Car. . . aime !
Mercredi dernier, l'Eglise est entrée en carême. Il est probable que pour une grande partie des chrétiens, cela ne signifie pas grand-chose. Jadis on savait : carême, c'était faire de petits sacrifices, se priver de friandises, manger du poisson à certains jours. Aujourd'hui, on nous prie de nous montrer plus généreux lors des collectes du « carême de partage », de participer à un « souper bol-de-riz ». C'est mieux mais un peu court comme programme ! Lorsque tant de choses sont oubliées, il importe de rappeler l'essentiel.
« Carême » (du latin « 40 ») signale que, dans 40 jours, nous célébrerons Pâques. Nous faisons donc mémoire des 6 dernières semaines de la vie de Jésus. Quittant la Galilée, il a décidé de monter à Jérusalem lors de la fête de la Pâque afin d'y achever son ½uvre : annoncer que le Règne de Dieu s'approche, appeler à se convertir. Ce message concerne tout le monde, au premier chef les autorités religieuses dont il lui faudra dénoncer l'hypocrisie, le légalisme et la cupidité. Jésus sait qu'il va se heurter à leur refus catégorique et donc qu'il payera de sa vie son audace. Il ne pourra purifier le temple qui est la « maison de son Père » mais, par son amour vécu jusqu'à la mort, il entrera dans la véritable Maison céleste du Père et du coup en ouvrira le chemin pour tous les croyants en lui. C'est cette même visée qui doit motiver notre carême, MARCHE VERS PÂQUES.
LE POINT DE DEPART : LE BAPTEME
Si Jésus a le courage de cette démarche, s'il peut mener jusqu'au bout la mission reçue de son Père, c'est à cause de son baptême. La plongée dans l'eau lui a donné le courage de passer par le baptême de feu de la souffrance. C'est pourquoi notre premier évangile de carême nous rappelle cette scène :
Jésus venait d'être baptisé. Aussitôt l'Esprit le pousse au désert. Et dans le désert, il resta 40 jours, tenté par satan. Il vivait parmi les bêtes sauvages et les Anges le servaient.
Descendu de Galilée, Jésus est venu écouter ce prophète véhément qui secoue l'apathie des foules, annonce l'imminence du jugement de Dieu, presse ses auditeurs à confesser leurs péchés et à descendre dans l'eau pour obtenir le pardon. Impressionnés, les gens obtempèrent puis s'en repartent chez eux : il y a tant de rites, tant de cérémonies qui n'ont ainsi aucun impact sur l'existence ordinaire. Jésus, lui, fait une expérience bouleversante : en remontant de l'eau, saisi par un flux de l'Esprit de Dieu, il a perçu nettement un appel : « Tu es mon Fils bien-aimé ; en toi je me complais ». Le charpentier doit cesser de construire des maisons pour commencer à reconstruire l'humanité.
Comment faire ? L'appel divin était net mais muet sur la méthode. Jésus, seul, s'enfonce dans la solitude du désert de Judée pour trouver la réponse : Il y est tenté, d'une façon que Marc ne précise pas, mais qui est normale. Car d'une part lorsque se profile la réalisation du projet de Dieu, les forces du mal se déchaînent, les objections pleuvent, les résistances se durcissent. Et d'autre part l'appel de Dieu ne bride pas la liberté mais la suscite au maximum. A la différence de ses ancêtres qui, dans le désert, pestaient contre le manque d'eau et de nourriture, récriminaient contre leur chef et envisageaient même de retourner à l'esclavage, Jésus assume sa vocation et opte pour la méthode de Dieu : 1) vivre de la Parole de Dieu dans la pauvreté, 2) ne pas subjuguer la foule par des prodiges, 3) ne pas user de violence.
La suite de l'Evangile montre comment Jésus a mis en ½uvre ce programme et donc comment, sur ses traces, l'Eglise se doit d'agir. Qu'elle ne s'étonne pas des tempêtes des tentations, qu'elle s'en relève lorsqu'elle y succombe, qu'elle revienne de ses dérives, qu'elle garde le cap de l'Evangile de son Seigneur.
LA MISSION FONDAMENTALE
Après l'arrestation de Jean Baptiste, Jésus partit pour la Galilée proclamer la Bonne Nouvelle de Dieu. Il disait : « Les temps sont accomplis, le Règne de Dieu est tout proche : convertissez-vous et croyez à la Bonne Nouvelle ».
