5ème dimanche ordinaire

Auteur: Philippe Cochinaux
Date de rédaction: 5/02/17
Temps liturgique: Temps ordinaire
Année liturgique : A
Année: 2016-2017


Dans la vie, il n’est pas toujours aisé de vivre avec des gens intelligents. J’en ai pour preuve ce qui m’est arrivé, il y a quelques jours. En préparant cette homélie, j’avais découvert un nouveau mot qui expliquait l’importance de l’évangile de ce jour. Je me disais que seuls les cruciverbistes devaient connaître ce fameux mot de sept lettres. Afin de m’en assurer, j’ai demandé aux frères de la communauté s’ils le connaissaient. Plusieurs m’ont dit, « mais bien sûr » tout en me donnant sa définition. Un autre m’apprit qu’un quartier de Huy portait son nom et que c’était sans doute là qu’à l’époque cette taxe était perçue. Enfin, un dernier me fit savoir que Georges Brassens l’avait utilisé dans une de ses chansons. J’étais pantois face à une telle connaissance linguistique. Vous vous demandez sans doute mais quel est donc ce mot qui est en lien avec le sel ? Il s’agit de la gabelle, cette taxe royale impopulaire sur le sel qui fut d’ailleurs supprimée en 1790. Certains d’entre vous se disent peut-être « mais oui évidemment, je le connais ce mot ». Les autres n’auront plus qu’à se consoler avec moi tout à l’heure autour d’un verre de l’amitié tout en nous réjouissant de nous savoir entourés de gens plus intelligents que nous. Quoiqu’il en soit, la gabelle est là pour nous rappeler à quel point, au cours de l’histoire de l’humanité, le sel a été une denrée rare, une denrée précieuse. Et c’est sans doute la raison pour laquelle le Christ nous dit que nous sommes le sel de la terre. En d’autres termes, nous sommes précieux aux yeux de Dieu. Celui-ci nous considère chacune et chacun comme étant des êtres de grande valeur. Mais en avons-nous suffisamment conscience après tant de siècles où l’humain avait été enfermé dans sa faute et son péché ? Il est heureux de pouvoir revisiter ces textes d’évangile pour voir ô combien certains théologiens n’avaient pas compris la beauté, l’importance de l’être humain. Oui, nous sommes précieux aux yeux de Dieu. Et il est fondamental que nous le redécouvrions non pas pour devenir des êtres fiers mais plutôt pour vivre au mieux notre condition de disciples du Fils de Dieu. Dieu a plus que jamais besoin de nous. En effet, être le sel de la terre n’est pas une simple affirmation littéraire ou théologique. Il s’agit d’un nouvel état de vie. Le sel, nous ne le produisons pas. Il est un don de la terre que l’homme peut utiliser. Le sel, nous est donc donné, comme la vie nous a également été donnée. Le sel nous invite donc à une certaine humilité puisqu’il provient d’au-delà de nous. Nous ne pouvons pas le créer, juste l’extraire non pas pour nous-mêmes mais pour le donner à notre tour. Il suffit de quelques grains de sel pour donner une autre saveur à un plat. Il suffit de quelques grains du sel de la foi pour donner une toute autre saveur à la vie. Si nous sommes réellement le sel de la terre, alors salons tous ceux et celles qui croisent notre route. Faisons-leur découvrir que la foi au Dieu de Jésus Christ peut donner une toute autre saveur à la vie. Avec tous nos frères et sœurs en humanité, nous partageons un ensemble de valeurs communes. Qu’est-ce qui rend ces valeurs humaines également chrétiennes, sommes-nous en droit de nous demander ? La théologienne dominicaine Véronique Margron nous donne cette très belle définition : la valeur chrétienne est une valeur humaine en excès. Ce qui fait la spécificité de la valeur chrétienne est l’intensité que nous lui accordons. Elle a un goût d’excessif. Peu après dans l’évangile que nous venons d’entendre, toujours au chapitre 5 de Matthieu, le Christ nous dit : « si quelqu’un te gifle sur la joue droite, tends-lui encore l’autre. Et si quelqu’un veut te poursuivre en justice et prendre ta tunique, laisse-lui encore ton manteau. Et si quelqu’un te réquisitionne pour faire mille pas, fais-en deux mille avec lui ». C’est précisément cette excessivité, ce toujours plus, qui est demandé à tout croyant qui est représentée par le sel. Nous partageons un ensemble de valeurs communes mais lorsque nous salons ces dernières, elles nous offrent une toute nouvelle saveur. La vie devient ainsi plus relevée, plus savoureuse. Vivre sa vie relevée par la saveur du sel de la foi, nous la fait respirer avec un tout autre goût. Le sel de Dieu nous transforme, nous relève, nous élève pour qu’à notre tour, de par notre propre témoignage, nous donnions l’envie à d’autres de saler leur vie avec le sel de Dieu. Chaque fois que nous serons capables de réaliser cette prouesse culinaire et divine du sel de la terre, du sel de la foi, nous deviendrons alors la véritable « Lumière du monde ». Amen

5ème dimanche ordinaire

Auteur: Philippe Henne
Date de rédaction: 5/02/17
Temps liturgique: Temps ordinaire
Année liturgique : A
Année: 2016-2017

