19ème dimanche ordinaire

Auteur: Philippe Henne
Date de rédaction: 13/08/17
Année: 2016-2017

Nous connaissons bien l’épisode de la mer apaisée.  Mais il y a plusieurs versions.  Il y en a une où Jésus dort dans la barque.  Il a fallu que les apôtres réveillent Jésus pour qu’il se lève et apaise les flots. Cela symbolise le silence apparent de Dieu dans nos épreuves.  Ici, c’est tout autre chose : c’est Jésus qui appelle Pierre à le rejoindre et donc à marcher sur les flots.  Cela symbolise l’obéissance.  Non pas l’obéissance aux ordres que moi je donne, mais l’obéissance aux ordres que moi je reçois.  

            L’obéissance, voilà bien un mot qui n’est pas à la mode, qui n’a jamais été à la mode.  Chacun réclame son autonomie et son indépendance, et chacun vit tout seul.  L’obéissance, c’était un thème que j’aimais bien aborder quand je donnais cours au séminaire interdiocésain de Lille.  C’était devant ces jeunes gens qui se préparaient au sacerdoce que j’expliquais que l’obéissance permettait de découvrir des choses nouvelles autour de soi et à l’intérieur de soi-même.  Car, souvent, et c’est cela qui fait le plus mal, l’obéissance  nous oblige à faire des choses qu’on n’aurait jamais imaginées.  Par exemple, en 1991, j’étais à Fribourg, en Suisse, où je travaillais comme assistant à l’université  et soudain, un beau vendredi matin, je reçois une lettre qui me dit en substance : voilà ! c’est décidé ! on t’attend, Philippe, à Jérusalem pour travailler à l’Ecole biblique.  Et j’ai passé  quatre ans à Jérusalem.  Et c’est là qu’on apprend quelque chose sur soi-même  car, vous l’imaginez bien, il y a une grande différence entre la Suisse, où tout est propre, calme et bien organisé, et Jérusalem, surtout la partie arabe de la ville, où les voitures brûlent, les bombes risquent d’exploser et où les soldats sont parfois nerveux. 

            Et c’est vrai qu’obéir, cela ne simplifie pas les choses.  Regardez Pierre ! il était dans la barque et la barque était agitée, secouée par les falots déchaînés.  Et voilà qu’il s’élance vers Jésus.  Mais la mer sur laquelle il marche, ce n’est pas le lac de Genval ou de Louvain-la-Neuve, bien plat, bien lisse, sans une ride.  Non ! c’est la mer déchaînée avec se vagues qui se dressent, prêtes à tout engloutir, avec ses creux si profonds qu’on ne voit plus le ciel, qu’on ne voit plus Jésus.  Oui, obéir, ce n’est pas une chose facile.  Premièrement, il ne faut pas y aller avec des pieds de plomb, car alors on ne peut pas marcher sur l’eau.  Ensuite, c’est vrai, il y a des frères et des sœurs qui ont été détruits par les ordres qu’on leur a donnés.  C’était trop du pour eux et pour elles.  Certains ont été brisés par les difficultés qu’ils ont rencontrés.  D’autres ont sombré sous le poids des responsabilités.  C’est pour cela je suis rempli d’admiration pour des personnes comme Sœur Emmanuelle.  Elle était au Caire où elle faisait du bon travail avec les enfants chiffonniers.  Et voilà qu’on l’envoie à la retraite dans le Sud de la France.  Et elle  n’a pas ressenti de rancœur ou d’amertume.  C’est parce que toute sa vie elle s’était exercée à l’obéissance.  C’est âgée, après bien des années passées au couvent, qu’elle a eu l’audace de s’occuper des petits chiffonniers du Caire.  Et, ensuite, quand ses supérieurs  lui demande de quitter tout cela, elle part, car elle ne considérait pas son œuvre comme une chose personnelle, mais comme un service qu’elle rendait.  Le plus important pour elle, c’était de faire la volonté de Dieu.

            Nous aussi prenons le risque de faire des choses qu’on aime pas, pas pour le plaisir de souffrir, mais pour réaliser la volonté de Dieu.  C’est ce que Jésus a fait au mn des Oliviers.  Il a dit à son Père : « non pas ma volonté, mais Ta volonté ».  Et c’est grâce à cela que nous sommes sauvés. 

Transfiguration

Auteur: Dominique Collin
Date de rédaction: 6/08/17
Temps liturgique: Fêtes du Seigneur et Solemnités durant l'année
Année: 2016-2017


Transfiguration

Auteur: Philippe Henne
Date de rédaction: 6/08/17
Temps liturgique: Fêtes du Seigneur et Solemnités durant l'année
Année: 2016-2017

La Transfiguration de notre Seigneur Jésus-Christ est à la fois un mystère simple et profond.  Je vais vous raconter la très belle explication qui m’a été donnée par un prêtre qui était professeur de religion au collège Saint-Vincent à Soignies où j’étais élève.  Il nous racontait ceci : Jésus, sentant sa fin prochaine, voyait et sentait que cella allait bientôt tourner mal.  Il prend alors avec lui trois de ses disciples pour leur montrer qui Il est vraiment, le Fils Dieu.  Notez qu’il ne prend pas les plus intelligents.  Il prend ceux qui seront le plus susceptible d’entrevoir le mystère de Sa personne.  On en reparlera plus tard.  Car ce qui est important, c’est que ces trois apôtres découvrent Jésus sous un jour nouveau.  Ce n’est pas simplement quelqu’un qui fait des miracles, ni celui qui dit de belles choses.  C’est beaucoup plus que cela : c’est le Fils de Dieu.

