Epiphanie

Auteur: Devillers Raphaël
Temps liturgique: Temps de Noël
Année liturgique : A, B, C
Année: 2011-2012

QUE LE CHRIST SOIT « MANIFESTE »

Haut lieu de civilisation avec ses antiques métropoles (Babylone, Ninive, Ur...), la Mésopotamie (la région « entre les deux fleuves », le Tigre et l'Euphrate) était célèbre pour les découvertes de ses « mages » qui, du haut des tours des ziggurats, étudiaient le ciel. Déjà ils avaient remarqué l'influence de la lune sur les marées, ils savaient prévoir les éclipses et même, dit-on, l'un d'eux avait affirmé que, contrairement aux apparences, c'était la terre qui tournait autour du soleil. D'autre part les étoiles innombrables dessinaient les étranges figures du zodiaque si bien que l'on pouvait tenter de percevoir les messages des dieux, prévoir l'avenir, discerner les jours fastes ou maléfiques. Les mages n'étaient donc pas « des rois » mais les savants de l'époque, ensemble astronomes et astrologues.
Des siècles ont passé mais l'univers fascine encore et même bien davantage. Les télescopes s'enfoncent dans les espaces indéfinis, percent les secrets de la matière, remontent jusqu'au tout début de l'univers. Et d'un autre côté, l'astrologie prospère et l'homme moderne continue à s'intéresser à son horoscope ! Ainsi tandis que l'astronome nous précise l'âge de l'univers (13 milliards 700 millions d'années, aux dernières nouvelles !), la voyante nous dévoile l'avenir pour 2012 et l'adepte de la secte apocalyptique nous annonce des catastrophes !
Le cosmos signifie-t-il quelque chose ? Chante-t-il la Gloire de Dieu, comme dit le psaume 19 ? Ou n'est-il qu'un immense espace où l'humanité est apparue par hasard,  navigue sans boussole, avant de disparaître sans raison ? N'est-il qu'un LIVRE éternellement clos, indéchiffrable ?

« Ce qu'il y a dans le monde d'éternellement incompréhensible,
c'est qu'il soit compréhensible »
ALBERT EINSTEIN

RETOUR A L'HISTOIRE : DIEU SE MANIFESTE

Il arrive, nous raconte aujourd'hui saint Matthieu, que des hommes quittent la « magie » des cieux pour s'intéresser à l'histoire dramatique des hommes. L'espace là-haut les renvoie au temps ici bas. Eux qui vivaient le nez dans les étoiles penchent la tête sur l'aventure de leur planète. Ils voient leurs frères humains en quête de paix et toujours en état de guerre ; ils entendent l'appel déchirant de la mère portant son enfant assassiné : « Pourquoi ? » ; ils partagent l'interrogation des philosophes : «  Pourquoi y a -t-il un monde plutôt que rien ? » ; ils voudraient trouver non seulement des moyens mais des raisons de vivre ; et quelques notes de Mozart mouillent leurs regards.
Et voilà que l'on présente aux voyageurs, aux chercheurs, un autre LIVRE, la Bible. Elle leur raconte l'histoire d'un petit peuple, Israël, avec ses lamentables faiblesses, ses ambitions ratées, ses mensonges. Mais surtout elle leur révèle que les astres n'ont rien de divin, qu'il n'y a qu'un seul Dieu qui a créé le monde et que la réussite de l'humanité - son salut - dépend de « l'étoile de David », un certain Jésus (son nom signifie justement « sauveur »). Et ce Roi n'est pas à chercher dans le palais fastueux d'une capitale, dans l'espace sacré d'un sanctuaire mais dans un petit village qui s'appelle « maison-du-Pain »(Bethléem).
Et en effet, après avoir cherché les traces de la divinité dans les profondeurs cosmiques, après des années de recherches et de calculs savants,  les mages découvrent une famille populaire, un jeune couple avec son nouveau-né. Serait-ce donc lui, la clef du mystère que nous cherchions dans le cosmos ?

LA DECOUVERTE DU CENTRE DU MONDE

En précisant les cadeaux offerts par les voyageurs, Matthieu n'ajoute pas des détails anecdotiques : ces présents traduisent l'identité de cet enfant, ils MANIFESTENT qui il est. Ils sont comme « le credo » des mages.
L'OR, seul digne d'un Souverain, est le signe de la puissance qu'il ne faut plus adorer et accumuler mais partager avec les plus pauvres. Le psaume 72 annonçait que le futur Messie serait fils de Roi, qu'il aurait souci des pauvres et des humbles, et que les rois des nations lui apporteraient leurs présents (72, 10), et notamment de l'or (72, 10-18).
L'ENCENS est le parfum que l'on jetait sur les braises brûlantes pour que la fumée exprime le culte  (Nombres 17, 5) ; et le fidèle comparait sa prière à un encens qui monte devant Dieu (Ps 141, 2)
La MYRRHE était un délicieux parfum, symbole d'un amour passionné (Cantique des cantiques 5, 5) ; elle parfumait l'huile destinée à oindre les objets du temple et à consacrer les prêtres (Exode 30, 23-29) ; elle était aussi  un aromate pour embaumer les corps (Jean 19, 39)

Donc ces trois éléments traduisent la foi nouvelle : ce « petit Jésus » est bien le Messie royal, le Christ prêtre, le Fils à adorer, qui mourra par amour et qui reprendra vie, celui qui conjoint l'humanité dans le culte véritable.

Mieux encore, la scène de l'adoration des mages inaugure la réalisation d'une antique prophétie. En effet, au 6ème siècle avant notre ère, Jérusalem avait été détruite par les armées de Nabuchodonosor, le temple incendié, le roi et la population déportés. Certes, après 50 ans, les rescapés avaient pu rentrer mais dans un état déplorable de misère et soumis à un autre Empire. L'épreuve contre la foi était terrible. C'est alors qu'un prophète adressa à Jérusalem un message d'une folle espérance - et c'est la 1ère lecture de ce jour :

« Debout, Jérusalem ! Resplendis car ta Lumière vient. La gloire du Seigneur Dieu se lève sur toi.
Les nations vont marcher vers ta lumière.
Regarde les alentours et vois : tous ils se rassemblent et viennent vers toi.
Alors tu seras rayonnante, ton c½ur se dilatera.
Un afflux de chameaux te couvrira ; les gens de Saba viendront, apportant de l'or et de l'encens.
Oui je rendrai splendide la Maison de ma Splendeur..... » (Isaïe 60)

C'est ce texte qui a inspiré les représentations fastueuses de l'adoration des « Rois Mages » (couronnes, atours de luxe, soldats,  chameaux, ...). Mais l'essentiel est le déplacement opéré par Luc : Jérusalem, son roi, son temple, ses scribes n'ont pas reconnu Jésus tandis que voici des païens qui viennent vers lui et l'adorent dans la faiblesse et la pauvreté de Bethléem.
La fière capitale rêvait d'un avenir glorieux, de pèlerinages internationaux convergeant vers elle, devenue centre du monde...Mais la véritable Lumière repose sur le Messie pauvre et silencieux : c'est Lui qui va devenir l'étoile (« la star ») authentique qui guide les êtres humains vers la vérité.
Dorénavant « la Ville Lumière » ne sera plus un lieu sur la carte mais une communauté : le peuple issu de toutes les nations,  de toutes les cultures, souillé de tous les péchés du monde mais se regroupant autour de Jésus et chantant sa miséricorde en partageant son Pain.
La foi universelle est l'EPIPHANIE d'aujourd'hui.

LA FOI SE MANIFESTE

« Et les mages regagnèrent leur pays par un autre chemin ».
Car la manifestation du Christ ne laisse pas indemne : elle induit à nous questionner sur notre manière de vivre et à inventer un autre comportement. Certes les mages retrouveront leur pays, leurs familles, leurs métiers. Mais en ayant découvert Dieu au c½ur du monde, à leur tour ils auront à MANIFESTER, à travers leur existence quotidienne et leur profession, les valeurs que la crèche proclamait en silence.
Ainsi ils inciteront les autres à chercher eux aussi la vérité, à se mettre en route, à lire en alternance LE LIVRE DE LA NATURE et LE LIVRE DE L'HISTOIRE, le cosmos et la Bible.

