5e dimanche de Carême, année B

Auteur: Devillers Raphaël
Temps liturgique: Temps du Carême
Année liturgique : B
Année: 2011-2012

" Pour moi, jamais d'autre titre de gloire que la croix de notre Seigneur Jésus-Christ " (Paul aux Galates 6, 14)

Dimanche prochain, fête des Rameaux, nous écouterons le récit - selon S. Marc - de la joyeuse entrée de Jésus à Jérusalem.  Saint Jean  raconte, lui aussi, cet événement mais il ajoute une précieuse notation sur la conscience de Jésus : comment vit-il ce moment ? C'est le texte d'aujourd'hui.

Cinq jours avant la Pâque (12,12), les pèlerins de tous pays affluent par milliers dans la capitale afin de participer à cette grande fête de la libération. Soudain près d'une porte d'entrée de la ville, un cortège se forme  autour d'un certain Jésus que la foule acclame comme « Roi ». Intrigués par cette manifestation, des Grecs (c.à.d. des païens qui observent la religion juive) demandent aux apôtres: «  Nous voudrions voir Jésus ». Ils désirent sans doute avoir un entretien avec lui, connaître son projet mais Jésus interprète cette simple demande de curiosité comme un appel immense du monde païen.

Alors Jésus déclare : « L'HEURE est venue pour le Fils de l'homme d'être glorifié ! »
La mission de Jésus consiste à accomplir le projet de son Père dont les appels lui parviennent par des événements et qui culmine dans une certaine « heure ». Jusqu'ici elle n'était pas arrivée, c'est pourquoi ses ennemis n'avaient pas réussi à l'arrêter (7, 30 ; 8,20): maintenant la demande des païens lui signifie qu'elle est là. Son peuple qui est en train de l'applaudir va le rejeter mais, en offrant sa vie consciemment, en aimant jusqu'à l'extrême (13,1), en manifestant sur la croix que « Dieu a tant aimé le monde qu'il donne son Fils pour le sauver » (3, 16), Jésus va ouvrir le Royaume à tous les peuples. Pendu au gibet, le Fils de l'homme, sur le trône de la croix, manifestera sa gloire à tous les peuples. Partout et jusqu'à la fin des temps, les hommes pourront VOIR QUI EST JESUS POUR EUX, comprendre qu'il est leur Sauveur.

« Amen, amen, je vous le dis : si le grain de blé tombé en terre ne meurt pas, il reste seul ; mais s'il meurt, il porte beaucoup de fruit.... »
Adulé pour ses prédications et ses miracles, Jésus sait qu'il est malgré tout resté « seul »car le corps qui nous permet de communiquer avec autrui nous enferme aussi en nous. L'heure terrifiante et glorifiante est venue où, comme le grain de blé, il va s'ouvrir afin de devenir la nouvelle moisson de l'humanité sauvée. Et cette parabole exprime une loi universelle :
Celui qui aime sa vie la perd ; celui qui s'en détache la garde pour la Vie éternelle.
Cette phrase est celle qui est la plus répétée de tous les évangiles tellement nous sommes durs à l'admettre ; en effet tout notre être biologique est centré sur la sauvegarde de la vie et il se rétracte devant la perspective de la mort. Pourtant il est indispensable non de disparaître, de nous anéantir, mais de savoir sacrifier une vie éphémère pour déboucher dans la vraie Vie, la Vie de Dieu.
Si quelqu'un veut me servir, qu'il me suive ; et là où je suis, là aussi sera mon serviteur.
Si quelqu'un me sert, mon Père l'honorera.
Jésus n'impose jamais le sacrifice comme un ordre. « Si quelqu'un veut...» : que chacun réfléchisse aux enjeux de la vie, au sens de la condition humaine, qu'il écoute Jésus et son Evangile, qu'il décide de s'attacher à lui et qu'il prenne le même chemin. En toute liberté. C'est l'amour de Jésus qui lui permettra d'être à son tour un grain qui se laisse ouvrir : alors il pourra « voir Jésus », demeurer toujours avec lui dans la Gloire du Père.

L'AGONIE ET LA GLORIFICATION

Quelle « heure » pathétique ! Au moment même où il est porté par la ferveur populaire, Jésus sait que, dans quelques jours, ces mêmes gens, déçus par sa non-violence, hurleront à sa mort et ses chers disciples qui l'escortent avec admiration l'abandonneront lâchement. « Faut-il » vraiment passer par là ? La perspective de la croix toute proche est tellement épouvantable que c'est ici, en plein public, que Jésus connaît une sorte d'agonie, dit Jean- qui ne la racontera pas au Jardin des Oliviers car pendant le récit de la Passion, Jean montrera un Jésus sûr de lui, décidé, impassible.

Maintenant je suis bouleversé. Que puis-je dire ? Dirai-je : « Père, délivre-moi de cette Heure » ?...Mais non ! C'est pour cela que je suis parvenu à cette Heure-ci. Père, glorifie ton Nom ! ». Alors du ciel vint une voix : «  Je l'ai glorifié et je le glorifierai encore ».
En l'entendant la foule disait que c'était un coup de tonnerre ; d'autres disaient : «  C'est un ange qui lui a parlé »....
La souffrance et la mort ne sont pas un mauvais moment à passer avec la conviction que tout ira mieux ensuite : elles demeurent l'horreur devant laquelle même le Fils de Dieu est pris de panique - le verbe est très fort - comme il l'était déjà devant la mort de Lazare (11, 33).
Il faut toujours le répéter : Dieu n'est pas une idole sanguinaire qui impose la mort à son Fils pour calmer son courroux. Jésus n'est polarisé que par une seule chose : la Gloire de son Père, c.à.d. la révélation du vrai Visage de Dieu. Donc il veut, en vrai Fils, accomplir la mission reçue, dire et faire la Vérité : cela oblige à contester des pratiques religieuses formalistes et des rites hypocrites. En conséquence s'attirer l'hostilité de ceux qui s'y accrochent. En ayant terriblement peur mais en continuant à aimer.
Alors là où se déchaînent mensonge et haine, se manifestera la Gloire de Dieu.
Jésus répondit : «  Ce n'est pas pour moi que cette voix s'est fait entendre, c'est pour vous. Voici maintenant le jugement (en grec : crisis) de ce monde; voici maintenant que le prince de ce monde va être jeté bas ; et moi, quand j'aurai été élevé de terre, j'attirerai à moi tous les hommes ». Il signifiait par là de quel genre de mort il allait mourir.
Accusé de blasphème, Jésus aurait dû normalement être lapidé (8, 59 : 10, 31) mais, il le savait, il mourra sur une croix. Hissé sur le gibet entre terre et ciel, il sera « élevé » ; sans le savoir, ses bourreaux le placeront sur son siège de tribunal. Entre ciel et terre, il sera « médiateur » unique entre Dieu et l'humanité. Et le prisonnier sera le Juge. Devant lui, le satan, ce « prince » qui veut diriger le Royaume, cette force mystérieuse et implacable qui s'acharne à séparer Dieu et homme (shatan signifie « diviseur ») basculera : ce sera la défaite radicale du péché,  de la haine, de l'attachement à soi, de l'égoïsme.
Dès lors Jésus, c½ur ouvert - moins par le coup de lance que par l'amour -, attirera des hommes et des femmes de toute origine, de toute condition. Les pires pécheurs, bouleversés, recevront le pardon et les croyants pieux perdront assurance et pharisaïsme.
La croix est devenue l'axe de l'histoire : devant elle, tout homme joue son destin et se décide. Est-elle folie ou sagesse de Dieu ? Scandale ou puissance de Dieu ?

CONCLUSION

L'Eglise aimait recevoir des compliments, être félicitée pour ses réseaux d'½uvres multiples, son Vatican majestueux et les chrétiens aimaient les pèlerinages de foule, les églises pleines, les Te Deum tonitruants. Mais voici que les sanctuaires se vident, les édifices sont à vendre, les couvents se ferment, les prêtres se raréfient. La crise ? La vraie crise ne se réduit pas à une chute quantitative. QUELLE HEURE sommes-nous appelés à vivre ? Comment l'interpréter ? Ces craquements annoncent quelles ouvertures ? Quelles pertes sont nécessaires pour une nouvelle moisson ? Les gens ne nous acclament plus, les chrétiens avec leurs rameaux sont ridiculisés.  Mais écoutons le cri du monde : « NOUS VOUDRIONS VOIR JESUS ».

