Le mal c'est ne pas faire
Les deux chapitres 24 et 25 constituent l'ultime discours de Jésus dans Matthieu : à deux jours de la Pâque où il va être mis à mort, il donne ses dernières instructions aux disciples : « Annoncez la Bonne Nouvelle dans le monde entier ; alertez sur les dangers des faux sauveurs ; vous connaîtrez des guerres et des persécutions, mais, un jour inconnu, « le Fils de l'homme viendra rassembler ses élus » (24, 31) ».
Et il termine sur une consigne capitale : « Veillez, tenez-vous prêts » (24, 42-44).
Ensuite trois paraboles illustrent en quoi consiste cette vigilance :
- La 1ère adressée aux responsables des communautés chrétiennes : que le serviteur établi sur la maison exerce bien ses responsabilités (24, 45-51). Car il y aura jugement et il risque d'être jeté dehors.
- La 2ème et la 3ème rappellent à tous les disciples de garder la lampe de la foi allumée (rôle féminin : 25, 1-13) et de faire fructifier les talents reçus (rôle masculin : 25, 14-30). Car il y aura jugement et danger d'être rejeté !
Donc les disciples connaissent tout l'enseignement de Jésus. Maintenant il reste l'essentiel : ce qui va se produire les jours suivants. Jésus invente l'Eucharistie pour que ses disciples pénètrent dans ce mystère de l'amour qui les unit ensemble, Christ et eux. Sur la croix, il donnera sa vie pour eux afin qu'ils vivent en lui et entre eux. La Résurrection pascale les convaincra du présent éternel de cette communion. Ils ne croient plus en un messie qui gagne à la guerre, supprime le mal et comble de cadeaux. Tout est achevé. L'unité « Dieu/homme » révélée en Jésus peut se vivre et se déployer universellement dans tous les disciples : Ils sont « mon corps, mon sang ». Encore faut-il qu'ils restent fidèles : la perspective du jugement final demeure.
ET LES AUTRES, LES NON CHRETIENS ?
Une question demeure : et les autres qui ne sont pas devenus disciples de Jésus ? Qu'en sera-t-il des multitudes qui n'ont pas cru à la Bonne Nouvelle, qui ont professé une autre religion, qui sont restés païens ?... Une 4ème et ultime parabole répond à cette question. L'humanité entière sera jugée. Car l'Evangile de Jésus est le critère unique qui départage les hommes et les femmes de tous les temps.
« Quand le Fils de l'homme viendra dans sa gloire, avec tous les anges, il siégera sur son trône glorieux.
Toutes les nations seront rassemblées devant lui :
il séparera les hommes les uns des autres, comme le berger sépare brebis et chèvres.... »
Le pauvre nazaréen moqué et ensanglanté, pendu au gibet infâme, victime innocente de ses juges impitoyables, sera LE JUGE ULTIME. Car son Evangile n'est pas une religion que l'on considère parmi toutes les autres et sa personne n'est pas un personnage du passé. L'histoire du monde se terminera sur son Epiphanie majestueuse. Il n'y aura plus d'évaluation selon la couleur de peau, la culture, la science, la richesse, la beauté. Le tri définitif se fera selon les actes - commis ou non.
Le Roi dira à ceux à sa droite : « Venez, les bénis de mon Père, recevez le Royaume préparé pour vous. Car j'avais faim et vous m'avez donné à manger ; j'avais soif et vous m'avez donné à boire ; j'étais un étranger et vous m'avez accueilli ; nu et vous m'avez habillé ; malade et vous m'avez visité ; en prison et vous êtes venus à moi »
Les justes répondront : « Seigneur quand est-ce que nous t'avons vu ? Tu avais faim et nous t'avons nourri ? Tu étais un étranger et nous t'avons accueilli ? Nu et nous t'avons visité ? Malade.... ?...Quand sommes-nous venus jusqu'à toi ? ». Et le Roi leur répondra : « Amen je vous le dis : chaque fois que vous l'avez fait à l'un de ces petits qui sont mes frères, c'est à moi que vous l'avez fait ».
Donc il y aura toujours des foules de gens qui, pour une raison ou une autre, ne se seront pas convertis à l'Evangile. Ils auront sans doute commis bien des fautes, n'auront pas toujours observé les règles de la morale ni les rites de l'Eglise ; ils seront restés païens, agnostiques, athées. Certains peut-être auront été débauchés, voleurs, assassins...
Mais leur existence sera sauvée par un élan de bon c½ur, un acte de partage. Découvrant la misère, le malheur, la détresse de certains, ils auront donné quelque chose, ils se seront dérangés pour aller vers eux, les visiter en prison ou à l'hôpital. Ainsi ils seront « des justes ».