Frères et sœurs, je vous invite à réfléchir un instant sur les circonstances dans lesquelles la communauté de saint Matthieu a pu mettre par écrit ces paroles du Christ.  C’et une période de persécution et d’échec.  Jésus, celui qui a prononcé ces paroles, a été arrêté et mis à mor.  Matthieu qui a rassemblé ces paroles connaîtra lui aussi le martyre.  Et il le sait et tout le monde le sait : c’est dangereux de se dire chrétien.  D’ailleurs, dans le passage précédent qu’on a lu dimanche dernier, dans l’Evangile des Béatitudes, le Christ l’avait déjà dit : « heureux êtes-vous si l’on vous persécute à cause de moi, le Royaume des cieux est à vous ».  C’est dans cette ambiance de menace que le Christ nous demande d’être le sel de la terre. 

Le sel, pourquoi faire ?  Pour donner du goût à la vie.  Donner du goût à la vie pendant cette période de l’hiver, pendant cette période de scandale politique en Belgique et en France, pendant cette période d’inquiétude de tous pour l’avenir : comment faire ? Probablement en considérant la vie et le monde sous un autre angle, celui de Dieu.

Et c’est ce que nous faisons ce matin en venant à la messe.  Nous reprendre contact avec celui qui donne du sens à notre vie, celui qui donne son vrai sens à notre vie.  A force de travailler, de résoudre les petits problèmes de tous les jours, de porter et de supporter les gros handicaps et les faiblesses insurmontable de notre vie, on ne oublie que nous sommes aimés, vraiment aimés par quelqu’un.  Cela ne résout pas les problèmes, cela ne supprime pas les handicaps et les faiblesses de la vie.  Cela les transforme.

On a souvent l’impression qu’one st comme étouffé par les limites et les problèmes qui nous écrasent.  Pour reprendre l’image de l’Evangile, il y a comme une lumière à l’intérieur de nous, amis cette lumière est comme écrasée, étouffée par l’abat-jour de nos soucis, de nos problèmes et même de notre entourage.  On voudrait pouvoir arracher cette chape de plomb qui pèse sur notre cœur et qui nous empêche de vivre et de respirer.  Et pourtant nous sentons bien que cet abat-jour fait partie de notre vie. 

Et pourtant on le sait : ce qui fait la grandeur d’un homme, ce n’est pas la facilités dans laquelle il vit.  Mais ce qui fait la grandeur d’un homme, c’est sa capacité de transformer une situation difficile en une situation d’espoir et de résurrection.  C’est ce que des hommes politiques comme Winston Churchill ou le général de Gaulle ont fait en 1940.  C’est ce que des personnes comme Mère Teresa ou sœur Emmanuelle ont fait dans les rues de Calcutta ou dans les immondices de la ville du Caire : apporter aux mourants et aux plus démunis la chaleur d’une présence, la richesse de la tendresse.

Alors on comprend mieux que, quand le Christ nous invite à être le sel de la terre ou la lumière du monde, ce n’est pas pour que nous apportions un seau d’eau bénite et que nous le jetions à la face de tous ceux qui disent du mal de l’Eglise ou qui vivent dans le péché, mais c’est pour que nous apportions le vrai goût de la vie : le fait de se savoir aimés par Dieu et le fait de pouvoir découvrir, dans les petits geste de tous les jours, les petits clins d’œil de la tendresse de Dieu pour chacun d’entre nous.