Retournerons-vous en arrière, avides d'applaudissements, en quête d'approbation ? Ou oserons-nous être des grains qui acceptent de tomber, d'être piétinés et broyés ? Aurons-nous le courage d'avancer avec nos peurs dans la solitude, d'accepter la défiguration pour recevoir la transfiguration ?
C'est moi en croix, dit Jésus, qui suis LA CRISE  du monde et de l'Eglise.

5e dimanche de Carême, année B

Auteur: Henne Philippe
Temps liturgique: Temps du Carême
Année liturgique : B
Année: 2011-2012

La liturgie peut parfois nous réserver des surprises, et même de bonnes surprises.  Habituellement, nous écoutons d'une oreille distraite la deuxième lecture.  Celle-ci, le plus souvent, présente un extrait d'une lettre de saint Paul où, de façon très doctorale, l'apôtre explique de façon abstraite, de très belles idées, mais de façon un peu compliquée.  La première lecture a l'avantage de souvent nous raconter un épisode de l'histoire sainte : c'est bien plus intéressant.  Au moins, il y a de l'action.  L'Evangile lui nous raconte un épisode de la vie de Jésus.  Là aussi il y a de l'action.  Mais la deuxième lecture, c'est bien plus compliqué.  Surtout quand elle est tirée de la lettre aux Hébreux.  Son auteur ne devait pas être bien rigolo.  Il ressasse de vieilles histoires de l'ancienne alliance, et cela dans un style lourd et alambiqué.  Et pourtant il y a parfois des surprises, et même de bonnes surprises.  Voyez le début de cette lecture : « Le Christ, pendant les jours de sa vie mortelle, a présenté avec un grand cri et dans les larmes sa prière et sa supplication à Dieu qui pouvait le sauver de la mort ».  Dans cette phrase, l'auteur nous dit des choses merveilleuses, bouleversantes.  Tout d'abord, le Christ a crié, il a pleuré.  Comment peut-on imaginer qu'un homme aussi grand, aussi fort, aussi admirable puisse crier et pleurer ? Quand nous avons des moments de faiblesse, nous en sommes tout honteux.  On ne devrait pas crier, on ne devrait pas pleurer.  Il faudrait pouvoir être toujours maître de soi, ne pas être victime des circonstances, ne pas être brisé par les événements, rester au-dessus de la mêlée.  Mais le Christ lui-même a crié et a pleuré.  Comment cet auteur de la lettre aux Hébreux a-t-il pu écrire une chose pareille ? Pour lui, ce devait être déchirant d'imaginer que le Dieu qu'il connaît, le Dieu de l'Ancien Testament puisse avoir de tels sentiments de douleur.  Certes, il le sait : dans l'ancienne alliance, Dieu parfois est animé de sentiments.  Ce peut être la colère comme avant le déluge.  Ce peut être le dépit comme quand par la bouche des prophètes il s'exclame : « regarde, peuple d'Israël, tout ce que j'ai fait pour toi ; comment peux-tu être aussi infidèle ? ».  Mais il n'est pas question de sentiments de douleur et de désespoir.  D'ailleurs, comment Dieu aurait-il pu se plaindre et à qui aurait-il pu adresser sa plainte puisque, selon l'ancienne alliance, il était solitaire dans les cieux ? Mais voilà que dans la nouvelle alliance on nous parle d'un Dieu à plusieurs personnes, d'un Dieu qui a déjà une histoire d'amour à l'intérieur de lui-même, d'un Dieu non pas solitaire, mais déjà en communion de relations.  Et ce Dieu est capable de sentiments ou, plus précisément, Jésus, dans sa vie mortelle, a éprouvé des sentiments humains.  Ce n'est pas simplement la grande vedette, le grand héros capable de battre toutes les puissances du mal, le Dieu invincible et toujours triomphant.  C'est un homme, c'est un Dieu qui vient nous chercher dans la profondeur de notre humanité.  Et c'est là peut-être notre effort de carême cette année-ci : ne pas chercher des choses nouvelles, mais vivre notre vie de façon nouvelle, avec une profondeur et une intensité pleines de vérité.  Il y a tant de choses que l'on sait : Dieu est amour, Dieu est miséricorde, nous sommes tous frères, etc.  Mais est-ce que nous vivons chacune de ces belles paroles ? Est-ce que nous leur donnons tout ce poids de chair et de sang qui leur donnerait véritablement la vie, qui serait véritablement pour nous porteur de vie ? Oui, c'est à nous à redécouvrir toute la chaleur humaine des hommes et des femmes que nous rencontrons.  Bien souvent, ils nous apparaissent comme la lettre aux Hébreux, riches de contenu, mais un peu ennuyeux, tellement ennuyeux qu'on ne les écoute même plus, qu'on ne les admire même plus.  Laissons donc à Dieu la chance de nous parler, de nous bouleverser.  Alors vraiment nous saurons ce que cela veut dire : être aimé de Dieu pour l'éternité.

 

5e dimanche de Carême, année B

Auteur: Croonenberghs Didier
Temps liturgique: Temps du Carême
Année liturgique : B
Année: 2011-2012


« Celui qui aime sa vie la perd,
celui qui s'en dessaisit en ce monde la garde pour la vie éternelle ».


Voilà encore une phrase de l'Evangile qui --mal comprise ou sortie de son contexte-- pourrait nous amener
à une forme de mépris de la vie,
un renoncement qui nous pousserait à refuser de vivre nos propres sentiments,
notre liberté ou nos émotions.

Si certains discours qui se veulent chrétiens font encore aujourd'hui l'éloge d'un tel renoncement, il ne s'agit bien entendu pas de cela. Je me permets d'insister encore une fois là-dessus... Mais vous le savez, prêcher, comme enseigner, c'est l'art de répéter...

Alors que peut bien signifier cette phrase intrigante de Jésus lorsqu'il proclame que
celui qui aime sa vie la perd.

Je nous vous apprendrai rien et vous disant que le monde dans lequel nous vivons est un monde de maîtrise, de protection, d'assurances, d'assurance-vie même, une monde dominé par la possession, un monde obsédé presque par la conservation,

Or, ce que notre culture de la maîtrise de la vie ne peut que récolter,
c'est finalement l'individualisme, une forme subtile de mort.

En effet, être dans cette maîtrise,
vouloir perpétuellement être aux commandes de sa vie
risque de nous plonger dans une grande mort, dans la grand mort, 
cette solitude profonde et existentielle où tous ceux qui nous entourent
sont vus comme des instruments destinés combler nos manques !
Celui qui aime sa vie de cette manière-là,
celui qui l'aime d'un amour incapable de lâcher prise,
ne peut que perdre sa vie dans cette solitude-là.   

Et notre monde de la maîtrise se caractérise d'ailleurs par comportements ordaliques qui jouent avec la vie, pour mieux fuir la mort ! Des comportements risqués voire suicidaires, motivés par le simple besoin de jouer avec la mort pour revitaliser sa vie, et avoir ainsi
le sentiment d'exister.

Dans cette culture de la maîtrise, les comportements sont finalement motivés
moins par la volonté de vivre que par la peur de mourir.
Comme si vivre... c'était oublier l'unique certitude que nous avons, celle qui veut que toute vie tôt ou tard doit finir.

«Que dire? Père, délivre moi de cette heure ? Mais non ! » dit Jésus.

Jésus nous montre un tout autre chemin de Vie. Un chemin qui ne joue pas avec la mort pour donner sens à la vie. Mais qui emprunte le difficile chemin du lâcher prise, Jésus nous convie à la fécondité d'un amour non pas délivré, mais livré, donné jusqu'à la mort.

