Cinquième dimanche du temps ordinaire

Temps liturgique: Temps ordinaire
Année liturgique: B
Date : 4 février 2024
Auteur: André Wénin

« Annoncer l’Évangile n’est pas pour moi un motif de fierté,
c’est une nécessité qui s’impose à moi »
(1re lettre aux Corinthiens 9,16)

Une vie qui n’en est pas une… (Job 7,1-4.6-7)

Job prit la parole et dit : « Le sort de l’homme sur la terre, n’est-ce pas une corvée ? Ses jours ne sont-ils pas comme ceux d’un saisonnier ? Comme un esclave qui désire un peu d’ombre, comme un saisonnier qui attend sa paye, depuis des mois je n’ai en partage que le néant, je ne compte que des nuits de souffrance. Quand je me couche, je me dis : “Quand pourrai-je me lever ?” Le soir n’en finit pas : je suis rassasié d’insomnies jusqu’à l’aube. […] Mes jours sont plus rapides que la navette du tisserand, ils s’achèvent faute de fil. Souviens-toi [Seigneur] : ma vie n’est qu’un souffle, mes yeux ne verront plus le bonheur. »

Le livre de Job est formé en majorité de longues tirades poétiques qui sont autant de réparties dans un ample dialogue entre Job et ses amis. Job, un homme juste, a été frappé par des malheurs en chaîne qui l’ont anéanti. Trois amis, puis un quatrième, viennent lui exprimer leur compassion et le réconforter. Après un silence d’une semaine, les amis étant frappés de mutisme devant la souffrance extrême de Job (2,11-13), celui-ci se met à parler pour se lamenter. C’est ainsi que s’engage le dialogue où les amis vont peu à peu incriminer Job des malheurs qui lui arrivent. À leurs yeux, en effet, Dieu est juste, et s’il permet que Job souffre, c’est que celui-ci est pécheur. À cette lecture de sa situation, Job résiste de toutes ses forces. À la fin du livre, c’est à lui que Dieu donnera raison.

Le passage retenu pour la liturgie est extrait du deuxième discours de Job. Le censeur l’a malheureusement privé d’une phrase où le héros du livre évoque les ravages de la maladie qui l’afflige. C’est dommage parce que ce verset identifie celui qui s’exprime ainsi : un homme dont « la chair est couverte de vers et de croûtes terreuses », dit-il, et dont « la peau se crevasse et suppure » (v. 5). La plainte est donc celle d’un homme souffrant qui voit la mort en train de faire son œuvre dans sa chair. Elle exprime le sentiment de non-sens que vit ce malade pour qui la vie est devenue un poids insupportable. Il n’a plus rien à en attendre, en effet. Il est comme l’esclave à qui on interdit de se reposer un peu à l’ombre, comme l’ouvrier saisonnier qui, après avoir trop longtemps attendu sa paie, sait qu’il ne la recevra plus. La souffrance lancinante transforme ses nuits en cauchemar. Car ce qui l’attend, ce n’est pas un mieux. Au contraire, le malade sent que la bobine de fil qui se déroule est bientôt terminée, et, comme l’exprime un beau jeu de mots « ses jours s’achèvent faute de fil », mais aussi « faute d’espoir » (le terme hébreu tiqvah a les deux sens). Bref, sa souffrance n’a aucun sens pour lui. Il connaît l’absurde du mal.

Pourquoi proposer un tel texte ce dimanche ? Sans doute parce que, dans l’évangile, Marc évoque les premières guérisons de Jésus sans rien dire des malades, ou presque. Le passage de Job donne, pour ainsi dire, un visage concret à la souffrance de ces personnes que Jésus libère de leur maladie physique et de ses effets psychiques, voire spirituels – la mort de tout espoir. Mais pris en lui-même, ce passage est susceptible de parler aussi aux gens en bonne santé qui, d’ordinaire, ne sont pas confrontés à des malades. La vie va tellement vite et les préoccupations sont si nombreuses qu’il est facile d’oublier cette humanité souffrante et en général marginalisée. Un tel texte peut entretenir, voire réveiller la sensibilité à ce qu’endurent les souffrants, à leur détresse, à leur désespérance. N’y a-t-il pas là un enjeu d’humanité ?

La bonne nouvelle en actes (Marc 1,29-39)

Aussitôt sortis de la synagogue de Capharnaüm, Jésus alla, avec Jacques et Jean, dans la maison de Simon et d’André. Or, la belle-mère de Simon était au lit, elle avait de la fièvre. Aussitôt, ils parlent d’elle à Jésus. S’approchant, il la fit lever en lui saisissant la main et la fièvre la quitta et elle les servait.

Le soir venu, après le coucher du soleil, on lui amenait tous ceux qui allaient mal et les possédés des démons. La ville entière se pressait à la porte. Il guérit beaucoup de gens qui allaient mal à cause de maladies variées, et il expulsa beaucoup de démons. Il ne permettait pas aux démons de parler, parce qu’ils savaient qui il était.

Le lendemain, Jésus se leva, bien avant l’aube. Il sortit et s’éloigna dans un lieu désert, et là il priait. Simon et ceux qui étaient avec lui partirent à sa poursuite. Ils le trouvèrent et lui disent : « Tout le monde te cherche ». Il leur dit : « Allons ailleurs, dans les villages voisins, afin que là aussi je proclame [l’Évangile] ; car c’est pour cela que je suis sorti. » Et il parcourut toute la Galilée, proclamant dans leurs synagogues, et expulsant les démons.

