Si quelqu’un n’a rien d’étonnant, je dis qu’il n’est pas chrétien. Le chrétien est précisément celui ou celle qui, quelque part, doit dénoter, surprendre, interroger. Être chrétien c’est autant être soi qu’une présence, particulière de Dieu qui s’incarne.
« Ils furent tous frappés de stupeur et se demandaient entre eux : ‘ Qu’est-ce que cela veut dire ? ‘ »
Le Christ, nous raconte l’Écriture, ne laisse pas les gens indifférents : il est étonnant. Le chrétien est celui qui a toujours quelque chose d’étonnant en lui ; qui pose question ; qui entre quelque part en contradiction avec l’esprit du monde. A mon sens, un chrétien ne devrait jamais passer totalement inaperçu. Au fond, c’est la parole de l’Évangile : en quoi différons-nous des autres si nous n’aimons que celles qui nous aiment, que ceux qui nous font du bien ? [ Mt 5, 46-47 et Lc 6, 32-35 ]. Il doit y avoir chez tout chrétien une façon particulière d’aimer, qui se voit et qui surprend.
« Sa renommée se répandit aussitôt partout, dans toute la région de la Galilée. » C’est parce qu’à bien des égards il est étonnant – par rapport à la culture ambiante – que le christianisme se répand. Et si, aujourd’hui, chez nous, sa renommée est fort ternie c’est sans doute parce que ceux qui se revendiquaient de l’Église n’avaient plus rien d’étonnant, qu’ils n’apparaissaient finalement pas bien différents d’autres, qui ne croyaient pas.
Et on comprend bien le désintérêt : à quoi bon s’imposer rites et catéchismes si notre religion n’a rien d’extraordinaire, qui suscite l’étonnement, l’émerveillement et l’attrait ? A quoi bon pratiquer si notre foi ne bouleverse rien ; ne surprend pas ; ne change rien ?
Qu’est-ce qui étonne encore aujourd’hui du christianisme ? En quoi, en tant que chrétien, suis-je surprenant ? Au fond, quel est mon témoignage de l’Évangile en ce monde ?
Marc nous raconte que le premier acte posé par Jésus, à peine a-t-il appelé ses premiers disciples, est un exorcisme : à la synagogue de Capharnaüm, il guérit un homme tourmenté par un esprit impur. Bien sûr, il est dit qu’avant Jésus enseignait et qu’ « on était frappé par son enseignement » mais l’Évangile, à ce stade, ne rapporte aucune des paroles enseignées par Jésus. A dessein, Marc place l’acte avant la parole.
Son propos est d’établir d’emblée l’autorité de Jésus. Et l’artifice rhétorique qui consiste à faire dire par un esprit mauvais ce qu’il n’y a pas lieu de dire mais que le récit tient à proclamer apporte plusieurs enseignements.
D’abord que l’autorité ne s’affirme pas de soi. On ne se proclame pas tant parent que l’on est reconnu parent ; on ne se proclame pas tant religieux que l’on est reconnu religieux ; on ne se proclame pas tant chrétien que l’on est reconnu chrétien.
Mais surtout, que l’autorité ne s’affirme pas mais s’établit d’abord en acte. C’est parce qu’on est parent en actes, parce qu’on est religieux en actes, parce qu’on est chrétien en actes que l’on est reconnus tels.
Je ne suis pas un bon chrétien parce que je le confesse ; je suis chrétien parce que je le montre. Le Christ ne se proclame pas tant sauveur que pratiquement il sauve. Il n’est pas tant nécessaire de proclamer l’amour que d’aimer.
Au fond, l’affirmation de cet évangile c’est que la querelle sur la foi et les œuvres n’a pas lieu d’être. Rien, au sein du christianisme, ne permet de distinguer la foi des œuvres. Elle n’a rien de théorique notre foi et tout de pratique. Elle est un élan du cœur qui concrètement existe et sauve. D’ailleurs, plus loin dans l’évangile (3, 5 ; 6, 52 ; 8, 17), Marc révélera que le véritable esprit impur n’est autre que le cœur humain endurci, inerte, qui finalement n’agit pas.
Ainsi l’autorité de Jésus s’établit d’elle-même. Avoir autorité c’est d’abord faire impression sans parole, ou préalablement à toute parole, par des actes. Autrement dit, l’autorité s’exerce quand la parole est acte et que l’acte est parole, quand il y a telle adéquation des deux qu’ils sont indistinguables.
Est-ce que la crise actuelle n’est pas celle-là, celle de l’autorité ? A qui se fier aujourd'hui ? N’assistons-nous pas, de toutes parts, à la chute des élites : religieuses, philosophiques, politiques, scientifiques et même artistiques … Qui parle encore aujourd’hui avec autorité ? La crise actuelle n’est-elle pas précisément celle du leadership ?
L’autorité des parents ; des profs, des journalistes, des politiques, de la science même : tout ça est remis en cause. Advienne quelque radical prêcheur de renouveau et des foules considérables s’apprêtent à le suivre. Survienne telle fake news et ils sont pléthore à y donner foi. Dieu lui-même parle-t-il encore à l’Occident ?
Sans parler de l’Église …. Quelle autorité conserve-t-elle ? Le seul pape François ?
Si jadis l’Église a pris l’ascendant sur l’Empire romain qui la persécutait ce n’est pas avec des discours, ni par l’affirmation de soi, ni même de la beauté de son message. Si l’Église a pu recevoir par le passé quelqu’autorité c’est parce qu’elle s’est instituée service social ; agent de guérison, de résurrection. Le reste n’est que théorie.
Avant toute chose, être chrétien ce n’est pas dire, c’est faire.
Le Christianisme n’est pas tant parole ; qu’action.
Arrivé à ce point, j’aurais sans doute mieux fait de me taire, de simplement me tenir face à vous et, sans mot, vous aimer.