Ce qui est en jeu est bien d'aimer LA vie jusqu'au bout, d'avoir le courage de vivre jusqu'au bout, et non pas d'aimer SA vie en niant ses limites. Il ne s'agit pas d'aimer sa vie, mais d'avoir le courage de vivre, le courage d'exister.
Oui, il faut du courage car, dans l'acte même de vivre, il y a comme un dessaisissement,
un lâcher prise, un peu de mort à nous-mêmes, qui coupe le cordon d'un prétendu destin écrit pour nous.

Sur ce chemin du courage d'exister, auquel nous sommes conviés,
celui qui craint sa mort est déjà mort; alors que celui qui n'a plus peur de sa mort
a déjà commencé de vivre en plénitude.

Aimer sa vie, sa propre vie, est un sentiment qui en définitive, ne passe pas l'épreuve du temps. Une vie dessaisie, par contre, nous convie déjà à cette vie éternelle.

Je suis frappé de voir que souvent, le deuil d'une personne qui a vraiment donné sa vie
pour les autres est vécu paradoxalement par ses proches de manière plus apaisée que d'autres deuils.
Parce que c'est précisément le don que ces personnes disparues ont manifesté au cours de leur vie qui passe l'épreuve du temps et donne un goût d'éternité! Leurs actes d'amour et de dessaisissement nous portent et parlent déjà
par delà la vie éternelle.

C'est donc à un lâcher prise fécond que nous sommes conviés.
Lâcher prise, ce n'est pas être blasé, isolé, indifférent, ou arrêter de se battre.
Lâcher prise, ce n'est pas une démission, mais c'est... cesser de s'agripper ;
cesser de s'identifier à un projet, à ses enfants, cesser de s'agripper à quelqu'un,
pour de nouveaux rêves, de nous projets puissent germer.  

Alors, ne gardons donc pas notre vie pour nous, mais lâchons prise,
car « Nul n'a d'amour plus grand
que celui qui se dessaisit de sa vie
pour ceux qu'il aime ».
Amen.




 

5e dimanche de Carême, année B

Auteur: Sélis Claude
Temps liturgique: Temps du Carême
Année liturgique : B
Année: 2011-2012

« L'heure est venue pour le Fils de l'homme d'être glorifié ». On comprend bien, rien que par le ton, que la déclaration est solennelle et grave. C'est la 1° fois, à la veille de la Passion, qu'elle est utilisée dans l'évangile. Auparavant, on avait rencontré la formule : « mon heure n'est pas encore venue » ou, plus loin, « l'heure vient ». Cette fois, l'heure est venue. Nous sommes dans un contexte de fête juive de la Pâque, la dernière pour Jésus. En entrant à Jérusalem, il venait d'avoir été acclamé par une foule, sincère peut-être au moment même mais écervelée et versatile (comme on le saura par après). S'ils avaient réalisé ce qu'ils disaient (« Hosanna, béni soit celui qui vient au nom du Seigneur »), s'ils y avaient cru, ils n'auraient pas été versatiles. Mais leur proclamation, écervelée de leur part, disait vrai et nous donne à nous, lecteurs, le sens profond de ce qui va se passer. Cette Pâque allait être glorification pour le Christ. Non pas gloriole à bon marché d'un personnage vaniteux ni même héroïsme d'un sur-homme courageux mais simplement -et bien plus extraordinairement- « retrouvailles » avec Dieu. En réponse à la requête des « Grecs » (c-à-d des Juifs d'expression grecque, venant d'Alexandrie par exemple, en pèlerinage à Jérusalem pour la Pâque), Jésus donne lui-même, d'avance, la signification profonde de ce qui va se passer.

Sa Passion et sa mort, bien réelles pourtant, ne seront pas à lire comme un drame, un supplice -affreux comme tous les supplices- mais simplement -il dédramatise lui-même- comme un grain de blé mis en terre et dont la mise en terre est la condition de fructification. Qu'est-ce qui va donner cette fécondité ? Non pas une technique sophistiquée artificielle mais le fait du don total de soi. Le don de soi n'implique pas nécessairement la mort et encore moins la mort violente, sacrificielle, comme dans le cas du Christ. Le don de soi peut se vivre dans la joie et le bonheur. Ce devrait même en être les premiers fruits et en former le meilleur environnement...si ce n'était, bien souvent, la méchanceté des hommes et pour commencer la jalousie, le principal instrument du « Prince de ce monde ».

Comprenons bien la place du sacrifice dans le christianisme. Il n'est pas à rechercher pour lui-même. Il n'est pas le but de la vie chrétienne mais il faut, oui, être prêt à l'accepter comme conséquence de notre attachement à Jésus-Christ. L'attachement à Jésus-Christ n'est pas négation de la vie, mépris de la vie. Au contraire, c'est l'attachement à Jésus-Christ qui pourra nous apprendre le détachement par rapport aux choses (dont nous nous rendons si facilement esclaves) et ainsi nous rendre plus libres, plus indépendants, plus vivants (non pas d'une vie animale mais d'une vie d'humain relié à Dieu). Pour bien comprendre la phrase « celui qui aime sa vie, la perd » et en lever toute ambiguïté, il suffirait de la gloser : « celui qui aime sa vie...animale, qui y est obsessionnellement attaché, qui est incapable de détachement, incapable de don de lui-même... oui, voilà une vie perdue ». Ce en quoi il faut imiter le Christ, ce n'est pas le sacrifice pour le sacrifice, c'est le don de soi par amour et dont le fruit est d'avoir retrouvé la vie en Dieu, comme Dieu l'avait voulue pour l'homme.

4e dimanche de Carême, année B

Auteur: Van Aerde Michel
Temps liturgique: Temps du Carême
Année liturgique : B
Année: 2011-2012

« De même que le serpent de bronze fut élevé par Moïse dans le désert, ainsi faut-il que le Fils de l'homme soit élevé, ?afin que tout homme qui croit obtienne par lui la vie éternelle »

Ces paroles sont mystérieuses et pourtant elles correspondent à un processus que nous pouvons comprendre : pour guérir, il faut parfois voir certaines choses. Par exemple les images du drame des enfants de ces jours-ci, nous ont tous saisis. Elles nous ont secoués profondément, sortis de notre léthargie, arrachés à notre égoïsme pour former une seule famille endeuillée. La Belgique l'a vécu d'un seul c½ur, brisé mais uni par la même douleur. Et tous les pays voisins s'y sont associés. Les cloches de nos églises ont sonné le glas. Un peu partout des minutes de silence ont été solennellement observées.  Personne n'est resté indifférent. Nous avons fait ensemble l'expérience de la communion dans la souffrance, parce qu'il s'agissait d'enfants et d'innocents et que cela n'aurait jamais dû se produire et que nous partageons une même impuissance, une même  précarité.
Devant un pareil événement, disaient bien des gens, beaucoup de choses paraissent dérisoires. Cela nous a remis face à l'essentiel et aux choix des priorités.

Toutes proportions gardées, il en est de même devant la croix de Jésus. Nous y sommes peut-être devenus trop familiers pour que nous puissions la voir vraiment. Il a fallu quatre siècles pour que les chrétiens osent représenter ce scandale des scandales, jusque là ils utilisaient le signe du poisson (IXTUS= poisson = anagramme de Jésus Christ, Fils de Dieu, Sauveur). Et de fait, il faut regarder un jour sérieusement, non pas la croix, comme instrument de torture et de mort, ce pourrait être une chaise électrique, une mitraillette ou une guillotine - ce n'est pas la croix qui sauve mais le crucifié, l'innocent injustement condamné, collectivement assassiné... Il faut regarder un jour sérieusement ce qui s'est passé et réfléchir à ce que ce signifie cette mort-là, pour la vie, pour le monde, pour la société, pour moi. Quel est donc ce monde pour qu'une pareille erreur ait pu être commise, quelle est donc la société humaine pour qu'un tel scandale ait pu se produire, quels sont donc nos mécanismes humains, de recherche de pouvoir, de notoriété, de sécurité, de religion, pour qu'ils aient pu produire ce jour-là un tel résultat. Quel est donc notre péché pour qu'il produise la mort de l'homme - cela on le savait- mais  aussi, ce jour-là, la mort de Dieu ?

