Ascension

Auteur: Cochinaux Philippe
Temps liturgique: Temps de Pâques
Année liturgique : A, B, C
Année: 1996-1997

Un confrère dominicain prêchait l'année passée à l'occasion de cette fête de l'Ascension en disant que le Père du Ciel n'avait plus le choix. Il ne pouvait que reprendre son « gamin » auprès de Lui, car le fait qu'il soit ressuscité posait déjà assez de questions comme cela. Retourner auprès du Père était le cours normal des choses. Un peu facile comme explication me semble-t-il. S'il est vrai que la résurrection est avant tout un acte de foi, je crois pouvoir dire qu'il en va de même pour l'Ascension. Nous sommes en droit de nous questionner sur le sens d'un tel événement. La prédication de mon confrère religieux ne m'ayant pas tout à fait convaincu, je confesse que, sur les conseils de Lucie Struyf, membre de l'Equipe pastorale, je suis allé voir du côté de nos concurrents : les jésuites. Et je dois bien admettre, à regret il va sans dire, que le père François Varillon, membre de la Société de Jésus peut sans doute nous éclairer dans la compréhension de ce mystère.

Jésus se devait de monter au « ciel », écrit-il, non pas le « ciel » au-dessus des nuages, mais ce ciel qui est la rencontre intime de Dieu et de l'homme, le contact de l'être de l'homme avec l'être de Dieu. Ou pour être plus précis encore, le ciel, vécu comme avenir de l'homme, avenir de l'humanité. Et l'Ascension en est le signe visible. Elle est la fête qui inaugure cet instant, qui fait exister ce Ciel. Et ce, à partir d'un départ. Or bien souvent les départs, surtout quand on aime, sont douloureux. C'est ce que les apôtres ont du vivre. Pourtant, constate un des auteurs favoris de mon adolescence, « lorsque vous vous séparez de votre ami, vous ne vous affligez pas ; car ce que vous aimez le plus en lui peut être clair en son absence, de même que pour l'ascensionniste la montagne est plus nette vue de la plaine ».

Le départ de Jésus vers les cieux ne signifie pas la fin d'une histoire mais plutôt le début de l'éternité, de notre éternité. Si Jésus n'était pas « monté » au ciel, il serait encore parmi nous, au milieu de nous, pire, extérieur à nous, comme je vous suis extérieur et comme vous m'êtes extérieurs. Son départ symbolise dès lors un nouveau mode de présence, non plus une présence proche, visible et à nos côtés mais plutôt une présence à la fois tout intérieure, universelle, hors frontière et hors du temps. Une vraie présence, vécue sur le mode de l'absence, un peu comme lorsque nous vivons un deuil, ce temps nécessaire pour que l'être disparu vive à jamais en nous.

Dieu, Père, avait sans doute compris que s'il laissait son Fils sur terre, nous autres, humains, nous nous serions sans doute infantiliser, nous aurions régresser puisqu'à chaque décision à prendre nous aurions pu l'interroger pour qu'il nous dise la bonne voie à prendre. Il n'aurait pas pu se tromper puisqu'il est Dieu... Notre vie sur terre serait plus facile à vivre mais à l'inverse, nous n'aurions plus été responsables de nos destinées. J'espère que Dieu refusera toujours d'écrire lui-même notre histoire. Je ne crois pas que Dieu ait véritablement un projet sur l'homme, par contre je suis convaincu que l'homme est le projet de Dieu. Voilà toute la différence. Dieu nous veut hommes et femmes, adultes responsables, construisant nous-mêmes notre histoire. Nous sommes des êtres reçus et en devenir. Le départ du Christ, son Ascension, est donc essentiellement de sa part le respect de notre liberté. Une liberté qui nous permet de construire notre avenir. Jésus nous a laissé un message, une tâche à accomplir. Nous avons un coeur et une intelligence, à nous de les utiliser dorénavant au service de notre humanité. C'est à nous qu'il appartient, en pleine responsabilité, de prendre les décisions qui conviennent pour l'avènement d'un monde plus humain, plus juste. Nous n'avons pas d'inquiétude à avoir, le Christ reste bien présent dans chacune de ces décisions humanisantes pour leur donner une dimension divine. En d'autres termes, nous pouvons dire, avec Varillon, que le Christ divinise ce que nous humanisons. Nous sommes liés à lui de la sorte dans cette intimité de Dieu que nous appelons Ciel.

Par son Ascension, le Christ s'en est allé et pourtant, c'est ainsi qu'il nous est le plus profondément présent. Comme le dit si bien Claudel, « il faut que je vous soustraie mon visage, pour que vous ayez mon âme ». Dorénavant nous vivons dans cette intimité divine, réconforté par la présence de l'Homme-Dieu. Que cet acte de foi, nous permette de vivre et d'agir en conséquence pour que la terre que nous laisserons aux générations futures soit plus humaine.

Amen.

Assomption de la Vierge Marie 

Auteur: Moore Gareth
Temps liturgique: Temps ordinaire
Année liturgique : A, B, C
Année: 1996-1997

Lc 1, 39-56

C'est une fête un peu curieuse. Pourquoi dire que Marie est déjà, corps et âme, auprès de Dieu au ciel ? Le ciel n'est finalement pas un lieu spatial, comme Rixensart, où des corps puissent s'installer. Mais c'est quand même une célébration très importante et significative. C'est une fête mariale, bien sûr, mais c'est aussi d'une certaine manière la fête de notre humanité, de notre humanité corporelle. Aujourd'hui nous célébrons le fait que Marie ait un corps.

Il y avait dans le christianisme, et il y a toujours, un certain mépris du corps. Bien sûr, on doit le nourrir, lui donner du repos, le soigner, mais à part cela le corps ne doit avoir aucune importance dans la vie spirituelle. On pouvait même, et on peut encore, considérer le corps comme un ennemi dans la vie spirituelle. On citait St Paul, qui dit que la chair s'oppose à l'esprit. Le corps est plein de dangers et de pièges ; il nous incline vers le mal. La paresse, la gourmandise, l'ivresse, la sexualité, trop souvent mal gérée et presque de nature ingérable, proviennent de notre corps, de notre chair. On serait plus serein, plus pur, plus spirituel, sans le corps. On tendrait beaucoup moins vers le péché, on serait beaucoup plus proche de Dieu, on serait plus sain et plus saint, si on était simplement une âme, si on n'avait pas à supporter le poids et les tendances charnelles du corps. Il n'est pas bête de penser comme cela. Il y a beaucoup de gens qui ont éprouvé leur corps comme un poids, et qui l'ont considéré comme une source de tentation et de péché, comme quelque chose qui les éloigne de Dieu, du spirituel. Il y a eu beaucoup de chrétiens qui pensaient et qui pensent ainsi, et on trouve cette veine de spiritualité dans plusieurs religions. Mais ce point de vue n'est finalement pas très chrétien. Et, qui est peut-être plus pertinent, il ne correspond pas à la réalité. Après tout, nous sommes notre corps. Si nous souffrons d'une maladie, c'est nous qui souffrons, pas simplement notre corps. Si on lutte contre son corps, on lutte contre soi-même. On pourrait dire que c'est une des spécificités et un des buts du christianisme - correctement conçu - qu'il nous libère de cette méfiance de nous-mêmes et de cette lutte contre nous-mêmes.