4ème dimanche ordinaire

Auteur: Philippe Henne
Date de rédaction: 29/01/17
Année: 2016-2017, 2015-2016

Voici la nouvelle constitution du peuple de Dieu : les Béatitudes. La déclaration des béatitudes est aussi importante que la proclamation des dix commandements. D’ailleurs, vous aurez noté qu’on retrouve les mêmes éléments majestueux. Tout cela se déroule sur une montagne : le mont Sinaï pour les dix commandements, la montagne près du lac de Génésareth pour les béatitudes. Avec les béatitudes, il n’y a pas de tonnerre ni d’éclairs comme sur le mont Sinaï, mais il y a Jésus qui gravit la montagne et qui s’installe. Il s’assied. Il parle comme un maître, comme un chef. Remarquez la place de ce discours : il est au début de sa vie publique. La semaine dernière, on apprenait que Jean Baptiste avait été arrêté et que Jésus avait quitté Nazareth pour aller en Galilée. Là il ne fait pas de miracles. Il parle. Il donne son programme politique : les béatitudes. Il faut avouer qu’elles sont un peu difficiles à comprendre et à mettre en pratique, les béatitudes. Avec les dix commandements, c’était plus clair : il ne fallait pas voler, mentir, tromper, tuer. C’était simple, c’était clair. C’était même un peu trop simple et un peu trop clair. C’est le genre de remarques que l’on fait à un enfant : ne mets pas ton doigt dans le nez, ne mets pas le doigt dans les prises de courant, arrête de crier et de courir. Tout cela, c’est bien, c’est utile, c’est indispensable, mais cela ne donne pas un but dans la vie. Cela reste contraignant et infantilisant. C’est un peu comme si on disait : la vie conjugale, c’est l’application du contrat de mariage. C’est un peu court. Et cela ne rend pas compte de la diversité de la vie. Tous les jours, c’est autre chose, même si on a souvent l’impression que c’est toujours la même routine. Oui, la vie, c’est une invitation à toujours vivre autrement, d’une nouvelle manière, même si on se sent enseveli, écrasé par le poids des habitudes et surtout des limites imposées par les autres. On n’ose plus rire, on n’ose plus aimer. Et c’est là le défi lancé par les béatitudes. Elles commencent par cette remarque : « heureux les pauvres en esprit ». Attention ! Cela ne veut pas dire : heureux les pauvres. Dans l’Ancien Testament, les prophètes se sont toujours révoltés contre l’exploitation des plus riches vis-à-vis des plus pauvres. Et dans le Nouveau Testament, Jésus a vivement condamné l’homme riche qui festoyait alors que le pauvre Lazare était là, devant sa porte, en train de mendier. Non, la pauvreté n’est pas une qualité. Ici, dans les béatitudes, on parle des pauvres en esprit, non pas parce qu’ils sont un peu simplets, mais parce qu’ils sont libres. Les pauvres en esprit, ce sont ceux qui comme le Christ ont abandonné le confort de la cour céleste pour venir sur terre partager la misère des hommes, c’est Mère Teresa qui a quitté la sécurité de son couvent pour aller soigner les gens qui mouraient seuls sur les rues de Calcutta, c’est sœur Emmanuelle qui, elle aussi, quittait la sécurité de son couvent pour aller sur les dépotoirs de la ville du Caire pour s’occuper des enfants miséreux. Nous sommes toujours un peu handicapés par tout ce que nous avons, ou ce que nous croyons avoir. Il est une histoire que l’on raconte dans tous les couvents et dans tous les ordres religieux, c’est la suivante : au début de la vie religieuse, le novice n’a qu’une petite valise ; après ses études et son ordination sacerdotale, il a quelques caisses de livres ; après quelques années de couvent, il faut un camion pour pouvoir déménager ses affaires. Et c’est vrai qu’on accumule de plus en plus d’affaires qui peuvent servir, même si on ne sait plus qu’elles existent et qu’on est tout étonnés de les découvrir lors d’un déménagement. Lorsqu’un homme a neuf mille euros à la banque, il cherche à avoir le dernier euro qui arrondira sa fortune à dix mille euros. Lorsqu’il en a nonante-neuf mille, il cherche à avoir le dernier euro qui arrondira sa fortune, et ainsi de suite. On n’a jamais assez. Et c’est là peut-être un truc pour savoir ce qui nous tient le plus à cœur. Si jamais la maison brûle et qu’on a pas le temps de sauver grand chose, qu’est-ce qu’on sauvera en premier lieu ? Certains diront leur belle-mère et je les crois. Mais réfléchissons un instant pour savoir ce qui a le plus de prix à nos yeux et essayons de le sauver.

Ordination du frère Laurent Mathelot

Auteur: Jean-Pierre Delville
Date de rédaction: 28/01/17
Année: 2016-2017, 2015-2016

« Seigneur, ouvre mes lèvres, et ma bouche annoncera ta louange » (Ps 50[51], 17).

Chers Frères et Sœurs, cher Laurent,

Cette phrase du psaume 50 que tu as choisi, Laurent, pour cette célébration illustre bien notre démarche de ce jour, où tu demandes l’ordination de prêtre dans l’ordre des frères prêcheurs. Par ta prière, tu demandes donc une grâce au Seigneur, un sacrement, un don : « Seigneur, ouvre mes lèvres ». Puis tu t’engages à annoncer ce don reçu de Dieu, à partager cette grâce par ton ministère de la prédication : « Et ma bouche annoncera ta louange ».

Pour en arriver là tu as suivi un long cheminement. La présence de nombreux amis dans cette église témoigne des étapes de ta vie. Oui, frères et Sœurs, vous êtes venus nombreux à cette célébration parce que vous connaissez Laurent. On pourrait peut-être parler des différentes vies de Laurent Mathelot. J’épinglerai ici sa vie familiale, sa vie d’étudiant à l’ULg, sa vie de séminariste, sa vie de dominicain. Certains d’entre vous l’ont connu comme étudiant à Liège, d’autres dans sa vie professionnelle, d’autres dans sa vie séminariste, d’autres dans sa vie de dominicain, d’autres dans sa vie familiale. D’autres ailleurs encore, à des endroits que je ne connais pas - et que je préfère ne pas connaître ! Laurent a mené sa barque en beaucoup de lieux. Un vrai matelot ! Or, dans cette richesse d’expériences de vie, Laurent a ressenti l’appel du Seigneur et il a décidé de consacrer sa vie à Dieu dans l’ordre des dominicains. S’il y avait eu dans l’évangile une parabole de Jésus sur la navigation, Laurent l’aurait sans doute choisie pour cette célébration. Il a en tout cas choisi une parabole qui parle de voyage et de découvertes, c’est la parabole du Fils prodigue, du fils voyageur, et du Père miséricordieux (Lc 15,1-32). Par cette parabole, Laurent nous signale ce qui fut le tournant de sa vie : se sentir appelé par le Seigneur qui nous aime, quelle que soit la situation où l’on vit.

