17e dimanche ordinaire, année A
- Auteur: Collin Dominique
- Temps liturgique: Temps ordinaire
- Année liturgique : A
- Année: 2010-2011
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LA SAINTETÉ PLÉNITUDE DE L'HUMAIN
Voilà 7 dimanches que l'Evangile nous rappelle l'ultime semaine de Jésus sur terre. En plein c½ur de Jérusalem, dans l'enceinte même du Temple de Dieu, il annonce la venue du Royaume de son Père mais il se heurte à un refus obstiné ; en butte à d'incessantes attaques, il devient la cible d'une haine qui le conduira bientôt à la croix. Néanmoins son enseignement témoigne non d'un découragement devant l'échec mais de la certitude que se réalisera le projet que Dieu lui a confié : oui, le Royaume s'ouvrira sur la terre. Rappelons-nous ces dernières controverses :
Certes il y aura toujours des hommes pour refuser de répondre à l'appel du maître de la vigne. Mais des multitudes d'autres, à Jérusalem même puis à Athènes et Alexandrie, puis Rome et Paris, puis New-York et Yaoundé, puis Tokyo et Calcutta, seront heureux d'être embauchés et ils courront travailler dans la Vigne de Dieu (25ème, 27ème dimanches).
Beaucoup qui avaient commencé par refuser l'appel changeront d'avis et se convertiront (26ème).
Des hommes qui rejetaient le Christ avec dédain le choisiront pour en faire la pierre angulaire sur laquelle construire leur vie et un nouveau monde (27ème).
Si beaucoup déclinent l'invitation aux noces du fils du roi, des foules bigarrées de toutes cultures rempliront la salle où se célèbrent les noces du Fils de Dieu avec l'humanité (28ème).
Des gens qui misaient sur une révolte violente et cruelle (29ème) admettront que la seule révolution qui vaille est celle de l'amour (30ème).
Des religions sclérosées dans le carcan des lois rigides et des rites vides deviendront des communautés de frères et s½urs libérés de la vanité et de l'hypocrisie (31ème).
Oui le Royaume est venu et il vient encore. Il n'est pas limité à un territoire, il s'exprime dans toutes les langues, il n'est pas centré sur un temple de pierres desservi par un personnel hiératique. Il n'est plus le Royaume du sacré - qui fascine et effraie- mais celui du SAINT.
NON LE SACRÉ ÉCRASANT MAIS LE SAINT HUMAIN ET ORDINAIRE
Tout au long de l'année, la liturgie fait défiler les grandes figures de la sainteté, les géants de l'histoire : les apôtres qui étaient les proches amis de Jésus, les martyrs empalés ou brûlés vifs, les femmes enfermées dans leur clôture, les moines qui fabriquent du fromage dans leur cloître, les missionnaires barbus qui s'en vont au bout du monde, les mystiques qui jouissent d'extases, les ascètes qui ne mangent (presque) rien. Etc., etc....Toutes personnalités immenses et admirables. Mais qui nous découragent par leurs exploits inimitables.
Aujourd'hui, en arrivant en fin d'année - ce qui symbolise la fin de l'histoire -, l'Eglise qui, comme son Seigneur, peine à annoncer le message et se heurte au même mur de l'incrédulité et de la dérision, annonce joyeusement que, quelles que soient les résistances du monde et les péchés des chrétiens, la salle du Royaume se remplit :
« Et je vis une foule immense, que nul ne pouvait dénombrer, une foule de toutes nations, peuples et langues. Ils se tiennent debout devant le Trône de Dieu et devant l'Agneau, en vêtements blancs, avec des palmes à la main et ils proclament d'une voix forte :
« Le salut est donné par notre Dieu et par l'Agneau ! »
(Apocalypse 7 - 1ère lecture)
Il y a là de tout : des prix Nobel et des cancres, des prix de beauté et des épouvantails, des ouvriers et des patrons, des wallons et des flamands, des gens de droite et des gens de gauche....... HUIT PAROLES POUR L'ETERNITÉ
Et l'Evangile proclame le chemin que ces femmes et ces hommes ont emprunté, sur lequel ils ont connu maintes chutes, qu'ils ont été souvent tenté d'abandonner et sur lequel leur Seigneur les a toujours reconduits. Chemin paradoxal du véritable bonheur. Chemin des HUIT BEATITUDES.