            Oui, nous aussi, nous connaissons parfois des transfigurations.  Comme vous le voyez, je suis dominicain, c’est-à-dire que je vis dans des communautés internationales.  J’ai même vécu trente ans à l’étranger avec des frères de toutes langues, peuples, cultures et même couleurs.  La plus belle chose qui me soit arrivée dans ces communautés internationales, c’est de voir les yeux briller et le visage rayonner chez un frère.  C’est quand il me parle de son pays, de son village, de ce qu’il y a de plus beau chez lui.  Alors toute la splendeur de son cœur jaillit sur son visage. 

            C’est que tous, nous avons une pierre précieuse dans notre cœur.  Cette pierre précieuse est triste et terne tant qu’elle reste enfermée.  Le plus bel écrin ne permet pas à une pierre de briller de mille feux.  Il faut pour cela que la pierre soit exposée à la lumière du soleil.  Il en est de même pour la richesse de notre cœur.  Tant que nous restons enfermés sur nous-mêmes, rien ne peut briller, ni luire dans notre vie.  Il faut que nous ayons le courage d’ouvrir notre cœur à la vie, à la lumière de l’amour de Dieu pour que nous puissions rayonner.

            Mais voilà ! Les blessures de la vie, les mensonges, les trahisons et les déceptions ont fait que petit à petit nous nous sommes repliés sur nous-mêmes et que nous n’avons plus l’audace, le courage de nous ouvrir aux autres et à l’amour de Dieu.  Et, en plus, il y a la monotonie, la fatigue de tous les jours qui s’accumulent.  Nous ne sommes plus capables d’être aimés, ni même d’être surpris par l’amour de Dieu et l’amour des autres pour nous.

            Oui, c’est bouleversant de voir le visage d’un enfant qui brutalement rayonne de joie et de surprise à la vue d’un cadeau.  Oui, c’est un défi immense qui nous est lancé d’être capables d’être pleins d’étonnement et d’admiration pour l’amour qui  nous est offert.  C’est ce que nous apprenons à faire, ici, à chacune de nos eucharisties.  C’est de prendre la perle précieuse qui est dans notre cœur, de la prendre et de la laver de tout ce qui l’obscurcit et de ce qui l’encombre, les blessures de la vie, la poussière de l’ennui, pour pouvoir ainsi l’offrir à la lumière de l’amour éternel du Père.

            Alors notre cœur ébloui, étonné de tant de merveilles, sera capable d’être transfiguré par l’amour de Dieu. 

16ème dimanche ordinaire

Auteur: Laurent Mathelot
Date de rédaction: 23/07/17
Année: 2016-2017

 Dominique aurait sans doute été mieux désigné pour prêcher aujourd'hui, lui qui a écrit « Mettre sa vie en paraboles ». Je me bornerai à donner une définition personnelle d'une parabole comme la projection dans des réalités concrètes – non pas de notions abstraites – mais de réalités proprement indicibles. Il est ultimement vain de chercher à poser un regard spéculatif sur les réalités divines ; le Royaume de Dieu n'est finalement pas objet de science. On ne peut en parler qu'à travers des images, qui fonctionnent comme autant de litotes : à s'éloigner d'un regard, on dit moins pour dire plus. A nous plonger dans des réalités quotidiennes et éminemment concrètes, comme aime tant à le faire la culture hébraïque, la parabole nous dit l'actualité du Royaume de Dieu – quotidien et éminemment concret – quelque chose de la réalité du Royaume, autant que son caractère proprement indicible.

La Parabole du bon grain et de l'ivraie aborde le thème de la patience du Jugement. On a, par le passé, torturé des générations de chrétiens avec le fait que Dieu voit tout. On trouve encore dans nos églises la représentation d'un œil dans un triangle : Dieu (le triangle symbolise la Trinité), Dieu voit tout. Et je crois que c'est vrai : Dieu sonde en permanence les cœurs et les reins. Il voit tout. Mais c'est trop peu de dire cela. Dieu voit tout certes, mais il ne pose sur nous qu'un regard de tendresse et de patience. Oui, toujours, mon péché l'affecte mais Lui ne voit que l'espérance. Voilà le caractère indicible de la parabole : le jugement de Dieu n'est pas comme le jugement des hommes.

Pour tous, il y aura finalement une sentence qui tombe. Il y aura pour chacun de nous une fin des temps, un moment où nous n'aurons plus la capacité d'agir, et donc d'encore nous convertir. Mais tant que dure la Vie, dure la patience de Dieu.

Ce n'est pas comme ça que nous-mêmes nous jugeons. Notre tendance est plutôt de vouloir directement arracher la mauvaise herbe, extirper le mal – l'ivraie qui pousse au milieu de nous. Face au mal et à la souffrance, nous sommes impatients. Nous cherchons bien souvent à punir, ou à nous punir. Nous posons sur celles et ceux qui nous entourent – sur nous-mêmes aussi – des jugements que nous peinons à réviser, à mesure d'ailleurs du mal qui est fait. C'est le temps de l'impatience. Et trop vite nous condamnons, nous-mêmes ou autrui. Nous perdons patience.