Si le corps était en vérité si non-spirituel, il serait étonnant que Dieu nous ait créés corporels ; et fait, en créant l'homme, Dieu n'a pas créé une âme qui, plus tard, s'est malheureusement attachée à la chair ; l'homme auquel Dieu a voulu donner l'existence était dès le début un corps animé. Si le corps était si non-spirituel, il serait plus étonnant encore que Dieu nous sauve, nous libère du péché, pas en nous libérant de la chair ou de notre nature corporelle, mais en la partageant. Il a pris notre chair en devenant homme et, tout particulièrement, il a pris la chair de Marie. Et c'était plus qu'une mesure provisoire. Il ne s'est pas débarrassé de son corps au moment de sa mort sur la croix ; sa résurrection était la résurrection d'un corps vivant, et son ascension au ciel était l'ascension d'un corps vivant. Dieu est l'ami de notre corps. Le corps n'est pas opposé au spirituel ; c'est dans le corps, qui est maintenant un corps de chair, que nous vivons notre spiritualité. Tous les sacrements en lesquels Dieu se donne à nous sont des gestes corporels, physiques. Nous nous approchons de Dieu en nous aimant les uns les autres, et cela implique que nous nous comportions physiquement d'une manière charitable. Il faut, par exemple, donner à manger à ceux ont faim. Si nous avons l'impression parfois que notre corps nous éloigne de Dieu, c'est aussi par le corps que nous sommes proches de Dieu. Dieu, qui est notre ami, est ami avec notre corps. C'est pourquoi il a pris chair de Marie. C'est aussi pourquoi nous voulons dire que, quand il a pris Marie à lui, il ne lui a pas enlevé son corps. Nous n'osons pas dire concernant les autres saints qu'ils vivent dans leur intégrité avec Dieu. Comme nous, ils doivent attendre la résurrection du corps. Mais nous osons dire que Marie était si proche de Dieu, et Dieu d'elle, qu'elle vit déjà en pleine amitié avec Dieu, et en pleine humanité, âme et corps.

Dimanche de Pâques

Auteur: Cochinaux Philippe
Temps liturgique: Temps de Pâques
Année liturgique : A, B, C
Année: 1996-1997

Jn 20, 1-9

 

Et elles ne dirent rien à personne, car elles avaient peur, conclut l'évangéliste Marc. Mais si elles n'ont rien dit, comment le savons-nous aujourd'hui. Voilà encore un secret bien gardé. De vraies commères de village. Sauf si nous acceptons qu'un secret est quelque chose que l'on ne raconte qu'à une seule personne à la fois. Concept tout à fait immoral, il va sans dire. Pourtant, elles ne dirent rien prétend Marc. Mission impossible. Qui d'entre nous serait véritablement capable de tenir sa langue face à un tel événement. Celui qui, depuis vendredi porte le nom de Crucifié, dorénavant peut se nommer, se proclamer Ressuscité. La résurrection, un événement qui a de quoi secouer l'ensemble de la planète.

Une chose est sans doute certaine, c'est que si Jésus, le Christ, n'était pas ressuscité, il y a peu de chance que nous en parlerions encore aujourd'hui. Nous ne serions sans doute pas ici ce soir ou encore chaque dimanche à la célébrer, à le remercier. Cet événement s'est-il réellement produit peuvent se demander certains ? La meilleure preuve que nous ayons est notre présence, signe d'une Eglise qui de par le monde entier vit depuis des années.

Avec la résurrection, nous touchons le coeur même de notre foi et de notre espérance en une vie éternelle. La résurrection est d'abord le signe de la mort de la mort. Cette dernière n'est plus une fin en elle-même, le terminus obligé de toute vie terrestre. Grâce à cet événement, nous croyons que nous avons commencé un chemin d'humanité qui durera de toute éternité. Que la mort, n'est qu'un passage obligé qui nous ouvrira vers le bonheur sans fin, telle peut être notre conviction de foi en ce ressuscité. Attardons nous quelques instants devant cet homme-Dieu, incarné, crucifié et ce soir ressuscité.

L'histoire du tombeau vide nous rappelle que Jésus n'est pas de l'ordre du souvenir, d'une parcelle de vie à garder dans notre mémoire. Il est d'abord et toujours cette présence. Comme le rappelait, il y a 15 jours Stéphane, les souvenirs font partie du passé. Ils risquent de nous enfermer dans une certaine nostalgie d'un temps à jamais révolu alors que la présence de Jésus, sa résurrection sont pour nous signes d'un projet d'avenir, d'un futur toujours possible à construire. Nous n'aurons sans doute pas assez de notre vie terrestre pour accomplir notre chemin d'humanité. Alors la résurrection nous invite à ne pas nous inquiéter, et à croire que nous avons toute l'éternité pour nous réaliser. Pas besoin de plusieurs vies pour y arriver, une seule nous suffit, celle qui nous a été donnée, celle qui continuera en présence visible du ressuscité.

Pâques que nous fêtons nous rappelle alors avant tout que Jésus n'est pas un personnage d'un livre, d'une bande dessinée ou d'un film mais est une présence vivante au coeur de chacune et chacun d'entre nous. Contrairement à ce que certains romanciers estiment, ce n'est pas suffisant d'étudier, de tenter de saisir l'histoire de Jésus comme n'importe quel autre personnage historique. Découvrir et étudier le Jésus historique est la première étape de notre démarche de foi mais elle n'aura de sens que si elle aboutit à une véritable rencontre. Le Christ devient ainsi le lieu même de la rencontre de Dieu. L'évangile nous invite à ne pas nous enfermer dans une connaissance de Jésus mais de véritablement partir à sa rencontre. C'est là toute la nuance entre connaître quelqu'un et le rencontrer. Toutes et tous nous connaissons tel personnage connu, le président des Etats-Unis mais très peu d'entre nous les ont vraiment rencontrés. La connaissance peut être de l'ordre du livresque, du théorique alors que la rencontre véritable est quelque chose de dynamique, de vivant. Si nous partons à la recherche d'un savoir sur le Christ sans désirer le rencontrer, nous passons alors tout simplement à côté de l'événement de la résurrection, de cette foi qui susurre au plus profond de nous-mêmes qu'il est vivant à jamais et qu'il nous offre les portes d'un paradis éternel.

Pâques devient pour nous ce soir l'histoire de cette rencontre sensationnelle, de ce projet que les mots ne peuvent préciser davantage. Pâques est la fête de la vie qui renaît au delà de toute incompréhension. Puisions-nous ce soir encore et chaque jour, nous laisser saisir par toutes ces nouvelles merveilles qui s'offrent à nous. Elles sont là, omniprésentes. A nous de nous arrêter pour les découvrir, les saisir et en vivre à jamais. Bonne fête de Pâques.

Amen.

 

Epiphanie

Auteur: Cochinaux Philippe
Temps liturgique: Temps de Noël
Année liturgique : A, B, C
Année: 1996-1997

Mt 2, 1-12

En cette fête de l' épiphanie, permettez-moi de vous offrir ce que certains appellent communément « une tranche de vie ». C'était il y a un peu plus de deux ans et nous venions de terminer une longue recherche sur l'éducation. L'autre était un homme que je considère comme ami et grand humaniste, certains d'entre vous le connaissent et l'apprécient. Il s'agit du Professeur Philippe de Woot de l'université de Louvain. Après avoir présenté les fruits de notre étude, nous nous sommes retrouvés dans un musée des beaux-arts et nous nous sommes arrêtés devant un tableau : Jésus au jardin des Oliviers peint par le Greco. Une oeuvre superbe. Et pendant plus d'une demi-heure, nous avons contemplé et commenté ce que nous voyions. Tranche de vie banale et sans intérêt pourront penser certains. Pourtant, je voudrais repartir de cette expérience toute simple pour comprendre ce que nous célébrons ce soir de l'épiphanie. Pour ce faire, je voudrais avec vous imaginer la Crèche comme un tableau, devant lesquels ceux que nous appelons les rois mages viennent s'agenouiller pour contempler, pour admirer.

