« Jésus s’est donné pour nous
afin […] de faire de nous son peuple,
un peuple ardent à faire le bien. »
(Paul à Tite 2,14)
Pour la fête de Noël, 4 jeux de lectures sont prévus (veille au soir, minuit, aurore et jour) et sont les mêmes pour les 3 années liturgiques. Je regroupe ici les commentaires des 1res lectures (toutes tirées d’Isaïe) et des évangiles des quatre messes.
- Messe de la veille (au soir)
Jérusalem restaurée (Isaïe 62,1-5)
À cause de Sion, je ne me tairai pas, et pour Jérusalem, je n’aurai pas de répit, jusqu’à ce que son innocence éclate comme le jour, et son salut comme une torche qui brûle. Alors les nations verront ton innocence, et tous les rois ta gloire. On te nommera d’un nom nouveau que la bouche du Seigneur fixera. Tu seras une couronne de splendeur dans la main du Seigneur, un diadème royal dans la paume de ton Dieu. On ne te dira plus : « Délaissée » ; à ta terre, on ne dira plus : « Désolation ». Tu seras appelée « Mon plaisir en elle », et ta terre « Épousée », car le Seigneur a mis son plaisir en toi, et ta terre sera épousée. Comme un jeune homme épouse une vierge, tes fils[1] t’épouseront, et comme la jeune mariée fait la joie de son mari, tu seras la joie de ton Dieu.
Cet oracle tiré de la 3e partie du livre d’Isaïe annonce la restauration de Jérusalem dans sa splendeur d’antan (largement idéalisée sans doute). Il réagit à une accusation implicite. Le prophète, en effet, avait annoncé de la part de Dieu un retour d’exil grandiose. En réalité, celui-ci s’est avéré décevant : Dieu reste apparemment inactif face à la désolation du pays où les anciens déportés sont rentrés parce qu’il les y a exhortés. Face aux reproches que cela lui vaut, le prophète répond ici : il va intercéder sans relâche, animé par la conviction que Dieu ne peut laisser ses fidèles dans cet état, en les traitant comme des coupables. Aussi, le prophète insistera dans son intercession jusqu’à ce que Dieu y réponde et montre que son peuple est juste, restaurant ainsi sa dignité aux yeux des nations et des rois.
Dans un bel élan poétique, le prophète recourt à plusieurs images pour évoquer la restauration de Jérusalem et de ses habitants, qu’il ne cesse de demander à Dieu. La ville reçoit d’abord de Dieu un nom nouveau, signe de son adoption. Elle est ensuite comparée à une couronne, à un diadème, symbole de la royauté de Dieu. Celui-ci ne la porte cependant pas sur la tête, mais dans la main, comme pour en exhiber la beauté et la richesse, mais aussi pour manifester que la ville lui appartient et qu’il la protège. Ainsi transformée, Jérusalem changera de visage. Prise par les Babyloniens, elle a été abandonnée par sa population déportée ou en fuite, tandis que le pays alentour était ravagé par l’armée ennemie. Tout cela ne sera plus qu’un mauvais souvenir. La splendeur retrouvée de la ville sera le signe qu’après avoir châtié son peuple infidèle, le Seigneur met à nouveau son plaisir en lui et renoue l’alliance brisée. De là les nouveaux noms de la ville et du pays. Enfin, le prophète file la métaphore conjugale amorcée, et cela, dans une double direction. D’une part, heureux de voir Jérusalem revêtue de sa gloire passée, ses habitants s’attacheront de nouveau à elle. D’autre part, l’alliance entre elle et Dieu sera renouée dans une joie partagée.
Une lignée, une histoire (Matthieu 1,1-25)
Livre de la genèse de Jésus, Christ, fils de David, fils d’Abraham. Abraham engendra Isaac, Isaac engendra Jacob, Jacob engendra Juda et ses frères, Juda engendra Pharès et Zara de Tamar, Pharès engendra Esrom, Esrom engendra Aram, Aram engendra Aminadab, Aminadab engendra Naassone, Naassone engendra Salmone, Salmone engendra Booz de Rahab, Booz engendra Jobed de Ruth, Jobed engendra Jessé, Jessé engendra le roi David. — David, engendra Salomon de la [femme] d’Ourias, Salomon engendra Roboam, Roboam engendra Abia, Abia engendra Asa, Asa engendra Josaphat, Josaphat engendra Joram, Joram engendra Ozias, Ozias engendra Joatham, Joatham engendra Achaz, Achaz engendra Ézéchias, Ézéchias engendra Manassé, Manassé engendra Amone, Amone engendra Josias, Josias engendra Jékonias et ses frères à l’époque de l’exil à Babylone. — Après l’exil à Babylone, Jékonias engendra Salathiel, Salathiel engendra Zorobabel, Zorobabel engendra Abioud, Abioud engendra Éliakim, Éliakim engendra Azor, Azor engendra Sadok, Sadok engendra Akim, Akim engendra Élioud, Élioud engendra Éléazar, Éléazar engendra Mattane, Mattane engendra Jacob, Jacob engendra Joseph, l’homme de Marie de laquelle fut engendré Jésus, celui qui est dit christ. — Le nombre total des générations est donc : d’Abraham jusqu’à David, 14 générations ; de David jusqu’à l’exil à Babylone, 14 générations ; depuis l’exil à Babylone jusqu’au christ, 14 générations.
