Premier dimanche de Carême

Temps liturgique: Temps du Carême
Année liturgique: B
Date : 18 février 2024
Auteur: André Wénin

 

« Le baptême ne purifie pas de souillures extérieures,
il est l’engagement envers Dieu d’une conscience droite. »
(1re lettre de Pierre 3,21)

Au cours du carême de l’année B, les premières lectures ont été choisies pour former une séquence autour du thème de l’alliance : l’engagement de Dieu vis-à-vis de l’humanité en Noé, son lien intime avec Abraham, la loi de l’alliance avec Israël au Sinaï, l’évocation de la fin de ce lien entre Dieu et Israël, et l’annonce d’une nouvelle alliance par le prophète Jérémie.

L’alliance avec Noé (Genèse 9,8-15)

Dieu dit à Noé et à ses fils : « C’est moi. Voici, j’établis mon alliance avec vous, avec votre descendance après vous et avec tous les êtres vivants qui sont avec vous : les oiseaux, le bétail, toutes les bêtes de la terre, parmi tout ce qui est sorti de l’arche, en faveur de toutes les bêtes de la terre. Oui, j’établis mon alliance avec vous : aucun être de chair ne sera plus supprimé par les eaux du déluge, et il n’y aura plus de déluge pour ravager la terre. » Et Dieu dit : « Ceci est le signe de l’alliance que j’accorde entre moi et vous et tous les êtres vivants qui sont avec vous, pour les générations à jamais : mon arc, je l’ai posé dans les nuées, et il sera un signe d’alliance entre moi et la terre. Lorsque je rassemblerai les nuées au-dessus de la terre et que l’arc apparaîtra dans les nuées, je me souviendrai de mon alliance qui est entre moi et vous et tous les êtres vivants : les eaux ne deviendront plus un déluge pour ravager tout être de chair. »

Ce texte est tiré de la partie finale du long récit du déluge (Genèse 6–9). Pour bien comprendre, il est utile de tenir compte du contexte où l’épisode intervient. Selon le début de la Genèse (ch. 1), l’univers créé par Dieu est entièrement positif, sans violence : chaque élément est à sa place et collabore à l’harmonie de l’ensemble. L’unique maillon faible est l’humanité à qui le créateur a confié la gestion de la terre. En lui donnant une nourriture végétale, il l’invite à accomplir cette mission en maîtrisant la terre et les animaux sans tuer, sans entrer dans une domination violente. Au contraire des autres éléments de l’univers, l’humanité jouit donc d’une marge de liberté dans sa façon de vivre dans le monde créé.

Par la suite, les humains se montrent incapables de résister à leur convoitise. Ils ouvrent ainsi la porte à la violence, conséquence inévitable de l’attitude consistant à vouloir tout pour soi, et tout de suite si possible, pour n’avoir pas à être confrontés à l’angoisse du manque. Dans le jardin d’Éden, Adam et Ève cèdent à la convoitise à l’instigation du serpent ; leur fils Caïn tue son frère par envie ; un de ses descendants, Lamek, devient assassin pour venger une blessure qu’on lui a faite, et la violence se répand inexorablement, au point qu’elle finit par ravager la terre (6,5). C’est alors que Dieu décide de détruire la terre avec les vivants par un déluge qui la ramènera au chaos d’où il l’a tirée au début. Son intention est de tout effacer pour recommencer avec Noé, le seul qu’il ait trouvé intègre et innocent du mal. Dans l’arche, il préservera la vie des animaux pour qu’ils puissent repeupler la terre une fois passé le cataclysme. Car au moment où il lui demande de construire cette arche, Dieu dit à Noé qu’il a déjà en vue une « alliance » (6,18).

À la fin du déluge, quand Noé sort de l’arche avec tous ceux qu’il y avait introduits, Dieu ne reparle pas tout de suite d’alliance. Il commence par adresser un premier discours à Noé et à ses fils à propos de leur nourriture… c’est-à-dire de leur violence. En leur permettant de manger de la viande, il montre qu’il a perçu que la violence fait partie de la réalité des vivants. Aussi lui ouvre-t-il un exutoire en autorisant les humains à tuer les animaux pour s’en nourrir (9,1-3). Mais il met immédiatement une double restriction. En interdisant de consommer le sang de l’animal tué, il réaffirme la nécessité de consentir à une limite et donc de refuser de se laisser guider par la convoitise. Et il met en garde quiconque voudrait exercer sa violence contre un autre humain, contre «son frère», comme Caïn l’a fait : c’est à Dieu lui-même qu’il aura alors affaire, et ce qu’il a imposé à sa victime lui sera imposé à lui (9,4-6a). Mais, ajoute-t-il, « c’est à l’image de Dieu qu’il a fait l’être humain » (9,6a).

À l’image de Dieu, d’accord. Mais de quel dieu ? Le dieu de la création, qui veut la vie, la paix, l’harmonie ? Ou le dieu du déluge, qui sème violence, destruction et mort ? Dans la suite des paroles qu’il adresse à Noé (c’est le texte de la lecture), Dieu ne laisse aucun doute : s’il tolère une certaine violence chez les êtres humains, lui-même renonce à toute violence qui détruirait les vivants et ramènerait la terre au chaos. C’est là l’objet de son « alliance », un terme qu’il conviendrait plutôt de rendre par « engagement » dans la mesure où c’est de façon unilatérale que Dieu décide de ne plus recourir à la violence. Il indique ainsi aux humains que c’est par le renoncement à toute violence inutilement destructrice qu’ils ressembleront à Dieu, qu’ils seront « à son image ».