Epiphanie

Auteur: Collin Dominique
Temps liturgique: Temps de Noël
Année liturgique : A, B, C
Année: 2011-2012


1er dimanche ordinaire, année B

Auteur: Cochinaux Philippe
Temps liturgique: Temps ordinaire
Année liturgique : B
Année: 2011-2012

Sur une route de campagne, juste à côté d'un arbre, deux vagabonds, Vladimir et Estragon, se retrouvent dans un non-lieu à la tombée de la nuit pour attendre quelqu'un. Cet homme - qui ne viendra jamais - leur a promis qu'il serait au rendez-vous ; sans qu'on sache précisément ce qu'il est censé leur apporter, il représente un espoir de changement. En l'attendant, les deux amis tentent de trouver des occupations, des "distractions" pour que le temps passe.  Toutefois, des inquiétudes naissent : Est-ce le bon jour ou le bon endroit ? Peut-être est-il déjà passé ? Que faire en attendant ? Il ne leur reste qu'à attendre.  Certains d'entre nous se rappellent peut-être cette pièce de Samuel Beckett intitulée « en attendant Godot » et qui faisait partie du programme de français au cours de nos humanités.
Sommes-nous si différents des personnages principaux de cette pièce, en ce premier dimanche de l'Avent où Jésus nous dit : « Prenez garde, veillez : car vous ne savez pas quand viendra le moment. »  Contrairement à Vladimir et Estragon, nous avons la chance de savoir pourquoi nous sommes invités à veiller.  Le Christ nous a promis qu'il reviendrait un jour.  Nous ne savons ni quand ni comment.  En attendant, il ne nous reste qu'à veiller.  Nous sommes des veilleurs et par définition, le veilleur veille.  Cependant, parfois, le veilleur sommeille.  En effet, vu les aléas de la vie, les préoccupations, les soucis, mais aussi des moments de bonheur, il peut nous arriver non pas de nous détourner de Dieu mais de le mettre de côté, de le laisser sommeiller en nous.  Il reste bien évidemment au plus profond de notre intimité mais nous ne prenons pas suffisamment de temps pour lui.  Nous n'avons pas souvent assez d'une journée pour tout faire et nous le mettons après nos autres préoccupations.  L'Avent devient alors une occasion unique de permettre aux veilleurs que nous sommes de nous réveiller, c'est-à-dire de profiter de ce temps pour nous mettre à nouveau en marche vers l'étoile de Noël.  Il y a ce retour du Christ qui nous est promis mais en attendant un tel événement, réveillons-nous pour nous préparer à l'événement déjà survenu de sa venue parmi nous.  De la sorte, les veilleurs que nous sommes pourront s'éveiller au mystère de la foi.  S'éveiller, c'est permettre à tous nos sens de se laisser saisir par le message d'amour dévoilé par le Père dans le Fils et vécu dans l'Esprit.  Eveillons-nous de la sorte au Dieu des vivants qui vit en nous.  Il nous donne ainsi l'occasion de le remettre au c½ur de nos vies.  Non pas dans des choses extraordinaires à réaliser, dans l'exceptionnel où nous pourrions chercher à briller.  Dieu nous attend dans la simplicité de notre quotidien.  Il nous convie à nous humaniser ou pour le dire en d'autres mots à conjuguer notre foi dans les actes habituels de nos vies.  Il suffit de peu de chose pour rendre la dignité à un être humain.  Un sourire peut parfois suffire.  Ne nous mettons pas des fardeaux sur les bras mais éveillons-nous en mettant plus de foi dans nos vies.  Cette dernière aura alors un autre goût, et pourquoi pas, un goût d'éternité.  Dieu a besoin de nous.  Dieu passe par nous.  Les veilleurs que nous sommes ne sont pas des êtres inactifs, des femmes et des hommes qui passent leur temps à attendre.  Loin s'en faut.  Le veilleur veille en berçant sa vie au son de la musique de Dieu.  Lorsque nous arrivons à une telle harmonie, le veilleur peut alors se mettre à s'émerveiller de la présence divine au sein de notre humanité.  Dieu est présent dans nos vies.  Il est en chacune et chacun de nous.  Jamais, il ne nous abandonnera.  En ce temps d'Avent, offrons-lui plus encore un peu de notre temps et émerveillons-nous de la manière dont il nous manifeste sa présence dans tous ces petits gestes de la Vie : une parole réconfortante, une présence humanisante, un geste accueillant, un regard 'tendressant'.  C'est de cette manière que nous pouvons veiller. Sommeiller, se réveiller, s'éveiller et s'émerveiller sont ainsi différentes déclinaisons possibles du verbe veiller.  Vivons de cette espérance : tout veilleur sommeille, puis il se réveille.  Ensuite, il s'éveille  et s'émerveille.  S'il en est ainsi devenons à notre tours ces veilleurs qui ont décidé à jamais de veiller et cette fois, pour l'éternité.


Amen

7e dimanche de Pâques, année B

Auteur: Henne Philippe
Temps liturgique: Temps de Pâques
Année liturgique : B
Année: 2011-2012

« Je ne te demande pas que tu les retires du monde, mais que tu les gardes du Mauvais » (Jean 17, 15)

Il  y a des phrases qui sont fortes et riches de conviction.  Quand la communauté de saint Jean entend cette parole : « je ne te demande pas que tu les retires du monde », les chrétiens ont encore dans leurs oreilles les cris des martyrs, les hurlements des suppliciés.  Devant leurs yeux, ils ont encore les images du sang versé, et dans leurs narines, l'odeur de la chair humaine brûlée.  Quand ils entendent que le Christ leur recommande de rester dans le monde, ils savent que c'est dans un monde de violence et de haine. La terrible persécution lancée par Néron ne fut pas seulement horrible par les supplices imposés.  Elle a aussi révélé combien les gens, les païens détestaient les chrétiens.  Tout le monde a approuvé cette persécution. Tout le monde a pu à ce moment-là exhaler toute sa haine pour cette minorité suspecte et jugée abominable.

Nous ne sommes pas dans une telle situation, mais beaucoup jugent la situation préoccupante, beaucoup critiquent l'incompétence des dirigeants, beaucoup regrettent l'évolution de la société.  Alors, comment doit-on comprendre cette recommandation du Christ de ne pas se retirer du monde ? Est-ce pour le sauver ? Est-ce pour le réformer ? Non, c'est tout simplement logique.  Dieu a créé le monde et il a vu que cela était bon.  Le monde est fondamentalement bon parce qu'il a été créé par Dieu.  Et Dieu ne peut rejeter le monde puisque c'est lui qui l'a créé et qu'il a voulu que ce soit bon.  La relation entre le monde et Dieu est un peu comme celle qui existe entre une mère et son enfant.  Une mère ne peut rejeter son enfant parce que l'enfant vient du ventre de sa mère et qu'il a comme une partie de la mère dans l'enfant.  Il y a quelque chose de divin dans chaque personne que l'on rencontre.  Il y a une étincelle de Dieu dans le c½ur de chaque homme et c'est à nous de le découvrir, à nous de permettre à cette étincelle de se développer, de briller davantage, d'éclairer les yeux de chacun.

Mais, me direz-vous, il y a tellement de méchanceté dans le monde, tellement d'horreur dans le c½ur de mon voisin.  Et c'est vrai.  Il y a tant de mal dans le monde, mais Dieu a voulu sauver le monde, et pas le condamner ou le détruire.  C'est encore une fois logique.  Dieu a créé le monde avec tellement d'amour qu'il ne peut pas vouloir sa destruction.  Il est comme une mère qui voit son enfant s'enfoncer dans l'alcool ou la drogue.  Elle souffre de voir son enfant se détruire.  Elle sait que son enfant est beaucoup plus qu'un drogué ou un alcoolique.  Elle sait qu'il est beaucoup plus beau, beaucoup plus riche au  point de vue humain.  Elle ne peut pas vouloir sa destruction.  Elle ne peut que vouloir son salut.  Voilà pourquoi le Christ est venu sur terre partager notre existence.  C'est pour nous arracher à notre propre ½uvre de destruction.