Dans le monde d’aujourd’hui, ce n’est pas évident de consacrer sa vie à Dieu dans une communauté religieuse. Nous sommes souvent loin de Dieu, nous sommes jaloux de notre indépendance. Donc la vie religieuse effraie un peu. Pourtant dans le monde actuel, où on risque de manquer de repères et de se retrouver seul face à la compétition, la vie religieuse a un grand avantage : elle donne une structure spirituelle et une solidarité dans l’amitié.
La prière qui est au cœur de la vie spirituelle nous met en relation avec Dieu et nous équilibre spirituellement ; elle est une révolte contre le mal : « Délivre-nous du mal », disons-nous dans le Notre Père. La prière est un lieu d’épanouissement fondamental pour l’être humain. Elle nous entraine à la conversion. C’est comme la prière du fils prodigue : « Père, j’ai péché contre le ciel et contre toi » (Lc 15,18). La prière nous donne une espérance, elle nous fait entrer dans la vie de Dieu.
Pour ce qui est de la vie communautaire, elle est une expérience d’amitié et de solidarité. Dans notre société individualiste, elle manifeste que l’affection mutuelle et le soutien réciproque ne sont pas uniquement vécus dans le couple et la famille, mais se vivent aussi de manière communautaire, dans une mission au service des autres.
Dans l’optique de cette mission, le pape François nous demande d’être des chrétiens en sortie (Evangelii Gaudium, 20-24). C’est une interpellation qui est adressée à tous, plus spécialement à nous aujourd’hui, et en particulier au frère Laurent et à sa communauté de Frères prêcheurs. Une communauté en sortie signifie une communauté qui n’est pas centrée sur ses propres intérêts, ses propres structures, ses propres membres, mais qui sait s’ouvrir à l’inconnu, à la rencontre, à l’altérité, aux problèmes des autres, à la surprise, à la communication. Dans cette aventure, on est invité à témoigner de sa foi. Je crois que la communauté dominicaine de Liège a bien compris cette invitation du pape. Tous ses membres sont attentifs à porter un témoignage de foi hors des sentiers battus. Laurent y est tout aussi sensible. Ce témoignage et cette parole qui sortent des églises doivent créer la paix dans les cœurs et dans la société. Notre monde vit des mutations, des perturbations, de grands déséquilibres et même des violences : il faut y créer des espaces de paix. Cela concerne d’abord les personnes individuelles, que ce soient les jeunes, les adultes et les personnes âgées : tous vivent des perturbations et ont besoin de la Parole de Dieu, qui éclaire nos vies et nourrit notre action. Cela concerne aussi la société en général : les inégalités sociales, les injustices, les violences locales, les guerres qui épuisent de nombreux pays, tout cela exige des paroles de paix, qui rétablissent le dialogue et la compréhension.

L’ordre dominicain est né en 1216, – on vient de fêter les 800 ans – à partir d’une démarche de paix : saint Dominique, plutôt que de condamner le manichéisme des cathares et d’engager contre eux la répression et la croisade, a eu l’inspiration de s’adresser à eux en personne, de dialoguer avec eux, de parler avec eux et d’espérer les convaincre par la parole plutôt que par la force. Et saint Thomas d’Aquin, que nous fêtons aujourd’hui, a eu l’audace de réconcilier deux pensées antagonistes : le christianisme et la philosophie d’Aristote ; or celle-ci était parvenue en Occident par les philosophes musulmans, elle comportait un côté matérialiste et mettait en question certaines conceptions de la foi (comme la justification du culte des reliques par la nature ; pour cela, saint Thomas a d’ailleurs été condamné de 1270 par l’évêque de Paris) : en fait Thomas ouvrait ainsi la voie à la désacralisation de la nature, à une théologie rationnelle et à la pensée scientifique moderne. Quant à la maison des dominicains de Liège, elle a accueilli vers 1240 le frères Hugues de Saint-Cher, qui s’est installé ensuite à Paris au couvent Saint-Jacques ; avec son équipe de dominicains qu’on appelait les jacobins, il a publié le texte de la Bible corrigée de ses erreurs de transcription, il a rédigé un commentaire complet et il a inventé le format de la Bible de poche, qui permettait aux étudiants de l’Université d’avoir la Bible en domicile, en l’achetant à bon marché, fascicule par fascicule. En outre, les dominicains se sont faits le protecteurs des béguines, à Liège comme à Paris et ont valorisé le rôle de la femme dans l’Église. Ici à Liège, Hugues de Saint-Cher a valorisé sainte Julienne de Cornillon et son initiative d’une fête du Saint-Sacrement : il revalorisait ainsi l’eucharistie et le rapport au Christ, par rapport à la dévotion aux saints et à leurs reliques. Ainsi dans toutes ces initiatives du début de l’Ordre, apparait cette prédominance donnée à la parole, au dialogue des cultures, au contact avec les jeunes et à la prédication pour le grand public, hommes et femmes, à la centralité du Christ et de l’eucharistie : cela est toujours valable aujourd’hui face à de nouveaux manichéismes, à de nouveaux simplismes, à de nouveaux nationalismes. Nous vivons une société très compétitive : chez les gagnants, cela engendre l’exaltation et même la corruption, parfois la violence ; chez les perdants, cela entraîne la résignation, le découragement, et parfois encore la violence. Dans tout cela, il faut une parole, il faut une sagesse. Laurent espère l’acquérir, si j’en crois la première lecture qu’il a choisie (Sg 7, 15) : « La sagesse : que Dieu m'accorde d'en parler avec justesse, et d'en avoir une idée qui soit à la mesure de ses dons, puisque lui-même est à la fois le guide de la Sagesse et le maître des sages ». En effet nous ne sommes pas seuls pour combattre le mal du monde. Dieu nous donne sa grâce.