Le signe de cet engagement divin, c’est l’arc-en-ciel – plus précisément « mon arc dans la nuée ». Le mot hébreu désigne bien l’«arc», cette arme permettant, à la chasse ou à la guerre, de frapper à distance. Lorsqu’il « dépose son arc », Dieu rend visible sa décision de ne plus frapper les êtres vivants comme des ennemis – car c’est bien ainsi qu’au moment de décider le déluge, il voyait ceux qui détruisaient sa création. Désormais, il ne recourra plus à la violence des forts dont cet arc est l’instrument : l’arc-en-ciel le lui rappellera. Car déposé dans la nuée, l’arc ne peut tirer que vers le haut et est dès lors totalement inoffensif pour la terre et ses habitants. Beau signe d’«armistice» de la part de Dieu ! De plus, comme l’arc-en-ciel relie la terre à la terre en passant par le ciel, il signifie magnifiquement le lien renouvelé que, par son engagement, le créateur inaugure avec le monde et les vivants. Enfin, l’harmonie des couleurs de l’arc-en-ciel exprime l’effet de toute alliance : la bonne entente entre partenaires différents.

Ce qui ressemble à un joli conte assez invraisemblable figure en tête de la Bible. Il constitue une sorte de parabole évoquant la question de la violence, celle des humains et celle de Dieu. C’est aussi une invitation lancée au lecteur pour le rendre attentif à cette force de mort, pour l’inviter à réfléchir à ce qui est en jeu et pour le pousser à mener son existence de façon à éviter si possible toute manière d’être qui, peut-être sans le vouloir, nourrit la violence et la mort. Car favoriser tout ce qui est porteur de vie suppose que l’on soit au clair, autant que possible, sur ce qui menace la vie. Dans la relecture qu’il fait du déluge, l’auteur de la lettre de Pierre voit dans l’arche de Noé une figure du baptême. Il présente celui-ci comme un engagement envers Dieu, une acceptation de l’alliance de paix qu’il a établie avec l’humanité en Noé.

Noé construisit l’arche, dans laquelle un petit nombre, en tout huit personnes, furent sauvées à travers l’eau. C’était une figure du baptême qui vous sauve maintenant : le baptême ne purifie pas de souillures extérieures, mais il est l’engagement envers Dieu d’une conscience droite et il sauve par la résurrection de Jésus Christ (1 Pierre 3,20-21)

Jésus tenté (Marc 1,12-15)

Jésus venait d’être baptisé. Aussitôt l’Esprit le pousse au désert et, dans le désert, il resta 40 jours, tenté par Satan. Il vivait parmi les bêtes sauvages, et les anges le servaient. Après l’arresta­tion de Jean, Jésus partit pour la Galilée proclamer l’Évangile de Dieu. Il disait : « Les temps sont accomplis : le règne de Dieu est tout proche. Convertissez-vous et croyez à l’Évangile. »

Voici le bref commentaire de Camille Focant sur ce texte (dans Le Nouveau Testament commenté, Montrouge-Genève, 2012, p. 159).

Dans cette scène qui suit le baptême où Jésus reçoit une « investiture messianique », « il n’est pas anodin que le même Esprit qui descend sur Jésus comme une colombe, symbole de la paix et de la création, ose le chasser […] au désert, lieu du manque. C’est là qu’il affronte Satan, le chef des esprits impurs (v. 12-13), une opposition qu’on retrouvera plus tard […]. Le narrateur suggère ainsi que cette confrontation est nécessaire pour le fils bien-aimé, animé par l’Esprit. Elle s’exprime sous la forme d’une tentation prototype dont le contenu n’est pas défini, ce qui incite le lecteur à en chercher le contour dans la suite du récit [de l’évangile de Marc]. Sont également signalés la coexistence avec les bêtes sauvages, signe de nouvelle création et de salut (Esaïe 11,6-9 ; 65,11-25), et le service des anges, indice probable d’une victoire sur Satan ». Ce Satan (« adversaire » en hébreu) est celui qui s’oppose à l’alliance de vie entre Dieu et les humains. « De cette épreuve, Jésus revient porteur de l’heureuse annonce ». À partir de là, en effet, il se met à proclamer la proximité du Règne de Dieu et à inviter à se convertir pour pouvoir l’accueillir. (Sur cette péricope, voir 3eDim. ordinaire B.)

Bible et liturgie

Commentaires des lectures du dimanche par André Wénin

L’Église ne sait pas ce qu’elle perd à négliger le Testament de la première Alliance…

Les textes qu’on lira sous cette rubrique ne sont pas des homélies. J’y propose plutôt un commentaire, à mi-chemin entre une analyse exégétique et une lecture attentive à la fois au texte biblique et à la réalité humaine qui est la nôtre.
La traduction des textes commentés (le plus souvent les passages de l’Ancien Testament et de l’évangile) est très souvent corrigée. La version liturgique est globalement insatisfaisante, en effet. Elle lisse le texte au point d’en gommer les difficultés, c’est-à-dire précisément les points où peut venir "s’accrocher" le commentaire parce qu’ils posent question. Quant au texte de l’Ancien Testament, il est fréquemment amplifié de manière à restaurer le passage dans son intégralité en vue du commentaire. 

André Wénin