Devant ce que je vois, s'effectue en moi une prise de conscience nouvelle et décisive. Je comprends que beaucoup de mes soucis sont dérisoires, que la plupart de mes intérêts sont frivoles. Je sens que je suis appelé à vivre autrement, à vivre autre chose, je perçois de manière irrépressible que cela ne peut plus continuer comme avant, que cela ne sera plus, pour moi, jamais comme avant ...

Au c½ur même de l'horreur, de l'insoutenable, et justement parce que le drame n'aurait jamais dû se produire, et qu'il est insoutenable, il se produit en nous un choc salutaire qui appelle à faire la lumière, à dévisager la vérité et, pour cela, à regarder plus haut, à regarder plus loin, à ouvrir les yeux sur ce qui est important. C'est une 'catharsis', disait le philosophe , une forme de purge, de guérison. Il se produit un transfert vers celui qui souffre, d'une forme de souffrance qui était cachée en moi, une souffrance que je ne ressentais pas mais qui pleurait quelque part enfouie inconsciemment et qui se trouve libérée par la rencontre d'un autre souffrant. Et à l'échelle du monde, c'est pour l'humanité la rencontre de l'unique souffrant, celui qui rassemble en son cas, en son corps, toutes les injustices et toutes les haines, comme un bouc émissaire ou plutôt comme l'agneau de Dieu. Bouc émissaire pour ceux qui le haïssent, agneau pour ceux qui se rangent de son côté.

La Passion de Dieu pour l'humanité est un mystère qui accompagne le déroulement de notre histoire. Il ne s'agit pas un simple drame ponctuel, vieux d'il y a deux mille ans entre juifs et romains. La passion de Jésus nous dit la passion de Dieu pour l'humanité et comment Dieu est présent dans chaque injustice, chaque erreur de jugement, chaque accident.

La passion de Jésus rejoint les chrétiens au c½ur. Nous nous reconnaissons en lui parce que lui s'identifie à nous. Nous sommes son corps, il est notre vérité : Dieu qui se dit, dans notre humanité.
« Qui es-tu, Seigneur ? » « Je suis Celui que tu persécutes ». Devant Paul persécuteur, le Ressuscité s'identifie aux chrétiens enchaînés. La passion ressuscitante du Christ, c'est notre histoire : « Le Christ est en agonie jusqu'à la fin du monde. Il ne faut pas dormir pendant ce temps-là ! »


 

4e dimanche de Carême, année B

Auteur: Devillers Raphaël
Temps liturgique: Temps du Carême
Année liturgique : B
Année: 2011-2012

DIEU T'AIME TANT.......FAIS LA VÉRITÉ.

Curieusement l'évangile de ce jour commence ex abrupto : qui parle ? quand ? où ? On sait que Jean écrit son livre longtemps après les autres évangélistes (fin du 1er siècle). Avec ses communautés, il a bénéficié de la lumière de l'Esprit qui fait entrer dans la vérité tout entière (16, 13 ) ; il a pénétré plus loin dans le mystère de Jésus et il peut  parler de lui (et le faire parler) d'une façon toute nouvelle. Car la vérité ne gît pas dans une transcription exacte mais dans la signification qui actualise la révélation pour les lecteurs.
Jean met en scène l'affrontement de Jésus avec la mentalité pharisienne représentée par un certain Nicodème, notable de Jérusalem. Intrigué par ce Jésus inconnu qui vient de survenir dans la capitale et y a accompli des guérisons, Nicodème vient le trouver, la nuit venue, mais tout de suite, il est désarçonné. Pour entrer dans le Royaume de Dieu, lui assène Jésus, il n'est nul besoin de voir des miracles ou d'être en règle avec la Loi: il faut « renaître de l'Esprit ». « Comment cela peut-il se réaliser ? » demande le pharisien ébahi. L'évangile du jour est réponse à cette question.

De même que le serpent de bronze fut élevé par Moïse dans le désert, ainsi faut-il que le Fils de l'homme soit élevé................
Libérés de l'esclavage en Egypte, les Hébreux, dans le désert, avaient, un jour, établi leur camp dans un lieu infesté de petits serpents à la morsure brûlante, parfois mortelle. Moïse ordonna de fixer une effigie de serpent de bronze en haut d'un bâton : le blessé qui viendrait le regarder serait guéri (Nombres 21, 8). Ainsi la Bible attribue à Moïse l'invention de ce symbole universel de l'art médical dont l'attraction était telle qu'il fut longtemps dressé dans le temple de Jérusalem. Mais comment un simple regard pouvait-il apporter la guérison ? 
Intrigué par ce procédé teinté de magie, quelques siècles plus tard, un professeur d'Ecritures tenta une explication :    « Ils furent effrayés mais ils avaient un gage de salut qui leur rappelait le commandement de la Loi. Quiconque se retournait était sauvé, non par l'objet regardé mais par Toi, Seigneur, le Sauveur de tous....Ils n'ont pas été soulagés par des herbes ou des pommades mais par la Parole du Seigneur qui guérit tout »  
(Livre de la Sagesse 16, 5-14). 
Pour ce théologien, les vraies plaies sont les péchés et, pour guérir, le croyant doit « se retourner » (c'est le verbe qui désigne la conversion), ne plus être épouvanté par le mal qui le fascine, le serpent qui rôde  pour le mordre, mais il doit « lever les yeux » vers le signe du serpent tué, et entendre là une Parole de guérison. Se retourner vers Dieu et obéir à sa Parole permet d'échapper à la tyrannie d'un mal qui serait tout-puissant. C'est la foi, le retournement obéissant vers Dieu qui rend la vie.

Les disciples de Jésus connaissent évidemment cet épisode et l'explication qu'on en donnait au catéchisme. Sidérés, ils comprennent que Jésus a accompli ce signe du serpent sur la croix !!!!!
Ainsi PAUL osera écrire (et on n'est qu'en l'an 56/57 !!)
« Nous vous en supplions : laissez-vous réconcilier avec Dieu. Celui qui n'avait pas connu le péché (Jésus), il l'a, pour nous, identifié au péché afin que nous devenions justice de Dieu »      (2 Cor 5, 20-21).
En effet, Jésus a été jugé et condamné comme pécheur, blasphémateur ; sur la croix, il était comme le représentant du mal à exterminer. Caïphe était persuadé d'éliminer un « satan », « un serpent ». Or tout au contraire, Jésus était complètement innocent.  C'est pourquoi celui qui croit que Jésus s'est offert pour lui, est pardonné, est rendu juste. Il vit !

Plus tard, JEAN reprend dans la même ligne. Eclairé par la première explication donnée par le sage juif et par la formule audacieuse de Paul, il a compris la signification profonde, extraordinaire de la croix.
Pour les Romains, c'était un fait-divers (on crucifiait souvent) ;
pour les juges, c'était l'exécution d'un malfaiteur ;
pour les disciples, sur le moment, c'était l'échec, la fin d'un rêve ;
pour les Juifs et les Romains ensuite, la croix était la preuve évidente que Jésus ne pouvait absolument pas être un envoyé de Dieu ni encore moins le Sauveur.
Non, dit Jean, la croix entrait dans le projet de Dieu.
« Il fallait » la croix. Non que Dieu exigeât la mort atroce de son Fils afin d'apaiser son courroux ; non que le destin de Jésus fût tracé comme une issue inéluctable. Mais ainsi se réalisait ce que mystérieusement cherchait à exprimer l'humanité lorsqu'elle représentait le dieu de la médecine muni d'un bâton portant un serpent enroulé. Jésus, tordu sur le gibet, est le signe efficace du salut parce qu'il est signe non du summum de douleur mais sommet de l'amour  Alors même que les hommes, en exécutant un innocent, allaient jusqu'au bout de leur ignominie, lui, l'innocent, le Fils aimé de Dieu, allait jusqu'au bout de l'amour afin de sauver de la mort les hommes qui s'y précipitaient. Oui, dit Jean :

DIEU A TANT AIME LE MONDE qu'il a donné son Fils unique : ainsi tout homme qui croit en lui ne périra pas, mais il obtiendra la Vie éternelle. Car Dieu a  envoyé son Fils dans le monde non pas pour juger le monde mais pour que le monde soit sauvé par lui.
La croix n'est pas accident, fatalité, mais preuve d'amour et de pardon. Elle bascule les faux dieux monstrueux, les images des molochs avides de sang, les totems grimaçants élaborés par notre sur-moi. Elle reste le symbole éternel du « tant amour » de Dieu.
Lorsque l'homme s'écroule sous le poids de ses fautes, qu'il regarde la croix et l'agneau qui a pris sur lui son péché. Lorsque l'Eglise cherche la prestance, l'honneur, la gloriole, qu'elle lève les yeux sur son Sauveur « élevé » sur le gibet et elle comprendra que sa grandeur ne vient que de sa persécution.