De Jésus, christ, la genèse fut ainsi. Marie, sa mère, avait été accordée en mariage à Joseph. Avant qu’ils aient été ensemble, elle fut trouvée enceinte de l’Esprit Saint. Joseph, son homme, qui était un juste et ne voulait pas la dénoncer publiquement, décida de la renvoyer en secret. Comme il avait formé ce projet, voici, un messager du Seigneur lui apparut en songe disant : « Joseph, fils de David, ne crains pas de prendre Marie comme ta femme, car ce qui est engendré en elle est de l’Esprit Saint. Elle enfantera un fils et tu lui donneras le nom de Jésus [“Le-Seigneur-sauve”], car c’est lui qui sauvera son peuple de ses péchés. » Tout cela arriva pour que soit accompli ce qui fut dit par le Seigneur à travers le prophète : « Voici, la vierge sera enceinte et enfantera un fils et on lui donnera le nom d’Emmanuel qui se traduit “Dieu-avec-nous” ». Éveillé du sommeil, Joseph fit ce que le messager du Seigneur lui avait prescrit et prit sa femme chez lui et ne la connut pas jusqu’à ce qu’elle ait enfanté un fils ; et il lui donna le nom de Jésus.
La seconde partie du texte correspond à la « lecture brève » (encore les ciseaux !) ; c’est aussi l’évangile du 4e dim. de l’Avent, année A . Le célébrant ou l’équipe (?) liturgique peut donc décider de lire ou non la généalogie qui occupe les premiers versets de l’évangile de Matthieu. Car c’est bien par cette liste de noms que Matthieu commence son évangile et donc que le lecteur entre dans le Nouveau Testament, selon l’ordre canonique de ses livres. Une généalogie, c’est un peu l’histoire réduite à son strict minimum, sorte de condensé. Ici, l’histoire en question n’est autre que l’aventure biblique, qui commence avec Abraham. Le début du Nouveau Testament, c’est donc l’Ancien, de la Genèse à Joseph et Marie. Ce qui sera raconté ensuite de la vie de Jésus – puis le reste du second Testament – ne prendrait-il sens que sur l’arrière-plan de toute cette histoire qui précède ?
Que dire de cette longue histoire à partir des noms que Matthieu aligne en les redoublant ? Il procède à un séquençage en trois périodes de 14 générations. La première correspond à l’époque des patriarches : on entre donc dans cette histoire par la saga familiale qui commence avec Abraham, l’homme de la rupture, celui qui s’en va à l’appel de Dieu. Malgré ses erreurs, il est l’idéal de celui qui accueille Dieu dans sa vie et se laisse éduquer par lui à la justice, condition pour que la bénédiction de Dieu le traverse et atteigne les autres. Il trace ainsi le chemin pour ceux qui le suivront. Sa descendance sera cependant moins docile. Jacob est un homme rusé qui n’hésite pas à tromper autrui à son propre avantage ; trompé à son tour, il sera au cœur de conflits où le projet de vie de Dieu risque de s’enliser. Mais Dieu le travaille de l’intérieur dans les aléas d’une vie difficile, montrant que l’épaisseur humaine ne lui fait pas peur et qu’elle peut être traversée par la grâce. Son fils Juda n’est guère brillant non plus, puisqu’il propose de vendre son frère puis trompe son père. Il saura néanmoins se laisser éduquer par une femme, Tamar, une étrangère grâce à qui il apprendra ce que veut dire être juste. Viennent ensuite des gens dont on ne sait rien : la liste est reprise à la fin du livre de Ruth (4,18-22 ; les noms figurent aussi dans la liste du 1er livre des Chroniques, ch. 2). Seul ajout : le nom de Rahab, la prostituée de Jéricho, la protectrice des espions de Josué, qui a permis l’entrée d’Israël dans le pays promis. Quant à Ruth, elle complète le trio des femmes étrangères sans lesquelles l’histoire initiée avec Abraham se serait interrompue prématurément. Ces femmes l’ont fécondée par la justesse de leur action en faveur de la vie, signe que Dieu est à l’œuvre aussi hors de la lignée initiée avec Abraham. Sans elles, en effet, pas de roi David !
La deuxième période correspond à l’époque où Israël est un royaume indépendant. Elle débute avec David, le roi « modèle ». À lire ses aventures dans les livres de Samuel et des Rois, on s’aperçoit vite que le personnage n’est pas aussi lisse que la tradition voudrait. Certes, il est proche de Dieu, mais il est aussi un homme de pouvoir avec ce que cela suppose d’intelligence politique, de flair, d’opportunisme et de violence. Que son fils Salomon naisse « de la femme d’Ourias » rappelle d’ailleurs un sombre épisode de convoitise, d’adultère, de mensonge, de violence et de dissimulation… qui se soldera par de graves désordres au sein de la famille royale. Salomon, le roi sage par excellence selon la tradition, ne devra de monter sur le trône qu’à une cabale orchestrée par sa mère et le prophète Nathan, et il ne s’y maintiendra qu’au prix de l’élimination physique de son frère Adonias et d’autres concurrents potentiels. Cela donne le ton de la suite de l’histoire des rois, où, à en croire le livre des Rois d’où les 14 noms sont repris, seuls Ézéchias et Josias tireront leur épingle du jeu en tant que réformateurs religieux. Entre leurs règnes, Manassé et Amone ont rivalisé d’infidélité et ont largement contribué au malheur du peuple en préparant la catastrophe qui a signé la fin du royaume de Juda : l’exil à Babylone.