Ici, cependant, il ne s'agit plus simplement de l'oeuvre d'un peintre, mais bien de l'oeuvre de Dieu. Or, à juste titre, constate Jean-François Bouthors, dans son livre Délivrez-nous du mal, dès l'instant où l'oeuvre est livrée, délivrée, dès qu'elle court sa propre existence, elle est aussitôt et totalement pour celui qui la reçoit. L'artiste en est dépossédé. Dieu en l'occurence. Il lui est interdit d'imposer une lecture, une interprétation, puisqu'il tendrait alors à s'approprier le regard de l'autre. En s'offrant à la Crèche, Dieu se dépossède donc de lui-même pour s'offrir pleinement à l'humanité toute entière, quelle que soit notre couleur de peau, notre richesse, notre intelligence. Une seule chose importe dorénavant, comme le rappelle si bien le conte que nous avons entendu : les sentiments du coeur.

Un peu comme lorsque nous écoutons une pièce de musique, une chanson que nous apprécions. Revenons alors à nos mages. Ils ont vu l'oeuvre de Dieu. Dieu s'est dévoilé à la Crèche. Mais ce dévoilement n'est pas suffisant et ne servirait à rien s'il ne parvenait pas à toucher le coeur de ceux qui viennent admirer. Voilà alors le deuxième mouvement de cette rencontre entre l'oeuvre et les mages : leurs regards doivent aussi engager tout leur être, faute de quoi la vibration de l'oeuvre ne trouverait pas en eux l'espace nécessaire à son existence. Recevoir un tableau, une oeuvre et pourquoi pas tout simplement la Crèche exige donc que nous nous démasquions, que nous sortions de nos retranchements, que nous mettions à bas les défenses dont nous nous sommes entourés, que nous acceptions le risque d'être nous-mêmes, que nous encourions celui de nous découvrir, dans tous les sens du verbe. Devant la Crèche, ce soir encore, nous sommes invités à nous dépouiller de nos faux semblants. Laissons venir au jour, ne fut-ce que quelques instants, nos sensations, nos pulsions, nos émotions. De la sorte s'établit une relation entre l'oeuvre et nous tous par laquelle l'oeuvre s'achève.

Comme le rappelle l'histoire des rois mages, devant l'oeuvre de la Crèche personne n'est exclu, mais chacune et chacun a le droit de s'exclure. Et l'exclusion est avant tout une affaire de coeur. L'Enfant-Dieu n'a que faire de nos présents si notre coeur est encombré de sentiments négatifs, condescendants, voire méprisants. Dieu attend en sa demeure des être humains au coeur léger, qui peuvent encore s'émerveiller de sa beauté. Dostoïevski, à juste titre, peut alors s'écrier par la voix de l'Idiot : « la beauté sauvera le monde ». L'oeuvre culmine lorsqu'elle assume le destin dramatique de l'homme et de la femme aujourd'hui, même si elle a été créée et offerte il y a bientôt deux mille ans. Elle entrouvre la possibilité pour celles et ceux qui osent encore s'émerveiller la possibilité d'un retour à l'harmonie véritable par le don de soi. La Crèche est ainsi posée comme acte d'espérance. Puissions- nous ce soir, donner un peu de nous-mêmes devant cette Crèche et comme les rois mages, offrir à Dieu tout simplement ce que nous sommes.

Amen.

Fête de la Dédicace

Auteur: Berten Ignace
Temps liturgique: Temps ordinaire
Année liturgique : A, B, C
Année: 1996-1997

« Vous êtes la maison que Dieu construit »

Frères et s½urs, « vous êtes la maison que Dieu construit », nous dit saint Paul en ce jour où la liturgie célèbre la dédicace de la basilique du Latran. Sans doute beaucoup d'entre vous se demandent : mais qu'avons-nous donc à faire avec cette basilique romaine ? Et n'y a-t-il pas quelque chose d'un peu incongru de nous faire entendre cette parole forte de saint Paul : nous sommes la maison que Dieu construit, et le texte de l'Évangile de Jean, dans lequel Jésus annonce que le Temple sera détruit et que le vrai temple c'est son corps, en nous invitant à commémorer le jour où, il y a environ 1650 ans, a été inaugurée une basilique à Rome ?

Cette apparente contradiction nous invite sans doute à penser que cette fête de la basilique du Latran est celle d'un symbole. Mais alors que nous suggère ce symbole ? Le Latran nous invite à un décentrement. Cette basilique est la cathédrale de l'évêque de Rome, celui qui est appelé à présider à la charité de toutes les Églises, selon une expression de saint Irénée au 2e s. Cette basilique n'est pas la basilique Saint-Pierre, ce puissant édifice, centre très visible de l'Église catholique romaine. C'est une basilique du 4e s., bien plus ancienne donc que celle de Saint-Pierre, à une époque antérieure aux grandes ruptures de l'Église, quand le siège de Rome était modestement signe de communion et d'unité.

Cette messe festive s'est ouverte par un choeur de l'Église orthodoxe qui nous a introduit à la prière. Il nous dit aussi que nous sommes appelés ensemble à construire l'unité de l'Europe, aujourd'hui, après tant de siècles de divisions, de violences et de guerre et en cette fin du vingtième siècle au cours duquel la barbarie collective n'a jamais été aussi loin dans sa folie. Ce ch½ur vient nous rappeler surtout, dans cette liturgie, que faire l'union des Églises, ou plutôt établir une communion véritable dans la foi entre les Églises, est une tâche pour nous aujourd'hui, une tâche urgente.

L'image du temple qui est présente dans les trois lectures évoque une triple réalité, ou plutôt trois dimensions du projet de Dieu, tel qu'il se révèle en Jésus-Christ.

D'abord, pour nous tous chrétiens, le lieu premier de la rencontre de Dieu, c'est le Christ : il est notre véritable temple. Dans l'Évangile de Jean, Jésus chasse les vendeurs et les changeurs du Temple de Jérusalem, en les accusant d'avoir transformé la maison de Dieu, son Père, en une maison de trafic. Ce Temple est appelé à être une maison de prière pour toutes les nations, selon le texte parallèle de l'Évangile de Marc. Dans le passage que nous venons de lire, Jésus ajoute que le véritable temple, c'est son corps. Le Temple, - et à sa suite toute basilique, toute cathédrale, toute église ou chapelle, - est donc appelé à être une maison ouverte où toutes les nations, c'est-à-dire tous indistinctement, puissent librement venir à la rencontre de Dieu. Maisons de prière et d'accueil, signe de communion fraternelle au c½ur ce l'humanité. Modestement, ces messes festives peuvent être un signe de cette vocation de nos églises. Mais quel chemin il y a encore à accomplir pour le christianisme dispersé et divisé. Qu'on pense simplement à Jérusalem, où aujourd'hui encore les différentes confessions chrétiennes se disputent les églises jusqu'à en venir parfois aux mains, au point où il arrive que la police israélienne doivent intervenir pour rétablir le calme ! Mais nos cathédrales, tout comme nos églises de villes ou de villages, ne peuvent être que des signes, signes matériels nécessaires de rassemblement et de foi, mais signes relatifs. Car l'essentiel est ailleurs. Quand la Samaritaine vient interroger Jésus et lui demande où il faut adorer Dieu, dans le Temple de Jérusalem ou dans le temple concurrent construit sur le mont Garizim, Jésus lui répond que ce n'est dans aucun de ces deux bâtiments, signes de la division, mais bien en esprit et en vérité. Jésus est venu faire sauter toutes les barrières de la haine. Son corps a été cloué sur la croix par la haine et l'incompréhension. Ressuscité, vivant spirituellement au milieu de nous, il nous invite tous, au-delà de toutes nos différences et des histoires douloureuses qui ont pu nous opposer, à rencontre Dieu par lui, à reconnaître ensemble que Dieu est notre Père, et que donc tous nous sommes frères et s½urs. Les divisions existent entre confessions chrétiennes, entre religions, entre ceux qui adhèrent à une religion et ceux qui n'y adhèrent pas, entre ceux qui croient en Dieu et ceux qui n'y croient pas, mais nous sommes une seule et même humanité, appelée par Dieu à vivre dans la paix.