C'est pour cela que le Christ demande à son Père de nous protéger du Mauvais.  Et quel est ce Mauvais ? Quel est ce démon qui peut nous détruire ? C'est l'orgueil et l'amour-propre.  C'est le péché originel, c'est le péché d'Adam.  Adam, en voyant toute la beauté de Dieu, a pourtant préféré faire sa vie tout seul, sans Dieu.  Il a piqué sa crise d'adolescence.  Et c'est utile.  Il faut, à un certain moment, que l'enfant quitte l'entière dépendance de ses parents et découvre le monde.  Mais il faut aussi qu'il devienne adulte, c'est-à-dire qu'il découvre ses forces comme sa faiblesse structurelle.  L'homme n'est pas fait pour vivre seul.  L'homme ne peut pas vivre sans Dieu.  C'est la faute du roi David qui, séduit par la beauté de Bethsabée, commet l'adultère et fait mourir Urie, son mari.  Le roi David s'était placé au-dessus des lois et au-dessus de Dieu pour assouvir ses envies.  Mais David reconnut sa faute et c'est pour cela qu'il est reconnu comme un grand roi.  Le Mauvais rôde dans le c½ur de chacun d'entre nous, car nous tous, nous voulons être maîtres de notre vie et de notre destin, nous voulons même être maîtres de notre entourage et nous ne sommes même pas capables d'être maîtres de notre corps.  Nous ne sommes pas maîtres de notre vie, nous ne sommes pas maîtres de notre mort.

Alors, au cours de cette eucharistie, redécouvrons avec émerveillement les merveilles que Dieu a faites dans sa création.  Dieu a voulu que tout cela soit bon, et c'est bon.  C'est à nous de redécouvrir toutes les étincelles d'amour que Dieu a semées dans le c½ur de chacun.  Laissons à Dieu une chance.  Laissons-lui la chance de nous étonner.  Laissons-lui la chance de vivre pleinement au milieu de nous, avec nous. 

Philippe Henne















Marie, mère de Dieu

Auteur: Devillers Raphaël
Temps liturgique: Sanctoral
Année liturgique : A, B, C
Année: 2011-2012

AVEC  MARIE  SOUS  LA  BENEDICTION  DE  DIEU

Les unes après les autres, selon les fuseaux horaires, les télévisions retransmettent les scènes habituelles des foules rassemblées, cette nuit, au c½ur des capitales du monde pour égrener le compte à rebours : « DIX...NEUF...HUIT...SEPT......ZERO !! ». Et sous les feux d'artifice, le champagne coule à flot tandis que les gens hilares s'embrassent, s'offrent fleurs et paquets en répétant les souhaits traditionnels : « BONNE ANNEE...ET SURTOUT UNE BONNE SANTE ».  Joie émouvante dans sa fragilité d'une race humaine si angoissée devant l'avenir et dont les v½ux parfois superficiels, souvent sincères, restent toujours pathétiques : comment conjurer la fatalité avec des mots ?  D'ailleurs pourquoi le faire à une date arbitraire : pourquoi le 1er janvier et non le 20 mars avec le printemps ou le 1er septembre avec la rentrée ?....L'année civile n'est qu'un nouveau tour de piste, après et avant des millions d'autres. Un cycle.

En décalage avec elle, l'année liturgique est (ou devrait être) la grande lumière de signification, l'école d'humanisation du monde, la façon de nous faire vivre le temps en profondeur.
L'Avent nous a rappelé que l'histoire a un sens, que les époques passées étaient des étapes vers un accomplissement, qu'il fallait vivre sans nostalgie du passé en ne cessant de préparer les voies du Seigneur. Noël a fait scintiller une petite lumière dans la nuit : nous ne sommes plus seuls, Dieu s'est glissé dans notre humanité pour mener, avec nous, la grande lutte contre le mal et l'absurde.
Aujourd'hui, dans l'octave de Noël, au seuil de l'année civile nouvelle, la liturgie nous donne les mots qui nous serviront à dépasser les souhaits impuissants afin de nous communiquer la BENEDICTION, la Force de Dieu pour poursuivre le rude chemin d'être homme. Et ensuite elle nous place sous la garde de Celle que l'on ose appeler « MERE DE DIEU » et qui de ce fait est également NOTRE MERE.
De la sorte nous serons armés - doublement - pour affronter les crises des prochains mois.

1.  LA GRANDE BENEDICTION (1ère lecture)

Dans le vocabulaire chrétien, la bénédiction n'a plus qu'un sens dévalué : le prêtre, d'un geste  furtif, trace une petite croix sur une statuette ou une médaille ; parfois on lui demande de bénir une maison ; et, dans la hâte de quitter l'église, on ne prête guère attention à la bénédiction que le célébrant trace sur l'assemblée pour conclure la célébration eucharistique. Or, dans la Bible, dans le vocabulaire de la prière, la bénédiction tient une place essentielle, première. C'est ainsi que Dieu a appris aux prêtres à bénir son peuple (1ère lecture du jour - texte révisé d'après les nouvelles traductions bibliques) :

« Le Seigneur dit à Moïse : « Voici comment Aaron et ses descendants béniront les fils d'Israël :  
QUE LE SEIGNEUR TE BENISSE ET TE GARDE
QUE LE SEIGNEUR FASSE RAYONNER SUR TOI SON VISAGE ET T'ACCORDE SA GRÂCE
QUE LE SEIGNEUR TOURNE VERS TOI SON VISAGE ET TE DONNE LA PAIX »
Il apposeront ainsi mon Nom sur les fils d'Israël, et Moi, je les bénirai »

BENIR ne se réduit pas à un « bien-dire » (latin « bene-dicere ») : lorsque Dieu bénit ses créatures, il ne dit pas seulement une belle phrase mais Il leur communique sa puissance de Vie pour les rendre actives, fécondes. Sa bénédiction donne réellement sa Bonté, sa Faveur et sa Grâce. Remarquez bien la nuance du texte : cette bénédiction, Dieu charge les prêtres d'en être les transmetteurs : « ils apposent le Saint Nom sur les croyants » mais il est entendu que c'est Dieu qui bénit !! En répétant trois fois le Nom trois fois Saint, en prononçant de tout c½ur la formule consacrée, en étendant les mains au-dessus de la tête de leurs frères et s½urs, ils signifient l'acte efficace de protection :
Puisses-tu être convaincu que ton Dieu ne te fixe pas d'un ½il sévère, qu'il ne comptabilise pas tes fautes, qu'il ne se confond pas avec ton sur-moi ou ton complexe de culpabilité. Sache que ton Dieu, ton Père, te regarde avec amour, qu'il compatit à ta faiblesse, qu'il craint pour tes épreuves. Son Visage, c.à.d. sa Personne, n'est que Bonté et Tendresse, Joie et Sérénité. Sa bénédiction entend exorciser tes peurs, écarter tes craintes, chasser tes scrupules, consoler tes tristesses. Le Visage de Dieu n'est pas celui, grimaçant, des idoles et des masques : il est Lumière rayonnante de Vérité.

Il est frappant de constater que la formule monothéiste biblique s'accomplit dans la Nouvelle Alliance de manière trinitaire: ainsi, aujourd'hui, le prêtre pourrait clore la célébration eucharistique en disant :

QUE DIEU NOTRE PERE BENISSE TOUS SES ENFANTS
QUE LE VISAGE RAYONNANT DU CHRIST VOUS COMBLE DE SA MISERICORDE
QUE L'ESPRIT-SAINT VOUS GARDE SOUS SA PROTECTION ET SA PAIX.

Et rappelons que la bénédiction biblique joue dans les deux sens : de haut en bas Dieu répand sa grâce et, en retour, de bas en haut, l'homme « bénit » son Dieu, il lui exprime sa reconnaissance, sa gratitude, sa  joie d'être connu et sauvé. « Béni sois-tu, Seigneur, pour ton amour immense ». En somme, la bénédiction, dans son « aller-retour », est révélation d'un Dieu bon et exultation de l'homme à sa juste place.
Les époux chrétiens étant les célébrants de leur mariage, pourquoi ne pas reprendre la vieille coutume : l'un à l'autre, se donner et recevoir le Don de Vie de Celui qui est le Père des deux ? Pourquoi les parents, devant l'immense fragilité de leurs enfants, ne reprendraient-ils pas l'antique formule afin qu'ils découvrent le vrai Dieu qui les regarde avec tendresse ?
Oui, si nous redécouvrions la Bénédiction comme ciment de la communauté familiale tant menacée ? Si nous quittions l'église, heureux de porter le sceau de Notre Père ?...