Dieu non.
Dieu n'oublie jamais que nous ne sommes pas les seuls responsables du mal qui passe à travers nous. La parabole dit que c'est l'ennemi du semeur qui répand l'ivraie. Nous ne sommes pas ultimement responsables du mal que nous faisons ; nous sommes simplement responsables de le laisser passer à travers nous, croître en nous, lui donner de l'amplification. Nous ne sommes pas la cause première du mal. Ceci déjà, donne à tout le monde des circonstances atténuantes. A cet égard, le récit du Péché originel n'est pas tant une condamnation de l'homme que le récit de son exonération, en tout cas partielle. Nous ne sommes jamais les seuls responsables du mal que nous faisons.

Dieu n'oublie jamais non plus que, pour une part, nous faisons rempart au mal. Nous sommes capables d'affronter une part de souffrance ; tous nous avons une certaine endurance, une capacité de résistance et même de résilience. Tous, face au mal, nous sommes capables de patience.  D'une certaine patience …

La patience de Dieu est le reflet de sa force. C'est parce qu'il domine tout que Dieu est patient. « Ta domination sur toute chose te permet d’épargner toute chose » dit le Livre de la Sagesse. Notre impatience vient du sentiment que nous avons de ne pas maîtriser la situation. Notre impatience est le reflet de notre faiblesse. Elle survient lorsque le mal a dépassé la limite – notre limite. Alors nous préférons arracher les épis d'ivraie avant qu'ils ne germent encore.

La patience est la mesure du temps que nous accordons à la conversion. « Par ton exemple tu as enseigné à ton peuple que le juste doit être humain – le texte grec dit philanthrope – à tes fils tu as donné une belle espérance : après la faute tu accordes la conversion. » Ainsi, l'impatience est signe de désespérance.

Ceci nous donne des jalons pour notre propre progression spirituelle. Là où je suis impatient, là se loge mon désespoir. Quels sont les comportements que je ne tolère pas ? Et pourquoi particulièrement ceux-là alors que je parviens à en accepter d'autres ? Parce que là se loge mon désespoir. Quels types de personnes ai-je tendance à juger et condamner, à vouloir extirper ? Là se loge mon désespoir. Quel sont les maux du monde que j'ai tendance à ne pas supporter ? Là se loge mon désespoir.

On apprend beaucoup sur soi-même d'une réflexion sur la patience. Nos lieux d'impatiences sont précisément les endroits qui sont appelés à la conversion, les événements sur lesquels nous avons perdu le regard bienveillant de Dieu ; ce qui nous affecte intimement, les maux qui nous rongent.

A contrario, la patience est le signe de la présence en nous du règne de Dieu. C'est dans la patience que nous voyons le mieux, parce que par contraste, que le regard de Dieu passe à travers nous. La patience est le signe que le Royaume de Dieu est arrivé jusqu'à nous ; qu'il vit déjà en nous.

Une attitude spirituelle prudente me semble être de considérer avec une certaine objectivité nos lieux d'impatiences, parce qu'ils définissent concrètement, pour nous, une zone de conversion.

Mais l'attitude spirituelle nécessaire est de nous réjouir de la capacité de patience dont nous disposons tous. Certes à des degrés divers, mais résolument là. La quête des trésors de patience que nous pouvons trouver en nous est un des plus beaux regards que nous puissions poser sur nos vies.

Car la patience est le signe le plus contrasté de l'Amour.
Et qu'en notre patience, se trouve le règne de Dieu.

15ème dimanche ordinaire

Auteur: Philippe Cochinaux
Date de rédaction: 16/07/17
Année: 2016-2017

Après la lecture d’un tel évangile, vu notre présence en cette église en cette fin de journée, nous pourrions aisément nous dire : nous sommes la bonne terre de Dieu.  Il a semé en nous et ses semailles ont grandi.  Tandis que tous ceux et celles qui ne sont pas là dans nos églises feraient partie des terres rocailleuses, remplies de ronces.  Cette approche serait quelque peu rassurante car elle nous permettrait ainsi de catégoriser les gens.  Il y a les bons d’un côté et les méchants de l’autre, comme dans un film policier.  Mais la vie est plus qu’un film et cette parabole refuse ce type de dichotomie.  Parmi les nombreux messages qu’elle porte, je souhaite en souligner deux : la réalité de notre propre terre intérieure et l’attitude du semeur.