Le temple, c'est ensuite et aussi l'image de l'Église. Le corps vivant du Christ aujourd'hui, c'est l'Église : non pas l'Église catholique romaine, mais la grande Église, dont les diverses Églises chrétiennes sont les fragments dispersés. Le temple évoqué par le prophète Ézéchiel est l'image de cette Église. Du temple coule une source qui devient torrent, puis fleuve, et descend vers la Mer Morte, cette mer qui porte ce nom parce que ses eaux sont tellement salées que rien ne peut pousser sur ses bords. Et voici que ce lieu devient verdoyant, plein de vie. Les Églises sont appelées par Dieu à être dans le monde porteuses de vie. La liturgie d'aujourd'hui nous invite à nous arrêter sur une dimension de ce service de vie. L'un des défis du présent est celui de construire la maison commune pour tous les Européens, selon une expression d'un humaniste communiste artisan de paix, Mikhaïl Gorbatchov, afin que plus jamais entre nous il ne puisse y avoir de guerre et afin que tous connaissent des conditions de vie dans la dignité. Les Églises assument une responsabilité importante dans ce projet de paix, responsabilité partagée avec les autres traditions religieuses et humanistes, mais aussi responsabilité propre et spécifique. Notre Europe est divisée. Pendant un demi-siècle, nous avons cru que la division majeure était celle du Mur de fer ; nous avions cru, après 1989 et la chute du Mur de Berlin, que tout deviendrait facile. Nous découvrons aujourd'hui qu'il y a une fracture beaucoup plus ancienne marquée par la séparation entre l'Europe latine, l'Europe catholique, protestante et laïque, et l'Europe gréco-byzantine. Ces deux traditions spirituelles et culturelles ont aujourd'hui beaucoup de difficulté à se parler et à se comprendre, et ce dialogue est d'autant plus difficile que les Églises d'Europe centrale et orientale portent en elles toutes les blessures infligées par des décennies de communisme totalitaire. Pour les Églises d'Europe centrale, de tradition catholique ou protestante, la chose est moins difficile, parce qu'elles peuvent plus facilement s'appuyer sur les Églises occidentales. Les Églises orthodoxes, elles, sont en position de faiblesse, et se sentent facilement menacées par notre puissance et parfois notre arrogance. Comment pouvons-nous, comme chrétiens, témoigner de la paix et de la recherche d'unité, si humblement nous ne sommes pas capables de chercher à nous comprendre vraiment dans la confiance, en nous enrichissant de nos différences. Il nous faut apprendre à adorer ensemble, en esprit et en vérité, comme nous le demande Jésus.

Enfin, il y a cette troisième dimension que nous rappelle saint Paul : « Vous êtes le temple de Dieu... le temple de Dieu est sacré, et ce temple, c'est vous. » Vous êtes le temple de Dieu, dit-il, parce que l'Esprit de Dieu habite en vous. Par son Esprit, Dieu est à l'½uvre parmi nous et en nous. Depuis le Concile de Vatican II, nous savons que Dieu agit librement dans l'Église et au-delà des frontières des Églises : l'humanité est la maison que, peu à peu, Dieu se construit par son Esprit, cette maison dont nous sommes des pierres vivantes. Et en ce sens, nous dit saint Paul, nous sommes tous et chacun temple de Dieu, et le temple de Dieu est sacré. Et Paul est tranchant dans son expression : « Si quelqu'un détruit le temple de Dieu, Dieu le détruira. » Tout être humain est sacré. Comme disciples du Christ, comme membres de l'Église, nous sommes appelés à être témoins de cette dignité de toute personne humaine. Le sabbat est fait pour l'homme et non l'homme pour le sabbat : toutes les institutions sont faites pour l'homme, y compris l'économie. Il nous faut être porteurs de cette préoccupation permanente : comment humaniser nos institutions, l'école et l'hôpital, l'administration et l'entreprise, et le système financier ? Nécessaire préoccupation politique, mais aussi humble pratique quotidienne à notre niveau propre de responsabilité, afin de commencer à faire de notre humanité, ici et maintenant, une demeure pour Dieu.

Être le temple de Dieu, c'est aussi la vie de tous les jours, la délicatesse dans l'attention à l'autre, quel qu'il soit, proche parent ou ami, voisin, collègue de travail. Quand Jésus rencontrait un malade, un homme ou une femme écrasé par la culpabilité, un pauvre, un riche centré sur lui-même, le c½ur était touché et s'ouvrait, et Dieu se faisait tout proche comme un rayon de soleil éclairant l'existence. Le Christ nous fait don de son Esprit : chacun d'entre nous, s'il s'ouvre à cet Esprit, peut être un peu ce temple où l'autre peut venir s'arrêter, être accueilli en se sentant chez lui, maison ouverte pour la rencontre et pour la prière.

Ainsi pourrons-nous être des pierres vivantes de cette demeure à construire, en cherchant à vivre ensemble heureux dans les différences et dans le respect des cultures, et nous construirons peu à peu la maison commune européenne, tout en retissant les liens de communion entre nos Églises séparées.

Jeudi Saint

Auteur: Delavie Bruno
Temps liturgique: Triduum pascal
Année liturgique : A, B, C
Année: 1996-1997

Le repas de ce soir, la mort demain et le matin de la résurrection sont les phases d'un même mystère : c'est l'heure de Jésus. Dans sa conscience, tout se résume dans cette réalité : "il passe de ce monde à son Père " un passage à la fois douloureux et heureux. La seule explication de cet aspect douloureux est l'amour. Un amour qui va jusqu'au bout : 'Ayant aimé les siens qui étaient dans le monde, il les aima jusqu'au bout".

Dans certaines cultures, en plus de son utilité biologique et sociale, le repas remplit divers fonctions symboliques. Les deux premières lectures de ce soir rendent compte de la signification religieuse que juifs et chrétiens reconnaissent à certains de leur repas.

Ainsi, l'Exode nous décrit le repas rituel de la Pâque juive, célébré chaque année en souvenir de la sortie d'Egypte. Le texte invite les convives à prendre ce repas de fête "en toute hâte, la ceinture aux reins, les sandales aux pieds et le bâton à la main. Pourquoi cette précipitation ? Si non parce que l'on fête le "passage" du Seigneur, lequel entraîne son peuple vers le pays de la liberté.

Evoquant le repas comme mémorial de la mort du Seigneur Jésus, Paul s'indigne des dérives qui méprisent le Ressuscité dans la personnes des affamés de la famille chrétienne de Corinthe.