La troisième période est évoquée par des noms inconnus par ailleurs, à l’exception des trois premiers, cités selon le texte grec de 1 Chroniques 2,17.19 : déporté à Babylone, le roi Jékonias a fini par être réhabilité par un roi babylonien (cf. 2 Rois 25,27-30), et son petit-fils Zorobabel a guidé la première caravane ramenant des exilés au pays (Esdras 2,1-2). Les autres personnages sont d’illustres inconnus. D’eux, l’histoire n’a rien retenu, bien que, chacun à sa façon et probablement tant bien que mal, ils ont transmis la vie et la foi des pères jusqu’à Joseph, fils de Jacob.
Tous ces noms évoquent ainsi le parcours séculaire d’un peuple ni meilleur ni pire que d’autres. La seule particularité de ce peuple est d’avoir été accompagné par un dieu fidèle qui s’est allié à lui dans le meilleur et en supportant le pire, dans l’espoir un peu fou qu’à travers lui, il pourrait rejoindre d’autres peuples pour féconder aussi leur histoire par sa bénédiction. Au long de ce parcours, Dieu a connu beaucoup d’échecs, quelques joies aussi sans doute, mais surtout, il a tenu bon. Si cette histoire est digne de mémoire, c’est donc principalement parce qu’elle est portée de bout en bout par l’espoir de Dieu : celui de devenir la lumière qui guide les nations vers la justice et la paix. La naissance de Jésus est une nouvelle concrétisation de cet espoir, définitive celle-là. Après 3 fois 14 générations – ou 6 semaines de 7 générations – en attente du nouveau David[2], christ véritable, une 7e semaine commence, qui couronnera de vie les 6 précédentes.
- Messe de minuit
Une grande lumière (Isaïe 9,1-6)
Les gens qui marchaient dans les ténèbres ont vu une grande lumière ; et les habitants du pays d’une ombre de mort, une lumière a brillé pour eux. Tu as fait abonder la nation, tu lui as donné une grande joie : ils se réjouissent devant toi comme on se réjouit à la moisson, comme on exulte au partage du butin.
Car le joug qui pesait sur elle, le bâton (qui meurtrissait) son dos, le sceptre de celui qui l’opprimait, tu les as brisés comme au jour de Madiane. Oui, les bottes qui martelaient le sol, et les manteaux roulés dans le sang, ils seront à brûler, un feu les dévore.
Car un enfant a été enfanté pour nous, un fils nous a été donné ! L’insigne de la souveraineté est sur son épaule et son nom est proclamé « Conseiller-merveilleux, Dieu-Puissant, Père-à-jamais, Prince-de-Paix » : ainsi grandira sa souveraineté, en vue d’une paix sans fin sur le trône de David et sur son royaume établi solidement sur le droit et la justice. – Dès maintenant et pour toujours, l’amour jaloux du Seigneur de l’univers fera cela !
À la base de cet oracle d’Isaïe, il y a un fait qui, pour être assez rare, n’a rien d’exceptionnel en soi. C’est la naissance d’un enfant royal, ou sans doute plutôt l’avènement d’un jeune roi de la dynastie de David. En effet, l’accession au trône d’un souverain était perçue comme l’arrivée d’un nouveau « fils » de Dieu, seul vrai Roi d’Israël – c’est la raison pour laquelle celui qui monte sur le trône ici n’est pas nommé « roi », mais « prince ». Des rites d’investiture sont également évoqués : le sceptre, signe du pouvoir royal est posé sur l’épaule du roi, et on proclame solennellement une titulature royale.
Paradoxalement, le prophète commence par décrire non pas l’heureux événement en lui-même, mais ses effets positifs pour le peuple. Des gens sortent soudainement de l’obscurité insécurisante et opprimante où ils étaient plongés : en resplendissant pour eux, une lumière inattendue les délivre de la mort qu’ils sentaient planer sur eux et leur pays. Ce peuple redresse alors la tête, tout à la joie de ce qui arrive, une joie comparable à celle que suscite le retour de l’abondance lors de la moisson ou la victoire qui s’accompagne d’un surplus de biens venant du butin partagé.
