Nous connaissons bien l’épisode de la mer apaisée. Mais il y a plusieurs versions. Il y en a une où Jésus dort dans la barque. Il a fallu que les apôtres réveillent Jésus pour qu’il se lève et apaise les flots. Cela symbolise le silence apparent de Dieu dans nos épreuves. Ici, c’est tout autre chose : c’est Jésus qui appelle Pierre à le rejoindre et donc à marcher sur les flots. Cela symbolise l’obéissance. Non pas l’obéissance aux ordres que moi je donne, mais l’obéissance aux ordres que moi je reçois.
L’obéissance, voilà bien un mot qui n’est pas à la mode, qui n’a jamais été à la mode. Chacun réclame son autonomie et son indépendance, et chacun vit tout seul. L’obéissance, c’était un thème que j’aimais bien aborder quand je donnais cours au séminaire interdiocésain de Lille. C’était devant ces jeunes gens qui se préparaient au sacerdoce que j’expliquais que l’obéissance permettait de découvrir des choses nouvelles autour de soi et à l’intérieur de soi-même. Car, souvent, et c’est cela qui fait le plus mal, l’obéissance nous oblige à faire des choses qu’on n’aurait jamais imaginées. Par exemple, en 1991, j’étais à Fribourg, en Suisse, où je travaillais comme assistant à l’université et soudain, un beau vendredi matin, je reçois une lettre qui me dit en substance : voilà ! c’est décidé ! on t’attend, Philippe, à Jérusalem pour travailler à l’Ecole biblique. Et j’ai passé quatre ans à Jérusalem. Et c’est là qu’on apprend quelque chose sur soi-même car, vous l’imaginez bien, il y a une grande différence entre la Suisse, où tout est propre, calme et bien organisé, et Jérusalem, surtout la partie arabe de la ville, où les voitures brûlent, les bombes risquent d’exploser et où les soldats sont parfois nerveux.
Et c’est vrai qu’obéir, cela ne simplifie pas les choses. Regardez Pierre ! il était dans la barque et la barque était agitée, secouée par les falots déchaînés. Et voilà qu’il s’élance vers Jésus. Mais la mer sur laquelle il marche, ce n’est pas le lac de Genval ou de Louvain-la-Neuve, bien plat, bien lisse, sans une ride. Non ! c’est la mer déchaînée avec se vagues qui se dressent, prêtes à tout engloutir, avec ses creux si profonds qu’on ne voit plus le ciel, qu’on ne voit plus Jésus. Oui, obéir, ce n’est pas une chose facile. Premièrement, il ne faut pas y aller avec des pieds de plomb, car alors on ne peut pas marcher sur l’eau. Ensuite, c’est vrai, il y a des frères et des sœurs qui ont été détruits par les ordres qu’on leur a donnés. C’était trop du pour eux et pour elles. Certains ont été brisés par les difficultés qu’ils ont rencontrés. D’autres ont sombré sous le poids des responsabilités. C’est pour cela je suis rempli d’admiration pour des personnes comme Sœur Emmanuelle. Elle était au Caire où elle faisait du bon travail avec les enfants chiffonniers. Et voilà qu’on l’envoie à la retraite dans le Sud de la France. Et elle n’a pas ressenti de rancœur ou d’amertume. C’est parce que toute sa vie elle s’était exercée à l’obéissance. C’est âgée, après bien des années passées au couvent, qu’elle a eu l’audace de s’occuper des petits chiffonniers du Caire. Et, ensuite, quand ses supérieurs lui demande de quitter tout cela, elle part, car elle ne considérait pas son œuvre comme une chose personnelle, mais comme un service qu’elle rendait. Le plus important pour elle, c’était de faire la volonté de Dieu.
Nous aussi prenons le risque de faire des choses qu’on aime pas, pas pour le plaisir de souffrir, mais pour réaliser la volonté de Dieu. C’est ce que Jésus a fait au mn des Oliviers. Il a dit à son Père : « non pas ma volonté, mais Ta volonté ». Et c’est grâce à cela que nous sommes sauvés.