D’abord, la réalité de notre propre terre.  Dieu a fait de nous une « bonne terre » à ensemencer.  Il est vrai qu’avec les aléas de la vie, avec certains événements douloureux tels que la maladie, la perte d’un être cher, des blessures morales, des failles dans l’âme, notre terre personnelle a peut-être un peu perdu de sa richesse première.  A certains endroits de notre cœur, des ronces ont poussé, à d’autres, le terrain est devenu plus sec, plus rocailleux mais il y a toujours un lieu où la terre a gardé sa fraîcheur originelle.  Il s’agit du lieu de Dieu.  Par définition, depuis l’instant de la Création, Dieu le Père a marqué le monde de l’abondance de ses semailles.  Il sème à tous vents et en tous lieux.  En lui, il n’y a ni pertes ni profits.  Tout ne peut être que bon puisque c’est lui qui nous ensemence à partir de sa propre divinité.  Parfois, certains d’entre nous peuvent être traversés par le sentiment que leur terre intérieure est devenue au fil des années un désert stérile où plus rien de bon ne peut pousser.  Puissent-ils se détromper de cette image et se détourner d’une telle désespérance car en nous, il y a toujours un coin de bonne terre où Dieu peut venir déposer ses semailles.  A nous de le trouver, de le retrouver si nécessaire.  Il suffit de rechercher le chemin tracé en nous par le Fils dans l’Esprit.  En le suivant, nous retrouverons ainsi non pas l’ombre divine mais la présence du Père au plus profond de notre être.  Une présence qui ne se contente pas seulement d’une rencontre intime mais qui attend de nous que nous comprenions la mission qui nous a été dévolue dans l’accomplissement du Royaume de Dieu. En Dieu, il y a toujours de l’espoir, rien n’est jamais complètement asséché.  Il suffit d’un petit bout de bonne terre intérieure pour que tout puisse recommencer afin qu’à notre tour nous devenions des semeurs.

Vient ensuite le deuxième message de cette parabole :  l’attitude du semeur.  Tout comme Dieu, celui-ci sème sans compter.  Il vit son travail à profusion.  Il garde toujours l’espérance en n’arrêtant jamais de semer.  Il a peut-être compris que semer, c’est un peu comme s’aimer, c’est-à-dire que ce n’est pas commencer qui importe mais bien recommencer.  Ne jamais s’arrêter et poursuivre inlassablement sa tâche.  Cette dernière n’est pas aisée car semer Dieu, ce n’est pas d’abord semer un savoir, semer un catéchisme, semer une théologie.  Bien au contraire, semer Dieu, c’est semer le désir d’entrer dans une relation avec Lui.  Et c’est justement là que cela se complique : comment donner le goût de Dieu aux autres ?  Comment donner envie de vivre à son tour une relation au plus intime de nous-mêmes avec quelqu’un que nous ne pouvons décrire tellement il est Autre, le Tout-Autre ?  Peut-être en acceptant que Dieu a également semé en nous de nombreuses graines que nous devons à notre tour répandre auprès de celles et ceux de qui nous nous faisons proches.  C’est parce que nous chérissons notre relation à Dieu, que celle-ci nous transforme en profondeur.  Semons alors à foison ces graines divines : des graines de tendresse, des graines de bienveillance, des graines de douceur, des graines d’amitié, des graines de respect, des graines de pardon, des graines de paix, des graines de sourire et tant d’autres graines qui ont été semées en nous par toutes ces personnes qui nous ont un jour donné le goût de Dieu. C’est donc bien en s’aimant que nous semons.  Faisons-le sans compter.  Notre tâche est de semer sans jamais s’arrêter car c’est de cette manière que nous permettrons à d’autres d’un jour entrer en relation avec ce Dieu qui donne un autre sens à nos vies. 

Amen

12ème dimanche ordinaire

Auteur: Didier Croonenberghs
Date de rédaction: 25/06/17
Année: 2016-2017

« Veritas est adæquatio intellectus et rei » écrivait fameusement Saint Thomas d’Aquin. Au cas où vous ne connaitriez pas le sens de cet aphorisme, permettez-moi de vous en donner la traduction. La vérité est l’adéquation de la pensée et des choses. En ce sens, la vérité consiste avant tout en l'accord entre ce qui est dit et l’objet qui est énoncé. Le sol de la Collégiale Saint-Jean est noir et blanc : adéquation entre ce que je dis et la réalité. Si je vous dis, par exemple, que le père Philippe Cochinaux est allé chez le coiffeur cette semaine, vous pouvez vérifier l’adéquation entre mes dires et la nouvelle chevelure du provincial.

Voilà une définition traditionnelle de la vérité, mais il y a bien d’autres manières de parler celle-ci. Etymologiquement, vérité signifie en grec dé-voilement. La vérité est complexe, souvent opaque, et l’Evangile de ce jour nous parle bien de la vérité au sens de dévoilement.
« Ne craignez pas les hommes. Rien n’est voilé qui ne sera dévoilé. Rien n’est caché qui ne sera connu » nous dit Saint Matthieu.

Notre monde occidental a un rapport quelque peu paradoxal à la vérité. Nous voyons sans cesse des personnes aspirant à ce que toute la clarté et toute la vérité soient faites. Et néanmoins, lorsqu’on parle de la Vérité avec un grand « V », il y a comme une peur, car nous savons qu’en son nom, le plus atroce est commis aux quatre coins du monde. Comme l’écrira une sociologue, la vérité nous fait souvent peur, et par cela même, nous sommes dans une culture où l’utile a pris le pas sur le vrai. Nous faisons des choses qui nous sembles utiles, mais sont-elles pour autant vraies, ajustées à ce que nous sommes réellement ?

L’Evangile de ce jour nous invite à ne pas dissocier les deux. Alors que certains se posent la question du « comment bien vivre ? » et que d’autres s’intéressent à « ce qui est vrai », l’Evangile viendra toujours réconcilier les deux. « Comme vivre cette vérité venant de Dieu ? » Voilà cette question qui nous est posée. La vérité —même si elle dérange— est utile lorsqu’elle se dit avec délicatesse et bonté. Toutefois, acceptons-nous qu’un tel dévoilement se fasse sur nous-mêmes ? Acceptons-nous notre propre vérité, voulons-nous de devenir ce que nous sommes ? Ou voulons-nous rester ce que nous ne sommes plus ?