Ce ne sont là, toutefois, que des images. La réalité qu’elles évoquent est différente. La lumière dissipant les ténèbres mortelles et déclenchant la joie du peuple, c’est celle de la libération de l’oppression. La nation était asservie : telle un animal sous le joug, elle était victime de violence, opprimée par un tyran. Mais à présent, les instruments qui servaient à la brimer – le joug, le bâton, le sceptre – sont à jamais brisés, « comme au jour de Madiane ». Ce jour est celui de la victoire inespérée de Gédéon qui, avec seulement 300 hommes et appuyé par le Seigneur, met définitivement en déroute les Madianites sans nombre. Déferlant sur le pays chaque année, ceux-ci lançaient des razzias et pillaient les ressources de la population, la privant des récoltes qu’elle venait d’engranger. Et comment Gédéon vient-il à bout de ces oppresseurs ? En faisant jaillir la lumière au milieu de la nuit, il sème une panique monstre chez les envahisseurs qui, après s’être abondamment entre-tués, s’encourent se réfugier chez eux (lire Juges 6–7). On peut imaginer les dépouilles qu’ils abandonnent dans leur fuite : les godillots qui, en martelant le sol, terrorisaient la population, ou encore les manteaux souillés du sang des Israélites blessés ou tués en cherchant à protéger leurs moyens de subsistance. On imagine aussi facilement l’allégresse du peuple en train de brûler tout cela dans un grand feu de joie…
Mais une question reste à la lecture de l’évocation de cette libération : qui est ce « tu » qui a brisé l’oppresseur comme au jour de Madiane ? Quel est ce personnage dont l’action explique ce sentiment de libération définitive qui exalte le peuple ? Après avoir laissé un peu de suspense, le prophète dévoile enfin le motif de la liesse populaire : c’est l’« enfant », le « fils ». L’avènement de ce roi réveille l’espoir du peuple au point qu’il se réjouit comme si les ténèbres étaient déjà dissipées, comme si la victoire était déjà acquise, comme s’il était déjà délivré du joug qui l’écrase. Ce souverain saura en effet étendre sa souveraineté sur le pays, restaurer la paix et la sécurité. Au lieu de la tyrannie, il fera régner le droit et la justice.
Mais d’où vient cette certitude du prophète qui décrit comme déjà réalisée une libération liée à l’avènement d’un roi qui monte à peine sur le trône ? La dernière phrase de son oracle le révèle : c’est sa foi en l’amour inconditionnel du Seigneur pour son peuple. Plus exactement, un amour « jaloux », animé d’un zèle qui pousse Dieu à s’opposer à tout ce qui provoque le malheur du peuple qu’il aime, à combattre ce mal, à l’anéantir jusqu’à ce que, une fois libéré, ce peuple puisse répondre sans contrainte à l’amour dont il est aimé[3].
Cela dit, il est possible que ce texte, et en particulier ses derniers versets, ait été retouché après la disparition de la dynastie issue de David. En effet, après l’exil, quand leur nation privée de toute autonomie était sous la coupe de puissances étrangères, les croyants d’Israël ont considéré que ces paroles d’Isaïe gardaient malgré tout de la valeur et du sens. Comprises autrement et probablement un peu modifiées, elles nourrissaient leur espérance : un jour, leur dieu et seigneur de l’univers susciterait un nouveau David, un « messie ». Il apporterait la lumière à Israël, il le libérerait de toute oppression et lui rendrait définitivement sa souveraineté, suscitant ainsi la liesse générale. Lorsque l’évangéliste Matthieu cite le début de cet oracle au moment où Jésus se met à prêcher en Galilée (4,15-16), il affirme que cette parole d’Isaïe trouve enfin son accomplissement.
Une grande joie (Luc 2,1-14)
En ces jours-là, parut un édit de l’empereur Auguste (ordonnant) de recenser toute la terre habitée. Ce premier recensement eut lieu alors que Quirinius était gouverneur de Syrie. Et tous allaient pour être recensés, chacun dans sa ville d’origine. Joseph, lui aussi, monta de Galilée, depuis la bourgade de Nazareth, vers la Judée, jusqu’à la bourgade de David appelé Bethléem – car il était de la maison et de la lignée de David – pour être recensé avec Mariam qui lui avait été accordée en mariage et était enceinte. Or, pendant qu’ils étaient là, le temps d’accoucher fut accompli pour elle. Et elle accoucha de son fils premier-né ; elle l’emmaillota et le coucha dans une mangeoire, car il n’y avait pas de place pour eux dans la salle commune.
Dans la même région, il y avait des bergers qui vivaient dehors et passaient la nuit à garder leur troupeau. Le messager du Seigneur se présenta à eux, et la gloire du Seigneur les enveloppa de sa lumière. Ils furent saisis d’une grande crainte. Alors le messager leur dit : « Cessez de craindre, car voici que je vous annonce une bonne nouvelle, une grande joie qui sera pour tout le peuple : aujourd’hui, dans la bourgade de David, vous est né un sauveur qui est christ, Seigneur. Et ceci en est le signe pour vous : vous trouverez un bébé emmailloté et couché dans une mangeoire. » Et soudain, il y eut avec le messager une troupe céleste innombrable, qui louait Dieu en disant : « Gloire à Dieu au plus haut des cieux, et paix sur la terre aux humains qu’Il aime ».
Le récit de la nativité est propre à l’évangile de Luc. Matthieu se contente d’évoquer la naissance de Jésus dans une simple circonstancielle au début du récit de la visite des mages (2,1a). Luc, de son côté, compose tout un récit pour mettre cette naissance en scène. Il commence fort, en campant l’empereur de Rome qui domine le monde habité et est considéré comme le seigneur et sauveur universel. Il a donc pouvoir sur tous ses habitants et peut décider de les dénombrer – une façon de démontrer sa puissance et de se donner de l’importance. Son relais, dans la région, c’est le gouverneur de la province romaine de Syrie, cité nommément. (On notera que Luc recourt à l’idée d’un recensement qui a bien eu lieu… mais une dizaine d’années plus tard. Son but n’est pas de reconstituer des faits historiques, mais de raconter une histoire, on va le voir.)
