du Seigneur, il amène l’arche de l’alliance à Jérusalem. Ainsi commence un règne qui s’annonce sans histoire, comme le début de la lecture le laisse entendre.

Or, une fois bien installé sur le trône, David semble mal à l’aise : alors qu’il habite un palais, l’arche de l’alliance – considérée comme le trône du dieu d’Israël – est toujours dans la tente qui lui sert d’abri depuis qu’elle a été édifiée par Moïse dans le désert (selon la fiction du récit biblique, en tout cas). Il s’ouvre de son scrupule à Nathan, un homme qui, au sein de la cour, exerce la fonction de prophète. Celui-ci, sans même savoir quelle est l’intention du roi, sans consulter Dieu non plus, lui donne carte blanche pour prendre l’initiative qu’il estimera opportune. (Souvent, dans le Proche-Orient ancien, les «prophètes» de cour se contentaient d’entériner passivement les volontés du roi et de passer la brosse à reluire. Pour la Bible, agir ainsi, c’est faire comme les faux-prophètes.)

Dans sa hâte à valider le souhait implicite de David, Nathan n’a rien saisi de l’enjeu du scrupule du roi (le censeur non plus, d’ailleurs, qui a « oublié » des versets essentiels à ce propos). Mais la nuit-même, le Seigneur charge le prophète d’un message de démenti pour David. Jusqu’ici, dit-il, il ne s’est jamais installé nulle part. Il s’est contenté d’une tente, soucieux d’accompagner au mieux son peuple. Jamais il n’a demandé à aucun de ses leaders de lui construire un palais royal, ni ne lui a reproché de ne pas en édifier un ! Cela a tout d’un reproche voilé adressé au roi… En réalité, de la part de David, amener l’arche de l’alliance à Jérusalem, ce n’était pas seulement honorer le dieu qui lui avait permis de s’installer sur le trône en lui accordant la victoire sur ses ennemis. C’était aussi chercher à légitimer son propre pouvoir en montrant que le dieu d’Israël l’approuvait. En lui construisant un temple, David allait en quelque sorte « l’assigner à résidence » et donc le priver de sa liberté d’aller et venir au milieu de son peuple. Voilà ce que le Seigneur refuse en dévoilant à Nathan l’intention du roi. Plus loin (au v. 13 non repris dans la lecture), Dieu ajoute que c’est le fils de David qui lui bâtira un temple. Il ne dit pas que c’est aussi avec ce roi Salomon que commencera le déclin de la monarchie en Israël, un déclin inexorable qui s’achèvera avec la destruction du temple et la déportation du peuple. On ne prive pas impunément Dieu de sa liberté pour l’annexer à des intérêts particuliers, tentation religieuse par excellence !

Quand David songe à édifier un temple, donc, il est soucieux aussi de voir sa royauté légitimée par Dieu. C’est cette préoccupation que le Seigneur rencontre dans ce qu’il dit ensuite à Nathan. Il commence cependant par rappeler son soutien indéfectible à David depuis que le prophète Samuel est allé le chercher alors qu’il faisait paître le petit bétail de son père, pour faire de lui le berger du peuple de Dieu. Il l’a accompagné sans cesse, l’a rendu victorieux et se prépare à le rendre aussi fameux que les plus grands. Sous-entendu : « David, comment peux-tu penser que je risque de te lâcher, au point de vouloir m’enfermer dans ta capitale pour être sûr que je reste avec toi ? » Car il ne s’agit pas seulement de David : à travers lui, c’est à son peuple que le Seigneur veut garantir stabilité, sérénité, fierté et sécurité, notamment grâce à la tranquillité dont le roi continuera à jouir. Mais cela n’est pas tout : après la mort de David, Dieu continuera à soutenir ses descendants : il fera une « maison » à David, c’est-à-dire une dynastie, et il restera fidèle à ses successeurs qu’il traitera comme un père traite son fils. Même s’ils ne lui sont pas fidèles, Lui le restera, et le châtiment par lequel il sanctionnera l’infidélité sera mesuré, et en tout cas pas définitif.

C’est ce que redisent à leur façon les extraits du psaume 89 proposés pour la méditation après la lecture (v. 2-5, 27 et 29).