Sur ce chemin de vérité, de dévoilement, l’Evangile nous invite à nous en remettre —non à nous-mêmes— mais à Dieu, en sa providence. En sa providence… Le mot est lâché… vous ne l’avez sans doute pas souvent entendu dans cette église. Et il fait même parfois un peu peur, tant il semble poussiéreux et désuet. Et il est vrai que la providence entendue classiquement comme l’intervention divine en ce monde au détriment de notre liberté— beaucoup d’entre nous n’y croient plus du tout. Cependant, il y a une profonde réalité humaine derrière ce mot. Providence signifie « voir à l’avance ». Nous pourrions dire, voir « en avance ».

Toutes et tous, il nous arrive parfois de croiser de ces personnes providentielles, qui nous ont vue « en avance ». Elles ont été en avance sur notre temps. Elles n’ont pas prédit notre avenir, mais elles nous ont offert des paroles bienveillantes qui se sont avérées par la suite… Elles nous ont aimés, avant même que nous puissions les aimer en retour. Elles nous ont aidés à nous révéler. Croire en la providence de Dieu, c’est croire qu’il y a des personnes providentielles qui nous ont vues —non avec un regard de profit ou d’utilité— mais avec une longueur d’avance, une hauteur d’avance. Même sans que nous nous en rendions compte, elles nous ont aidés à nous dévoiler. Leurs paroles se sont vérifiées en nous. Elles nous ont vues en vérité, avant que nous fassions cette vérité sur nous-mêmes. « Fais-moi voir » crie Jérémie dans la première lecture.

Bien entendu, toutes et tous, que nous le montrions ou non, il se peut que nous soyons dans une période de notre vie où la vérité semble lointaine, où le désespoir a pris le pas sur la confiance. Il se peut que nous soyons dans une phase où « la tendresse a déserté notre maison », où le mot providence semble particulièrement inaudible.

Mais n’est-ce pas justement quand notre avenir semble voilé, sans horizon, que Jésus vient nous dire « sois sans crainte ». Et il le fait à trois reprises. C’est alors qu’il nous faut entendre dans nos ténèbres que rien n’est voilé qui ne sera dévoilé, qu’une parole de bonté peut venir se vérifier, se révéler en nous. Alors, nos yeux seront ouverts pour croiser des êtres providentiels, et — peut-être à notre tour— en être pour les autres. Amen.

Saint Sacrement

Auteur: Philippe Henne
Date de rédaction: 18/06/17
Temps liturgique: Fêtes du Seigneur et Solemnités durant l'année
Année: 2016-2017

C’est la fête au pays de Liège. Depuis jeudi et jusque dimanche, à l’invitation de l’évêque, Mgr Delville, le diocèse célèbre l’institution de la fête du Saint-Sacrement, la Fête-Dieu. C’était au treizième siècle, en 1248, qu’une religieuse augustinienne, sainte Julienne du Mont-Cormillon, a réussi à faire accepter le culte du Saint-Sacrement. On était en pleine révolution intellectuelle. C’était l’époque de la création des villes et des premières écoles de théologie. C’est alors que certains intellectuels, comme Bérenger, ont rejeté pour des raisons philosophiques la présence réelle dans le Saint-Sacrement. Et sainte Julienne du Mont-Cormillon a fait partie de ces personnes courageuses et inspirées qui ont voulu rétablir la vérité.

            Car le Saint-Sacrement, ce n’est pas une invention de théologiens. C’est une conviction profonde qui a animé le peuple de Dieu depuis le début du christianisme. Je ne vous citerai que deux exemples. Commençons par Justin de Naplouse, qui est mort martyr à Rome vers 170. Il explique à l’empereur qui persécute les chrétiens comment se déroulent les Eucharisties. Les païens étaient inquiets et anxieux de savoir ce qui se passait pendant ces réunions secrètes. Il paraît que les chrétiens mangent la chair d’un homme et qu’ils s’embrassent, les hommes et les femmes ensemble. Justin leur explique tout, et surtout qu’à la fin de la cérémonie on porte l’Eucharistie aux malades qui étaient absents. Et cela, je trouve cela très beau. Déjà, dès le début de l’histoire de l’Eglise, les chrétiens étaient convaincus qu’on ne pouvait priver les personnes malades de l’Eucharistie, parce que pour eux l’Eucharistie, ce n’est pas du pain normal, c’est du pain consacré, c’est la nourriture de l’âme du croyant. C’est le pain qui guérit de la solitude quand on se sent loin de Dieu.

