3e dimanche de Carême, année C

Auteur: Moore Gareth
Temps liturgique: Temps du Carême
Année liturgique : C
Année: 1997-1998

Ce passage du livre de l'Exode est un des plus mystérieux et un des plus essentiels de toute l'écriture sainte. Moïse garde le troupeau de son beau-père, chez qui il habite. Rien de plus quotidien pour un berger que d'être avec ses brebis. Mais au milieu de cette vie quotidienne, Moïse voit quelque chose d'extraordinaire, un buisson qui brûle sans se consumer. Et bientôt, il se trouve en conversation avec Dieu. Il n'y rien de plus impossible.

Dans le contexte du Carême, l'importance de ce passage est que Dieu y annonce qu'il va libérer son peuple ; c'est une libération qui préfigure la libération qu'effectue Jésus par sa passion, sa mort et sa résurrection. Mais il y a dans ce texte un mystère encore plus profond et essentiel que cela, et c'est le mystère de Dieu lui-même. Cette conversation avec Moïse est le moment où Dieu se présente, où il se révèle, où il dévoile son nom. C'est une procédure tout à fait compréhensible. Ici, Moïse et Dieu se rencontrent pour la première fois, et il est normal que Dieu, qui connaît déjà le nom de Moïse, lui donne le sien. Désormais, Moïse va connaître Dieu, il faut donc qu'il connaisse son nom. La connaissance du nom d'une personne est normalement un élément intégral de la connaissance de la personne elle-même. C'est en employant le nom de quelqu'un qu'on dialogue avec lui, qu'on pense à lui, qu'on parle de lui, et qu'on le connaît de plus en plus.

Mais le grand mystère de cette rencontre est ceci : le nom que Dieu révèle à Moïse n'est pas un nom. Il dit simplement "Je suis celui qui suis". Même cette traduction n'est pas certaine. L'hébreu pourrait signifier également "Je suis ce que je suis", "Je serai ce que je suis", "Je suis celui qui je serai", etc. Si Moïse souhaite savoir qui est ce dieu avec qui il parle, la réponse "Je suis celui qui suis" n'est pas une réponse. Moïse ne connaîtra jamais le vrai nom de Dieu ; il saura seulement que ce dieu est celui qui est. Ce qui veut dire qu'il ne connaîtra jamais Dieu. Dieu, en se révélant à Moïse, révèle effectivement qu'il est inconnaissable, qu'il n'a pas de vrai nom ; il est impossible de lui imposer une étiquette qui corresponde à qui il est. Dieu est en soi mystérieux ; il n'est pas qu'inconnu, mais il est inconnaissable. Quand nous parlons de Dieu, nous parlons de ce nous ne connaissons pas, de ce que nous ne comprenons pas. Il faut quand même en parler de temps en temps. Dans l'Ancien Testament, en parlant de Dieu on remplace toujours ce nom qui n'est pas un nom par le titre 'le Seigneur'. Quand on parle du Seigneur, on emploie un mot compréhensible, et cela peut nous donner l'impression que nous savons de qui ou de quoi nous parlons. Mais ce n'est pas le cas. On impose cette étiquette maniable à Dieu, mais elle se décolle tout le temps, la réalité de Dieu est trop glissante, trop insaisissable, pour qu'elle colle. Il en va de même pour le mot 'Dieu' que nous employons fréquemment ; ce n'est qu'une étiquette qui ne correspond pas à la réalité. On commence à comprendre Dieu seulement quand on sait et accepte qu'il est incompréhensible. C'est pourquoi, pour les juifs, il était toujours interdit de faire une image de Dieu. Toute image de Dieu est trompeuse ; non seulement elle ne correspond pas à la réalité de Dieu, mais elle peut aussi nous faire croire qu'elle y correspond et nous fourvoyer ainsi. Une image de Dieu est toujours une fausse image de Dieu, et elle devient facilement l'image d'un faux dieu. Il en va de même pour toutes nos images verbales. Malgré toutes nos Bibles, tous nos livres de théologie et tous nos dogmes, nous ne comprendrons jamais Dieu, et s'ils nous font croire avoir compris Dieu, ils sont dangereux.