Ils auront agi sans intérêt, sans espoir de récompense, simplement pour aider un homme souffrant. Mais voilà qu'ils apprennent, à la fin, la valeur extraordinaire de leur action : « Donner à mon petit frère, c'est ME donner A MOI » !!! Jésus s'identifie à ceux et celles qui, pour lui, rencontrent refus, dérision, rejet, attaque... Il l'avait déjà dit dans son discours de mission aux apôtres :
« Qui vous accueille m'accueille et qui m'accueille accueille celui qui m'a envoyé (Dieu).
Qui accueille un prophète recevra une récompense de prophète...
Quiconque donnera à boire, ne serait-ce qu'un verre d'eau fraiche, à l'un de ces petits en qualité de disciple, en vérité je vous le déclare, il ne perdra pas sa récompense » (10, 40-42)
LE MAL EST DANS L'INACTION, L'OMISSION
La scène suivante fait contraste absolu :
Le Roi dira à ceux à sa gauche : « Allez-vous en loin de moi, maudits, dans le feu éternel.
Car j'avais faim et vous ne m'avez pas donné à manger ; soif, et vous ne m'avez pas donné à boire ; étranger et vous ne m'avez pas accueilli ; nu, vous ne m'avez pas habillé ; malade et vous ne m'avez pas visité... »
Eux aussi répondront : « Seigneur, quand est-ce que nous t'avons vu avoir faim et soif, être nu, étranger, malade ou en prison - sans nous mettre à ton service ??? ». Il leur répondra : « Amen je vous le dis : chaque fois que vous ne l'avez pas fait à l'un de ces petits, c'est à moi non plus que vous ne l'avez pas fait ».
--- Et tous s'en iront : ceux-ci au châtiment éternel et les autres à la Vie éternelle »
On ne reproche pas à ces gens des pensées ou des actes mauvais - délits, méfaits, déviances sexuelles - ni des manques de pratique religieuse chrétienne, ni l'adhésion à une autre religion...L'échec total de leur vie, c'est leur dureté de c½ur, l'indifférence à l'égard de gens qu'ils voyaient dans le besoin et qu'ils n'ont pas voulu secourir. Maintenant, à la fin, ils apprennent qu'en n'écoutant pas les cris des démunis, en refusant une démarche d'approche, ils ont raté la rencontre de Dieu, ils n'ont pas aidé Dieu à venir dans les hommes.
Le mal est dans le « non acte », dans l'omission.
CONCLUSIONS
En ce dernier dimanche symbolique du point final de l'histoire, nous rectifions nos conceptions. Si le Crucifié est le Roi, alors les misérables, les affamés, les démunis, les malades, les souffrants sont ceux que nous devons respecter et servir. Ils sont « rois » non en imposant leur puissance mais en nous invitant, du fond de leur faiblesse, à leur rendre service. Leur rencontre est donc amour - donc royauté.
La perspective du jugement final nous tient sur nos gardes : agissons tant qu'il en est temps.
Elle nous assure que les triomphes scandaleux du mal auront une fin et que la justice vaincra.
Elle nous interdit de condamner les hommes, car seul Dieu connaît les secrets des c½urs.
Ce ne sont pas tant nos pensées ou nos actions qui sont viles ou méchantes : ce sont nos omissions, nos manques d'actes. Nous ne commettons pas de mal grave mais nous manquons de faire beaucoup de bien.
Et nous gardons grande espérance à l'endroit de tous ces « braves gens » qui ne sont jamais dans nos chapelles, qui critiquent notre Eglise, mais qui, sans s'en douter, soutiennent le Christ incognito.
La foi (la lampe allumée et le talent qui fructifie) est la voie normale du salut, la vie de charité dans la communauté d'Eglise.
Mais pour beaucoup, c'est l'amour, le geste de partage, la solidarité.
Les chemins sont multiples pour rejoindre Dieu. Quels qu'ils soient, ils sont amour incarné.
Seigneur, en cet ultime dimanche de l'année,
Nous te louons, nous te bénissons, nous te rendons grâce
pour la multitude de tes dons reçus en cette année guidée par S. Matthieu.
Car nous étions pauvres et tu nous as enrichis de ta grâce.
Nous étions malades par nos péchés et tu nous as soignés par ton pardon.
Nous étions assoiffés d'amour et tu nous as désaltérés.
Nous étions étrangers, séparés les uns des autres et tu nous as constitués en une seule famille.