LE JUGEMENT - LE CHEMIN DE LA FOI

« Le jugement, le voici : quand la Lumière est venue dans le monde, les hommes ont préféré les ténèbres à la Lumière parce que leurs ½uvres étaient mauvaises. En effet tout homme qui fait le mal déteste la lumière, il ne vient pas à la lumière de peur que ses ½uvres ne lui soient reprochées. Mais celui qui fait la vérité (changer la traduction) vient à la lumière, de sorte que ses ½uvres sont reconnues comme des ½uvres de Dieu ».
Ce n'est pas Dieu qui nous juge selon que nous avons ou non observé un code de lois ou pratiqué des rites.  C'est l'homme qui se juge lui-même par ses actes. S'il opte pour le mal, s'il cherche son bien propre en faisant mal à l'autre, si ses désirs restent autocentrés, il s'enfonce peu à peu dans la nuit. Car le mal voulu rend aveugle.
Par contre s'IL FAIT LA VERITE (magnifique expression - très rare dans la Bible), c.à.d. s'il travaille non à réfléchir à la vérité, non à la penser, non à raisonner....mais à FAIRE LA VERITE, alors peu à peu il sortira de ses ténèbres si opaques soient-elles. L'acte bon rend lucide. En refusant l'accomplissement de son ego, en entrant dans le chemin du service, de la solidarité, du pardon, de l'oubli de soi, il percevra la lumière qui jaillit de la croix. En perdant sa vie pour l'autre, il comprendra l'Evangile, il lèvera les yeux sur le Crucifié.

Et Nicodème, sans comprendre, sortit en silence. Mais Jean signalera son itinéraire.
L'année suivante, lorsque le grand Tribunal décidera d'arrêter Jésus, il osera se lever : il demandera justice et écoute de Jésus avant de le condamner sans preuve. Il sera conspué par ses confrères (7, 50)
N'ayant pu arrêter le complot contre Jésus, il se tiendra au Golgotha et c'est lui qui l'ensevelira COMME UN ROI (30 kg d'aromates !!!) (19, 39).

3e dimanche de Carême, année B

Auteur: Devillers Raphaël
Temps liturgique: Temps du Carême
Année liturgique : B
Année: 2011-2012

UN TOURNANT HISTORIQUE

Notre chemin de carême était parti de la source (le baptême) ; le 2ème dimanche, nous étions sur la montagne (la prière) ; aujourd'hui nous voici dans le temple de Jérusalem où Jésus pénètre de façon scandaleuse en en chassant les marchands. Si cette scène, d'après 3 évangiles, se déroule vers la fin de la vie de Jésus, lorsqu'il fait sa joyeuse entrée dans la capitale, Jean, lui, la situe tout au début, après le signe de Cana, lors de la 1ère Pâque. Cette anticipation ne doit pas nous surprendre : la véracité chronologique des faits importe moins que leur sens. Jean révèle la signification profonde de l'incident.

UN MAGNIFIQUE EDIFICE

Tous les pèlerins qui affluaient à Jérusalem à l'occasion des trois grandes fêtes de l'année béaient d'admiration devant le splendide édifice du temple. Certes il était l'½uvre du roi Hérode, cet ignoble tyran, mais enfin Dieu avait une Demeure digne de lui. Devant les bâtiments, s'étendait une immense esplanade  bordée par une galerie couverte où s'alignaient les échoppes : les commerçants vendaient des animaux pour les sacrifices et les changeurs procuraient la monnaie du temple afin d'acquitter l'impôt. Bêlements, beuglements, roucoulements, cris, rumeurs des marchandages : une foire !
Nul n'ignorait que tous ces commerçants louaient leurs emplacements au Grand Prêtre qui, par ailleurs, recevait pour lui les milliers et milliers de peaux d'agneau qu'il revendait aux Romains. Il n'y a pas de petit bénéfice ! (cf. le professeur Jérémias dans « Jérusalem au temps de Jésus »)
Depuis son enfance, Jésus, trois fois par an, montait à Jérusalem et il aimait le Temple, c½ur de sa nation et de sa religion. Mais cette fois, c'en est trop : il ne peut plus tolérer cette foire en ce lieu sanctifié par la Présence divine. En tant que « fils », il a le droit d'intervention dans « la maison de son Père » (Luc 2,49). Il se fait un fouet de cordes et se met à chasser le bétail, à renverser les tables, à éparpiller les monnaies :  
« Enlevez cela d'ici ! Ne faites pas de la maison de mon Père une maison de trafic ».
Jésus ne fouette pas les hommes, il ne dit pas que le commerce est une pratique honteuse ni que ces commerçants affichent des prix prohibitifs. Mais Dieu n'est pas une divinité écrasante, avide de sang, qui exige que ses fidèles immolent des animaux pour apaiser son courroux et obtenir ses bienfaits. Son temple n'est ni une boucherie où l'on tue des bêtes ni une banque où l'on trafique sur les cours et les rendements. Les grands prêtres n'ont absolument pas le droit d'organiser ce commerce à cet endroit qui doit être réservé à l'écoute de la Parole de Dieu, à la prière, au chant des psaumes.

DAVANTAGE QU'UNE PURIFICATION

Pour Marc, Matthieu et Luc, l'incident s'arrête là. Mais Jean le prolonge par un échange qui donne le sens et ouvre des perspectives vertigineuses. L'esclandre fait beaucoup de tumulte et  attire immédiatement des responsables du lieu qui encerclent Jésus :
-    Quel signe peux-tu nous donner pour justifier ce que tu fais là ?
Car un des derniers prophètes avait annoncé qu'à la fin des temps, « il n'y aura plus de marchand dans la Maison du Seigneur le tout-puissant en ce Jour-là » (Zacharie 14, 21). Donc ce qui vient de se produire ne pourrait être que le fait du Messie ou d'un envoyé spécial de Dieu ! Qui est cet énergumène inconnu qui ose provoquer ce chahut ? Qu'il opère donc un miracle pour justifier ses prétentions !
- Jésus leur répondit : «  Détruisez ce temple et en 3 jours je le relèverai ».
- Ils répliquent : «  Il a fallu 46 ans pour bâtir ce temple et toi, en 3 jours, tu le relèverais ? ».
Sans répondre, Jésus coupe court et leur tourne les talons.
Mais S. Jean, qui écrit son évangile quelques dizaines d'années plus tard et qui est témoin de l'expansion stupéfiante de l'Eglise de Jésus, peut lever l'obscurité de cette déclaration énigmatique :
« Mais le temple dont il parlait, c'est le temple de son Corps.
Aussi, quand il ressuscita d'entre les morts, ses disciples se rappelèrent qu'il avait dit cela : ils crurent aux prophéties de l'Ecriture et à la parole que Jésus avait dite ».
Les autres évangélistes voyaient là une « purification du temple » comme on dit d'habitude : Jésus refusait que le temple se prêtât à des marchandages et des trafics.
Pour Jean, il s'agissait de quelque chose d'infiniment plus important : pas seulement purifier le temple mais en changer ! Le système religieux du culte, basé sur des sacrifices d'animaux, est désormais obsolète et doit finir. On n'apitoie pas Dieu, on ne l'achète pas, on ne le soudoie pas de cette manière, même si la Bible le prescrit (!), même si les ancêtres et d'ailleurs toutes les religions du temps l'ont toujours fait !
Et même, plus loin encore, Dieu n'a pas besoin d'édifices sacrés, de monuments en pierre ou en marbre. Le temple peut disparaître. Nous sommes à un tournant religieux.