2.  MARIE MERE DE DIEU

La grande réforme liturgique d'après le concile Vatican II a précisé la place spéciale de Marie dans le culte chrétien et elle a notamment rappelé ses 4 grandes solennités : L'Immaculée Conception (8 décembre), l'Annonciation (25 mars), l'Assomption (15 août) et - antique fête de l'Eglise de Rome, remise en valeur par Paul VI pour devenir fête universelle - la Maternité divine (1 janvier).
Dès le 2e siècle, le peuple chrétien aimait prier « SAINTE MARIE MERE DE DIEU » (cf. le « Sub tuum... ») mais de grands débats s'enflammèrent lorsque Nestorius critiqua cette appellation. Marie, disait-il, était mère de l'homme Jésus, on pouvait l'appeler « mère du Christ » mais absolument pas « Mère de Dieu ». Le concile d'Ephèse (en 325) trancha en proclamant Marie « theotokos »c.à.d. Mère de Dieu. Non qu'elle ait donné naissance à Dieu mais étant mère de Jésus et celui-ci étant vrai Dieu et vrai homme, elle pouvait donc être dite « mère de Dieu ». Le nier conduirait à faire de Jésus un homme adopté par Dieu, ou une personne dans laquelle divinité et humanité étaient séparées.

L'évangile de ce jour nous montre Marie, jeune maman d'emblée plongée dans une situation bouleversante :
« Quand les bergers arrivèrent à Bethléem, ils découvrirent Marie et Joseph avec le nouveau-né couché dans une mangeoire. Après l'avoir vu, ils racontèrent ce qui leur avait été annoncé au sujet de cet enfant. Et tout le monde s'étonnait de ce que racontaient les bergers.
MARIE CEPENDANT RETENAIT TOUS CES EVENEMENTS ET LES MEDITAIT DANS SON C¼UR.
Les bergers repartirent, ils glorifiaient et louaient Dieu pour tout ce qu'ils avaient entendu et vu selon ce qui leur avait été annoncé »
Marie ne prêche pas, elle ne prononce pas un grand sermon pour expliquer la situation. Bouleversée, comme à l'Annonciation (1, 29), jetée dans une aventure imprévisible, elle fait silence. Le voyage, la nuit, la pauvreté, le berceau en paille, la stupeur de Joseph, l'arrivée de ces petits pauvres... : elle enregistre tous ces événements et, dit exactement St Luc, elle « les symbolise » dans son c½ur.
Au sens antique, un symbole est une pièce brisée en deux et dont les morceaux doivent être réunis pour que l'on reconnaisse leur unité. Ainsi Marie subit un enchaînement de circonstances inouïes et elle tente de les joindre avec des pages des Ecritures. Le révélé et le vécu doivent « se cor-respondre » : en les joignant, en les « symbolisant », en les « méditant », ils doivent s'éclairer, manifester le dessein de Dieu donc donner confiance et ancrer dans la foi.
* * *
La bénédiction de Dieu n'a rien de magique, elle ne protège pas de tout par miracle. Par quelles souffrances Marie ne va-t-elle pas passer ! Mais dans son cantique, elle utilisait le langage de la bénédiction (Dieu qui regarde avec amour) :
Mon âme exalte le Seigneur ; exulte mon esprit en Dieu mon Sauveur ;
Il a porté son regard sur son humble servante :
Désormais toutes les générations me diront bienheureuse ..... »
Avec elle, la Bénie, nous - les bénis - pouvons entrer dans cette année pleins de confiance.
En méditant paroles de Dieu et événements, nous devinerons le doux Visage de notre Seigneur.

Marie, mère de Dieu

Auteur: Cochinaux Philippe
Temps liturgique: Sanctoral
Année liturgique : A, B, C
Année: 2011-2012

Au siècle passé, durant plusieurs décennies, certains étaient convaincus que pour réussir sa vie, il fallait être doté d'un quotient intellectuel conséquent.  C'était le fameux QI.  Tout se situait au niveau de l'intelligence rationnelle de l'être humain.  Puis, peu à peu, des chercheurs se sont rendus compte que l'intelligence ne pouvait se suffire à elle-même mais qu'elle devait se combiner à une  autre dimension de notre humanité : nos émotions qui ont également leur siège au sein de notre cerveau.  Ainsi est née l'intelligence émotionnelle avec son QE: le quotient émotionnel.  Et depuis quelques années, certains scientifiques reconnaissent qu'il y a un troisième quotient à intégrer : il s'agit cette fois du quotient spirituel, le QS.  En effet, chaque être humain est en quête de sens et cherche à vivre en fonction de la raison d'être qu'il donne à sa vie.  Tout en reconnaissant, que pour certains, cette dernière s'inscrit dans quelque chose de plus grand que nous et que nous nommons Dieu.  Dans la foi, la Vie nous a été confiée et nous avons chacune et chacun une destinée à accomplir à partir des choix que nous posons. Il a donc fallu tant d'années pour découvrir l'impact du QI, du QE et du QS dans nos existences alors qu'il aurait suffit de bien comprendre l'évangile que nous venons d'entendre.
A l'instar de Marie, Mère de Dieu, nous sommes priés à notre tour de devenir des « cardiosophes ».  La cardiosophie, terme emprunté au philosophe Cioran, est ce cheminement intérieur qui consiste à inscrire la connaissance dans l'Amour ou pour le dire autrement, il s'agit de la sagesse du c½ur qui combine QI, QE et QS.  Reprenons l'exemple de Marie qui est sans doute la première cardiosophe depuis la nuit des temps.  « Marie, cependant, retenait tous ces événements et les méditait dans son c½ur », nous dit l'évangéliste Luc.  Face aux événements que nous traversons ou encore dont nous sommes parfois les témoins, nous sommes invités à utiliser notre raison pour comprendre ce qu'il nous arrive et surtout pour chercher à y donner sens.  Comment pouvons-nous grandir à partir de certaines expériences même si celles-ci sont pénibles voire douloureuses pour le corps et pour l'esprit ?  Nous utilisons notre intelligence rationnelle pour ne pas nous laisser dépasser par ce fléau contemporain de l'audimat qui est de chercher toujours plus d'émotionnel.  Inscrire les événements dans l'émotionnel pur, c'est tomber dans le piège de l'éphémère et du sensationnel.  C'est peut-être aussi insulter notre propre esprit et sa capacité réflexive.  La première étape de la cardiosophie est donc de chercher à donner sens en utilisant notre raison.  Mais comme le démontre Marie, le travail de mémoire ne peut suffire.  Il y a lieu de passer à une étape suivante, celle d'utiliser cette fois notre intelligence émotionnelle, c'est-à-dire d'inscrire tout événement dans les sentiments qui nous font grandir. Notre intelligence émotionnelle est là pour mettre dans nos vies une dose de douceur, une pointe de tendresse, une pincée de bienveillance,  une mesure d'affection véritable.  Utiliser notre intelligence émotionnelle nous incite ainsi à ne pas tomber dans ce sensationnalisme primaire et à être submergés par nos émotions.  Ici, c'est tout le contraire.  Notre intelligence émotionnelle va nous permettre de remettre de l'humanité au c½ur d'un événement.  Il s'agit de tout ce travail de méditation qui va conduire à un changement intérieur en profondeur.  Telle est la deuxième étape de la cardiosophie.  Nous sommes cette fois guidés par des sentiments nobles tels que la compassion, l'attention toute particulière à l'autre. Ces attitudes permettent parfois de traverser autrement l'expérience de l'injustice de la souffrance.  Nous ne sommes plus seuls.  Certains parmi nous ont choisi de nous accompagner, de nous porter dans ce que nous vivons de difficile.  Les cardiosophes sont à nous côtés, ils nous entourent et nous soutiennent.  Puis vient la troisième et dernière étape de la cardiosophie : vivre ce que nous avons à vivre dans notre c½ur, c'est-à-dire atteindre cette sagesse du c½ur en inscrivant l'événement dans l'Amour par excellence.  Nous cherchons cette fois à lui donner une dimension spirituelle.  Nous prenons conscience que le sens même de nos vies prend sa source et se réalise en cet enfant Dieu qui est venu de Dieu et qui est tout de Dieu.  Et tout cardiosophe sait pertinemment bien que notre Dieu a mis sa crèche dans notre c½ur.  C'est là et là seulement, qu'il se révèle à nous.  En ce début de l'année, à notre tour, laissons la cardiosophie envahir notre être et nous pourrons de la sorte « retenir tous ces événements et les méditer à jamais dans nos c½urs ».
Amen