L’ordination presbytérale est une grâce par excellence, puisque le prêtre est ordonné à l’image du Christ, pour être un pasteur comme lui, un guide comme lui, un sage comme lui. Telle est la grâce que va recevoir Laurent. C’est une joie pour nous tous de l’accompagner sur ce chemin. Un nouveau chemin s’ouvre dans la vie de Laurent : une nouvelle sortie, la sortie vers le Père, la sortie du fils de la parabole depuis son lieu d’égarement vers le lieu de l’affection, vers la parole de consolation, vers la nouvelle vie à la suite du Christ. En union avec Laurent, nous pouvons tous redire le verset du psaume 50 : « Seigneur ouvre mes lèvres ; et ma bouche publiera ta louange ».

3ème dimanche ordinaire

Auteur: Philippe Henne
Date de rédaction: 22/01/17
Année: 2016-2017, 2015-2016

L’Evangile d’aujourd’hui ressemble étrangement à un article de journal sur l’activité d’un terroriste en fuite.  Regardez : « quand Jésus apprit l’arrestation de Jean Baptiste ».  Eh oui ! Jean a été arrêté.  Pourquoi ? Parce qu’il a commis un crime ? Non, il n’a tué personne.  Parce qu’il a commis un vol ou exercé un chantage ? Non, il n’a volé personne.  Il a été arrêté parce qu’il portait atteinte à la sûreté de l’Etat.  Et comment ? Eh bien, tout simplement, en accusant le roi Hérode d’avoir volé la femme de son frère, en accusant les chefs religieux d’être des hypocrites, et en accusant de hauts fonctionnaires politiques d’avoir détourné de l’argent et d’avoir touché de trop gros salaires.  Incroyable ! Comment peut-on dire, comment peut-on imaginer de telles choses ? Et Jean-Baptiste a été mis en prison, et Jésus a eu peur d’être lui aussi arrêté.  Pourquoi ? Il n’a rien fait  Il n’a pas eu le temps de faire quelque chose puisqu’il vient juste de sortir de son village et de se faire baptiser par Jean.  Ça suffit.  Il a participé à une réunion avec Jean, et d’ailleurs il est de la même famille, de la même tribu, du même clan : c’est son cousin.  Donc, par prudence, on ne sait jamais, il est suspect et il peut être arrêté.  Il vaut mieux en arrêter un de trop que de laisser l’un ou l’autre courir et faire des bêtises.  Et d’ailleurs, vous voyez, à peine sorti de son village, il recrute déjà Pierre et André, Jacques et Jean.  Il a déjà une petite équipe autour de lui.

            Et c’est alors que se pose la question de savoir quelle est la différence entre une secte terroriste et une communauté religieuse.  Ne riez pas ! C’est une question sérieuse.  Dans ces deux groupes, on trouve le même endoctrinement religieux, la même structure hiérarchique autoritaire.  La différence, on la trouve exprimée chez les premiers chrétiens.  Au début de l’Eglise, les premiers chrétiens ont dit à leurs persécuteurs : nous, on n’est pas ici pour tuer, mais pour se faire tuer.  Regardez Jésus, Pierre et Paul, et tous les apôtres : ce ne sont pas eux qui ont tué les autres, mais ce sont eux qui se sont fait tuer.  Oui, mais vous me direz : il ne faut pas oublier les croisades et l’Inquisition.  Et moi, je vous dis : entièrement d’accord, et c’est pourquoi je suis parfois un peu sceptique et prudent quand j’entends certaines réflexions.

            Oui, vous me direz, mais ce n’est vraiment un idéal de vie que de se faire tuer.  Et moi je vous réponds : entièrement d’accord, je ne suis pas tellement pressé de me faire tuer comme Jésus, Pierre, Jacques et Jean, quoiqu’on dise que la vie religieuse, c’est un long, très long martyre.  Mais ce que j’aimerais signaler dans cet Evangile, c’est que, pour sauver sa peau, Jésus part, ailleurs, loin de chez lui.  Lui qui est  né à Bethléem et qui a grandi à Nazareth, il part aux bords de la mer de Galilée.  Il a toujours vécu dans les montagnes, il n’a jamais vu la mer et le voilà qui parle à des pécheurs, comme Pierre et André.  Il y a rupture.  Tout est rupture et séparation dans la vie : l’enfant quitte le ventre de sa mère, le jeune homme quitte ses parents et fonde un foyer.  Et où va-t-il, Jésus ? A Knokke ou au Zoute ? Non, il va dans le pays de Zabulon et de Nephtali, au carrefour des païens.  Quel pourrait être aujourd’hui, en Belgique, le carrefour des païens ? Ce n’est pas un quartier international comme le quartier européen à Bruxelles.  Non, ce pourrait être une petite commune bruxelloise dont on a beaucoup parlé en Belgique et à l’étranger en relation avec des jeunes gens enthousiastes au niveau religieux, qui en ont recruté d’autres pour tuer.  Oui, c’est la toute la différence entre une cellule terroriste et une communauté religieuse.  C’est de savoir si nous apportons des paroles de vie ou des paroles de mort, si nous apportons des gestes de résurrection et de pardon, ou des jugements de condamnation et de mépris.  Jésus guérissait les malades et apportait une vile nouvelle aux pécheurs et aux publicains.  Puissions-nous être comme lui, des fontaines de vie, d’espoir et de résurrection. 