            Mais il y a plus beau encore. C’est le témoignage d’Ignace d’Antioche, qui sera mangé par les lions à Rome vers 110. Il recommande à tous les chrétiens de se réunir pour célébrer l’Eucharistie parce que c’est l’Eucharistie qui fonde l’Eglise, la communauté des croyants. Si nous sommes ici tous ensemble, c’est parce que nous croyons que Jésus est au milieu de nous pendant cette Eucharistie. Et nous repartons, nourris, fortifiés par cette nourriture qu’est le corps du Christ dans l’Eucharistie. Et plus fort encore : Ignace nous appelle tous à être également une Eucharistie, c’est-à-dire que notre vie soit un chant de louanges pour Dieu qui se donne à chacun d’entre nous. Et comment cela ? En imitant Dieu dans notre vie. Oui, quand nous sommes devant un choix difficile ou une décision compliquée, demandons-nous ce que Jésus aurait fait à notre place. C’est ce qu’Ignace d’Antioche a fait. Il a été condamné à être jeté vivant au milieu des lions affamés. Il a voulu transformer cette condamnation en une prédication. C’est comme Maximilien Kolbe, franciscain qui a donné sa vie à la place d’un autre pour mourir dans le bunker de la faim dans le camp d’extermination d’Auschwitz.   Il transformé sa mort en un geste d’amour qui a sauvé la vie d’un homme. Mais aussi, et peut-être surtout, il a chanté les psaumes dans le bunker de la mort.

            Le Christ est vivant dans l’Eucharistie que nous recevons. Dieu n’a pas voulu nous laisser seuls sur les chemins de la vie et de la foi. Il s’est donné lui-même, non pas simplement comme un guide et un conseiller, mais comme une force à l’intérieur même de notre cœur. Alors, avec l’Eglise de Liège tout entière, chantons la splendeur de ce Dieu qui nous a aimés à en mourir et à se donner tout entier à chacun d’entre nous.

Trinité

Auteur: Philippe Henne
Date de rédaction: 11/06/17
Temps liturgique: Fêtes du Seigneur et Solemnités durant l'année
Année: 2016-2017

La Trinité ! Qui peut expliquer le mystère de la Sainte Trinité, un seul Dieu en trois personnes ? Qui même aurait l’idée de prier la Sainte Trinité ? Cela paraît être un mystère totalement étranger à notre vie Quelle importance, quelle influence la Trinité peut-elle avoir dans ma vie ? En quoi cale peut-il me rendre heureux ou plus heureux de savoir qu’il y a un seul Dieu en trois personnes ? Quand on pense à Dieu, on pense à Jésus-Christ, spontanément. C’est lui qu’on prie directement. C’est ce qu’il y a de plus facile parce qu’il sait ce que c’est que d’être un homme. Il a partagé notre vie, nos joies et surtout nos souffrances. D’ailleurs, c’est ce que nous avons célébré pendant ces dernières semaines, la mort et la résurrection de Jésus-Christ. Ça, c’est clair. On peut le comprendre, on peut l’imaginer. Mais un Dieu en trois personnes, c’est beaucoup plus compliqué. D’ailleurs, quand on parle de Dieu le Père, ce n’est pas simple non plus, parce que nous avons tous une image différente du père, suite à notre expérience personnelle. Certes, j’ai entendu dire que les filles ont toutes une image très positive de leur père parce que, pour elles, le papa, c’est le plus bel homme du monde.   Mais, pour nous, les hommes, un papa, ce n’est pas toujours un cadeau. Alors, de là à prier Dieu le Père avec amour et tendresse, il y a un pas énorme à franchir. Et voilà qu’on nous ajoute le Saint-Esprit, qui est encore plus difficile à imaginer. Je ne sais pas ce qu’on vous a dit dimanche dernier pour la fête de la Pentecôte, mais, moi, je suis plein d’admiration pour les prêtres qui arrivent à parler du Saint-Esprit de façon simple et compréhensible. Et tout cela forme la Sainte-Trinité. Je me demande qui a bien pu inventer tout cela.

            Et justement, c’est là ma première réflexion. La Sainte Trinité, un seul Dieu en trois personnes, c’est quelque chose d’inimaginable pour nous, les hommes. Je ne vous dis pas toutes les hérésies, toutes les théories que certains théologiens ont pu inventer pour réduire ce mystère à quelque chose de raisonnable. Eh oui ! Nous, les hommes, on peut imaginer un seul Dieu et une seule personne, ou trois dieux et trois personnes, mais pas un seul Dieu et trois personnes. Cela dépasse toute capacité humaine de réflexion et d’imagination. Et c’est pour cela que je crois en la Sainte Trinité parce que personne n’aurait pu imaginer cela, qu’il fallait vraiment que Jésus vienne sur terre pour nous l’annoncer. Parce que c’est inimaginable, et qu’il faut une révélation pour découvrir cela.

            Oui, mais vous me direz : qu’est-ce que cela change dans ma vie, un Dieu en trois personnes ? Ca change tout parce que Dieu n’est pas un être solitaire, parce qu’il n’est pas tout seul dans le ciel. Il n’est pas en train de se dire : « je m’ennuie tout seul, qu’est-ce que je vais faire aujourd’hui ? Tiens, je vais créer les hommes, cela m’occupera ». bien au contraire, il y a déjà, il y a surtout une vie d’amour, entre le Père et le Fils dans l’Esprit. C’est là, la grande différence entre d’une part les chrétiens et d’autre part les Juifs et les musulmans. Notre Dieu n’est pas tout seul, ce n’est pas un être solitaire en manque d’amour et d’occupation. Notre Dieu connaît déjà une grande et belle histoire d’amour, et nous sommes le fruit de cet amour. Lui, l’amour est créateur et fécond, et toute la création, les arbres, les animaux et chacun d’entre nus, nous sommes le fruit de cet amour entre le Père et le Fils dans l’Esprit. Ce n’est pas par hasard que nous sommes créés, nous sommes tous le fruit de cet amour dans la Sainte Trinité. Et nous pouvons redécouvrir cette belle et grande dignité, celle d’être le fruit de l’amour entre le Père et le Fils dans l’Esprit.
Alors contemplons cet amour infini, et redécouvrons notre vraie dignité, celle d’enfants de Dieu.