Heureux ceux et celles qui ne se blindent pas dans une haute opinion d'eux-mêmes, qui gardent un c½ur humble pour accueillir le Royaume réservé aux enfants.
Heureux ceux et celles qui cessent de vouloir posséder toujours davantage, qui renoncent à la cupidité pour partager avec les autres : ils seront comblés de la richesse de Dieu.
Heureux ceux et celles qui souffrent du malheur de la terre, de la détresse de l'Eglise : ils seront consolés par l'espérance, consolidés par la force de l'Esprit.
Heureux ceux et celles qui désirent passionnément la Justice de Dieu : ils seront comblés.
Heureux ceux et celles qui compatissent aux malheurs de leurs frères, sèchent leurs larmes et pardonnent leurs faiblesses : ils reçoivent au centuple l'amour qu'ils ont donné.
Heureux ceux et celles qui refusent les compromis, qui optent franchement pour l'obéissance à l'Evangile : leur c½ur purifié verra que Dieu est présent.
Heureux ceux et celles qui s'appliquent inlassablement à calmer les inimitiés, à rapprocher les adversaires, à réconcilier les ennemis : ils seront en vérité les enfants de Dieu.
Heureux ceux et celles qui, en vivant les 7 premières béatitudes, acceptent d'être tournés en dérision, rejetés par leur milieu, calomniés pour leur foi, emprisonnés et exilés : alors ils deviennent semblables à leur Seigneur.
En effet, le chemin du Royaume est semé d'embûches, il ne sera jamais « un long fleuve tranquille » mais un torrent qui balaie les opinions mal assurées et les compromis mondains.
Lorsque Jean demandait d'où venaient tous ces gens rayonnant dans la splendeur du ciel, il lui fut répondu :
« Ils viennent de la grande épreuve : ils ont lavé leurs vêtements, ils les ont purifiés dans le sang de l'agneau ». (1ère lecture)
L'existence ne peut être qu'un temps de dure épreuve et les chutes y sont nombreuses. Nul saint ne peut se prétendre indemne car la sainteté n'est jamais une performance.
C'est le Christ qui nous sauve et l'épreuve n'est gagnée que par le bain dans son sang, par la foi en son amour dont la source inextinguible a jailli sur le gibet de la croix.
Alors que notre société dresse un imbécile décor de sorcières, de toiles d'araignée, de fantômes grimaçants, (serait-ce l'horreur de la mort qui l'habite ?...), l'Eglise, au pied du crucifix, présente le peuple des Vivants, l'immense foule des sauvé(e)s. Marqués de coups mais vainqueurs, fragiles mais heureux, ils chantent la Gloire de Dieu et de l'Agneau. Le signe de la mort (LA CROIX) a engendré une multitude de vivants, de SAINTS.
Souvenez-vous... lorsque vous aviez à peine quelques mois !
Vous --comme moi d'ailleurs-- avez traversé ce que certains psychanalystes appellent le «stade du miroir». Il s'agit d'un moment dans l'évolution psychique de tout enfant qui veut que lorsqu'il est placé devant un miroir, il identifie progressivement son corps et prends ainsi conscience de lui-même. Il prends conscience de qui il est par le fait d'être renvoyé à lui-même. L'enfant quitte la simple perception immédiate, pour découvrir la représentation du monde, sa représentation.