2ème dimanche du temps ordinaire

Auteur: Philippe Henne
Date de rédaction: 15/01/17
Temps liturgique: Temps ordinaire
Année: 2016-2017, 2015-2016

La liturgie est faite de surprises et d’inattendus.  Comme vous le savez, chaque année nous lisons chaque dimanche une tout petite partie d’un même Evangile, et cette année c’est l’Evangile selon saint Matthieu.  Et aujourd’hui pour commencer cette lecture continue nous recevons un extrait de l’Evangile selon saint Jean.  Cela n’a rien à voir.  Oui, bien sûr, on y parle du même Jésus, mais cde n’est pas la même expérience, ni la même théologie.  Saint Matthieu aime bien montrer que Jésus accomplit les Ecritures.  Il cite souvent des passages de l’Ancien Testament, surtout des prophètes.  C’est pourquoi on pense que saint Matthieu s’adressait plutôt à des chrétiens d’origine juive, tandis que saint Jean insiste sur la relation amoureuse entre Jésus et son Père.  Très souvent, dans l’Evangile selon saint Jean, Jésus parle de Celui qui l’a envoyé.  Il ne souhaite qu’une chose : nous conduire vers le Père.  Jésus aime tellement Dieu le Père qu’il ne souhaite qu’une chose, c’est que nous le connaissions, que nous goûtions son amour.  Mais, si ces deux Evangiles sont tellement différents, pourquoi commencer cette lecture continue de l’Evangile selon saint Matthieu par un extrait de l’Evangile selon saint Jean ?

            En toute honnêteté, je ne sais pas pourquoi à Rome, au Vatican, les responsables de la liturgie ont décidé cela.  Je ne connais pas de document officiel qui l’explique, et je  ne connais pas de journalistes qui auraient pu avoir quelques confidences.  Alors je vous propose une explication, ou plutôt je vous propose une méditation.  Ma théorie est la suivante : avant de commencer le récit des faits et gestes de Jésus, la liturgie nous invite à méditer sur la profondeur de sa personnalité.  C’est comme une prière avant le repas.  Cela ne sert à rien, mais cela permet de d ire merci au Seigneur pour la nourriture reçue et de la prier de nous donner la nourriture de Sa Parole et de l’Eucharistie.  C’est comme prier le matin en se levant : cela sert à dire merci au Seigneur de nous avoir protégé pendant la nuit, de nous donner la vie ce matin et de lui offrir le travail de cette journée comme un cadeau et comme un merci.  Tout cela, ce sont des petites choses qui ne servent à rien, mais qui donnent le vrai sens à notre vie.  Vivre, ce n’est pas seulement boire, manger et dormir ; c’est aussi et surtout être aimé par Dieu et être soutenu par son amour.

            Et c’est ce que l’Evangile d’aujourd’hui nous dit.  Jean-Baptiste proclame : « j’ai vu l’Esprit descendre du ciel et demeurer sur lui ».  Ce Jésus de Nazareth, ce n’est pas simplement quelqu’un qui fait des miracles et qui racontent de belles choses sur la vie, sur l’amour.  C’est le Fils de Dieu.  C’est ce que Jean raconte quand il dit qu’il a vu l’Esprit descendre sur Jésus lors du baptême.  Car il s’agit du baptême, mais Jean la raconte à sa manière, de manière purement spirituelle.  Chez lui, il n’y a pas de ciel qui se déchire comme dans les autres Evangiles.  Il n’y a pas de voix qui proclame : « celui-ci est mon Fils bien-aimé ».  Il y a tout simplement l’amour de Dieu qui enveloppe Jésus.  Et c’est cela l’essentiel.  Nous aussi, nous sommes enveloppés par l’amour de Dieu et c’est cela qui nous permet de faire des miracles.