Pentecôte

Auteur: Didier Croonenbegrhs
Date de rédaction: 4/06/17
Temps liturgique: Temps de Pâques
Année: 2016-2017

« Les apôtres avaient verrouillé les portes du lieu où ils étaient par peur ». Il n’y a pas que les petits enfants qui se réfugient dans leur chambre… Les apôtres eux aussi ont fermé la porte à double tour et se sont enfermés, comme s’ils ne voulaient voir personne... Par peur, par sécurité… Ils enferment leurs esprits, leurs espoirs, leur histoire. Ils sont incapable de parler. Ils ont perdu leur langue… Vous le savez, toute personne au cours de sa vie doit apprendre à conquérir son espace propre. Il ne s’agit pas de se replier, mais justement de découvrir son lieu d’intimité, pour pouvoir l’ouvrir ensuite.

Dans son livre « Les territoires de l’intime », le psychologue Robert Neuburger aborde la manière avec laquelle tout individu développe ces espaces d’intimité. Il y a d’abord l’espace physique, bien entendu. Mais aussi l’espace psychique et le domaine de la compétence. En d’autres termes, il y a trois lieux fondamentaux d’intimité : l’être, la pensée et l’agir. Toutefois, dans la chambre haute et verrouillée, à huis clos, c’est comme si les apôtres avaient perdu leur raison d’être, leur langue, le pensée… Ils sentent incompétents et ils s’enferment… il n’ont plus d’espace propre ! La Pentecôte est cette fête qui nous rappelle que Dieu, par l’effusion de l’Esprit, nous dévoile son intimité même. De la sorte, l’Esprit vient ainsi libérer notre être, notre pensée, et enfin notre agir. Dieu par son Esprit vient illuminer chacun de nous, au plus intime de nous, même dans nos zones d’ombres et nos lieux d’enfermements. Par l’effusion de l’Esprit, Dieu dévoile son intimité au cœur de la nôtre. Car l’Esprit est précisément cette respiration qui inspire notre être profond et nos pensées pour que nos paroles ne soient pas du vent, pour que nos actions aient du souffle.

Reprenons ces trois éléments. L’être, la Parole et l’action. L’Esprit de Pentecôte vient d’abord délier notre être. « Jésus était là, au milieu d’eux » nous dit l’Evangile. Lorsque notre existence semble coincée, lorsque notre avenir semble fermé et que ne voyons pas d’alternative, il nous arrive parfois d’aller voir ailleurs, à l’extérieur. Nous nous plaignons. Nous nous considérons comme victimes. L’Esprit de sagesse ouvre justement une brèche à l’intérieur de notre être, dans ce qui semble coincé et verrouillé au fond de nous. Dans nos propres nœuds. C’est comme une brise légère qui vient nous assurer et nous dire : il y a en toi —que tu le croies ou non— les ressources de ta propre libération. Celle-ci n’est pas à attendre de l’extérieur. Une paix intérieure peut se révéler si tu portes un autre regard sur ton être, si tu y discernes la Présence d’un Autre.

Le souffle de Pentecôte vient ainsi délier notre être, mais deuxièmement, il vient aussi délier notre pensée, nos paroles. L’Esprit est ce qui délie nos langues. Vous le savez, il faut parfois une simple parole pour offrir un nouvel horizon. Pour cela, il s’agit d’accepter que quelqu’un vienne mettre des mots sur nos histoires et peut-être nos contradictions. Délier nos langues pour mettre des mots. C’est cela qui nous permet « d’entendre parler dans notre propre langue les merveilles de Dieu. ». Tous entendent les merveilles de Dieu dans leur langue maternelle. Mais, troisièmement, ce sera toujours au geste maternant que l’action de l’Esprit de fera sentir. Ces gestes maternants sont tout ce qui console, ce qui prend soin, ce qui délie, ce qui apaise. « Que la paix soit avec vous !» nous dit Jésus. Un salut, un shalom vient ainsi germer au fond de nous, lorsque la parole d’un proche apaise notre peur, lorsque qu’un simple geste vient défaire nos nœuds, délier notre esprit de ses peurs. Un salut se dessine, lorsqu’une personne nous ouvre son cœur, son côté, ses blessures, lorsqu’elle nous montre que l’échec peut être traversé.

En nous insufflant son Esprit, Dieu s’est retiré en nous, mais il nous invite à prendre en mains notre vie ; à agir là où nous sommes, car l’Esprit de Dieu passe désormais par nous sur cette terre. Pour cela, il s’agit d’accepter nos propres compétences ! L’Esprit de Dieu ne changera pas le monde. Mais il nous aidera à le voir et à agir autrement.

Voilà pourquoi l’Esprit n’est pas cet être qui nous parle de l’extérieur, mais ce qui nous fait parler de l’intérieur.
L’Esprit n’est pas ce qui se fait prier, mais cette énergie qui prie en nous. L’Esprit n’est pas ce qui agit dans ce monde, mais cette énergie qui nous donne d’agir, et de porter la paix. Alors demandons d’être soufflés par cet Esprit qui réside au plus intime de nous, pour devenir des êtres inspirés, avec une pensée aérée, un agir soufflant ! Amen.