Sainte Famille, année B

Auteur: Henne Philippe
Temps liturgique: Temps de Noël
Année liturgique : B
Année: 2011-2012

Comment la liturgie peut-elle présenter la Sainte Famille comme un modèle pour les familles chrétiennes ? Le père n'a pas l'air très viril, la mère est restée vierge et l'enfant est divin.  Cela ne ressemble pas du tout à nos situations concrètes.  Et pourtant relisez l'oraison du début de la messe : la Sainte Famille est présentée comme un modèle pour les familles chrétiennes.  C'est que l'idéal pour Dieu n'est pas toujours le même que l'idéal pour nous.  Voyez par exemple pour la vie conjugale.  Tout homme rêve de passer sa vie avec un conjoint et d'avoir des enfants.  Et pourtant, il y a des couples sans enfants et il y a des enfants arrivés par surprise.  Et il y a beaucoup d'autres situations difficiles.  Toutes ces situations sont-elles des échecs par rapport à l'idéal que, nous, les humains, avons de la vie ? Pour Dieu, il n'y a pas d'échec, il n'y a que le risque d'un refus d'amour.  Tous ceux qui vivent dans ces situations difficiles sont vivants devant Dieu et peuvent accéder au bonheur qu'il veut nous donner.  Il y a donc un idéal humain de la famille et un idéal divin.  Essayons d'approcher ce mystère.  Nous le ferons sous l'angle de la vie.
Joseph est le père nourricier.  Il est celui qui permet aux autres de vivre, pas seulement par l'argent de son travail, mais aussi par la discrétion de sa vie.  Le monde actuel exalte les héros qui prennent de la place.  Le monde du travail pousse chacun à se développer à prendre toujours plus de place, quitte à écraser les autres.  Et il y a des personnes qui, par leur discrétion et leur dévouement, permettent à d'autres de vivre, de respirer.  Joseph permet aux autres de vivre.  Marie donne la vie.
Marie, c'est la mère, elle donne la vie, parce qu'elle renonce à tous ses projets.  Elle pensait vivre heureuse avec Joseph.  La voici bousculée de Bethléem en Egypte et d'Egypte à Nazareth.  Son fils courra les chemins et annoncera des choses tellement révoltantes qu'il sera condamné à mort.  Marie donne la vie parce qu'elle renonce à ses projets de vie familiale et qu'elle est disponible au plan de Dieu.  Elle donne la vie et Jésus, son enfant, est la vie.
Jésus est la vie parce que c'est lui qui crée le monde et la vie humaine.  Il est aussi la vie parce qu'il renonce à lui-même et se sacrifie pour nous.  Jamais le pardon ne serait possible si on ne renonce pas à son propre orgueil, à ses propres rancunes, à son amour-propre.  C'est dans le sacrifice de soi que Jésus nous redonne la vie, qu'il peut ressusciter et nous ressusciter.
La Sainte Famille est le modèle de toute vie chrétienne par la discrétion et la modestie qui permettent aux autres et à Dieu de vivre en nous.  C'est Joseph qui permet de vivre.  Elle est un modèle par le renoncement à ses ambitions personnelles qui permettent à Dieu de développer son plan d'amour pour chacun d'entre nous.  C'est Marie qui donne la vie.  La Sainte Famille est un modèle pour nous parce qu'elle permet de retrouver la vie grâce au pardon et au sacrifice de son amour-propre.

Noël

Auteur: Cochinaux Philippe
Temps liturgique: Temps de Noël
Année liturgique : A, B, C
Année: 2011-2012

En Belgique, il y a les Wallons et les Flamands, la CSC et la FGTB, les Dominicains et les Jésuites, le Standard et Anderlecht, La Libre et Le Soir, Colruyt et Delhaise, les Chiroux et les Grignous, la RTBF et RTL, et bien sûr, dans un tout autre registre, les moules et les frites.  Et je pourrais ainsi continuer cette liste sans oublier qu'il y a également les cruches et les crèches.  Pour être cruche, c'est très simple, il suffit de ne pas réfléchir à ce que nous disons.  Par contre pour devenir crèche, cela demande une véritable disposition du c½ur.  Je m'explique.
En vieux français, la crèche était une mangeoire pour bestiaux mais au fil des siècles, elle est devenue un lieu, mieux encore la pièce toute entière.  Cette nuit, le Christ a été déposé dans une crèche.  Marie « l'emmaillota et le coucha dans une mangeoire ».  La couche du Fils de Dieu est la crèche de la crèche.  L'histoire que nous célébrons en ce jour est à ce point merveilleuse qu'il est normal que le premier endroit où le Jésus se soit reposé, est devenu le nom du lieu à proprement parlé.  La divinité de Jésus emplit tout l'espace et nous ne pouvons que nous en réjouir.  Le Fils de Dieu, tout bébé qu'il soit illumine de sa présence partout où il se dévoile et se laisse rencontrer.  Ainsi, dans l'événement de Noël, le Ciel s'est établi sur notre terre.  La gloire divine s'est installée auprès de nous, au-dedans de nous.  Dieu est né à son humanité entière.  Il se donne à nous pour que nous soyons à jamais à Lui.  Il semble ne vouloir perdre aucun d'entre nous.  Alors il a choisi de venir parmi nous pour nous faire découvrir la gloire dont il aime se vêtir.  Il n'est pas venu sur un grand char avec trompettes et fanfares. Ce serait même plutôt le contraire.  La gloire de Dieu s'offre à nous dans la fragilité d'un nouveau né.  Sa puissance se réalise dans le fait qu'il accepte que nous le portions en nous.  En cette nuit de Noël, Dieu se laisse porter par son humanité.  Nous le tenons dorénavant dans nos bras.  L'enfant-Dieu nous tend ses mains comme si, dans son gazouillis, il cherchait à nous susurrer au creux de notre c½ur : « j'ai besoin de vous.  Je ne peux pas me passer de vous.  Sans vous, je n'y arriverai pas.  Prenez-moi avec vous ».  Et voilà que cette musique-là se met à emplir notre être tout entier.  Nous laissons, nous aussi, tout l'espace à Dieu au-dedans de nous.  Il s'est fait l'un des nôtres pour que nous partagions pleinement cette dimension divine qui sommeille en chacune et chacun de nous.  Dieu nous enveloppe de sa lumière.  Celle-ci n'est plus extérieure à nous.  Elle nous illumine de l'intérieur et donne un autre sens à nos vies.  Il s'est incarné, il y a un peu plus de deux mille années, parce qu'il avait souhaité pouvoir se dévoiler à nous dans la fragilité, la candeur, l'innocence de la vie.  Depuis cette fameuse nuit où une étoile a brillé d'une lumière plus forte encore, la puissance de Dieu s'est donnée à nous dans un nouveau né, dans un être qui ne peut encore se dire et se raconter mais qui peut se laisser regarder pour mieux nous attendrir à sa divinité.  Noël devient alors une invitation à nous laisser faire pour que Dieu puisse prendre en nous toute sa place et ne plus faire qu'un avec nous.  Dieu a pris le chemin de l'être humain pour que nous puissions à notre tour prendre celui de Dieu.  L'événement de Noël devient ainsi cette occasion unique où le Verbe s'est fait chair pour qu'un jour l'humanité tout entière soit la crèche accomplie de sa divinité.  En attendant ce jour, laissons à Dieu l'occasion de nous envahir pour que nous soyons à jamais pétris de sa présence et donnons lui en retour la possibilité de permettre à Marie de venir déposer en chacune et chacun de nous l'enfant-Dieu. Notre c½ur deviendra ainsi une nouvelle crèche et si nous laissons cette vie divine emplir tout notre être, nous deviendrons à notre tour crèche vivante au c½ur de notre humanité.  Pour ce faire, il suffira de devenir des hommes et des femmes contagieux de Dieu.  Cela ne se fait pas dans de grands discours mais tout simplement dans la tendresse de regards échangés, dans la douceur de paroles prononcées, dans l'affection de gestes partagés, dans l'amitié d'une écoute attentionnée.  Alors et alors seulement, nous brillerons de cette foi qui donne une nouvelle lumière à nos vies.  Que l'étoile de Noël nous illumine avec surabondance et nous permette à notre tour de montrer à celles et ceux de qui nous nous ferons proches, la route divine de la Vie.