Epiphanie du Seigneur

Auteur: Philippe Henne
Date de rédaction: 8/01/17
Année: 2016-2017, 2015-2016

Les mages sont peut-être des grands savants, mais ils ne sont pas très malins. Voilà qu’ils arrivent à Jérusalem et qu’ils demandent où est le nouveau roi des Juifs. Vous imaginez qu’un beau jour des savants bulgares, arméniens ou irakiens viennent frapper à la porte du palais royal de Laeken et demandent : « où est le nouveau roi des Belges ? On a appris qu’il est né quelque part et on voudrait l’adorer. » Je ne vous dis pas l’ambiance si jamais ce sont des savants japonais, chinois ou nord-coréens qui, dans quelques semaines, iraient à la Maison blanche et demanderaient à Donald Trump : « où est le nouveau président des Etats-Unis ? Nous avons appris qu’il est né quelque part et nous sommes venus l’adorer. » Les mages bousculent toutes les règles de la politesse et de la diplomatie. Ils n’y connaissent rien dans les règles les plus élémentaires de la politique. C’est qu’ils sont tout simplement bouleversés par une découverte : ils ont vu une nouvelle étoile. Vous le savez : ce sont des Chaldéens, des habitants de l’Irak actuel. Depuis la plus haute Antiquité, ils scrutent le ciel pour voir le mouvement des étoiles et des planètes. Ce sont eux qui ont établi notre calendrier de 365 jours. Ils étaient convaincus que les étoiles ont une influence sur la vie humaine. C’est ce qu’on appelle l’astrologie. C’est ce qui apparaît encore aujourd’hui dans nos journaux : c’est l’horoscope. Et c’est très beau parce que Dieu utilise nos petites manies personnelles, nos petites erreurs personnelles pour venir nous conduire à la lumière. C’est comme s’il venait nous annoncer aujourd’hui qu’il y aurait une nouvelle équipe de football plus grande et plus belle que le Standard ou le Daring de Molenbeek. Dieu se sert de nos petites manies pour nous conduire à la lumière. Quand nous sommes convaincus d’avoir raison – et cela arrive souvent – nous sommes prêts à expliquer aux autres qu’ils ont tort et nous sommes même parfois prêts à écraser notre adversaire si jamais nous devons passer devant un juge pour régler un litige. Dieu utilise une méthode toute différente. Il s’assied à côté de nous et il part d’une de nos idées, d’une de nos manies pour nous mener à la lumière. Et c’est cela le miracle de la prédication chrétienne : partir de ce qu’il y a de bon dans notre recherche du bonheur, même si nous le faisons dans une mauvaise direction. C’est ce que saint Paul a fait lorsqu’il fut à Athènes. Il dit qu’il a été surpris et admiratif devant le nombre incalculable d’autels dédiés à une multitude de dieux. Et il y en avait : pour la porte de la maison, il y avait un dieu pour le seuil de la porte, un dieu pour la fermeture de la porte et un dieu pour l’entrebâillement de la porte. Et il y avait aussi un autel pour le dieu oublié, parce que les Athéniens avaient tellement peur de la jalousie des dieux et de leur susceptibilité, qu’ils brûlaient de l’encens pour ce dieu qu’ils ne connaissaient pas, mais qu’ils craignaient déjà. C’est comme si on nous disait : « ah ! Je vois que la Belgique est un pays bien politisé. Il y a beaucoup de gouvernements, beaucoup de ministres. Eh bien ! Moi, je vous annonce un nouveau gouvernement, un nouveau ministère. C’est le gouvernement de Dieu et le ministère de Jésus-Christ. » Dieu parle notre langue et il transforme nos petites certitudes en lumière de la Révélation. Alors, en cette fête de l’Epiphanie, accueillons avec intérêt la recherche, la quête d’amour dans les petites manies de notre voisin et surtout soyons toujours prêts à quitter les certitudes de nos observatoires astronomiques pour nous lancer à la recherche de l’Enfant Jésus.

Marie, mère de Dieu

Auteur: Dominique Collin
Date de rédaction: 1/01/17
Année: 2016-2017, 2015-2016

Marie, mère de Dieu

Auteur: Philippe Henne
Date de rédaction: 1/01/17
Année: 2016-2017, 2015-2016

La liturgie ne manque pas d’humour. Voilà qu’aujourd’hui le premier jour de l’an nous célébrons Maire, mère de Dieu.  On s’attendrait à avoir de grandes lectures solennelles avec la description d’un palais impérial et d’une cour céleste avec des milliers d’anges en train de souffler dans des trompettes, de taper sur des tambours.  Rien du tout : à la place d’un palais, une étable ; à la place d’un trône, une mangeoire ; à la place d’anges jeunes et beaux, des bergers pas très beaux, pas très propres et pas très honnêtes.  A l’époque de Jésus, les bergers avaient tellement mauvaise réputation que leur témoignage n’avait aucune valeur légale.  Marie aurait certainement préféré une autre compagnie que celle de ces bergers peu recommandables.         

Car elle est bien seule, la Vierge Marie.  Bien sûr, il y a Joseph qui est là.  Mais pour un accouchement, un homme, un charpentier, ce n’est pas très utile.   Non, elle aurait certainement préféré avoir sa mère auprès d’elle.  Elle s’y connaît en enfant.  Elle l’aurait aidée.  Elle l’aurait soutenue.  Marie aurait aimé avoir auprès d’elle ses cousines et ses voisines.  Cela aurait fait du bruit, beaucoup de bruit.  Mais elle n’aurait pas été seule.  Et ce sont des bergers, des gens frustes et grossiers, pas très propres qui sont là autour d’elle et de son petit enfant.  Et elle n’a pas peur.  Car elle ne se fie pas aux apparences.  Elle reçoit de la part des bergers de l’attention, du respect et même un peu de tendresse. 