7ème dimanche de Pâques

Auteur: Michel Van Aerde
Date de rédaction: 28/05/17
Temps liturgique: Temps de Pâques
Année: 2016-2017

7ème dimanche de Pâques

Auteur: Philippe Cochinaux
Date de rédaction: 25/05/17
Temps liturgique: Temps de Pâques
Année: 2016-2017

Ascension du Seigneur

Auteur: Didier Croonenbegrhs
Date de rédaction: 25/05/17
Temps liturgique: Temps de Pâques
Année: 2016-2017

« Il ne vous appartient pas de connaître les temps et les moments» avons-nous entendu dans la première lecture. Pour beaucoup de nos contemporains, le temps qui passe est peut-être la dimension de l’existence la plus difficile à intégrer et à accepter. Comment mener une vie sensée jusqu’au bout ? Comment garder une réelle fécondité lorsque nos forces s’amenuisent ? Comment accepter sa vieillesse et celle des autres ? Comment bien vivre malgré la perte d’un être cher et l’inéluctable d’une séparation ? Nous le savons bien : le temps nous échappe toujours, même si rien ne se fait sans lui. Nous voulons le maîtriser, le tuer parfois, mais c’est toujours lui qui nous rattrape. Par souci d’efficacité, nous avons peur de le perdre. Et lorsque nous le prenons, il semble toujours trop court. Nos existences fragiles ne nous offrent donc aucune sécurité quant au temps qui passe. Finalement, notre seule certitude est bien celle de notre propre mort, cette fin dont nous ne savons vraiment rien de certain… A première vue, un tel constat pourrait nous amener résignation, désespoir, ou fuite en avant. Et pourtant… ce que nous célébrons aujourd’hui nous propose un tout autre rapport au temps que celui de notre culture de la rentabilité. Les textes de ce jour défatalisent l’histoire. « Pourquoi regardez-vous le ciel comme cela ? ». Cette fête que nous célébrons nous invite à inscrire notre temps dans l’éternité de ce Dieu qui, par son retrait, nous convie chaque jour à vivre pleinement le présent, en toute liberté. Celle-ci ne consiste pas à vouloir que ce qui arrive survienne selon nos désirs, mais tout au contraire à consentir à la nécessité, c’est-à-dire à accueillir le temps de Dieu dans notre vie. C’est cela qui nous permet de donner à nos rencontres un goût d’éternité. « Moi, je suis avec vous tous les jours jusqu’à la fin du monde ». Le temps qui passe est donc aussi celui de Dieu. En ce sens, nos errances, nos échecs et lenteurs, sont autant de lieux de maturation, où Dieu est présent malgré notre sentiment d’absence. Dès lors, si nous regardons le temps avec les yeux de Dieu, vivre le présent consistera à accueillir chaque jour le temps pour ce qu’il est, sans vouloir le posséder. Finalement, vivre, c’est apprendre à mourir et —comme le Christ— à se retirer, à lâcher prise, à s’effacer. Car, malgré nos sentiments d’abandon, Dieu vient. Tous les jours. Il vient lorsqu’un acte de soin et de bienveillance est posé, lorsqu’une parole qui relève est donnée, lorsqu’un geste de consolation est offert. Vraiment, il est avec nous, tous les jours, que Dieu soit nommé ou pas, que nous y croyions ou non ! S’il est avec nous tous les jours, c’est qu’il n’est peut-être pas toujours là où nous le cherchons… Sans mauvais jeu de mot, l’ascension nous invite à « prendre de la hauteur » ! Prendre de la hauteur, ce n’est pas changer sa vie ou la fuir. Il s’agit de changer son regard sur elle et sur le temps qui passe. Parfois, nous préférons prendre du recul, des vacances, fuir le réel plutôt que de nous y confronter lucidement. Mais « prendre de la hauteur » est tout différent. Il s’agit de poser sur notre propre situation des yeux qui ne sont pas les nôtres ; regarder sa vie avec les yeux de Dieu. Prendre de la hauteur, c’est de discerner l’essentiel, au-delà de l’urgence. C’est éviter de vouloir tout maîtriser. Prendre de la hauteur, c’est oser « lâcher prise », ne pas être dans le contrôle. C’est aimer, sans dévorer. C’est tenir à quelqu’un, sans le posséder. C’est être épris de l’autre, sans s’y agripper. Prendre de la hauteur —aller sur sa propre montagne— c’est donc finalement découvrir le paradoxe de toute relation d’amour vécue en vérité. Et ce paradoxe le voici : plus nous aimons un être cher, plus nous nous sentons liés, dépendants de lui. Mais plus nous voulons aimer, plus il nous faut donner du temps et de la patience, de la distance. Car aimer, c’est vouloir l’autre libre d’être lui-même, indépendant de nous. C’est cela aimer. Comme l’a écrit Timothy Radcliffe, aimer, c’est prendre le temps de le perdre, mais ensemble. L’Ascension est donc cette ultime révélation de l’amour d’un Dieu qui se soustrait à nos regards, pour se rendre éternellement présent dans le temps de l’humain. Et c’est précisément cet effacement de Dieu, sa discrétion et son retrait qui le rend crédible, digne de confiance. Amen.