« Détruisez......Je le relèverai en trois jours » ?? Personne ne pouvait saisir le sens de cette  proclamation. Mais plus tard, lorsque Jésus fut ressuscité et qu'il eut communiqué l'Esprit qui conduit ses disciples vers la Vérité tout entière » (16, 13), Jean et les autres comprirent de  quelle révolution extraordinaire il était question. En effet les autorités du temple feront exécuter ce dangereux trublion qui semblait remettre le culte en question et attaquer l'édifice sacré. Le corps mort de Jésus sera couché dans la tombe mais à Pâque, « il se relèvera »(le verbe utilisé est celui de la « résurrection » prochaine) et il s'adjoindra, par la foi, les corps des hommes et des femmes  qui auront cru en lui.
Jésus sera le nouveau « Saint des Saints » et les croyants seront les pierres vivantes assemblées autour de lui, agglomérées en lui.
Car l'Eglise n'est pas une organisation fondée jadis par Jésus et nous, les membres inscrits. Jésus ressuscité et ses disciples sont UN CORPS VIVANT, animé par le même Esprit et donc nouveau lieu spirituel où peut se dérouler  l'adoration en Esprit et en Vérité, celle que cherche le Père (Jean 4, 23)
C'est pourquoi les premières générations chrétiennes, en contraste total avec les autres religions du temps, n'édifièrent jamais d'églises et de chapelles. Le mot « église » désignait non un bâtiment mais leur assemblée. « Aller à l'église », c'était rejoindre la communauté où qu'elle se trouvât. Là où des hommes et des femmes, des Juifs et des païens, d'anciens justes et d'anciens pécheurs, se réunissaient dans la charité pour vivre l'Evangile, chanter leur joie et se réconcilier, là était le CORPS DU CHRIST.

« SE SOUVENIR ». A deux reprises, Jean évoque ce  travail capital des croyants. Sur le moment même, bien des activités et des paroles de Jésus n'ont pas été comprises par les disciples qui en étaient témoins. C'est dans la suite, APRES PÂQUES, dans la LUMIERE DE L'ESPRIT-SAINT, qu'enfin ils saisirent la portée de ce qu'il voulait. Il ne faut donc pas s'étonner de ne pas comprendre tout l'évangile sur le champ : c'est en faisant mémoire des textes, en échangeant à leur sujet, en priant l'Esprit, que le sens jaillit, que sa lumière éclaire la vie, que les doutes s'évaporent, que la joie apparaît.

Ultime remarque.  En survenant à Jérusalem pour achever sa mission, Jésus n'attaque pas les Romains, il ne dénonce pas leur violence et leur paganisme ; il ne condamne pas les pécheurs de son peuple, voleurs ou prostituées ; il ne guérit pas tous les malades ; il ne résout pas le problème de la pauvreté.
Il s'en prend à l'activité religieuse centrale de sa nation : le temple, le culte. Là est la conversion radicale à opérer. ¼uvre périlleuse : Jésus en mourra !
Nous passons beaucoup de temps à exhorter à la paix dans le monde, à nous plaindre des injustices et des dérèglements climatiques, à vitupérer contre la débauche et les vices d'une « culture de mort ». Et si d'abord et en priorité, nous nous appliquions davantage à être vraiment, tous chrétiens ensemble,  LE CORPS UN DU CHRIST, à refaire une EGLISE UNE, purifiée de toute entreprise commerciale ?

3e dimanche de Carême, année B

Auteur: Sélis Claude
Temps liturgique: Temps du Carême
Année liturgique : B
Année: 2011-2012

Le contexte de cet extrait d'évangile est celui d'une fête de la Pâque, non pas celle où Jésus allait lui-même s'offrir en sacrifice mais une première occasion pour Jésus d'indiquer l'enjeu de ce qui allait être son sacrifice. L'enjeu est dévoilé, bien involontairement sans doute, par l'interpellation des Juifs : « Quel signe peux-tu nous donner ? ». Le signe, l'évangile de Jean n'en fait pas mystère puisque dès ses premières pages, il l'annonce : ce sera la Passion-Résurrection de Jésus. Mais de quoi est-ce le signe et en quoi est-ce un signe pour nous ? Les disciples ne le comprirent eux-mêmes que bien plus tard, après que Jésus les eut physiquement quitté, comme s'il fallait que Dieu s'absente, que Dieu s'éclipse, pour que l'homme entre dans la compréhension de sa présence. C'est une expérience que chacun a pu faire : les choses les plus évidentes, on ne les voit plus ! C'est le sens de ce soupir de Jésus dans l'évangile de Marc après la multiplication des pains : « Qu'a cette génération à demander un signe ! », alors que le signe, Jésus comme incarnation, Jésus comme Parole de Dieu était là !, qu'ils pouvaient le voir, le toucher et l'entendre ! et ils ont le toupet de lui demander un signe (sous-entendu un autre signe) à lui, le signe par excellence.

L'épître aux Corinthiens se fait l'écho de cette difficulté à comprendre ce qui se passe pourtant sous nos yeux. Et le monde grec (entendons : cette approche qui ne se fie pas aux sens mais aux ressources de la raison) n'y réussit pas mieux. D'où vient cette difficulté de compréhension ? Il y a au moins deux sources à cette incompréhension. La première tient au message lui-même, non pas qu'il soit compliqué, mais il est paradoxal. Pensez donc ! Venir annoncer un Messie crucifié alors qu'on attendait un Messie réglant par sa toute-puissance tous les problèmes qu'on avait été incapable de surmonter (que l'on avait créé...) à cause de notre faiblesse morale ! S'entendre parler d'un Dieu victime d'un misérable complot humain dans un trou perdu alors qu'on attendait le Principe explicatif de la mécanique du monde !
Et nous, qu'attendons-nous ? Avons-nous compris le déplacement mental, l'inversion mentale que représente le message chrétien par rapport à la logique du monde ?

Mais notre incompréhension n'est pas qu'une affaire mentale ; elle a une autre source : comportementale. Les Juifs de l'évangile ont le toupet de demander à Jésus de donner un signe de son autorité à chasser les marchands du Temple mais ils ne se demandent pas un instant quel signe, quel contre-témoignage, donnaient ces marchands de ce que Dieu était pour eux. De même que pour comprendre quelque chose des sciences de la raison (celle des Grecs ou de nos sciences actuelles), il faut une discipline d'esprit ; de même, pour comprendre quelque chose de Dieu, il faut une discipline, pas seulement d'esprit, mais de vie, avant même d'être entré dans la compréhension du message divin et pour pouvoir y entrer. C'est bien pourquoi, la première étape dans l'histoire du Peuple hébreu, immédiatement liée à la libération par rapport au monde du mal, est le don de la Loi, du Décalogue. La voie que Dieu indique à son peuple pour le rejoindre, ce n'est pas un cours de théologie, mais de suivre quelques règles concrètes de comportement porteuses, bien sûr, d'un état d'esprit et des valeurs-clés qui prépareront les gens à entrer dans la compréhension du message divin. De plus, en mettant ces prescriptions en pratique, même sans trop comprendre, on rend Dieu présent, on rend le message divin visible au monde qui nous entoure car, oui, comme nous, aussi maladroitement que nous, il ne cesse de demander des signes.

Quel image, quel signe donnons-nous de notre relation à Dieu devant le monde ? Bonne question qui pourrait sans doute nous faire progresser dans notre montée vers Pâques.