La rumeur se répand : Jean a été arrêté et, on s'en doute très vite, il sera exécuté. La menace de mort plane sur celui qui cesse de ronronner des discours pieux et inoffensifs et qui, comme prophète, ose dénoncer la turpitude des grands de ce monde. Jésus sait déjà ce qui l'attend.
IL PART POUR LA GALILEE. Non qu'il craigne ses ennemis (il saura les affronter en temps voulu) mais d'abord il lui faut commencer sa mission et il a décidé, à la différence de Jean, non pas de se fixer dans la solitude pour y attendre les gens mais de circuler dans sa région. Il y a un temps de prière et de réflexion dans la solitude puis le temps de la mission en plein monde. Jésus part à la rencontre des gens, pour les rejoindre dans leur milieu naturel : c'est dans la vie ordinaire et quotidienne que la Bonne Nouvelle doit être dite afin d'y être vécue dans toutes les situations.
Que fait-il ? IL PROCLAME LA BONNE NOUVELLE DE DIEU. Après, il y aura l'enseignement, la catéchèse, la liturgie, la pastorale, la gestion...mais l'ensemble ne reste vivant que suspendu à cette joyeuse annonce qui ne doit jamais être sous-entendue, considérée comme accomplie, supposée connue. Dieu est toujours en train de venir. Son oubli conduit l'humanité aux déséquilibres, aux guerres, à la mort de l'homme.
Que dit Jésus ? Quel est son kérygme (proclamation publique d'une nouvelle importante) ?
LES TEMPS SONT ACCOMPLIS. L'histoire ne se déroule pas au rythme des empires, des conquêtes militaires, des grandes inventions, des événements spectaculaires pour les médias mais bien selon un certain Plan de Dieu. Si le c½ur humain n'est jamais satisfait, jamais comblé, toujours en manque, c'est parce qu'il est fait pour Dieu. Présence que Jésus apporte. Son accueil est l'accomplissement du temps qui devient ouvert sur la dimension de l'éternel.
LE REGNE DE DIEU EST TOUT PROCHE.
Pourquoi ne pas dire qu'il est là ? Parce que Dieu ne viole pas notre conscience et qu'il attend toujours que l'homme l'accueille. Et aussi parce qu'il s'insinue dans le temps, se prête à nos patiences, se développe selon nos décisions. Dieu ne cesse de venir.
CONVERTISSEZ-VOUS.
Si l'homme écoute l'appel, il saisit immédiatement qu'il adorait ce que la bible appelle des idoles c.à.d. des faux dieux, des fausses valeurs que la société est si prompte à placer sur des trônes et qui mobilisent les foules. La moindre lueur du Royaume qui vient révèle leur vanité, leur péril car sous des promesses de mieux vivre, d'être à la mode, elles mènent à la compétition, l'envie, le désarroi, le désespoir. Mais quelle que soit la puissance de contagion de ces idoles, la conversion est possible. C'est une des grandes nouvelles apportées par la révélation biblique : rien n'est fatal, définitif, irrémédiable. Toujours il y a une fissure dans les murs de nos prisons, une aurore dans nos ténèbres. Changer, se retourner, aller vers la Vie qui vient : là est le vrai sens du mot « pénitence » qui, hélas, en est venu à désigner des privations et de la tristesse.
ET CROYEZ A LA BONNE NOUVELLE. Si son appel nous parvient à peine dans le brouhaha des cris et des musiques, si le poids de nos fautes nous pèse, si l'Eglise nous déçoit, si le changement nous fait peur, si nous craignons d'être traités de naïfs, ayons le courage de l'avenir de Dieu. « Croyez » c.à.d. faites confiance à ce message : il semble vieux de plusieurs siècles, il a souvent avorté, il n'est pas « à la mode »(dit-on) mais il reste NEUF comme aux premiers jours.
CONCLUSION
Donc d'après cette lecture, le carême est décision de marcher vers Pâques, avec un projet de conversion (de soi-même et de l'Eglise). Il faut re-proclamer la Bonne Nouvelle comme Jésus (cf. ci-dessus). Cela coûte cher. Nous n'en aurons la force qu'en « réalisant » ce que signifie le baptême, en retrouvant notre identité de « fils de Dieu », en priant dans la solitude, en écartant les tentations idolâtriques si puissantes aujourd'hui, en osant aller à contre-courant des modes. Le chrétien doit redevenir un « original ».