Jean, de son côté, afin de sauvegarder la pureté du souvenir de Jésus et par conséquent l'authenticité des rites chrétiens, substituera au récit de l'institution du repas un geste-testament : le lavement des pieds. Or, en ce temps-là, ce service était réservé aux esclaves. L'auteur précise que Jésus qui s'apprêtait à accomplir ce geste servile "savait qu'il était venu de Dieu et qu'il retournait à Dieu " ' Il place ainsi le Verbe éternel fait chair en situation d'esclaves au pieds de ses amis. L'incident de Pierre essayant de refuser ce service met en évidence cette signification. La réponse de Jésus "Si je ne te lave pas, tu n'auras point de part avec moi", montre que le refus de ce geste déconcertant équivaudrait à un rejet de l'envoyé de Dieu lui-même, dont toute la vie terrestre fut un service...

"C'est un exemple que je vous ai donné, dit Jésus, afin que vous fassiez, vous aussi, comme j'ai fait pour vous. " Voilà donc ce que devrait être l'attitude des convives du repas du Seigneur. Le sens profond de l'eucharistie est de rassembler des hommes animés de l'esprit de service. Le sacrement ne peut être réduit ni à un rite magique ni à un repas sacré. Il devrait être signe d'unité et construction d'une communauté d'amour ou chacun se met au service de tous les autres, à commencer par les plus pauvres.

Dans le Nouveau Testament, d'autres récits nous rapportent des conflits, des oppositions qui auraient pu être mortelles pour les jeunes communautés. Ce qui ramènera l'unité, c'est toujours le souvenir de Jésus, de ses paroles et de ses choix. Paul, dans l'épître aux Galates nous garde ainsi le souvenir d'une décision "oecuménique" à l'issue d'un débat violent qui pouvait ruiner l'élan missionnaire des jeunes églises. Les adversaires ont surmontés leurs divergences en reconnaissant que c'est l'homme, vulnérable, blessé, le pauvre, qui sans discussions doit réunir les chrétiens, les églises, pour le service et le partage. 'Jacques, Cephas et Jean nous donnèrent la main en signe de communion, afin que nous allions vers les païens, eux vers les circoncis. Simplement nous aurions à nous souvenir des pauvres, ce que j'ai eu bien soin de faire.

La Croix Glorieuse

Auteur: Braun Stéphane
Temps liturgique: Fêtes du Seigneur et Solemnités durant l'année
Année liturgique : A, B, C
Année: 1996-1997

C'est une curieuse histoire que celle de ce serpent de bronze auquel fait allusion Saint Jean dans son Evangile. En fait, les Israëlites, emmenés par Moïse après leur fuite d'Egypte, sont encore loin de la terre promise. Ils sont dans le désert. La route est difficile. Les rouspétances et la zizanie commencent à s'installer parmi eux. Leur confiance en Moïse, et donc en Dieu, s'affaiblit. Le livre des Nombres nous raconte alors que Dieu, après avoir envoyé des serpents pour mordre les Israëlites et les punir de leur manque de confiance, a demandé à Moïse de fabriquer un serpent en bronze et de le placer au dessus d'un mat pour que tout le monde le voie et se rappelle que c'est Dieu leur vrai guide.

Le serpent de bronze est donc un signe envoyé par Dieu à son peuple pour lui rappeler qu'il doit lui faire confiance et que cette confiance peut guérir des morsures. Dans l'Evangile, Saint Jean fait le rapprochement en disant qu'il faut aussi que le Christ soit élevé ( comme le serpent sur le mat ) pour que l'on croie en Lui. Saint Jean nous dit par là qu'il faut que le Christ, après avoir vécu parmi nous, soit élevé sur la croix et, par la même, vers son père.

Mais pour nous, quel est vraiment le signe de cette croix ? Quand, sur le quai d'une gare, ou à l'aéroport, je fais des grands gestes d'adieu à un ami ou à un être cher, il se passe entre nous deux des tas de choses qu'on ne peut exprimer : c'est peut-être la tristesse d'une séparation, c'est peut-être l'inquiétude d'un départ vers l'imprévu, c'est peut-être la confiance ou l'espoir d'un départ vers un nouveau projet ou que sais-je encore ?

Tant que mes gestes sont vus du passager, il y a connivence, communication entre nous, même sans nous parler. Le geste d'adieu que je fais vers mon ami est un signe que je lui envoie, car entre nous il se passe quelque chose. Après le premier tournant, nous ne nous voyons plus. Mes gestes perdent leur sens.

Ils ne sont plus reçus et, donc, ne sont plus un signe. Saint Jean nous dit que Jésus sur sa croix est pour nous le signe envoyé par Dieu à condition que nous le recevions et que donc, une connivence s'établisse entre Jésus et nous. Sinon, sa mort n'a pas de sens.

Je peux comprendre et accepter ce que dit Saint Jean, comme je peux comprendre, si on me l'explique, que la terre tourne autour du soleil. Mon acceptation est intellectuelle mais ne change pas nécessairement ma vie. Mais alors, cet homme Jésus sur une croix, qu'est-ce que cela m'a fait vraiment ? Quel est ce signe que je reçois ? Qu'est ce qui se passe entre lui, Jésus, et moi ? Comme avec mon ami sur le quai ? Et c'est là que cela commence à devenir extraordinaire ! Car je crois que l'homme a en lui quelque chose d'extraordinaire ! Il est capable d'aimer, de parvenir à faire en lui au fond de lui-même, de la place pour quelqu'un d'autre. Une vraie place qui parfois nous encombre, nous fait mal, nous ronge de l'intérieur jusqu'à nous rendre physiquement malade. Mais aussi qui peut nous stimuler, nous enthousiasmer, nous faire reculer nos limites.

Je crois profondément que cette capacité d'aimer que nous avons tous en nous c'est quelque chose de Dieu en nous. Quelque chose que nous avons le pouvoir de faire vivre. Quelque chose qui parfois nous envahit, nous rapproche de Dieu en ressemblant à cet homme Jésus. Ce Jésus, homme comme vous et moi, dans lequel, à l'intérieur duquel, aimer ou Dieu ( c'est la même chose ) a pris tellement de place, qu'on dit qu'il est fils de Dieu !

Cet homme, appelé Jésus, nous propose un choix de vie pour être, avec lui, nous aussi, des fils de Dieu. Et je crois que communier à son corps et à son sang c'est partager avec lui ce corps capable de recevoir Dieu et lui laisser de plus en plus de place. J'ai envie de dire que cet homme Jésus a tellement aimé, a été tellement envahi par Dieu, qu'à un moment donné, son corps n'avait plus d'importance. Il avait laissé Dieu, en lui, prendre toute la place. Sur la croix, il ne reste que Dieu. En langage humain on dit que sur la croix le Christ a rejoint la gloire de son Père. Je crois que c'est cela le message de connivence avec Jésus dont nous parle Saint Jean, que c'est cela le signe de la croix.

Noël

Auteur: Cochinaux Philippe
Temps liturgique: Temps de Noël
Année liturgique : A, B, C
Année: 1996-1997

Il avait pris sa plus belle plume d'ange et dans un ciel étoilé, il inscrivit avec des lettres de lumière : Voici que je viens annoncer une bonne nouvelle : aujourd'hui vous est né un Sauveur. Laissons résonner en nous cette musique comme si nous l'entendions pour la première fois. Une bonne nouvelle raconte les astres lumineux. Mais une nouvelle, c'est quelque chose qui vient changer la vie. Une bonne nouvelle, c'est du bonheur prêt à germer. Aujourd'hui, ce qui rend le coeur léger c'est l'annonce d'une naissance : Jésus, Dieu s'est fait homme né d'une femme. Dieu habite dorénavant parmi nous. Il réside en nous. Depuis des millénaires, des générations d'hommes et de femmes ont cherché Dieu à tâtons. Ils ont rêvé, espéré, imaginé un certain type de Dieu. Celui qui évidemment risquait de ne pas trop les remettre en cause, Celui qui leur dirait ô combien ils avaient bien agi jusqu'ici. On attendait un Dieu tout-puissant, un Dieu inconnu, un Dieu de splendeur et de majesté, un Dieu bien éloigné. Un Dieu qui laissait peu de place pour l'imprévu.