Joyeux Noël.

Amen

Noël

Auteur: Devillers Raphaël
Temps liturgique: Temps de Noël
Année liturgique : A, B, C
Année: 2011-2012

ADMIRER LA CRÈCHE OU EN ÊTRE UN PERSONNAGE ?

CELEBRATIONS : Il est conseillé de lire à la suite les évangiles des « messes de la nuit et de l'aurore »
qui constituent un tout et permettent d'entendre  la note capitale sur l'attitude de Marie.

Il y avait environ 40 ans que Jésus avait été crucifié à Jérusalem lorsqu'un disciple, appelé Marc, collecta quelques souvenirs à son sujet et les présenta non comme une biographie mais comme un « EVANGILE » (Une première dans l'histoire de l'humanité !). Il commença son texte par le récit du baptême car pour lui ce qui s'était passé auparavant dans la vie de Jésus n'avait pas d'importance. Seul comptait le déploiement de sa mission jusqu'à la croix et l'annonce que Jésus était ressuscité.
Dans les nombreuses communautés chrétiennes de l'époque, des questions se posaient, des débats éclataient : au fond Jésus n'était-il qu'un homme qui, lors de son baptême, avait reçu une illumination ? N'était-ce pas à ce moment inaugural que le charpentier de Nazareth avait bénéficié du don de l'Esprit-Saint qui avait fait de lui un « fils de Dieu » ? C'est pour réfuter cette opinion, pour préciser davantage l'identité réelle de Jésus et étoffer ses enseignements que, dans les années 80, deux nouveaux Evangiles parurent : sous les patronages de Matthieu et Luc et s'inspirant du texte de Marc, ils remontèrent jusqu'à la naissance du personnage et même à sa conception. En affirmant la conception virginale en Marie, les auteurs ne voulaient ni dénigrer la valeur du mariage ni raconter un prodige mais enseigner que le Messie Sauveur du monde ne pouvait absolument pas  être l'½uvre de l'homme. En précisant que l'être-Jésus était fruit de l'Esprit -c.à.d. de la Force divine- présent dans le sein d'une femme, ils voulaient affirmer son identité originelle de Fils de Dieu prenant naissance au c½ur de la chair. Quelques années plus tard, Jean donnera la formule de l'incarnation : « Et le Verbe s'est fait chair ».
Voilà pourquoi NOËL n'est pas une fête folklorique et sentimentale ni le charmant tableau d'une jeune mère avec son nouveau-né ni une légende brodée par la 2ème génération chrétienne ni une élaboration théologique.
« Faire une crèche », c'est bien : encore faut-il comprendre « le signe ». Que nous enseigne saint Luc à travers son célèbre récit ?

Que Jésus soit né à Bethléem, le village de David, veut dire qu'il est bien le Messie que les Ecritures annonçaient comme héritier de la dynastie. Depuis des siècles, cette lignée royale ne disposait plus d'aucun pouvoir : aussi Jésus, le lointain descendant, est-il un roi pauvre, démuni, ignoré, sans puissance. Son Royaume ne s'appuiera plus sur les armées, le prestige ou le faste mais sur l'amour. Le petit prince est sur la paille. Il ne donne aucun ordre : il mendie notre amour. Renversement total de l'idée de pouvoir.

Que Jésus soit né au hasard d'un voyage, suite à un édit de recensement organisé par le pouvoir romain, signifie qu'il est bien un homme inscrit sur les listes de la population, un être humain apparu à tel moment de l'histoire et non un mythe. Juif soumis au pouvoir politique, il n'a rien d'un Messie nationaliste pour tramer un soulèvement contre l'oppression romaine. Plus tard il accueillera un officier de l'armée romaine, il ne maudira pas le préfet Pilate qui le juge et le condamne. Avec ses parents, Jésus subit les aléas des circonstances, il est bousculé, entraîné là où il ne voulait pas. Son Royaume s'établira selon les refus et les décisions des hommes de son temps. Autrement dit, la volonté de Dieu se réalise à travers les ordonnances des hommes. Là où César manipule les foules, la grâce de Dieu apparaît en silence. Là où le hasard bouscule, un projet se réalise. Nous maudissons des circonstances qui, plus tard, s'avèrent providentielles.

Que l'enfant naisse en pleine nuit nous suggère qu'il est bien la Lumière scintillant -oh si peu !-dans les ténèbres mais qui rayonnera de sa clarté jusqu'aux limites du monde, éclairant les âmes de sa vérité. Les ténèbres du péché ne seront jamais assez épaisses que pour empêcher la venue du pardon et de la joie.

Que des bergers soient les premiers à venir le reconnaître n'est pas une image bucolique. Ces jeunes sont des hommes éveillés, sur le qui-vive, protégeant les troupeaux des attaques des prédateurs ; ils sont catalogués par les bien-pensants comme chapardeurs, illettrés, minables,  infidèles à la Loi. Plus tard ne sont-ce pas des pauvres, des publicains, des prostituées, des hors-la-loi qui se presseront pour venir écouter Jésus et se convertir ? « Veillez » sera l'ultime consigne de Jésus : rien n'est plus essentiel à écouter dans une société qui nous anesthésie !

Des Anges innombrables louent Dieu en chantant : «  Gloire à Dieu au plus haut des cieux et paix sur terre aux hommes qu'il aime ». Dieu s'humanise, l'abîme entre ciel et terre, entre Dieu et nous, est comblé. Si, par la science, l'homme peut aller marcher sur la lune (où sa condition reste inchangée), par la foi il peut accueillir Dieu qui vient marcher sur la terre  et sa condition change du tout au tout ! Jésus est signe vivant de l'amour de Dieu. Donc sa présence unit. Quand la Gloire de Dieu est reconnue et chantée, la vraie paix peut s'établir entre les hommes. Crier « Paix sur terre » sans louer la Gloire divine : tentation permanente des peuples,  toujours vouée à l'échec, aux carnages, aux ruines.

« Marie cependant retenait tous ces événements et les méditait dans son c½ur ». Lors de l'Annonciation, un garçon lui était promis qui serait roi au trône éternel....et là voilà, pauvre mère jetée dans une détresse qu'elle ne pouvait prévoir. Mais pas plus que naguère, elle n'exige des éclaircissements, des garanties, des explications. Tout doit avoir sens, même ce qui paraît inexplicable et scandaleux. L'exil, la nuit, la mise à l'écart, la crèche, la paille, les bergers... : il faut retenir les moindres détails, méditer sur les circonstances, les rassembler, les éclairer par les Ecritures antiques. A l'Annonciation « elle était bouleversée ... elle se demandait ce que pouvait signifier » ce message qu'elle percevait par bribes (4ème dimanche de l'Avent). Ici à nouveau Marie est vraiment « intel-ligente » (non au sens scolaire) : elle nous apprend à « lire-dedans », à entrer dans  la profondeur du vécu.

C'est pourquoi lorsque saint Luc et sa communauté divulguent leur Evangile après avoir, comme Marie, « retenu et médité », ils ne précisent ni le jour ni l'année de l'événement, ce qui le renverrait dans l'histoire ancienne. Ils ne conseillent à leurs lecteurs ni d'installer une crèche avec des santons ni de partir en pèlerinage à Bethléem. Ils racontent ce qui nous est encore lu aujourd'hui. Et les premiers chrétiens, toisés de haut par les malins, suspects au pouvoir, dépouillés de leurs biens, quittent leurs maisons dans la nuit et se hâtent vers l'Eglise qui, pour eux, n'est pas un édifice mais une communauté. Ils tendent la main, ouverte comme une crèche, pour recevoir un pauvre morceau de Pain et, pleins d'allégresse, ils chantent:
« Gloria ! Gloria ! ...Gloire à Dieu qui nous aime et paix entre nous ».