Nous savons simplement qu'au fond de l'existence, au fond du ciel et de la terre, il y a cette réalité mystérieuse et inépuisable qui nous dépasse et nous dépassera toujours, une réalité qui est ce qu'elle est. On peut d'une certaine manière rencontrer cette réalité, même au milieu de la vie quotidienne, comme l'a fait Moïse, et cette rencontre peut changer notre vie, comme elle a changé celle de Moïse. En fait, nous allons à la rencontre de ce mystère chaque fois que nous nous mettons à prier, et chaque fois que nous venons, comme aujourd'hui, à la messe.

3e dimanche de Carême, année C

Auteur: Cochinaux Philippe
Temps liturgique: Temps du Carême
Année liturgique : C
Année: 1997-1998

Ca, jamais je ne lui pardonnerai me dit-elle avec un brin d'agressivité. Tant pis pour lui, il n'aura qu'à vivre avec cela toute sa vie. Il verra que ce n'est pas le genre de chose que j'accepte. Non je ne l'accepterai jamais, il n'avait qu'à réfléchir avant. Maintenant c'est trop tard et j'espère qu'au fond de lui-même, il s'en mord les doigts, à en saigner. Tout en affirmant cela, elle ne voyait pas que sur son visage se lisait une profonde tristesse, elle ne se rendait pas compte que son regard vers celui qui l'avait blessé, peu à peu l'emprisonnait, l'empêchait d'être elle-même. Quel pouvoir lui donnait-elle et sans s'en rendre compte. Ce dialogue, chacune et chacun nous en avons sans doute vécu de semblables au cours de nos vies. Notre relation s'en est trouvée altérée, abîmée, voire même détruite parce qu'il n'y a jamais eu vraiment place pour une réconciliation. Cette dernière naît de la rencontre d'un pardon donné et d'un pardon reçu en humanité et en Dieu.

Pardonner, c'est entre autre accepter de reconnaître l'autre, celui qui m'a fait mal, dans ce qu'il est, en son altérité. C'est accepter de reconnaître en lui ou en elle une part d'inconnaissance, d'imperfection, une sorte de nocturnité dont lui-même n'a pas pleinement la maîtrise. Pardonner, c'est donc ouvrir en l'être offensant un nouveau chemin sur lequel il ou elle pourra continuer d'avancer, de vivre avec un fardeau moins lourd. C'est lui permettre ainsi d'aller à la rencontre du meilleur de lui-même. Nous découvrons alors que le pardon est une forme particulière d'amour de l'autre. Jamais rien n'est perdu, tout peut toujours recommencer. Cependant, il y a également dans le pardon une dimension plus personnelle et que nous oublions souvent, c'est-à-dire qu'il y a aussi lieu de se libérer soi. Nous avons à prendre conscience que faute de pardon, nous resterons toujours hantés par un souvenir douloureux. Ce dernier ne cessera de resserrer en nous un noeud de haine et de colère. Cette colère que nous éprouvons à la fois contre nous-même puisque, quelque part, nous nous reprochons de n'avoir pas su nous défendre contre notre offenseur mais également contre celui-ci qui, outre la blessure, reste le maître de notre existence par l'emprise qu'il a sur nos souvenirs, si douloureux soient-ils. Le pardon devient pour nous, dans cette dimension personnelle, l'expression d'une farouche volonté de reprendre sa liberté. Par cette démarche, nous allons délier au fond de nous-même cette tension qui nous empoisonne la vie et nous rend prisonnier de l'événement. Ainsi, arriverons-nous à retrouver une certaine estime de nous, où la blessure n'aura plus le dernier mot, notre propre volonté ayant pris le dessus. Dès lors, nous pouvons affirmer que seule une démarche de pardon peut éliminer la haine entre nous, pour nous permettre de sortir de ce fameux cercle vicieux du « oeil pour oeil - dent pour dent ». Nous évitons ainsi une escalade dans la violence qui conduit inévitablement à l'exclusion de l'autre. Le pardon ouvre alors au plus intime de nous-même une nouvelle voie faite d'amitié, de tendresse où chacune et chacun en se "déliant" mutuellement retrouve sa liberté et redonne une certaine dignité à la relation blessée.