2e dimanche de Carême, année B

Auteur: Van Aerde Michel
Temps liturgique: Temps du Carême
Année liturgique : B
Année: 2011-2012

Ce récit pose la question très moderne de la conscience humaine de Jésus. Il vit, nous dit-on, une rencontre décisive, avec Moïse et avec Elie, les deux grands prophètes de l'Ancien Testament qui, tous deux, ont eu une mort exceptionnelle. Ils sont sur une montagne, bien entendu ! Et même dans la nuée, c'est à dire dans la présence de Dieu, dont la voix se fait entendre. Quelque soit l'interprétation que l'on peut donner à ces symboles, il s'agit d'un événement spirituel très fort, d'une expérience exceptionnelle comme beaucoup de mystiques en ont vécues. Mais quel est son statut pour Jésus ?
Ils parlaient de son départ  c'est à dire de sa mort/résurrection, ce que Jésus va confier aux trois amis qui ne comprennent pas.

Cette transfiguration anticipe sa résurrection. Elle est pour lui un épisode initiatique, comme le fut son baptême, où il peut entrevoir ce qu'il va devoir accomplir. Pour Jésus comme pour nous, il est des évènements décisifs qui partagent notre vie en deux, avec un 'avant' et un 'après'.

***
Mais en est-il exactement de même, pour lui comme pour nous ? Qu'en est-il de la conscience humaine de Jésus ? A-t-il pleinement conscience de son identité ou doit-il la découvrir progressivement ? Comprend-il sa mission dans les moindres détails ou doit-il inventer jour après jour son chemin ? N'est-il pas Dieu ? N'est-il pas en relation à tout moment avec le Père, dans la communion du Saint-Esprit ? Lorsqu'il prend conscience de son identité, de manière réflexe, à travers son intelligence et sa volonté, par tout ce qu'il découvre et par les choix qu'il fait, se perçoit-il lui-même de manière progressive, comme nous le faisons, comme un être en recherche, qui ne se connaît jamais vraiment et qui se découvre comme fils de ses actes et de ses choix ? Ou bien, tout à l'inverse, quand Jésus prend conscience de son identité, du sujet profond qui est le sien, atteint-il de manière claire et immédiate son identité de Fils de Dieu, comme nous le laisse pressentir l'Evangile de Jean « Je suis le chemin, la vérité et la Vie  ». « Avant qu'Abraham fut, moi je suis  ». « Qui me voit, voit le Père  ». Il n'y a pas beaucoup d'enfants qui atteignant l'âge de 12 ans, s'adressent à leurs parents en leur disant, à l'imparfait : « Ne saviez-vous pas que je dois me consacrer aux ½uvres de mon Père  ? » Il ne le découvre pas comme une réalité nouvelle, qui lui serait révélée et qu'il pourrait leur communiquer, à un moment donné, mais comme une réalité permanente à laquelle il accède, en grandissant, de manière plus mûre, et qu'il peut exprimer de manière plus explicite progressivement. Ce qui est progressif ici, ce n'est pas la connaissance immédiate qu'il a de lui-même comme Fils de Dieu mais la capacité réflexe à se le représenter et à en témoigner.

Cela dit, le risque de beaucoup de représentations de Jésus est d'en faire un personnage totalement programmé, sans épaisseur humaine, tout à fait transparent. Jésus savait-il tout à l'avance ? Il parlait araméen, connaissait l'hébreu, quelques mots de grec, mais n'a-t-il pas dû apprendre à lire et à comprendre ce qui lui arrivait ? Voyait-il Dieu face à face ou ressentait-il seulement une profonde communion, pas toujours assurée si l'on en croit son cri « Pourquoi m'as-tu abandonné ? »  Connaissait-il l'avenir en ses détails les plus précis et pour l'ensemble de son déroulement ? Quand il posait une question à ses disciples, n'avait-il qu'une intention pédagogique et connaissait-il déjà la réponse ? Par exemple : « combien avez-vous de pains et de poissons  ? En parlant de Lazare, son ami enterré depuis trois jours, « où l'avez-vous mis ?  » Mais, plus sérieusement, quand il demande « Pour vous, qui suis-je  ? », se pose-t-il la question ?
Répondre oui à certaines de ces questions serait faire de Jésus un monstre, un extraterrestre, une simple apparence d'être humain. Ce serait retomber dans cette hérésie présente dès les tout débuts et dénoncée sous le nom de docétisme, qui veut dire apparence : apparence d'homme, apparence de souffrance, apparence de limite ? Jésus est pourtant bien présenté comme « fatigué de la route, et ayant soif » : s'il est limité physiquement, pourquoi ne le serait-il pas mentalement ? Vivrait-il une apparence d'humanité ? On raconte qu'à la demande « qu'est-ce qu'il a dit, Jésus, sur la croix ? », un petit garçon, au catéchisme a répondu : « Jésus ? Il a dit : 'Je m'en fiche, dans trois jours, je ressuscite' ». 

Paradoxalement, le Coran qui nie la divinité de Jésus, va cependant dans ce sens quand il prétend que Jésus n'est pas mort, qu'il ne pouvait pas mourir, et que les hommes ont été trompés par une apparence, une illusion. Cela nie la radicalité de l'incarnation. Le dialogue interreligieux se limite le plus souvent, même si c'est important, à de l'interculturel. Le vrai débat porte en fait sur ce point : Jésus était-il le Fils unique de Dieu, le Verbe créateur, « né du Père avant tous les siècles, engendré, non pas créé ». Et, malgré tout n'est-il pas mort, de la main des hommes, pour devenir principe de toute résurrection ? N'a-t-il pas subi le déferlement de la haine pour témoigner une fois pour toutes que l'amour de Dieu est allé jusqu'au bout et que le pardon est toujours offert ?

***
Cela nous dépasse et nous comprenons le témoignage de Pierre, qui s'exprime avec ses mots à lui :

Ce n'est pas en suivant des fables sophistiquées que nous vous avons fait connaître la puissance et l'Avènement de notre Seigneur Jésus Christ, mais après avoir été témoins oculaires de sa majesté. Il reçut en effet de Dieu le Père honneur et gloire, lorsque la Gloire pleine de majesté lui transmit une telle parole : " Celui-ci est mon Fils bien-aimé, qui a toute ma faveur. " Cette voix, nous, nous l'avons entendue ; elle venait du Ciel, nous étions avec lui sur la montagne sainte.  (2P.1, 16-18)

2e dimanche de Carême, année B

Auteur: Devillers Raphaël
Temps liturgique: Temps du Carême
Année liturgique : B
Année: 2011-2012

UN VISAGE ÉCLATANT ... SANS « ANTI-ÂGE »

Le texte lu ce dimanche - la Transfiguration de Jésus - omet la notation chronologique par laquelle Marc (comme Matthieu) ouvre son  récit. Alors que d'habitude il ne précise pas la succession des événements, ici, il prend bien soin de souligner que cette scène s'est passée « 6 jours après ». Après quoi ? Après le jour où Pierre a confessé que Jésus était le Messie attendu et où, pour la 1ère fois, Jésus a commencé à enseigner qu' « il fallait que le Fils de l'homme souffre beaucoup, qu'il soit rejeté par les anciens, les grands prêtres et les scribes et que, 3 jours après, il ressuscite » (8, 31). Et il a ajouté à l'adresse de tous (disciples et foule) que celui qui voulait le suivre devait, lui aussi, se renoncer et prendre sa croix.
On imagine le choc, la stupeur, l'incrédulité, le bouleversement provoqués sur le coup chez les disciples par cette révélation totalement imprévisible. Pierre ose même réprimander Jésus d'avoir dit cela.

Six jours après, Jésus prend avec lui Pierre, Jacques et Jean et les emmène, seuls, sur une haute montagne. Et il fut transfiguré devant eux.....»
Il existe donc un lien profond entre les deux scènes. Parce que Jésus veut accomplir jusqu'au bout la mission reçue au baptême, il a besoin de prière plus intense, de contact plus profond avec son Père (symbole de la montée dans la montagne). Devant la perspective épouvantable qui l'attend, le visage livide, les traits crispés, il assume son destin et ose le dire à tous : c'est pourquoi là-haut son Père le remplit de paix, de confiance, de lumière. Ne crains pas : je suis avec toi.