L’amour du Seigneur, sans fin je veux le chanter ; d’âge en âge, de ma bouche, je veux faire connaître ta fidélité. Je le dis : c’est un amour bâti pour toujours, ta fidélité est fondée dans les cieux. (Dieu répond :) « Pour mon élu, pris un engagement, j’ai juré pour David, mon serviteur : “Pour toujours, j’établirai ta descendance et te bâtirai un trône pour la suite des âges”. – Lui (le roi) m’invoquera : “Tu es mon père, mon Dieu et mon rocher, mon salut !” Et pour toujours je lui garderai mon amour, mon engagement en sa faveur sera solide. »

Par la suite, l’engagement de Dieu vis-à-vis de David et de ses successeurs posera problème. La suite du psaume en témoigne, d’ailleurs : « mais toi, tu as repoussé, tu as rejeté ton messie (le roi), tu t’es irrité contre lui, tu as renié l’engagement envers ton serviteur, tu as profané sa couronne en la jetant par terre » (v. 39-40). Ce passage (et la suite) évoque l’incompréhension du psalmiste devant la fin tragique de la dynastie de David racontée dans les livres des Rois. Là, le Seigneur lâche définitivement cette dynastie qui sombre dans l’abîme que les fautes des rois ont ouvert devant elle. Elle finit lamentablement, entraînant le peuple de Dieu dans son implosion et faisant ainsi le malheur du troupeau qui lui avait été confié. Et même si le dernier représentant de la dynastie sera finalement réhabilité par le roi de Babylone (2 Rois 25,27-30), il reste que la « maison » initiée par David s’éteindra avec lui. D’où la question : comment Dieu va-t-il s’arranger pour honorer malgré tout le serment fait à David ? C’est là l’une des sources de ce qu’il est convenu d’appeler « l’espérance messianique » qui sera cultivée au sein du peuple d’Israël : espoir que, par-delà l’échec et le châtiment, Dieu saura comment se montrer fidèle à sa promesse en suscitant un « messie », un descendant caché de David, un nouveau David. 

L’annonciation à Marie (Luc 1,26-38)

L’ange Gabriel fut envoyé par Dieu dans un bourg de Galilée, appelé Nazareth, à une (jeune fille) vierge, accordée en mariage à un homme de la maison de David, appelé Joseph ; et le nom de la vierge était Mariam. Entrant chez elle, l’ange dit : « Je te salue, Comblée-de-grâce, le Seigneur est avec toi ». À cette parole, elle fut bouleversée, et elle se demandait ce que c’était là pour une salutation. L’ange lui dit alors : « N’aie pas peur, Mariam, car tu as trouvé grâce auprès de Dieu. Et voici : tu vas concevoir et enfanter un fils ; tu l’appelleras du nom de Jésus. Il sera grand, il sera appelé Fils du Très-Haut ; le Seigneur Dieu lui donnera le trône de David son père ; il régnera pour toujours sur la maison de Jacob, et son règne n’aura pas de fin. » Mariam dit à l’ange : « Comment cela sera-t-il, puisque je ne connais pas d’homme ? » L’ange lui répondit : « L’Esprit saint viendra sur toi, et la puissance du Très-haut te prendra sous son ombre ; c’est pourquoi l’(être) saint qui va naître sera appelé Fils de Dieu. Et voici : Élisabeth, ta parente, a conçu, elle aussi, un fils dans sa vieillesse, et elle est à son sixième mois, elle qu’on appelait la stérile. Car rien n’est impossible à Dieu. » Mariam dit alors : « Voici la servante du Seigneur ; que tout m’advienne selon ta parole ». Et l’ange la quitta.

Cet épisode bien connu s’inspire de plusieurs pages de l’Ancien Testament, dont deux racontent comment des anges annoncent la naissance d’un fils à des femmes jusque-là sans enfant ou stériles (comme Élisabeth). La première est Hagar, la seconde épouse d’Abraham et la mère d’Ismaël (Genèse 16,7-12) ; l’autre est la mère de Samson (Juges 13). Quant à la phrase « Rien n’est impossible à Dieu », elle est tirée du récit de l’annonce de la naissance d’Isaac (Genèse 18,14). Le texte de Luc rappelle aussi d’autres pages, comme l’annonce de la naissance d’un fils du roi par Isaïe (ch. 7) ou, évidemment, la promesse à David qui fait l’objet de la première lecture. On trouve encore un renvoi à l’annonce d’un royaume éternel dans le livre de Daniel (ch. 7). Même l’ange Gabriel (« Dieu est fort ») vient tout droit de ce livre où il a pour mission d’expliquer les mystères de Dieu au juste Daniel. Quant à Mariam, c’est le nom de la sœur de Moïse qui, après avoir sauvé son petit frère de la mort avec la complicité de la fille de Pharaon (Exode 2,4-8), est la première à célébrer la libération d’Égypte (Exode 15,19-21) avant d’accompagner la longue marche du peuple au désert (voir Michée 6,4). Jésus (« Dieu sauve »), c’est le nom de Josué, un des deux seuls personnages qui, selon le récit biblique, est sorti d’Égypte ET est entré dans la terre promise : il a ainsi vécu toute l’aventure du salut. Enfin Joseph (« Que Dieu ajoute ») est le nom de ce fils de Jacob qui, au terme d’une histoire mouvementée (Genèse 37–50), sauve de la mort à la fois sa propre famille, les « fils d’Israël », et le peuple d’Égypte. Au début de notre ère, certains juifs attendaient d’ailleurs la venue d’un messie « fils de Joseph »…