Et Marie met au monde un bébé, un petit bout d'homme, fragile comme tous les nouveaux-nés. Cela n'a rien d'extraordinaire : sur notre terre, il y a à chaque seconde une femme qui accouche. Et une naissance change tout. C'est la nouvelle la plus extraordinaire qui soit, c'est la plus belle histoire qui commence puisque c'est celle de la Vie, de notre vie. Cela ressemble même un peu à un conte de Noël ! Mais... nous est-il permis de nous laisser bercer par un conte lorsqu'on songe à l'étrange situation dans laquelle nous nous trouvons ?
-  aux « affaires » qui secouent notre pays depuis des mois ;
-  aux familles déchirées dans leur amour par un départ, une perte ;
-  aux foules abandonnées sur les routes de l'exil dans la région des Grands lacs ;
-  aux réfugiés à nos portes ici à Rixensart ;
-  à toutes celles et tous ceux que la violence, le chômage, le surendettement plongent dans le désespoir.

Il n'y a donc plus d'avenir pour notre humanité. Noël devient soudainement bien sombre. Pourtant, pourtant tout comme il y a deux mille ans, Jésus vient habiter nos vies et notre monde d'aujourd'hui dans toute leur épaisseur humaine. Alors, dites, dites et si c'était vrai... comme le chantait Jacques Brel. Dites, si c'était vrai que nos fragilités, nos vulnérabilités, nos ténèbres étaient encore et toujours le lieu même où brille l'Etoile de Noël, si c'était vrai que nous devenions la terre où germera celui que nous appelons Sauveur. Comme si, en ce jour, l'Enfant Dieu sommeille en nous et nous entraîne vers l'incroyable, l'inouï.

Noël, un mystère bien compliqué pourrions-nous penser, pourtant il a été révélé à de simples bergers. Et eux, ils ont tout de suite compris le sens de cette Etoile qui a brillé plus fortement que les autres. Quelle drôle d'idée pour Dieu de se faire bébé. Etonnant, surprenant, mais ô combien merveilleux : Dieu aujourd'hui, dans toute sa fragilité de nouveau né, se laisse prendre dans nos bras. Il nous invîte à nous émerveiller. Dieu si petit, si tendre. Dieu qu'on a peur de laisser tomber. Dieu qui nous fait fondre et qui nous laisse vivre nos sensibilités les plus profondes. Dieu qui nous fait vibrer aux cordes de nos paternités et maternités. En cette fête de Noël, Dieu s'offre à nous tout en sentiment. Dieu s'est fait homme et l'homme devient ainsi Dieu. Un Dieu de bonheur fascinant qui nous rappelle que la vie ne s'écrit pas, ne se raconte pas d'abord mais se vit. La vie, ma vie, c'est à moi de la créer. Et Dieu en se faisant homme nous offre une telle possibilité. Je suis l'auteur et le conteur de la plus belle histoire du monde, celle que je ne me lasserai jamais de composer puisqu'elle dit tout simplement un peu de moi et un peu de Dieu. Je n'ai plus besoin de rêver, de jouer à ces super héros adulés. Je peux créer mon histoire avec mon héritage fait de forces et de fragilités. Et pourquoi m'en ferais-je puisque je suis appelé à être Dieu, même dans mon humanité.

Au risque de nous répéter mais Noël est bien ce conte merveilleux. Avec une petite différence : notre histoire, elle s'est vraiment produite, il y a bientôt deux mille ans. Pour nous rejoindre, Dieu a choisi la nuit, la fragilité, l'insécurité. En ce moment de Noël, la toute-puissance de Dieu prend le visage, le corps d'un Enfant tout petit, désarmé, vulnérable... Ces chemins ne seraient-ils pas l'Etoile qui illumine notre aujourd'hui nous qui sommes poussières d'étoiles...

Amen.

Saint Pierre et Saint Paul

Auteur: Cochinaux Philippe
Temps liturgique: Temps ordinaire
Année liturgique : A, B, C
Année: 1996-1997

Dans les couloirs du Vatican, on raconte l'histoire suivante : lors d'un déjeuner, où les supérieurs des grands ordres religieux avaient été invités, le pape Jean-Paul II posa la question suivante au père Arrupe, Général des Jésuites et par ailleurs, homme tout à fait remarquable : Père, que pensez-vous de l'Opus Dei ? Le père Arrupe ayant eu une bonne formation dans son Ordre répondit au saint Père en ces termes : j'ai entendu dire..., on dit que, certains pensent que... Le pape reprit sa question : Père, je ne vous ai pas demandé ce que les autres pensent de l'Oeuvre mais ce que vous en pensez ? A cette question, le père Arrupe répondit quelque chose. Mais, je vous le dirai à la fin de l'eucharistie pour garder un peu de suspens. C'est cependant à cette histoire précise que je pense lorsque je relis l'évangile de ce jour, comme si la question posée à Pierre, était également envisagée pour nous autre aujourd'hui. « Et vous, qui dites vous que je suis ? » Face à une telle question nous prenons conscience que notre connaissance de Jésus ne peut jamais être de seconde main. Un homme, une femme peut être capable de passer un examen sur ce qui a été dit et pensé à propos de Jésus ; il peut connaitre toutes les paroles du Christ ; il peut avoir lu les livres du monde entier écrit sur la personne de Jésus et ce, par les plus grands théologiens que la terre ait jamais connue et même dans toutes les langues, sans pour autant avoir la foi. En effet, croire ne peut pas simplement se résumer à la récitation d'un credo : ce serait trop facile, trop simple ; croire c'est avant tout connaître une personne. Ce n'est pas avoir une connaissance à propos d'un être humain, en l'occurence Jésus, non avoir la foi, c'est plutôt connaître le Christ. Tout part d'une rencontre personnelle. A cette question : « et vous, qui dites vous que je suis ? », le Christ n'attend pas de nous une réponse encyclopédique, rationnelle, bien structurée. Il espère tout simplement une réponse c'est-à-dire notre réponse.

Et je suis certain que si j'interrogeais chacun et chacune d'entre nous, nous aurions des réponses variées à cette question concernant Jésus. Et c'est tant mieux, cela signifie qu'aucun d'entre nous ne pourra jamais l'enfermer dans les catégories que nous lui donnons. J'aime alors à me rappeler cette image du mystique dominicain du 14ème siècle, Maître Eckart : Dieu, écrit-il, se rencontre dans son vestiaire, c'est-à-dire lorsque nous l'avons dépouillé de tous les qualificatifs dont nous l'affublons et qui l'emprisonne. Dieu, qu'il soit Père ou Fils, ne se laisse pas saisir, maîtriser. Il se laisse rencontrer. Là est toute la différence. C'est cette rencontre intime, personnelle qui nous conduit à avoir des approches différentes de Jésus. Or la vie nous montre que toute rencontre évolue, se transforme au fil des années.

