Baptême du Seigneur

Année liturgique: B
Date : 14 janvier 2024
Auteur: André Wénin

 « Car tel est l’amour de Dieu : garder ses commandements »
(1re Lettre de Jean 5,3)

Chaque 1er dimanche du temps ordinaire, la liturgie commémore le baptême de Jésus. Comme ce dimanche suit l’Épiphanie, on peut avoir l’illusion que Jésus est baptisé bébé. Le passage évangélique retenu pour ce dimanche manifeste qu’il s’agit bien d’une illusion. Dans les trois premiers évangiles, en effet, le « baptême » de Jésus correspond au début de ce qu’il est convenu d’appeler sa « vie publique ». Il s’agit du vrai commencement de son histoire. En effet, ce qui précède n’intéresse pas les évangélistes, pas même Matthieu et Luc. S’ils évoquent l’enfance de Jésus, c’est moins pour raconter le début de son histoire que pour anticiper ce qui sera raconté ensuite, en l’enracinant dans les Écritures d’Israël, l’Ancien Testament.

Une voix pour un « nouveau-né » (Marc 1,7-11)

[Jean le Baptiste] proclamait : « Vient derrière moi celui qui est plus fort que moi ; je ne suis pas digne de m’abaisser pour dénouer la courroie de ses sandales. Moi, je vous ai baptisés avec de l’eau ; lui vous baptisera dans l’Esprit Saint. »

En ces jours-là, Jésus vint de Nazareth de Galilée, et il fut baptisé dans le Jourdain par Jean. Et aussitôt, en remontant de l’eau, il vit les cieux déchirés et l’Esprit comme une colombe descendre sur lui. Et une voix vint des cieux : « Tu es mon Fils bien-aimé ; en toi, j’ai mon plaisir. »

Le récit de Marc est succinct : comme le baptiste l’a annoncé, celui qui est « plus fort » que lui se présente. Il a quitté son village, une bourgade insignifiante de Galilée, et vient recevoir le baptême de Jean, en contraste avec ce que ce dernier a annoncé de lui. Il se comporte en effet comme « toute la région de la Judée et tous les habitants de Jérusalem » qui sont baptisés par Jean (voir v. 5), bref, comme un simple fidèle. Dans sa sobriété, le récit suggère que Jésus vit une nouvelle naissance. Plongé dans l’eau, il en ressort dans une action mimant la mort (être plongé dans l’eau) et la vie (remonter de l’eau). Cette nouvelle naissance est signifiée par la descente de l’Esprit sur lui, descente qui rappelle le début du récit de la création en Genèse 1,2 (« l’Esprit de Dieu planait sur les eaux »), mais aussi le Serviteur de Dieu dont parle Isaïe 61,1 (« l’Esprit du Seigneur est sur moi… »).

C’est ce que confirme la « voix venant du ciel ». Dans le Judaïsme, l’expression est une métaphore évoquant une déclaration solennelle de Dieu (les cieux qui se déchirent sont une autre indication de ce que Dieu va se manifester par l’Esprit et la parole). Cette voix proclame des mots tirés des Écritures. Elle réunit en effet les mots de deux passages : le Psaume 2 qui cite la déclaration de Dieu au roi lors de son intronisation (v. 7) et l’oracle d’Isaïe 42, où Dieu parle du plaisir qu’éveille en lui la personne du Serviteur (v. 1). Ainsi, à son baptême, Jésus « naît » comme messie royal et comme serviteur bien-aimé de Dieu, il reçoit de lui un statut nouveau qui correspond aussi à la mission qui lui est confiée. Mais Marc décrit cette expérience comme un événement intime : aucun témoin n’est mentionné, en effet.

Une parole qui nourrit et qui germe (Isaïe 55,1-11)

À en croire le choix de la 1re lecture, la mission de l’envoyé de Dieu est d’être son porte-parole, voire sa parole elle-même. C’est en tout cas la première chose que Jésus fera (Marc 1,14) après une « retraite » au désert où le pousse l’Esprit qui est descendu sur lui (1,12-13).