Bref, ce texte est un véritable « pot-pourri » de réminiscences de l’Ancien Testament. Ceci est typique de ce que l’on nomme « les évangiles de l’enfance », une expression qui désigne les deux premiers chapitres des évangiles de Matthieu et de Luc où sont racontées la naissance et l’enfance de Jésus. Ils sont donc largement exploités en cette période de Noël (et nourrissent son folklore). Ces quatre chapitres relèvent d’un genre particulier que les spécialistes appellent midrash haggadah (c’est-à-dire commentaire narratif). Courant chez les Juifs du 1er siècle de notre ère, il consiste à créer un récit en s’inspirant de textes de l’Ancien Testament parfois cités textuellement. Le but est, grosso modo, de mettre en évidence la continuité de l’action de Dieu dans l’histoire de son peuple et de permettre ainsi de découvrir sa présence dans des événements inédits où il œuvre fidèlement à la vie. Aucun souci de vérité historique ni même de vraisemblance n’anime les auteurs. Pour eux, seul compte le message théologique.

Bien des choses seraient à dire du passage concernant l’annonciation de Jésus. J’en pointe seulement deux ici. Tout d’abord, Luc insiste lourdement sur le fait que Jésus est le « fils de David ». À ce titre, il est aussi « fils de Dieu » (ou « fils du Très-haut »), puisque, comme le disent les deux textes de l’Ancien Testament commentés ci-dessus, le roi descendant de David est « fils de Dieu » (voir ci-dessus, dans le texte de l’évangile, les expressions soulignées). Un des buts du récit de Luc est ainsi de montrer comment la naissance de Jésus est un signe manifeste de la fidélité indéfectible de Dieu à ses engagements. C’est un dieu qui tient parole même quand il se voit repoussé à l’arrière-plan par les avatars de l’histoire humaine. En Jésus, c’est son engagement solennel de donner à David une dynastie « pour toujours » qu’il honore.

Mais si Dieu tient parole, cette parole ne peut se concrétiser sans que, du côté humain, il trouve quelqu’un prêt à collaborer : seul, celui qui s’est voulu un dieu d’alliance s’avère impuissant. À l’époque des Juges, s’il a pu tirer Israël du marasme où il s’est précipité lui-même en préférant aller vers les idoles, c’est parce qu’Anne, la future mère de Samuel, s’est montrée disponible pour instaurer une dynamique de don réciproque avec son Seigneur (1 Samuel 1). Ici de même : c’est la disponibilité de Marie sollicitée par Gabriel qui permet à Dieu de mettre en œuvre son projet. Cette disponibilité ne va pas de soi. Elle suppose une profonde confiance. C’est ce que souligne l’évolution de l’attitude de Mariam : d’abord interloquée, stupéfaite, voire pleine de crainte, elle se montre ensuite peu crédule : en demandant à savoir comment Dieu compte s’y prendre, elle suggère en effet l’impossibilité pour elle de devenir mère – une question qui sert surtout la théologie du récit : Jésus sera bel et bien le fils de Dieu. Enfin, lorsque, comme pour la vieille Sarah, l’impossible s’avère possible puisque Dieu le veut ainsi, Mariam s’en remet à lui et, comme une servante, se prête au rôle qu’il a imaginé pour elle.

Jésus est ainsi le fruit de l’alliance entre Dieu et Mariam. Or, dans les premiers écrits chrétiens, Mariam figure fréquemment la communauté des croyants. Si cela vaut aussi pour notre récit, l’accord de la jeune fille suggère que ce qui rend possible la présence du Christ au monde, c’est l’alliance entre Dieu et la communauté qui s’attache à lui.

Bible et liturgie

Commentaires des lectures du dimanche par André Wénin

L’Église ne sait pas ce qu’elle perd à négliger le Testament de la première Alliance…

Les textes qu’on lira sous cette rubrique ne sont pas des homélies. J’y propose plutôt un commentaire, à mi-chemin entre une analyse exégétique et une lecture attentive à la fois au texte biblique et à la réalité humaine qui est la nôtre.
La traduction des textes commentés (le plus souvent les passages de l’Ancien Testament et de l’évangile) est très souvent corrigée. La version liturgique est globalement insatisfaisante, en effet. Elle lisse le texte au point d’en gommer les difficultés, c’est-à-dire précisément les points où peut venir "s’accrocher" le commentaire parce qu’ils posent question. Quant au texte de l’Ancien Testament, il est fréquemment amplifié de manière à restaurer le passage dans son intégralité en vue du commentaire. 

André Wénin