Car ces hommes ont tellement l’habitude d’être rejetés et méprisés qu’ils savant qu’il ne faut pas se fier aux apparences.  Quand les anges leur ont annoncé qu’un sauveur était arrivé et qu’ils ont vu un petit bébé, cela ne les a pas étonnés. Il ne faut pas se fier aux apparences.  Une mangeoire, c’est pour les animaux, et c’est le trône du sauveur du monde.  Un petit bébé qui passe une nuit d’hiver dans une étable balayée par le vent et le froid, mais il va attraper un rhume, une pneumonie, il va mourir et pourtant c’est lui le sauveur du monde.  Et ce sauveur du monde, il a pour seule et unique protection une jeune femme épuisée par l’accouchement.  Mais cela n’étonne pas les bergers.  Il ne faut pas se fier aux apparences.

Marie est la mère de Dieu parce qu’elle a donné naissance à Jésus, qui est le fils de Dieu, mais elle réalise déjà ce que l’Eglise doit toujours et partout réaliser : rassembler les hommes et les femmes humiliés et déshonorés pour leur rendre leur véritable dignité, celle d’enfants de Dieu.

Noël

Auteur: Philippe Henne
Date de rédaction: 25/12/16
Année: 2016-2017, 2015-2016

Enfin, c’est fini, le petit dort. Il est lavé, langé. Marie peut se reposer. Elle vient d’accoucher. Elle est épuisée, elle se sent abandonnée. Oh ! Il y a bien Joseph qui est là. Il est si gentil et si dévoué. Il ne sait pas quoi faire pour bien faire. Mais c’est un homme. Il n’y connaît rien à ces histoires d’accouchement. Ce sont des histoires de femmes. Marie aurait bien aimé avoir sa maman auprès d’elle. Elle l’aurait aidée. Elle s’y connaît en enfants. Elle l’aurait réconfortée. Et puis il y aurait eu les cousines et les tantines, et même les voisines. Cela aurait fait beaucoup de bruit, mais il y aurait eu du monde. Elle n’aurait pas été toute seule comme maintenant. Et voilà ! Qu’est-ce qu’elle entend ? Du bruit, des bêlements qui déchirent le sourd frottement des chaussures sur les pierres. Elle voit des ombres sur la colline qui se déplacent à la lumière des étoiles. Ce sont des bergers. Ils ne sont pas beaux. Ils ne sont pas propres. Ils sentent mauvais, mais c’est Dieu qui les a envoyés. Cette visite des bergers auprès de Marie est une scène que nous avons parfois vécue. Il y a tout d’abord ce sentiment de solitude et d’abandon. Ce peut être un soir dans une chambre d’hôpital, ou bien après une violente dispute, ou bien un soir de Noël dans quelque lointain pays, loin de sa famille et de ses amis. Nous avons parfois éprouvé ce sentiment. Ce soir, ils seront nombreux à connaître ce sentiment : ce sont certaines personnes âgées, mais aussi des étudiants étrangers et maintenant de plus en plus nombreux des réfugiés. Ils auraient tous aimé être entourés par leur famille, par leurs proches, et ils sont seuls et isolés. Et voilà que des bergers arrivent. Comme je vous l’ai déjà dit : ils ne sont pas beaux, ils ne sont pas propres, ils sentent mauvais. Ce sont les anges qui les ont envoyés. Marie et nous aussi, on aurait préféré que ce soit les anges qui viennent nous rendre visite. Et c’est là peut-être un des mystères de Noël. Si ce sont les bergers qui ont été les premiers avertis de la naissance de Jésus, c’est parce que ce sont des exclus, des rejetés. On se méfie d’eux. Ils traînent toute la nuit sur les collines. Quand ils passent par le village, on a toujours peur qu’ils cassent quelque chose, qu’ils volent. Il suffit de les voir pour se dire que ce ne sont pas des gens en qui on peut avoir confiance. Et c’est peut-être pour cela qu’ils sont les premiers avertis. Ils savent ce que c’est le désespoir provoqué par le rejet, l’exclusion, la méfiance. Ils savent reconnaître la dignité d’un homme dans un corps laid et mal vêtu. Voilà pourquoi ils n’ont pas éclaté de rire quand les anges leur ont dit : « aujourd’hui vous est né un sauveur. Il est le Messie, le Seigneur. Voilà comment vous le reconnaîtrez : c’est un petit bébé couché dans une mangeoire ». Une mangeoire, c’est pour les animaux. Un bébé, ça crie et ça pleure, ça ne peut pas nous sauver. Mais, pour les bergers, c’est possible. Ils ne se fient aux apparences. Et puis, entre gens exclus, rejetés, isolés, est-ce qu’il n’y a pas une forme de solidarité ? Les bergers n’avaient pas de cadeau à offrir, mais ils avaient leur silence plein de respect, leur regard plein de compréhension, et même leur bouche édentée s’ouvrait sur un sourire plein de joie intérieure. Oui, c’est peut-être ça le mystère de Noël : une humanité non pas fondée sur le succès et sur l’apparence, mais fondée sur la solidarité des enfants de Dieu, sauvés par l’enfant Jésus.