Vous tous qui avez soif, venez vers l’eau ! Et vous qui n’avez pas d’argent, venez, achetez à manger. Oui, venez, achetez sans argent, sans rien payer, du vin et du lait. Pourquoi dépenser votre argent pour ce qui n’est pas du pain, vous fatiguer pour ce qui ne rassasie pas ? Écoutez, écoutez-moi de manière à manger de bonnes choses, à vous régaler de plats savoureux ! Tendez l’oreille ! Venez à moi ! Écoutez pour que vive votre être et que je puisse conclure en votre faveur une alliance éternelle : ce sont les bienfaits garantis à David. Voici, je l’ai donné, témoin pour les peuples, guide et chef pour les peuples. Voici, tu appelleras une nation que tu ne connais pas ; une nation qui ne te connaît pas accourra vers toi, à cause du Seigneur ton Dieu, à cause du Saint d’Israël, car il est ta splendeur.

Cherchez le Seigneur tant qu’il peut être trouvé ; appelez-le tant qu’il est proche. Que le coupable abandonne son chemin, et l’homme inique, ses calculs ! Qu’il revienne vers le Seigneur pour qu’il fasse preuve de miséricorde envers lui, vers notre Dieu qui est riche en pardon. Car mes calculs ne sont pas vos calculs, et vos chemins ne sont pas mes chemins – oracle du Seigneur. En effet, autant le ciel est plus élevé que la terre, autant mes chemins sont plus élevés que vos chemins, et mes calculs plus que vos calculs.

La pluie et la neige qui descendent des cieux n’y reviennent pas sans avoir abreuvé la terre, sans l’avoir fécondée et l’avoir fait germer, donnant la semence à celui qui sème et la nourriture à celui qui mange ; ainsi ma parole, qui sort de ma bouche, ne me revient pas sans résultat : au contraire, elle réalise ce qui me plaît, et réussit ce pour quoi je l’ai envoyée.

Dans la Bible hébraïque, la nourriture et la boisson servent régulièrement de métaphore pour la Parole de Dieu. Ici, Isaïe parle d’eau, de lait et de vin, de pain et de mets succulents. Cette brève liste évoque à la fois les aliments du quotidien et les repas de fête. Les premiers sont essentiels à la vie du corps, les seconds à la vie de l’esprit, de la famille, de la société. Ainsi en va-t-il de la parole de Dieu, selon le prophète. Celle-ci est même la véritable boisson, la véritable nourriture, les seules à faire vivre l’être dans la plénitude de son humanité. En plus, elles sont gratuites. La seule condition pour s’en nourrir, c’est de les désirer, d’en avoir soif au point de tendre l’oreille, de se mettre à l’écoute, de s’approcher de celui dont la parole est un aliment savoureux capable de permettre à chaque être d’épanouir ce qu’il est.

Les aliments cités par le prophète vont de la boisson naturelle qu’est l’eau, aux mets succulents qui supposent que des humains transforment ce que la nature produit. Proche de l’eau, le lait est produit par l’éleveur. Quant au pain et au vin, ils résultent de l’élaboration des produits du travail de l’agriculteur par lui-même ou par d’autres. C’est aussi par le processus de leur production que ces nourritures disent ce qu’est la parole de Dieu. Certes, elle peut « couler de source » comme l’eau. Mais elle est bien meilleure et bien plus nourrissante quand ce qui vient de Dieu est recueilli par des humains, travaillé, enrichi par plusieurs et donné à d’autres. La parole biblique n’est pas autre chose : elle est fruit de l’alliance entre Dieu et Israël, de leur échange incessant qui a nourri la vie du peuple à travers prophètes, conteurs, législateurs, priants ou prêtres.

Cette parole de Dieu – qui est donc tout à la fois parole d’êtres humains – est source de vie véritable parce qu’elle permet à chacun(e) d’inscrire son existence dans l’alliance offerte par le dieu source de vie. L’écouter, c’est en effet lui ouvrir la porte et lui permettre de répandre les bienfaits que Dieu a promis à David quand, avec la bienveillance fidèle qui le caractérise, il s’est engagé par une alliance en sa faveur. David est ainsi le témoin de l’intense désir de Dieu de manifester son amour fidèle. Il est aussi celui qui peut guider vers le dieu qui tient parole, non seulement les membres du peuple qui est le sien, mais tous les peuples : quand, grâce à son témoignage, ils auront appris à connaître le Seigneur, ils accourront vers lui. Ainsi seront reconnues la grandeur et la splendeur d’Israël, le peuple à travers lequel le Dieu de la vie se fait connaître de tou(te)s.