Comme vous ne vous souvenez probablement pas de cette période de votre enfance, prenons un exemple pour vous expliquer ce concept. Imaginez un petit enfant --prenons le frère Dominique Collin, derrière moi-- et placez le devant un miroir pour qu'il se regarde. Normalement, il devrait éclater de rire. Faites maintenant cette expérience: si vous lui mettez un peu de rouge à lèvres sur le nez, sa réaction vous montrera où il en est par rapport à son développement psychique est ses rapports aux autres! Avant le «stade du miroir», un enfant touche le miroir pour essayer d'effacer la trace rouge sur son nez. Mais après 18 mois environ, l'enfant commence enfin à essuyer son propre nez ! Quoi qu'il en soit, il faut du temps à un enfant pour découvrir que son regard ne fait pas que percevoir, mais interprète aussi le monde qui l'entoure.
Peu importe qu'on soit d'accord avec ces théories psychanalytiques, le fond reste le même ! Nous avons toutes et tous dans nos vies des personnes et des situations miroirs, qui nous révèlent à nous-mêmes et nous disent «où es-tu?». Et Jésus, dans la page d'évangile que nous venons de lire fait subir aux scribes et aux maîtres de la loi ce que je serais tenté d'appeler 'le test du miroir'. Les pharisiens veulent se confronter aux autres, ils veulent confronter Jésus à la loi. Mais Jésus les confronte... à eux-mêmes.
Bien plus, voulant le mettre à l'épreuve, les pharisiens sont eux-mêmes mis à l'épreuve. Voulant accuser, ils sont renvoyés eux-mêmes devant leur propre chef d'accusation. «Dis moi ce que tu accuses aux autres, et je te dirai de quel contradiction tu souffres.» Accuser l'autre, c'est bien souvent s'accuser soi-même de manière déguisée, lui faire supporter ce qu'on n'est pas capable de porter... Quand on pointe l'index vers quelqu'un, on ne voit pas que trois autres doigts sont dirigés vers soi...
Les pharisiens, accusant d'adultère, sont donc pris en flagrant délit... d'adultère, car l'adultère est le fait de tromper quelqu'un avec lequel on est officiellement lié, comme ces pharisiens qui trompent la loi qu'ils sont tenus de suivre!
Bien souvent, c'est le groupe qui accuse, alors que la singularité libère. Et le texte d'évangile nous confronte à cette réalité toute humaine. Si les pharisiens, eux, amènent «une» femme, et invoquent que Moïse à ordonné de lapider «ces femmes-là» ! Ils enferment l'individu dans un groupe, dans une catégorie, derrière des étiquettes réductrices, qui ne peuvent qu'accuser !
Le jeu de Jésus est tout autre ! Loin d'accuser, il libère tant les pharisiens que la femme accusée, en les renvoyant face à eux-mêmes, comme un miroir !
En disant «que celui de vous qui est sans pêché jette la première pierre », il pointe le doigt sur chacun empêchant ainsi toute protection, tout repli derrière le groupe.
A chacune et chacun d'entre nous de répondre pour soi à la question qui nous est adressée personnellement: «Où es-tu?», écho de ce «humain, où es-tu?» que Dieu murmure dans notre jardin intérieur. Cette question --comme un miroir-- nous est encore une fois posée aujourd'hui. Lire cette question comme une accusation, c'est s'accuser soi-même ! Mais cette question se veut précisément libérante de ce qui nous empêche d'être nous-mêmes ! Le Christ nous la pose pour que nous la posions à nous-mêmes et pas aux autres.
Aujourd'hui donc, par un subtil jeu de miroir, le Christ nous renvoie à nous- mêmes pour prendre conscience de qui nous sommes. Les pharisiens sont arrivés en groupe, ils sont repartis un par un. La femme est arrivée dans un groupe, derrière une étiquette, elle repart seule, relevée.
Mais le Christ nous amène plus loin à qu'à notre propre image. Que nous soyons accusateurs ou accusés, protégé par le groupe ou en marge de celui-ci, le Christ, l'icône de Dieu, nous renvoie à cette humanité destinée à toujours grandir, miroir et image d'un Dieu qui dessine l'humain sur la poussière.
Un doigt pointé vers l'autre accuse.
Mais le doigt de Jésus sur le sol nous libère par un écrit ?sur la poussière du temple de notre humanité. Amen.