Dès lors, à la question « Et vous qui dites vous que je suis ? » : je puis répondre ceci aujourd'hui. Jésus est homme et Dieu. Tellement homme qu'il est Dieu. Toutes et tous nous avons été créés « capables de Dieu ». Notre destinée, notre objectif, en tant qu'être humain est quelque part pour nous aussi de « devenir Dieu ». Sur notre chemin d'humanité, au coeur de notre solitude, le Christ s'offre à nous dans la rencontre interpersonnelle. Il nous guide, nous propose des voies possibles pour grandir. Il nous invite à nous dépasser constamment, sans jamais nous demander d'aller au-delà de nos propres forces. Il accepte nos errances et sans jamais nous condamner, nous convie à reprendre notre chemin d'humanité. Jésus, se découvre et se révèle donc bien dans une rencontre personnelle. Même si nous passons par des temps de déserts et de doute, il me semble prêt à reprendre le dialogue chaque fois que nous le souhaitons. En étant tellement homme, il nous montre la possibilité de devenir tellement Dieu. Il est le Fils du Dieu vivant.

Le Jésus dont j'avais envie de vous parler ce soir (matin) est un Christ empreint d'humanité. Il est celui que je rencontre aujourd'hui sur mon propre chemin. Cependant, je reconnais qu'il est peut-être loin du vôtre. Alors il ne vous reste qu'à répondre vous-mêmes à cette question de Jésus : « Et vous, qui dites vous que je suis ? ».

Amen.

Tous les Saints

Auteur: Moore Gareth
Temps liturgique: Temps ordinaire
Année liturgique : A, B, C
Année: 1996-1997

"Heureux les pauvres de coeur... heureux ceux qui pleurent... heureux ceux qui sont persécutés pour la justice..."

Elles sont belles, ces paroles de Jésus. Mais sont-elles vraies ? Nous approuvons tous, sans doute, les sentiments de Jésus, ils sont très chrétiens ; mais est-ce qu'ils correspondent à la réalité. Sont-il vraiment heureux, les doux, les miséricordieux, les artisans de paix et les autres dont Jésus parle ? Notre expérience humaine ne nous montre-t-elle pas que c'est trop souvent le contraire qui est le cas ? Ce n'est pas les doux, les humbles et les miséricordieux qui héritent de la terre, mais les violents, ceux qui insistent pour se mettre devant tous les autres, ceux qui sont prêts à s'approprier les biens des autres pour s'enrichir. Dans les mondes politique, commercial et industriel, c'est trop souvent ceux qui mentent et exploitent les plus faibles qui réussissent, qui deviennent heureux. Ils sont riches, bien habillés, bien soignés, bien protégés, ils peuvent faire comme ils veulent, ils peuvent avoir ce qu'ils désirent. Ils peuvent vivre à leur aise. C'est ça, le bonheur. L'humilité est une faiblesse, et la vie est pour les forts. Les humbles et les généreux risquent plutôt de tout perdre, d'être exploités. Ce n'est pas ça, le bonheur. C'est plutôt la misère. Comment Jésus peut-il dire que de telles personnes sont heureuses ? Il est évident que, dans le monde d'aujourd'hui, ceux que Jésus appelle heureux sont souvent ceux qui souffrent le plus. Mais n'oublions pas que c'était évident à l'époque de Jésus aussi. Il était entouré par le bonheur des riches, des forts, des violents et par le malheur des pauvres, des faibles, des doux. Les persécutés de n'importe quelle époque sont malheureux, et Jésus le savait comme nous ; pourtant il dit : "Heureux ceux qui sont persécutés pour la justice". Nous contemplons ce texte à la fête de tous les saints, et nous savons que beaucoup des saints ont souffert terriblement, ont été persécutés, même torturés, et les torturés ne sont pas heureux ; c'est ça le but de la torture.

Comment l'expliquer ? Quand Jésus parle du bonheur, il ne parle pas de ce qu'on possède. Il savait comme nous que les miséricordieux et les coeurs purs peuvent être pauvres et exploités. Il ne parle pas non plus des circonstances de la vie, de ce qui peut arriver à quelqu'un. Il savait comme nous que les justes et les doux peuvent souffrir terriblement, qu'ils peuvent être gravement malades ou torturés ou abandonnés. Toutes les horreurs que peuvent souffrir les méchants peuvent arriver aussi aux saints. Jésus parle plutôt de ce qu'on est. Etre heureux, c'est réussir. Si on peut réussir dans le monde, réussir à avoir, on peut réussir aussi à être, à être vraiment humain, à créer une belle vie. Pour un vrai artiste, il est beaucoup plus important de parvenir à créer de la beauté que de devenir riche et puissant ; c'est ça son bonheur. Peut-être qu'il doit faire un choix entre les richesses et son véritable bonheur, d'être artiste. L'analogie a ses limites, mais on pourrait dire que, pour Jésus et ses disciples, la vraie oeuvre d'art est la vie elle-même. Les richesses sont bonnes, elles contribuent beaucoup au bonheur humain. On peut souhaiter devenir un peu riche. Mais comment ? On a un choix dans la vie. Si on a de la chance, on peut devenir riche en volant, en mentant, peut-être en tuant ; on peut garder ses richesses en étant aveugle aux besoins des autres. Ces actions vicieuses peuvent vraiment contribuer au bonheur de quelqu'un. Si on contemple un criminel qui a réussi dans la vie, qui est riche et puissant, on peut se dire qu'on aimerait avoir son argent et vivre comme lui, entouré de tous les signes du succès. Mais quand on dit qu'on aimerait vivre comme lui, cela n'inclut pas le fait de voler, de mentir, d'exploiter, d'assassiner. On voudrait bien avoir ce qu'il a, mais on veut pas être le type de personne qu'il est ; on ce sens, on ne voudrait pas vivre comme il vit. Un tel homme n'est pas l'homme modèle. Etre comme cela, vivre comme cela, est rater la vie, quel que soit le profit qu'on en tire. Si on vit ainsi, même si on gagne le monde entier, on perd son âme. Dans un sens profond, ce criminel est misérable, même s'il est très content d'être comme il est. En le contemplant, on contemple une vie déformée ; quand il se regarde dans le miroir, il regarde une vie laide, déformée et ratée, même s'il ne peut plus le voir, même si son image lui fait plaisir. S'il faut devenir comme lui pour être riche, mieux vaut rester pauvre. S'il faut être comme lui pour bien manger, mieux vaut avoir faim. D'autre part, personne ne veut être persécuté, même pour la justice ; être persécuté ne rend pas heureux. Mais on peut être, vivre, comme ceux que l'on persécute. S'il faut rater la vie pour éviter la persécution, mieux vaut être persécuté.

Le bonheur dont parle Jésus est le bonheur de voir ce qui est vraiment humain et de pouvoir faire le bon choix, le choix de vivre humainement, de na pas rater la vie, même si ce choix entraîne le malheur, même s'il entraîne beaucoup de souffrance, même s'il entraîne la mort. Les saints que nous célébrons aujourd'hui sont ceux qui ont réussi dans la vie par la grâce de Dieu, tout en se livrant, comme Jésus, à la mort ou en souffrant la pauvreté, la solitude, la faim, la persécution. C'est pourquoi nous pouvons les appeler, comme Jésus les appelle, heureux.

Veillée pascale

Auteur: Moore Gareth
Temps liturgique: Triduum pascal
Année liturgique : A, B, C
Année: 1996-1997

Marie Madeleine, Marie, mère de Jacques, et Salomé, pourquoi s'enfuient-elles du tombeau, de quoi ont-elles peur, cette peur qui les rend silencieuses, de sorte qu'elles ne disent rien à personne ?