Ce qui est arrivé arrive encore. Une paroisse est un « Beth-léhem » - en hébreu la MAISON DU PAIN -  toujours ouverte pour accueillir ceux et celles qui veillent dans la nuit et qui, méditant dans leur c½ur la vie de Jésus et leur propre histoire, comprennent, comme Marie, le Mystère dans lequel ils sont investis.


4e dimanche de l'Avent, année B

Auteur: Devillers Raphaël
Temps liturgique: Avent
Année liturgique : B
Année: 2011-2012

Si le Christ ne naît en toi

Noël est maintenant tout proche. Le monde a installé sa formidable machine à acheter et consommer : illuminations, sapins, guirlandes, monceaux de marchandises, torrent d'alcools, publicités pour les vacances de ski.... La magie fonctionne à plein: on a réussi - en mieux ! - à reconstituer les festivités païennes qui, à la même date, célébraient le soleil dans la Rome antique.
Les braves chrétiens, eux, vont préparer le repas familial et les cadeaux. Ils ressortiront la crèche du grenier et les santons attendront qu'on dépose le petit Jésus au milieu d'eux. Dans l'église, la chorale peaufinera ses charmants cantiques (ne pas oublier le « Stille Nacht » !!) pour la « messe de minuit » qui aura lieu à 18 h. (car seules y viendront des personnes âgées qui ne peuvent veiller trop tard).
Tout cela est plein de bonne volonté mais il est fort à craindre que cela ne reste que des pratiques extérieures. Si Noël n'est qu'un souvenir pieux, sa fête reste vaine.
Angelus Silesius écrivait :
«  C'est en toi que Dieu doit naître.
Christ serait-il né mille fois à Bethléem, et non en toi,
tu restes perdu à jamais ».

Comment le Christ peut-il naître en nous ? Marie nous l'apprend, elle qui fut la première à le recevoir : la grande scène de l'ANNONCIATION sert à notre initiation. La méditer longuement ouvrira notre intériorité afin d'y accueillir la Présence.

ECOUTER ET ACCUEILLIR LA PAROLE

A Nazareth, bourg insignifiant de Galilée, on a célébré les noces de Joseph et de Marie. Celle-ci doit donc avoir environ 14 ans et, selon la coutume, elle vit encore pendant quelques mois chez ses parents. Or un jour, toute seule, elle fait une expérience indicible : on ne dit pas qu'elle bénéficie d'une apparition mais qu'un messager venu de Dieu l'interpelle. Si la scène n'est pas datée, c'est parce qu'elle peut se reproduire indéfiniment. Chaque aspect du texte nous conduit vers notre intérieur.

« L'ange Gabriel fut envoyé par Dieu à Nazareth à Marie, une jeune fille accordée en mariage à Joseph. L'ange entra chez elle et dit... »
La scène n'a pas de témoin. Marie est seule, silencieuse, accueillante au mystère. Elle ne soliloque pas, ne se parle pas à elle-même. La voix vient d'ailleurs. Savons-nous, comme elle, faire taire le brouhaha incessant, arrêter le flot des images, slogans, messages crachés par les médias intarissables ? Avons-nous tellement peur de nous retrouver seuls ?  Comment Dieu viendrait-il dans un c½ur plein ?

« Réjouis-toi (et non « Je vous salue ») : le Seigneur est avec toi » :
Il ne s'agit pas d'une banale salutation. C'est le même appel à la joie qui jadis avait été lancé à Jérusalem pour lui annoncer la prochaine venue du Seigneur au milieu d'elle (Sophonie 3, 14). Dieu est tout heureux de prévenir qu'il arrive...non pour secouer, punir, exciter au remords mais accomplir.  Laisse là tes appréhensions. Etre sérieux n'est pas être compassé, craintif. Ouvre-toi à la vraie joie, celle que le monde ne peut donner.

« Tu vas concevoir et enfanter un fils... » :
Jadis, alors que les armées ennemies, en - 735, approchaient de Jérusalem pour punir la ville et abolir la dynastie de David, un prophète était venu rassurer la reine : N'ayez pas peur, vous aurez un fils qui poursuivra l'½uvre de Dieu (Isaïe 7, 14). A Nazareth, dans un pays occupé par la puissance romaine, Dieu vient s'adresser à Marie, épouse d'un descendant de David. Aujourd'hui dans les bruits de guerre, les craquements de la crise, les affolements des masses, ne crains pas : le dessein de Dieu se poursuit. La Vie vient.

« Il aura la trône de  David son père et il règnera pour toujours » :
Nathan le prophète avait promis au roi David que son fils règnerait et que sa Maison royale subsisterait toujours (2 Samuel 7, 16). Les Empires ont écrasé Israël pendant des siècles, les ruines se sont accumulées, les palais ont disparu. Mais maintenant vient Jésus, véritable fils de David, garant d'une royauté éternelle. C'est la confiance dans la promesse de Dieu qui libère. Noël, c'est le c½ur humain enfin libre chez lui.

«  L'Esprit-Saint viendra sur toi, la puissance divine te prendra sous son ombre » :
Jadis le rayonnement de la Gloire de Dieu était descendu sur le temple de Salomon (1 Rois 8, 10). Ici   maintenant, c'est la simple Marie qui devient la demeure consacrée, la Fille de Sion riche de la Présence divine. Saint Paul nous rappellera notre éminente dignité : «  Ne savez-vous pas que vous êtes le temple de Dieu et que l'Esprit de Dieu habite en vous ? »(1 Cor 3, 16)... « Ne savez-vous pas que votre corps est le temple du Saint-Esprit qui est en vous, et que ne vous appartenez pas ? » (6, 19). N'achète pas une crèche de luxe : regarde ton corps. Là est Dieu.

« Car rien n'est impossible à Dieu »
Le Seigneur avait chassé les doutes du vieil Abraham en l'assurant que son épouse âgée aurait un fils. Mais maintenant c'est Elisabeth, la cousine de Marie, qui après des années de stérilité, sera enceinte de Jean-Baptiste. (Genèse 18, 14). Veux-tu contrôler la vérité de la foi ? Regarde autour de toi : parmi les ruines de tes échecs surgit la vie ; dans la boue fleurit la rose ; dans la nuit rosit l'aurore.
Comme on le voit, les messages de l'Ange ne sont pas des révélations ésotériques nouvelles mais la répétition d'oracles anciens qui vont s'accomplir de façon inouïe en cette jeune femme de Nazareth. La foi n'est donc pas quête de preuves, de miracles, d'explications inédites. Elle commence lorsque nous acceptons d'écouter vraiment ce que Dieu a dit dans les Ecritures et en consentant à ce que les histoires anciennes nous concernent afin de se réaliser en nous.
C'est de Toi qu'il est question. Ne cherche pas des preuves « historiques » des événements anciens : laisse Dieu faire l'histoire avec TOI. 

« Marie dit alors : « Voici la servante du Seigneur : que tout se passe pour moi selon ta parole ».
Au début elle écoutait ; puis bouleversée, elle cherchait à comprendre la signification des messages perçus ; puis elle achoppait sur sa faiblesse (« Comment cela va-t-il se faire puisque je ne connais pas d'homme ? »). A la fin, la jeune Marie acquiesce.
Oh elle n'exige pas de preuves, ne demande pas un délai de réflexion, ne prétexte pas de sa faiblesse pour décliner l'invitation, ne s'évade pas dans l'extase.
Elle décide seule, sans solliciter de permission auprès de ses parents ou de Joseph, sans vouloir des éclaircissements sur l'avenir. En effet que va-t-il se produire ? Comment les choses vont-elles se dérouler ? Elle ne sait. Elle fait confiance.
Elle ne dit pas oui de la tête à un message théologique : elle se donne. « Ceci est mon corps ».