Il est pour nous ce passage qui va permettre d'abandonner notre passé-souffrance pour prendre possession d'un futur possible, notre futur, celui qui va libérer toutes nos forces de vie, d'amour et de création, pour remarcher sur le chemin de nos existences. Alors et alors seulement, nous vivons entre nous ce que nous appelons la réconciliation, à l'image de celle proposée dans la parabole du fils prodigue. Cette dynamique de réconciliation peut sembler bien simple lorsqu'elle est enfermée dans un drapé de mots mais ô combien difficile dans la réalité de la vie. C'est pour cela que je crois que la réconciliation trouve avant tout sa source dans notre relation à notre Dieu, Père de tendresse et de miséricorde. En lui, nous pouvons la force pour dépasser ce qui semble impossible à l'être humain et par lui, nous percevons une capacité de pardon qui va au-delà de toutes nos espérances puisque le pardon divin nous est donné lorsque nous le demandons. Tout un chemin d'humilité. Au coeur de nos vies, sommes-nous capables de vraiment pardonner ? Suivons-nous l'attitude du père ou du frère de la parabole ? A chacune et chacun d'y répondre, en conscience.

Amen.

3e dimanche de Pâques, année C

Auteur: Cochinaux Philippe
Temps liturgique: Temps de Pâques
Année liturgique : C
Année: 1997-1998

« Je me casse que Jésus soit ressuscité, pour moi c'est le message qui est le plus important. Ma foi en la morale est plus forte que ma foi en Dieu », disait l'un d'entre nous en préparant cette eucharistie dominicale. Nous pourrions nous étonner de tels propos, cependant je crois qu'ils seront partagés par de nombreuses personnes de notre assemblée. C'est vrai, il est plus facile de croire en des valeurs de vie, qui nous aident à nous construire, que de croire en ce mystère, cette énigme, voire même cette question qu'est Dieu.

Celui-ci se révèle à nous de manière intéressante dans l'évangile de ce jour. Nous retrouvons un Christ que ses propres disciples ne reconnaissent pas. Et malgré cela, ils continuent de lui obéir et constatent que cette obéissance leur sera bénéfique. Ce soir, nous n'avons pas souhaité nous arrêter sur la pêche miraculeuse des 153 poissons représentant l'humanité entière mais plutôt sur le dialogue entre Jésus et Pierre. Quelqu'un me disait un jour que les « je t'aime » prononcés et offerts sont plus souvent des questions appelant une réponse similaire plutôt qu'une affirmation. C'est possible, je reste cependant convaincu que les « je t'aime » véritables sont ceux qui ne demandent aucune réponse, si ce n'est l'espace entre deux êtres pour que de tels mots puissent se chanter. S'il est vrai qu'ils sont trop souvent encore dans notre société difficile à dire, combien plus serons-nous mal à l'aise si nous avions à poser la question, « et toi, m'aimes-tu ? ». Nous ne la posons pas, pour ne pas embarrasser l'autre et peut-être aussi pour ne pas être déçu de sa réponse. En amour, en amitié, on ne ment pas... au risque de tout perdre sinon.

Le dialogue entre Jésus et Pierre est d'autant plus intéressant qu'il se situe à deux plans différents que le texte français occulte par sa pauvreté de langage. Nous sommes alors retourné au texte grec. Rappelez-vous, comme je l'ai déjà souvent dit, dans cette dernière langue, il y a plusieurs mots pour aimer. Le texte de ce soir nous en offre deux. D'abord, l'amour d'agapé, c'est-à-dire l'amour de raison, celui qui exige un acte de la volonté pour respecter chaque être qui nous entoure, lui donner l'espace nécessaire pour qu'il ou elle puisse se réaliser, s'accomplir sur le chemin de sa destinée. Vient ensuite, l'amour de philia, l'amour d'amitié, celui qui vient du coeur, que l'on ne peut justifier. Celui qui nous lie à l'autre par les sentiments. Amour de raison, amour d'amitié, deux types de relation. Nous savons au plus profond de nous-mêmes que nous ne pouvons nous contenter de nos solitudes, nous sommes avant tout des êtres de relation. Par trois fois, Jésus demande à Pierre s'il l'aime. Lors des deux premières questions, Jésus, dans le texte grec, pose la question en termes d'amour de raison que l'on pourrait traduire par « me respectes-tu, me permets de vivre ma vie comme moi je le désire » et Pierre réponds chaque fois « oui, je t'aime » mais son amour est un amour d'amitié. Ce n'est qu'à la troisième question que le Christ pose sa question d'aimer en terme d'amour d'amitié. Entre eux, il y a d'abord, le respect d'une autonomie nécessaire pour que la relation puisse s'établir. Ayant la conviction que cet espace existe entre eux, Jésus peut alors demander à Pierre si au-delà du respect, il y a des sentiments.