« Elie et Moïse leur apparurent : ils s'entretenaient avec Jésus ».
Le premier a guidé la libération de l'esclavage, a contracté l'alliance avec YHWH, a apporté la Loi. Il est le grand législateur, la figure grandiose. Le second est le prophète enflammé, le défenseur de la Loi contre l'invasion des cultes idolâtriques. Tous deux ont reçu le privilège de l'intimité de Dieu sur la montagne du Sinaï mais tous deux ont péché et ils n'ont apporté qu'un salut précaire et partiel. A présent, sur la montagne, ils confortent Jésus dans sa décision. Ils viennent reconnaître qu'ils n'étaient que des prophètes, des porte-paroles de Dieu, des précurseurs. Jésus les dépasse infiniment : lui seul, le Fils, va conduire à terme l'½uvre qu'ils n'avaient qu'esquissée. L'Ancien Testament culmine en Jésus qui est, en personne, la Nouvelle Alliance.

« Quel bonheur d'être ici ! Dressons 3 tentes, une pour toi...une...une ... »
Pierre, qui s'était insurgé contre la nécessité de la croix, est comme transporté, il aimerait prolonger ce moment de grâce. Le Royaume de Dieu n'est-il pas arrivé ? Oubliées les Béatitudes exigeantes ! Oubliée l'annonce de la croix ! Jouissons du moment présent, de l'extase. Dressons, bâtissons, construisons...pour l'honneur de Dieu et de Jésus.

« Il ne savait que dire. Survint une Nuée qui les couvrit de son ombre, et, de la Nuée, une voix se fit entendre : «  Celui-ci est mon Fils bien-aimé : ECOUTEZ-LE »
Pierre se croyait dévoué en multipliant les petits sanctuaires. Mais lorsque, dans l'accueil de la croix, Jésus commence à être glorifié, c'est l'inverse qui se produit : c'est Dieu (dont la Nuée est toujours le symbole de la présence) qui fait un temple unique avec un peuple unique. Moïse et Elie, David et Jean-Baptiste....Pierre, Jacques, Jean, Paul...François d'Assise, Dominique, Vincent de Paul, la petite Thérèse : l'infinie multitude des disciples, à travers l'histoire,  devient LE SEUL TEMPLE VIVANT recouvert, englobé par la « shékinah », l'Esprit de Sainteté, la même Lumière. Il n'y a plus d'ancien et de nouveau testaments, mais une seule ALLIANCE.
Dieu redit ce qu'il avait confié à Jésus seul lors de son baptême (Toi mon Fils)...mais il ajoute à l'intention de tous : ECOUTEZ-LE. Qu'a-t-il dit ? Ce qu'il enseigne depuis le début et surtout la révélation qu'il vient de dire récemment : « Il faut que...Et si quelqu'un veut me suivre... ». La croix n'est pas un accident pour Jésus, une éventualité pour des candidats au martyre, un moyen parmi d'autres de libérer l'humanité. « Il la faut » non parce que Dieu veut des victimes mais parce que les hommes - même des responsables religieux de haut niveau - refusent le Royaume tel que Dieu, en Jésus, veut l'établir sur terre. Trop dur, trop universel.

« Regardant tout autour ils ne virent plus que JESUS SEUL AVEC EUX »
De façon furtive, comme un flash, on vient d'entrevoir le mystère de cet homme désigné par Dieu. On le retrouve comme avant, visage tendu de quelqu'un qui sait ce qui l'attend, qui va se heurter à la haine des hommes. Mais IL EST AVEC EUX. Seul il compte. Il ne les abandonnera jamais. Même dans leur lâcheté.
« En descendant il leur recommanda de ne rien dire à personne jusqu'à ce qu'il ressuscite d'entre les morts ».
Le moment n'est pas venu de s'arrêter dans l'extase béatifique : il faut redescendre de la montagne, rejoindre les hommes et poursuivre la route. Maintenant on sait où elle mène.
Jésus à nouveau intime le silence. Pas plus que des miracles, il ne faut parler des visions et des extases : ce serait, chez les uns, alimenter une religion de prodiges et de merveilleux, et, chez les autres, susciter moqueries et incrédulité. D'ailleurs cette grâce de transfiguration n'a pas converti les trois apôtres : lorsque le danger à Gethsémani surgira, ils s'enfuiront comme les autres, refusant cette issue dramatique et accrochés à leur certitude : Oui au Royaume mais sans la croix !

KIPPOUR ET FÊTE DES TENTES : ANNONCE DE MORT ET VISAGE DE LUMIÈRE

Après Pâques, éclairés par l'Esprit, les disciples reliront leurs Ecritures et ils remarqueront qu'il y a ce même intervalle de jours entre deux grandes fêtes (en ce temps, on compte les jours en jeu) :

1) Le 10 du 7ème mois, Israël célébrait la grande Fête du Pardon : YÔM KIPPOUR. Par l'offrande de plusieurs animaux, et en accomplissant le rite du bouc émissaire (symboliquement chargé de tous les péchés et voué à la mort dans la solitude du désert), le grand prêtre obtenait la purification totale pour lui, sa maisonnée, le sanctuaire et tout le peuple : « C'est pour vous une loi immuable : au 7ème mois, le 10, vous jeûnez...On fait sur vous le rite d'absolution... Devant YHWH, vous serez purs de tous vos péchés » (Lévitique 16, 29)                              Aujourd'hui encore, pour les croyants juifs, il s'agit du grand jour de l'année : jour de jeûne total, de prières intenses, le seul jour où tous les péchés de l'année sont pardonnés.

2) Le 15 de ce même mois, avait lieu la grande FÊTE DES TENTES. Pendant 8 jours, le peuple vivait dans des cabanes en faisant mémoire des ancêtres hébreux qui, après la sortie d'Egypte et le don de l'Alliance, avaient marché à travers le désert, logeant sous tente, avant de pénétrer dans la terre promise. Et on évoquait le souvenir de Moïse qui avait le privilège d'entrer dans la Tente du Sanctuaire où il recevait la Parole de  YHWH et dont il sortait, dit-on, le visage si rayonnant qu'il devait le couvrir d'un voile (Exode 34, 29-35).

Merveilleuse découverte pour Marc et les 1ers chrétiens ! Ainsi donc le calendrier des fêtes traçait la destinée de Jésus. Annonce de La Passion puis Transfiguration étaient comme les signes prémonitoires de ce qui allait se produire à Jérusalem :
La croix met fin aux sacrifices d'animaux : le sang de Jésus (rejeté comme le bouc émissaire) est versé pour offrir le pardon des péchés du monde, c'est le Yom Kippour pour le monde.
La Transfiguration finale est celle de la Résurrection le 3ème jour (intervalle resserré)
Jésus glorifié et ses disciples sont un seul peuple, dans la communion de l'Esprit.

CONCLUSION

Les fêtes liturgiques se suivent dans une succession logique et constituent la formation permanente du peuple chrétien. Elles ne sont pas des ritournelles ennuyeuses parce que toujours les mêmes.  Bien comprises, bien vécues, elles balisent le chemin de la foi, elles nous apprennent à vivre.
Le 1er dimanche de carême nous faisait réentendre l'appel du baptême qui nous donnait notre identité (TU ES MON FILS), il nous pressait de rejeter les tentations du monde grâce à la prière.
Le 2ème dimanche nous fait réécouter la voix de Dieu : Oui vous avez raison de suivre Jésus. Si vous en avez la grâce, jouissez des moments de bonheur qu'il vous offre en vous donnant, par l'Eucharistie, le pardon de tous vos péchés. Mais n'arrêtez pas l'histoire, ne fuyez pas  le monde, poursuivez votre mission, cherchez la conversion de l'Eglise, proclamez la Bonne Nouvelle. Et acceptez peu à peu, et dans la douleur, les échecs, les croix de la vie : en vous faisant grandir dans l'amour, ils vous conduiront en ce nouveau monde où il n'y aura plus de faces défigurées, de corps violés et meurtris mais des Visages de Lumière dans un monde transfiguré.