Dans le premier chapitre de son évangile, Marc condense l’activité de Jésus en quelques scènes à peine esquissées. Après avoir appelé ses premiers disciples, Jésus enseigne « avec autorité » dans une synagogue et se fait obéir d’un esprit impur. Une fois sorti, il guérit la belle-mère de Pierre ; le soir, comme la foule vient à lui, il guérit de nombreux malades et chasse des démons ; le lendemain matin, il s’isole pour prier, puis s’en va ailleurs avec les disciples.

En rapportant ces guérisons, Marc n’insiste en rien sur un quelconque aspect spectaculaire ou « miraculeux ». Au contraire, il surprend par sa sobriété. Le peu qu’il retient de ces scènes est significatif. La belle-mère de Pierre est alitée ; préoccupés, ses proches parlent d’elle à Jésus : tout part donc d’une relation marquée par le souci de l’autre et la confiance en Jésus. Celui-ci ne se dérobe pas. Il se fait proche, et touchant la malade, il lui prend la main et la fait lever. Les verbes « lever » et « saisir » sont riches de sens : le premier (egeirô, tirer du sommeil, mettre debout) est un des verbes employés pour éviquer la résurrection ; le second (krateô, être fort, dominer, saisir) suggère la mise en œuvre d’un certain pouvoir. Ainsi, la force de vie de Jésus restaure la personne, la remet debout. Vaincu, le mal disparaît. Libérée, la femme rendue à elle-même se met à servir.

Ce que Jésus fait pour cette femme proche de ses amis Pierre et André, il le fait pour tous. Ce qu’il fait dans le secret de la maison, il le fait aussi à l’extérieur, « à la porte ». C’est l’objet du sommaire qui suit la guérison de la belle-mère. À nouveau, tout commence avec des gens qui, soucieux des malades ou des personnes aliénées – qui ne s’appartiennent plus –, les amènent à Jésus. Cette démarche témoigne de la confiance qu’ils ont à son égard. À son tour, Jésus prend soin de ces personnes qu’on lui amène : le verbe employé (therapeuô) signifie d’abord soigner de manière à rendre la santé, d’où aussi guérir. Quant à ces puissances anonymes[1] qui s’emparent d’une personne et l’empêchent d’être elle-même, Jésus les jette dehors. Ainsi, la force de vie de Jésus agit à la fois « en faveur » et « contre » : en faveur des personnes, contre ce qui les aliène. Mais c’est toujours pour la vie qu’il combat le mal, et il ne cessera de le faire tout au long du récit de l’évangile.

Mais où Jésus puise-t-il la force qui lui permet de venir à bout du mal qui afflige les gens ? D’une autre relation qu’il cultive en secret, raison pour laquelle il se lève alors que tout le monde dort encore, sort de la maison et va là où personne ne pourra le distraire de son intimité avec Dieu dans la prière. C’est ce face à face – dont Simon et les autres ne semblent même pas se rendre compte quand ils trouvent Jésus – qui nourrit sa volonté de combattre tout ce qui empêche la vie dont Dieu veut combler les humains et qui lui donne la force pour le faire. C’est cela que les démons savent, et que Jésus entend protéger en les empêchant de parler. Car, comme dans la synagogue (voir Marc 1,24-25), il souhaite rester en retrait. Savoir qui il est n’a aucune utilité. Expérimenter dans la confiance la force de vie qu’il communique est bien plus capital.

Mais le lien particulier entre Jésus et Dieu est source aussi d’une grande liberté. Jésus ne se laisse pas retenir, enfermer. Pourtant, « tout le monde le cherche », ce qui est bien compréhensible après les événements de la veille. Mais il refuse de se laisser prendre dans un jeu où on ferait de lui une vedette, une idole. S’il se laissait ainsi capter par les gens, il risquerait de faire d’eux des « fans » captifs de leur fascination, et donc privés d’eux-mêmes. Non. Jésus s’en va ailleurs, proclamer un message qui, pour être vraiment une bonne nouvelle, suppose que l’on change de mentalité, de comportement (voir Marc 1,15). Et cette proclamation, elle n’est pas faite que de paroles qui invitent à accueillir le dieu qui veut régner dans les cœurs (« il proclamait dans les synagogues »). Elle est faite aussi de gestes qui montrent que c’est bien une vie libérée du mal que Jésus vient promouvoir (« il expulsait les démons »).

[1] « Les croyances populaires personnifiaient volontiers les puissances cachées derrière les maux de l’humanité et finissaient souvent par les diviniser » parce qu’elles apparaissaient trop fortes pour être maîtrisées. « Le Nouveau Testament hérite en partie de ces croyances, par exemple dans sa manière de désigner les maux, tantôt par le terme de possession démoniaque, tantôt par celui de la maladie » (X. Léon-Dufour, Dictionnaire du Nouveau Testament, Paris, 1975, p. 200). Il est difficile de préciser quels types de maux apparaissaient comme relevant de forces démoniaques.

 
Bible et liturgie

Commentaires des lectures du dimanche par André Wénin

L’Église ne sait pas ce qu’elle perd à négliger le Testament de la première Alliance…

Les textes qu’on lira sous cette rubrique ne sont pas des homélies. J’y propose plutôt un commentaire, à mi-chemin entre une analyse exégétique et une lecture attentive à la fois au texte biblique et à la réalité humaine qui est la nôtre.
La traduction des textes commentés (le plus souvent les passages de l’Ancien Testament et de l’évangile) est très souvent corrigée. La version liturgique est globalement insatisfaisante, en effet. Elle lisse le texte au point d’en gommer les difficultés, c’est-à-dire précisément les points où peut venir "s’accrocher" le commentaire parce qu’ils posent question. Quant au texte de l’Ancien Testament, il est fréquemment amplifié de manière à restaurer le passage dans son intégralité en vue du commentaire. 

André Wénin