Au départ, donc, sur un mot de l’empereur, le monde entier se met en branle ! Quelle puissance ! Même Joseph et Mariam, dont on a appris par le récit de l’annonciation qu’elle porte en elle le « fils du Très-haut », se plient à cet ordre venu d’en haut et partent pour la Judée. En réalité, sachant Jésus originaire d’une obscure bourgade de Galilée inconnue de l’Ancien Testament et appelée Nazareth, la première tradition chrétienne a situé sa naissance à Bethléem, le bourg où selon le 1er livre de Samuel (16,1 et 17,12) résidait la famille du père de David. La raison est clairement théologique : c’est en effet une façon d’attester que Jésus est le « fils de David ». Luc le souligne d’ailleurs explicitement en précisant que Joseph, le père de Jésus – celui qui l’inscrit dans la ligne généalogique – est de la descendance royale de David. Au chapitre 3, il retracera cette lignée en remontant de Joseph (v. 23) à David (v. 32), avant d’aller jusqu’à Adam (v. 38). L’ange le confirmera aussi dans son message aux bergers : « Dans la bourgade de David, est né pour vous un sauveur qui est christ [ou messie], Seigneur ». Voilà sans doute une des raisons pour lesquelles Luc a pensé à ce recensement.
Il y a une autre raison à cela, à mes yeux. La décision impériale est l’occasion pour l’évangéliste de construire un contraste saisissant. D’une part, il y a ces puissants que sont l’empereur et le gouverneur : une parole de leur part suffit à marquer l’existence de tous les humains. D’autre part, il y a Joseph, un homme appartenant à une lignée qui fut importante jadis, mais a sombré ensuite dans l’anonymat : il est d’ailleurs de ceux qui sont contraints de se mettre en chemin pour satisfaire l’empereur. Pourtant, la naissance que l’on raconte n’a pas lieu au palais de César, ni dans la cossue résidence du gouverneur de Syrie. Dans le récit qui la relate, ce sont eux qui sont à la marge. L’attention de Luc se centre en effet sur ce couple quelconque à qui on ne fait pas de place dans la maison. C’est ainsi que la jeune femme accouche dans les dépendances et doit utiliser une mangeoire en guise de berceau pour le bébé.
Mais le contraste ressort puissamment de ce qui est raconté ensuite. Dans la première partie du récit, en effet, rien ne signale ce que cette naissance a d’exceptionnel. Au contraire, l’histoire est plutôt morose : un couple bancal puisque la fiancée est enceinte sans être encore mariée, un voyage pénible en tout cas pour elle, un lieu misérable pour accoucher, une mangeoire pour son petit. Mais ensuite, tout bascule : la joie du ciel éclate, communicative. Cette naissance banale, sans intérêt apparent et à laquelle ne sont associés que d’autres marginaux, les bergers, apparaît soudainement comme un événement capital qui va changer l’histoire et en éclairer le cours. Le véritable sauveur et seigneur, ce n’est pas l’empereur. C’est ce bébé couché dans sa mangeoire, bonne nouvelle pour le peuple, manifestation de la gloire de Dieu, chance de paix pour ceux que l’empereur s’imagine dominer parce qu’il a le pouvoir de les compter… et de les soumettre à l’impôt (c’est à cela que sert un recensement). Les puissants croient gouverner le monde. Mais l’essentiel se passe ailleurs, loin d’eux et de leurs préoccupations autocentrées : dans l’obscur, le caché, à la marge, dans des moments aussi ordinaires que la naissance d’un enfant. C’est là, et pas ailleurs, que Dieu laisse sa trace. Seuls les petits qui, soucieux de la vie, restent éveillés dans la nuit le savent et perçoivent sa lumière.
III. Messe de l’aurore
Le Seigneur vient (Isaïe 62,11-12)
Voici ! Le Seigneur se fait entendre jusqu’aux extrémités de la terre : Dites à la fille de Sion : Voici, ton salut arrive ; avec lui, son salaire, et devant lui, ses gages. Eux seront appelés « Peuple-saint », « Rachetés-du-Seigneur », et toi, on t’appellera « Désirée », « Ville-non-délaissée ».
Le contexte de ce bref oracle de salut est le même que pour l’oracle de la messe de la veille de Noël (Isaïe 62,1-5) commenté ci-dessus. Le prophète annonce que la réhabilitation de la « Fille de Sion », c’est-à-dire Jérusalem, ne saurait tarder. C’est le Seigneur lui-même qui l’affirme : jusqu’ici inactif, il met le salut en branle, ayant de quoi rétribuer les travailleurs qui restaureront la ville et lui rendront sa splendeur d’antan. Cette annonce renvoie sans doute à un oracle adressé à Jérusalem au ch. 60 ; il y est question de la reconstruction de la ville, ainsi que des ouvriers et des matériaux nécessaires :
Les vaisseaux de Tarsis viennent en tête pour ramener tes fils du lointain, portant leur argent et leur or, en hommage au nom du Seigneur ton dieu, en hommage au Saint d’Israël, car il t’a donné sa splendeur. Des étrangers rebâtiront tes remparts, et leurs rois seront à ton service. Oui, dans ma colère je t’avais frappée, mais dans ma bienveillance je t’ai fait miséricorde. (…) La gloire du Liban viendra chez toi : cyprès, orme et mélèze ensemble, pour faire resplendir le lieu de mon sanctuaire ; et ce lieu où je pose mes pieds, je le glorifierai. (60,9-10.13).