* * *
La Bible peut demeurer un livre clos, bien rangé dans la bibliothèque.
Elle peut être parcourue avec méfiance : recueil de légendes ? de mythes ? ...
Ou rejetée pour ses scandales : guerres, exterminations, adultères, haines, orgueil, ambitions.
De toutes manières on la considère comme un livre ancien.
Mais elle peut tout à coup, dans le silence, laisser entendre une voix. Retentir comme une ANNONCE.
A cet instant ne t'applique plus à la lecture : c'est à Toi que l'on s'adresse.
Ce sera la fin des discussions et le début d'une décision.
Je suis sous le choc, comme Marie.
Je ne comprends pas bien ce qui m'est murmuré, comme Marie.
Je me sens incapable de réaliser ce qui m'est proposé : comme Marie.
Enfin je me rends. « Me voici, Seigneur, pour faire ta volonté ». Comme Marie.
Alors Dieu vient. Car il ne vient que là où on le laisse entrer.
Et il s'incarne, il prend chair. La tienne. La mienne. Comme dans Marie.

4e dimanche de l'Avent, année B

Auteur: Van Aerde Michel
Temps liturgique: Avent
Année liturgique : B
Année: 2011-2012

« Comment cela va-t-il se faire ? » La question se comprend car rien n'est aussi impressionnant que cette affirmation : « Voici que tu vas concevoir et enfanter un fils » car ce fils, nous le croyons, nous le savons dans la foi, est le Verbe de Dieu, la Parole Créatrice, le « Fils du très-Haut ».
Concevoir la parole. Si cela est donné à Marie physiquement, cela nous est donné aussi à nous analogiquement. L'Eglise de Dieu est appelée à prêcher porter au monde, mettre au monde, le Verbe libérateur, source de Vie. Comment pouvons-nous aujourd'hui, à notre tour, porter la parole de vie et véritablement lui donner corps ? Pour répondre à cette question, permettez moi de vous inviter à fêter un anniversaire qui nous tient à c½ur, dans l'Ordre des Prêcheurs.

***
Il y a exactement 5 siècles, pour le 4ème dimanche de l'Avent 1511, un sermon très fameux dans le monde hispanophone, moins connu dans les autres cultures, retentissait comme un cri. Cette parole d'une audace et d'une lucidité incroyable est comme l'arrivée authentique de l'Evangile dans le Nouveau Monde, en Amérique donc, dans cette île alors appelée Espanola qui correspond aujourd'hui à Saint-Domingue/Haïti. Dans une église, qui existe toujours, même si elle est maintenant agrandie, dans un style gothique finissant, se trouvaient rassemblés le gouverneur, Diego Colon, le fils de Christophe Colomb, et l'ensemble des conquistadores espagnols. Le futur frère Bartolomé de Las Casas, plus tard fondateur des droits de l'homme, était là aussi. Il ne s'était pas encore converti. Il n'était pas encore dominicain, il était encore un colon esclavagiste.

Ce sermon retentissant, vous l'avez entre les mains et la statue dont vous voyez le dessin fut offerte par le gouvernement du Mexique, pourtant laïc et un peu anticlérical. Elle se dresse sur 10 mètres de haut, en pierre noire et blanche, tournée vers l'océan. Le prédicateur s'adresse à la mer parce que la ville ne veut pas entendre. Il a le sentiment de parler dans le désert.

Que dit-il ? Attentif aux indiens méprisés et massacrés, il pose une question, « la » question que la mauvaise foi des dominants ne pouvait accepter : « Ne sont-ils pas des hommes ? N'ont-il pas une âme raisonnable ? N'êtes-vous pas obligés de les aimer comme vous-mêmes ? Ne le comprenez-vous pas ? Ne le sentez-vous pas ? Comment pouvez-vous être dans un sommeil aussi profond ? Comment êtes-vous si  léthargiquement endormis ? »

Bartolomé de Las Casas décrit l'effet de la prédication : « Antonio de Montesinos leur parla de telle manière qu'il les laissa abasourdis, beaucoup d'entre eux étaient hors de sens, d'autres plus endurcis encore, certains quelque peu émus, mais personne, à ce que j'ai appris par la suite, ne s'est converti.
Une fois terminé son sermon, le prédicateur descendit de la chaire, et il n'avait pas la tête basse car il n'était pas homme à montrer qu'il avait peur, et d'ailleurs, il n'avait pas peur !...
Toute la ville se rassembla dans la maison de l'Amiral don Diego Colon, fils de Christophe Colomb. Etaient présents les officiers du roi, le trésorier, et ils se mirent d'accord pour reprendre le prédicateur et lui faire peur ainsi qu'aux autres, s'ils ne le châtiaient pas comme un homme scandaleux...
Ils vont au couvent,  demandent le supérieur et le frère qui a prêché. Le prieur arrive seul. C'était le vénérable Pedro de Cordoba... »

Il déclare simplement que ce n'est pas le fr Antonio de Montesinos qui a parlé mais toute la communauté qui a prêché. En effet dit-il, nous avons jeûné, prié, médité ensemble.

La question est grave. Elle remet en cause la légitimité même de la présence des espagnols sur les terres nouvelles.

***

Les autorités de l'île envoient une lettre au roi d'Espagne, portée par un franciscain, opposant ainsi religieux à religieux, pour diviser et discréditer. Le roi, bien entendu répond à Diego Colon qu'il ne doute absolument pas de la légitimité de sa souveraineté sur les Indes occidentales puisque celle-ci est fondée par ses conseillers théologiens, que la prédication des dominicains est donc totalement erronée, qu'elle manque de fondement théologique, qu'elle ignore la donation du pape et qu'elle n'est « pas fondée en Sainte Ecriture comme cela serait normal de la part de religieux ». Cette prédication est donc une doctrine « nouvelle, scandaleuse et dépourvue de tout fondement ».

A la suite de cela, le provincial s'incline... il fait un précepte formel à nos frères : « pour que le mal ne dure pas davantage et qu'un tel scandale cesse, je vous commande à tous et à chacun en particulier in virtute Spiritus Sancti et sanctae obedientiae et su poena excommunicationis qu'aucun de vous ne se risque à prêcher de nouveau sur ce sujet. »

Heureusement, à cette époque il n'y a ni fax ni email. Les lettres croisent le bâteau du fr Antonio de Montesinos, envoyé expliquer lui-même en Espagne la position des missionnaires. Transgressant le protocole de la cour, il parvient par surprise devant le roi et, se mettant à genoux, lui dit « Monseigneur, je supplie votre Altesse de m'accorder une audience car ce que j'ai à vous dire sont des choses très importantes et à votre service ». Le roi accepte de l'écouter et « alors Montesinos sort ses papiers et commence à décrire les ravages de la guerre provoquée sans aucune cause par ses gens et le traitement inhumain qu'on fait subir aux indiens dans les mines et autres travaux forcés. Il finit en posant cette question « Votre Altesse ordonne-t-elle de faire cela ? » « Non, pour Dieu, dit le roi, jamais je n'ai ordonné une telle chose de toute ma vie ».
Montesinos, voyant le roi attendri, le supplie d'avoir pitié des indiens et d'ordonner de remédier à leur situation avant qu'ils ne soient totalement exterminés »  (Las Casas)

C'est ainsi que vinrent, en décembre 1512 les premières dispositions en faveur des indiens, appelées « les lois de Burgos ».

***

Arrive alors en bateau Pedro de Cordoba qui dit au roi que ces lois qui viennent d'être publiées ne suffisent pas. Le roi lui déclare alors : « Prenez, vous, mon Père, la charge de remédier à tout cela et vous rendrez grand service. Je commanderai que l'on observe et accomplisse ce que vous déciderez »
Mais le frère s'excusa : « Monseigneur, il ne correspond pas à ma profession religieuse de m'engager dans une affaire si difficile, je supplie votre Altesse de ne pas me le commander ».
Les lois furent renforcées mais la suppression des encomiendas que demandait Pedro de Cordoba ne fut pas réalisée. Le frère Bartolomé de Las Casas regretta toujours que les frères dominicains n'aient pas accepté le pouvoir que le roi leur offrait.

***
En conclusion de ce rappel historique je pose deux questions : savons-nous donner corps à la parole communautairement, en transgressant les interdits s'il le faut ? Et savons-nous bien nous situer dans les jeux du pouvoir politique ?