La relation entre le Christ et Pierre peut aujourd'hui encore dire quelque chose de notre propre relation à Dieu. Nous sommes conviés à ne pas nous enfermer dans une relation de raison, une relation intellectuelle, philosophique. La foi comporte aussi sa part de sentiments. Elle est un sentiment instinctif que nous essayons de comprendre tout au long de notre vie. Elle nous donne un cadre de valeurs. Et ce cadre, loin de nous emprisonner, nous donne des balises pour arriver à mieux vivre notre humanité telle que Dieu l'a vécue en se faisant homme. Pour nous le Christ devient un chemin à suivre pour vivre un jour le partage de sa divinité. Que préférons-nous, un amour de raison, un amour des valeurs ou un amour d'amitié, un amour de relation entre Dieu et nous ? Agapè ou philia ? A nous dans le plus secret de son être d'en décider.

Amen.

3e dimanche ordinaire, année C

Auteur: Delavie Bruno
Temps liturgique: Temps ordinaire
Année liturgique : C
Année: 1997-1998

"Tous avaient les yeux fixés sur lui"

Dans la synagogue de Nazareth, en ce jour de sabbat, il s'était mis debout pour faire la lecture. Et, bien sûr, tous les regards des assistants étaient tournés vers lui. Pensez donc, ce fils du charpentier avait quitté le village depuis quelque temps. Maintenant on parlait de lui dans toute la région. Partout on faisait son éloge. En revenant chez lui, qu'allait-il donc leur dire ?

Dans le livre d'Isaïe, Jésus choisit le passage qui décrit la vocation d'un prophète investi par l'Esprit de Dieu. Ce prophète est envoyé pour proclamer une bonne nouvelle de libération en faveur des pauvres, des prisonniers, des aveugles et des opprimés. Ce choix de Jésus était déjà étonnant ! Car le maître de la synagogue les avait habitués à écouter, à chaque assemblée, les multiples préceptes de la thora, ...au point même de leur donner des complexes. En effet, à tous les tournants, il les traitait d'ignorants, d'incapables d'accomplir la loi. Il les accusait d'être des pécheurs. Et Jésus lui, se mit à lire : " Le Seigneur m'a envoyé porter la Bonne Nouvelle " Tous avaient les yeux fixés sur lui. Ainsi donc, c'était possible : une parole de Dieu qui soit Bonne Nouvelle !

Raison de plus de garder les yeux fixés sur lui quand il ferma le livre et se mit à parler. "Cette parole, dit-il, que vous venez d'entendre, c'est aujourd'hui qu'elle s'accomplit". Il ne s'agissait pas d'une parole du passé, du bon vieux temps quand Dieu parlait encore par les prophètes pour corriger les rois ou reprocher les infidélités de la nation. Il n'était pas question non plus de s'évader, en rêve, dans un avenir lointain, attendu patiemment, où le messie viendrait chasser l'occupant, rétablir la justice et assurer la suprématie d'Israël sur les autres peuples. Ainsi, c'était possible une parole de Dieu qui soit pour aujourd'hui. !