La restauration ne concernera pas seulement la ville qui, ainsi reconstruite, redeviendra un lieu désirable, à nouveau habité (d’où les noms « Désirée » et « Non abandonnée »). Avec elle et grâce à elle, c’est aussi le peuple qui revivra. Lui aussi reçoit des noms qui le relient à son histoire passée. Les deux titres « Peuple saint » et « Rachetés du Seigneur » renvoient en effet aux origines d’Israël : l’exode d’Égypte. Cet exode, en effet, est parfois présenté comme le « rachat » d’esclaves par un parent qui prend à cœur son devoir de les affranchir, de leur rendre leur liberté et leur dignité (ainsi en Exode 6,6 et 15,13, voir Lévitique 25,47-49). Par ailleurs, si Dieu libère les Israélites, c’est dans l’espoir de faire d’eux un « peuple saint » au moyen de l’alliance (Exode 19,4-6). S’il le met ainsi à part en se l’attachant, c’est pour qu’Israël devienne, parmi les nations, le témoin du dieu de liberté et d’amour qui a, pour tous les humains, un projet de bénédiction et de vie. L’histoire a montré cependant que le peuple choisi a échoué, provoquant ainsi sa propre humiliation. Mais à présent, Dieu va lui rendre son statut, alors qu’il aurait pu l’oublier dans son malheur. C’est là le signe qu’il est un dieu de miséricorde, et c’est ce dont le peuple renouvelé sera le vivant témoin.
Des bergers (Luc 2,15-20)
Lorsque les messagers les eurent quittés pour le ciel, les bergers se disaient entre eux : « Allons jusqu’à Bethléem, voyons ce qui est arrivé, ce que le Seigneur nous a fait connaître. » Ils se hâtèrent d’y aller et trouvèrent Mariam et Joseph, avec le bébé couché dans la mangeoire. Après avoir vu, ils firent connaître ce qui leur avait été dit de cet enfant. Et tous ceux qui entendirent s’étonnaient de ce qui leur était dit par les bergers. Quant à Mariam, elle retenait toutes ces choses et les méditait dans son cœur. Les bergers repartirent ; ils glorifiaient et louaient Dieu pour tout ce qu’ils avaient entendu et vu, selon ce qui leur avait été dit.
Cette scène est la suite immédiate du passage d’évangile lu à la messe de minuit. Là, le messager du Seigneur a annoncé une bonne nouvelle, source de joie : la naissance d’un « sauveur qui est christ, Seigneur, dans la bourgade de David ». La brève description qu’il fait ensuite du bébé contraste radicalement avec cette grandiose annonce : il est simplement emmaillotté et son berceau est une mangeoire. Ce paradoxe du signe donné par le messager pousse les bergers à aller constater de visu, et ils trouvent en effet le signe tel qu’il leur a été décrit : nouveau-né couché dans la crèche, entouré de ses parents. Ce sont eux, ensuite, qui « font connaître » à qui veut l’entendre ce que le Seigneur leur « a fait connaître » de l’enfant.
Cela dit, on se demande bien à qui les bergers parlent de la révélation qu’ils ont eue, vu que seuls Mariam et Joseph sont là et qu’eux-mêmes n’ont pas quitté ce lieu… Mais l’essentiel n’est pas là : il suffit au propos de Luc de dire que les premiers « évangélisateurs » sont des gens simples. Si la bonne nouvelle est « pour tout le peuple » (v. 10), et si la paix chantée par le chœur céleste est pour « tous les humains aimés » de Dieu (v. 14), c’est à ces gens-là que l’annonce en est confiée. Car si le salut est pour tous, il est en priorité pour ceux et celles dont la condition le réclame et qui en ont le désir. Eux sauront l’annoncer après l’avoir expérimenté. (La suite de l’évangile reviendra sur le thème de l’« annonce de la bonne nouvelle aux pauvres » : en 4,18 et 7,22, Luc renvoie à l’expression utilisée par Isaïe en 61,1 : la première fois, Jésus décrit ainsi la mission pour laquelle il a reçu l’Esprit ; la seconde fois, il envoie dire au baptiste que c’est bien ce qui se passe.)
Après avoir imité le messager en répétant ce qu’ils ont entendu de lui, les berges s’en retournent, imitant cette fois l’armée céleste qui s’est jointe au messager. En chœur, elle s’est mise à « louer Dieu » en disant « Gloire à Dieu » (v. 13,14). De même, les bergers s’en vont « glorifiant et louant Dieu » (v. 20). Sont-ils donc le « double terrestre » des messagers venus de la part de Dieu ?
- Messe du jour
La consolation de Jérusalem (Isaïe 52,7-10)
Comme ils sont beaux sur les montagnes, les pas du messager de bonne nouvelle, celui qui annonce la paix, du messager de bonheur, celui qui annonce le salut, en disant à Sion : « Il règne, ton Dieu ! » Une voix : tes guetteurs élèvent la voix, tous ensemble ils crient de joie car, les yeux dans les yeux, ils voient le retour du Seigneur à Sion. Éclatez en cris de joie, toutes ensemble, ruines de Jérusalem, car le Seigneur console son peuple, il rachète Jérusalem ! Le Seigneur a déployé son bras de sainteté aux yeux de toutes les nations et toutes les extrémités de la terre verront le salut de notre Dieu.