Pour nous, cette nuit est une nuit joyeuse, parce qu'elle marque le début de Pâques, où nous célébrons la résurrection de Jésus, qui nous donne la vie. Mais pour elles, ce premier matin de Pâques n'était pas un moment de joie.

Ce n'est pas difficile à comprendre. Imaginez-vous que quelqu'un que vous aimez, et qui est mort, ressuscite. Est-ce que ce serait de la joie pure ? Je ne le crois pas. La mort est un aspect douloureux de notre vie, qui nous touchera tous, et qui touchera aussi, ou a déjà touché, tous ceux que nous aimons et qui nous aiment. C'est douloureux, mais c'est aussi certain. La mort est la chose la plus certaine et la plus définitive de notre vie. Personne n'y échappe, et personne n'y survit. La mort est vieille, nous la connaissons. La mort est inscrite dans notre nature, dans la nature qui nous entoure, et dans notre vision du monde. Elle est inscrite aussi dans la mentalité de ces femmes qui arrivent au tombeau. Pour elles, comme pour nous, la mort va de soi ; c'est pourquoi elles viennent au tombeau avec leurs parfums embaumer Jésus, pour compléter les rites de la mort, pour affirmer la mort certaine du crucifié. Il n'est pas question de croire qu'il soit redevenu vivant. Mais, il est ressuscité, leur dit l'homme vêtu en blanc, il n'est plus mort. L'impossible est arrivé. Cela ébranle toute certitude, cela bouleverse l'ordre des choses. Tous les repères anciens sont perdus, on est émerveillé, mais aussi désorienté, choqué, bouleversé, et cela fait peur. Autrement dit, on est confronté ici, au milieu du monde naturel, au milieu de la nature dans laquelle nous vivons et qui nous ordonne aussi la mort, avec quelque chose qui dépasse la nature, et le surnaturel, le divin, fait trembler.

Après la fin de l'évangile, la peur des femmes cédera à la joie, à une bonne nouvelle qu'elles annonceront à leurs amis et puis au monde ; c'est pourquoi l'Eglise est là aujourd'hui. La bonne nouvelle de la résurrection est de nous montrer que nous ne sommes pas enfermés dans la nature, dans la mort, dans le vieux ; dans le Christ, il y a quelque chose de neuf, il y a la vie qui se renouvelle. Mais si la résurrection est quelque chose de joyeux, cette joie n'est pas une joie naturelle, qui fasse partie de l'ordre naturel des choses ; c'est une joie qui a à son centre un choc, le fait que l'impossible est, par impossible, arrivé, que la mort, qui est inéluctable et définitive, n'est pourtant pas définitive, que la vie, si courte, si fragile, a triomphé.

Si la résurrection du Christ ne nous choque pas comme elle a choqué les femmes au tombeau, si elle ne nous ébranle pas, c'est peut-être parce que nous la contemplons en sécurité, à distance, à travers les siècles. Et nous l'avons inscrite dans le normal, dans le naturel. C'est devenu quelque chose d'habituel. Nous l'annonçons et la célébrons tous les ans, même tous les dimanches. Nous avons peut-être oublié que ce que nous célébrons est impossible. Mais il l'est, et c'est pourquoi il vaut la peine de le célebrer. C'est incroyable, et c'est pourquoi il vaut la peine de le croire ; c'est choquant, et c'est pourquoi on le fête. Et on le fête encore maintenant parce que le renouvellement et la vie qu'ammène le Christ par sa résurrection nous touche à travers les siècles. A cause de la résurrection, nous ne sommes pas enfermés dans le vieux, dans la mort, dans ce que la Bible appelle le péché. Nous aussi pouvons être renouvelés, en nous ouvrant à la vie du Christ, à la vie que nous avons reçue lors de notre baptême. C'est pourquoi nous allons maintenant renouveler notre ouverture à la vie divine en renouvelant notre profession de foi baptismale

Veillée pascale

Auteur: Delavie Bruno
Temps liturgique: Triduum pascal
Année liturgique : A, B, C
Année: 1996-1997

"Mais qui donc roulera la pierre ?

Nous sommes souvent impuissants devant la misère généralisée dans le Tiers-Monde, les pauvres de chez nous devenant de plus en plus pauvres, devant aussi les lois implacables de l'économie et la crise qu'elles engendrent ; Interrogeons très librement aujourd'hui les apôtres et les amies de Jésus face à leur sentiments d'impuissance ! Lourde est la pierre que plusieurs musclés anonymes ont roulée à l'entrée du tombeau. Quelques femmes regardent, muettes, meurtries, révoltées de ce qu'on enterre Jésus à la sauvette, comme un chien.

Les apôtres ne sont pas là, ils se terrent comme des chiens battus. La pierre est lourde qui écrase leur espérance : les Romains et Hérode restent les maîtres du jeu ; les grands-prêtres et leur clique continuent leur trafic au Temple ; les impôts, la répression, l'exclusion : rien n'a changé ! Et eux qui se sont mis debout aux paroles de Jésus, eux qui l'ont vu remettre d'aplomb nombre de tordus, paumés ou mal-foutus, eux qui se sont rêvés ministres dans le Royaume : voilà que tout s'écroule. Une fois de plus c'est "todi les petits qu'on spoctche". (Ce sont toujours les petits qu'on écrase).

La pierre est lourde qui cadenasse leur impuissance. Elle est lourde de leur colère rentrée, de la rage qui les ronge de ne pas pouvoir être hurlée. S'ils pouvaient seulement se venger ! De Pilate, le grand couillon ; des salauds de sadducéens et autres pharisiens ; de la foule qui a retourné sa veste ; de Judas le traître, l'ordure... Mais toute résistance est vaine, il ne reste que le ressentiment et l'envie de faire secte... La pierre est lourde qui les fait butter et tomber dans l'incompréhension, peut-être même la colère : "Jésus n'a été qu'un prometteur de royaume, un messie de pacotille, un marchand d'illusions ! Il nous a trompés, mais Dieu ne s'est pas trompé, qui l'a abandonné.

La pierre est lourde qui les mûre dans la culpabilité. Pierre n'est pas fier d'avoir renié Jésus : à chaque chant du coq, la honte lui monte au visage. Les autres apôtres se sont taillés comme des lapins : ils n'osent croiser le visage des femmes, car ils croient y lire comme un reproche. Qui leur permettra de se regarder à nouveau dans un miroir ? Jésus n'est plus là pour les réconcilier avec leur coeur.

"Qui donc nous roulera la pierre ?" se demandent Madeleine et les autres femmes. Les apôtres ne sont pas là, en ce matin du premier jour de la semaine pour leur répondre et les aider : leur espérance est trop morte. Elles ont pris des aromates car elles veulent au moins enterrer Jésus comme un homme, avec un peu de dignité, lui qui les a fait naître à leur dignité de femmes. Elles viennent, sans savoir qui roulera la pierre de tristesse qui les accable...

Et voilà que la pierre est roulée. Il n'y a pas eu de bruit. Et voilà que le tombeau est vide... Elles sont perdues. Peut-être restaient-elles trop attachées au corps de Jésus ? Peut-être devaient-elles naître à leur dignité dans la perte de celui qu'elles aimaient ? Elles s'enfuient et courent annoncer aux apôtres... "bobards de femmes" répondent-ils. Mais la chenille de l'espérance a secrètement installé sa chrysalide sous la pierre de leur incrédulité. Plus tard, au bout d'un deuil qui ne leur rend Jésus que dans le pain partagé avec un étranger, les apôtres verront le papillon rouler les pierres qui les écrasent et ouvrir ses ailes multicolores au souffle de la Pentecôte.