Puisqu’il en est ainsi, puisque la parole de Dieu est une boisson et une nourriture de vie, il est urgent de « chercher le Seigneur ». Les ressources pour s’approcher de lui ne manquent pas, puisque c’est lui-même qui, dans cette parole, se fait proche. Mais les appels répétés et insistants du prophète laissent penser que l’idée de s’approcher de Dieu peut buter sur un obstacle. Tout être humain, en effet, a des choses à se reprocher. S’il se sent injuste et coupable, il peut avoir peur de répondre à l’appel de Celui qui s’approche et se laisse trouver. Ses « calculs »[1] l’amènent en effet à redouter le châtiment divin et, dès lors, à s’en tenir éloigné. Pour le prophète, une telle manière de faire (le « chemin ») et d’évaluer l’attitude à avoir (les « calculs ») n’est pas correcte, car elle se méprend à propos de Dieu. Le Seigneur en effet est un dieu de miséricorde, et même si la chose est difficile à comprendre, c’est un dieu riche en pardon. Il ne faut donc pas avoir peur de lui. Quiconque se sent coupable ou injuste peut cesser de craindre le châtiment de Dieu, pour s’en remettre à sa miséricorde. Alors, il n’aura plus peur de revenir au Seigneur. Car celui-ci est aux antipodes de ce que sont les humains : ceux-ci qui sont souvent guidés par le désir de « faire payer » ceux qui font du mal, mais Dieu ne règle pas sa façon d’être et d’agir sur les fautes. Ses calculs ne se fondent pas sur la culpabilité des humains, mais sur son infinie bonté et sur sa généreuse indulgence. Cessons donc d’imaginer le dieu tout autre à partir de ce que nous sommes, semble dire Isaïe.

En cherchant Dieu et en revenant à lui, assoiffé de sa parole et confiant en sa miséricorde, tout être humain, quel que soit son passé, permettra à cette parole d’être pour lui une véritable nourriture de vie. Il répondra ainsi à l’espoir du Seigneur. Ce ferme espoir de Dieu, Isaïe l’évoque en recourant à nouveau à la métaphore de l’eau. Ce n’est plus l’eau que l’on boit, cependant. C’est celle qui abreuve la terre pour féconder une semence qui y est déjà enfouie, pour lui permettre de germer puis de mûrir. Avec le fruit qu’elle produira, il sera possible de réensemencer la terre pour qu’elle produise à nouveau, grâce à l’eau qu’elle recevra du ciel. Et c’est ce fruit qui nourrira aussi les vivants. Il en va de même lorsque Dieu répand sa parole, cette eau capable de libérer la vie présente en chacun(e). La « semence », en effet, c’est la vie en puissance de renouvellement, d’épanouisse­ment et de fécondité. L’espoir de Dieu est de la voir germer, grandir et porter un fruit à son tour porteur de vie. Cet espoir se réalisera aussi sûrement que l’eau permet à la semence de germer. La vie de Jésus qui commence avec son « baptême » en est la concrétisation ultime.

[1] Le terme hébreu est souvent traduit par « pensée », mais ce mot français ne me semble pas adéquat pour évoquer l’intense activité mentale de quelqu’un qui a une intention, élabore un plan et imagine les moyens concrets de le mettre en œuvre et atteindre son but.

Bible et liturgie

Commentaires des lectures du dimanche par André Wénin

L’Église ne sait pas ce qu’elle perd à négliger le Testament de la première Alliance…

Les textes qu’on lira sous cette rubrique ne sont pas des homélies. J’y propose plutôt un commentaire, à mi-chemin entre une analyse exégétique et une lecture attentive à la fois au texte biblique et à la réalité humaine qui est la nôtre.
La traduction des textes commentés (le plus souvent les passages de l’Ancien Testament et de l’évangile) est très souvent corrigée. La version liturgique est globalement insatisfaisante, en effet. Elle lisse le texte au point d’en gommer les difficultés, c’est-à-dire précisément les points où peut venir "s’accrocher" le commentaire parce qu’ils posent question. Quant au texte de l’Ancien Testament, il est fréquemment amplifié de manière à restaurer le passage dans son intégralité en vue du commentaire. 

André Wénin