Cet oracle de salut fait écho au début du chapitre 40 du livre d’Isaïe qui annonce la consolation d’Israël et de Jérusalem (v. 1-11). Il s’adresse à celles et ceux qui ont été déportés en Babylonie, ou sans doute plutôt à leurs enfants nés en exil, mais élevés dans la fidélité à leurs racines et dans le refus de se laisser assimiler par la population du pays des bourreaux de leurs parents. (Environ 60 ans ont passé, en effet, depuis la première déportation.) Ici, le prophète prend le point de vue de Jérusalem, Sion. Même si la ville est en ruine, il l’invite à la joie, à la jubilation : elle renaîtra bientôt de ses cendres.
En soi, il est plutôt paradoxal d’inviter des ruines à danser d’allégresse. Mais ici, c’est différent : un messager bondissant sur les montagnes arrive de Babylone avec de bonnes nouvelles : il annonce la paix, le bonheur, le salut. Le malheur va donc laisser la place à une prospérité nouvelle. En effet, celui qui détient le pouvoir royal n’est pas le roi de Babylone qui a pris Jérusalem et l’a mise à sac – ce que beaucoup ont compris comme la défaite du dieu d’Israël, vaincu par celui des Babyloniens. Le seul roi, c’est le dieu d’Israël. Un temps, il a abandonné le peuple qui l’avait abandonné, juste retour des choses. Mais à présent, le messager l’annonce : il a repris les rênes, il règne à nouveau pour la paix et le bonheur de son peuple.
La voix des guetteurs proclame alors l’incroyable nouvelle. Eux qui sont chargés de surveiller les abords de la ville pour l’avertir de possibles dangers, ils ne lancent pas d’alerte, cette fois : leurs cris sont des éclats de joie ! Une fois arrivée la bonne nouvelle du messager, ils guettaient sa concrétisation. À présent, ils n’en croient pas leurs yeux : c’est Dieu qui leur revient, consolation pour le peuple, signe qu’il va le « racheter ». En d’autres termes, le Seigneur va agir comme quelqu’un qui ne laisse pas son proche parent dans la dèche, mais restaure en même temps son droit et sa dignité : en sa faveur, il « déploie son bras de sainteté ». On peut paraphraser cette expression comme ceci : en mettant en œuvre sa puissance (« son bras ») pour relever son peuple, Dieu montre sa « sainteté », sa différence ; car, en sauvant les siens, il agit autrement que les puissants ou les autres dieux qui s’imposent en punissant et en opprimant. Mais que Jérusalem n’aille pas croire que le Seigneur agit de la sorte seulement pour ses beaux yeux : en rachetant son peuple, Dieu manifeste qui il est, à la vue de toutes les nations. En sauvant Israël, le Seigneur espère que, jusqu’aux extrémités de la terre, les nations verront combien sa miséricorde le rend différent, et cela les attirera vers lui.
Une parole lumière (Jean 1,1-18)
Au commencement était le Verbe, et le Verbe était auprès de Dieu, et le Verbe était Dieu. Il était au commencement auprès de Dieu. C’est par lui que tout est venu à l’existence, et rien de ce qui s’est fait ne s’est fait sans lui. En lui était la vie, et la vie était la lumière des humains ; la lumière brille dans les ténèbres, et les ténèbres ne l’ont pas arrêtée.
Il y eut un humain envoyé par Dieu ; son nom était Jean. Il est venu comme témoin, pour rendre témoignage à la Lumière, afin que tous croient par lui. Cet humain n’était pas la Lumière, mais il était là pour rendre témoignage à la Lumière. Le Verbe était la vraie Lumière, qui éclaire tout humain en venant dans le monde. Il était dans le monde, et le monde était venu par lui à l’existence, mais le monde ne l’a pas reconnu. Il est venu vers ce qui est à lui, et ceux qui sont à lui ne l’ont pas reçu. Mais à tous ceux qui l’ont reçu, il a donné de pouvoir devenir enfants de Dieu, eux qui croient en son nom. Ce n’est pas du sang, ni d’une volonté charnelle, ni d’une volonté d’homme, mais de Dieu qu’ils ont été engendrés. Et le Verbe s’est fait chair, il a habité parmi nous, et nous avons vu sa gloire, la gloire qu’il tient de son père comme fils unique, plein de grâce et de vérité.
Jean lui rend témoignage en proclamant : « C’est de lui que j’ai dit : Celui qui vient derrière moi est passé devant moi, car avant moi il était. » Tous, nous avons eu part à sa plénitude, nous avons reçu grâce après grâce ; car la Loi fut donnée par Moïse, la grâce et la vérité sont venues par Jésus, christ. Dieu, personne ne l’a jamais vu ; le fils unique, lui qui est dans le sein du père, c’est lui qui l’a fait connaître.
L’auteur du 4e évangile entame son écrit autrement que Matthieu et Luc. Loin d’évoquer la naissance de Jésus par des récits de nature théologique mais aussi pleins de charme, il choisit de renouer avec le grand récit initié par la première page de la Genèse : « Au commencement ». Il en donne d’ailleurs une exégèse. Car au chapitre 1 de la Genèse, la création débute grâce à la parole divine : « Qu’il y ait de la lumière ». Une « parole » lumineuse. Selon la traduction courante, un « Verbe » lumineux. Ce terme, calqué sur le latin uerbum, qui signifie « parole », n’a rien à voir avec le sens qu’il a en français courant. C’est un « liturgisme », qui masque le sens du texte évangélique sous une couleur ésotérique.
Donc, au commencement – plus exactement « au fondement » car ici, le commencement (en grec, archè) n’est pas d’abord une notion chronologique – au fondement, donc, il y a le Dieu-parole. Et quand il parle, il donne naissance à tout un univers, comme le dit Genèse 1 qui raconte le surgissement des éléments du monde, surgissement scandé par la parole du créateur. Une parole vive qui fait vivre, une parole qui est lumière et fait brèche dans l’obscurité : « Et Dieu dit : “Qu’il y ait de la lumière”, et il y eut de la lumière. Et Dieu vit que la lumière était bien, et il sépara la lumière des ténèbres » (Gn 1,3-4). Ainsi donc, la lumière est manifestation de Dieu, et le monde est un message qu’il adresse aux créatures, aux humains en particulier. Tout ce qui existe, existe par une parole de Dieu, et parle donc de Dieu.
Comme tous les prophètes qui l’ont précédé, Jean (le baptiste) rend témoignage à la parole divine dont la fonction est de faire jaillir la lumière pour éclairer le chemin des humains. Son but, comme celui de tous les prophètes, c’est que les humains croient en ce Dieu dont la parole est vie et qui tente de faire reculer les ténèbres pour que cette vie donnée puisse s’épanouir. Mais même si le monde est cette parole de vie que Dieu adresse à tous et chacun, les humains ne l’ont pas reconnue. Alors, la parole est venue en Israël – ce peuple qui appartient à Dieu par alliance – mais ceux qui sont « les siens » ne l’ont pas accueilli. (Tel est du moins l’avis de l’évangéliste qui ne tient pas les Juifs en très haute estime, c’est le moins que l’on puisse dire !) Il est néanmoins des humains, à commencer par Abraham, qui ont accueilli la lumière de la Parole et ont vécu une nouvelle naissance, « engendrés par Dieu ».
Après avoir inlassablement envoyé ses prophètes dans l’espoir que sa parole soit largement reçue, Dieu a fait un pas de plus : la parole est devenue chair, et c’est ce dont témoignent l’évangéliste et sa communauté (le « nous » qui parle). La parole-chair « a planté sa tente » au sein du peuple, comme autrefois la Tente accompagnait Israël dans sa marche au désert, présence mystérieuse de son allié divin au cœur même du peuple. La communauté de l’évangéliste, aujourd’hui, en témoigne : elle a vu la gloire de Dieu en cet homme ; elle a reconnu en lui le Fils qui incarne la bienveillance fidèle (la « grâce ») et la présence fiable (la « vérité ») de Dieu. Et de même que Jean le baptiste, à l’instar de tous les prophètes, a témoigné de la parole lumière de Dieu, il a aussi témoigné de la présence de la parole-chair en la désignant à quiconque l’écoutait.
Ce témoignage de Jean, c’est la communauté qui le porte à présent, après avoir reçu de la parole-chair tant de grâce. Et elle témoigne : Moïse a donné la Loi qui enseigne comment plaire à Dieu ; mais à travers Jésus, le christ, Dieu a manifesté ce qu’il est en vérité dans sa bienveillance gracieuse et à jamais fidèle. Par ce qu’il a été – une parole lumière – le fils a déployé aux yeux de tous ce qu’est le dieu invisible et indicible. De la sorte, il a ouvert à tous les humains un chemin pour naître à nouveau, pour être « engendrés par Dieu », donnés à eux-mêmes par celui qui dit « que soit lumière ».
Voilà comment l’auteur du 4e évangile entame son livre. Il témoigne de l’expérience qu’il a faite en naissant à nouveau grâce à Jésus reconnu comme Christ. Et il a vu d’autres personnes parcourir elles aussi ce chemin, apprenant à voir le monde comme un message d’amour du dieu de vie. Aussi, par son récit, il va témoigner de cela, de façon à inviter la lectrice, le lecteur à aller à Jésus. Quiconque écoute sa parole, se laisse éclairer par elle et répond à l’invitation de Dieu à vivre pleinement, reflétera à son tour quelque chose de la lumière que Dieu, depuis le commencement, répand sur le monde et sur les vivants.
[1] La traduction liturgique a « ton Bâtisseur », mais au prix d’une double correction : des consonnes du texte hébreu et de leur vocalisation.
[2] 14 est le chiffre de David (dwd), selon la valeur numérique des lettres hébraïques (D = 4 et W = 6) : 4+6+4 = 14.
[3] Dans l’Ancien Testament, la « jalousie » (qin’âh) n’est pas un sentiment purement négatif. Elle est l’expression d’un amour sans concession. Si cet amour est captateur, la jalousie est malsaine et mortifère car elle enchaîne l’être aimé à celui qui dit l’aimer. Si cet amour est ordonné au bien de l’aimé, la jalousie est positive en ce qu’elle de dresse contre tout ce qui l’empêche d’aimer à son tour. Ainsi, Dieu est « jaloux » des idoles qui mènent Israël à la mort (voir Deutéronome 32,16.21).