Ces gens de Nazareth ont eu raison de garder les yeux fixés sur lui. Car voici qu'il précisait : "Bonne Nouvelle aux pauvres, aux prisonniers la liberté, aux aveugles la vue et la libération pour tous les opprimés. Pour tous une année de bienfaits de la part du Seigneur". Dès lors, ils ne pouvaient plus rester là à regarder. S'ils le voulaient, ils pouvaient eux-mêmes devenir partie prenante du bouleversement que Jésus déclenchait. Il invitait au bonheur et il apportait une parole de Dieu qui soit pour les petits, pour les pécheurs, une parole de Dieu qui soit enfin libératrice ! Il annonçait cette année de bienfaits accordée par Dieu. Une année jubilaire, non pas comme celle que nous allons vivre en l'an 2000, faite principalement de réflexions et de prières, mais une année jubilaire qui arrive tous les cinquante ans, où les champs demeurent en repos, où les esclaves recouvrent leur liberté, où les terres aliénées reviennent à leurs anciens maîtres, où les dettes sont remises. La vie peut donc recommencer à neuf. En effet, quand Dieu parle, quand Il vient lui-même à la rencontre des siens, son message est toujours porteur d'un amour pour les plus faibles, porteur d'une libération pour ceux qui souffrent et d'une grande joie pour tous ! C'était déjà le cas, 400 ans auparavant, lors du retour d'exil, quand les rescapés sont rentrés au pays, que les murs du temple ont été relevés et que toute la ville de Jérusalem a célébré à nouveau la fête des tentes. Le prêtre Esdras fit la lecture publique de la Loi. Si certains pleuraient en regrettant de n'avoir pas observé les commandements, Esdras les rassurait en leur disant : "Ne vous affligez pas. Festoyez et partagez avec ceux qui n'ont rien de prêt. La joie du Seigneur est votre rempart". Dans le récit de Luc, Jésus a conscience d'être cet Envoyé de Dieu qui révèle à ses contemporains la puissance de l'amour divin et actualise la volonté de salut du Dieu vivant ! Toute sa prédication, tous ses comportements, tous ses gestes ne seront que la réalisation et la mise en oeuvre de cette Bonne Nouvelle de salut pour tous. La suite du récit de Luc nous dira que les Nazaréens, interpellés par la prédication de Jésus, ne l'ont cependant pas suivi. Pouvons-nous juger sévèrement ces gens de Nazareth ? Non, car si les siècles ont passé depuis la rédaction des textes de Néhémie et de Luc, la situation précaire de l'ensemble de l'humanité n'a guère évolué. Les injustices, le mal moral et social sont toujours bien présents comme si le message biblique n'avait rien changé et restait un voeu pieux, une vue de l'esprit, réservé au domaine de l'utopie. Et "Aujourd'hui, cette parole s'accomplit-elle ?" La question est posée. Nous qui prétendons tous être disciples de Jésus aurons-nous à coeur de traduire dans nos actes cette Bonne Nouvelle de salut que leur Maître nous a chargés d'annoncer ? Comprenons-nous que, maintenant encore, nos yeux peuvent fixer le visage de Jésus ? Car lorsque nos coeurs battent en harmonie avec son message et surtout quand nos actes s'y conforment, nous accomplissons aujourd'hui cette parole de tendresse que Dieu lui-même adresse à notre monde.

4e dimanche de Carême, année C

Auteur: Cochinaux Philippe
Temps liturgique: Temps du Carême
Année liturgique : C
Année: 1997-1998

Confiance en toi, confiance en moi. Retrouver la confiance au creux même de cette déchirure, alors que mon coeur baigne au risque de se noyer dans une mer de larmes qui de temps à autre viennent se mourir dans un pli de mon visage. La blessure est béante. Elle saigne et arrive si difficilement à se refermer, comme si une part de moi-même s'était affaisée, écroulée. Et voilà, que toi, trahison, tu deviens compagne de ma vie. Je ne puis t'ignorer, t'oublier. Tu es en moi, tu es là, prête à surgir au moment où je m'y attend le moins. Trahison, ennemie qui dès à présent me façonne et m'offre un autre regard, une image blessée sur mon existence. J'ai mal à mon âme et je me sens si seul, au plus profond de ma solitude. Qui peut m'aider ? L'amitié qui vient d'être trahie ? La confiance à retrouver ? Qui ? Un Père aimant qui part à la rencontre de son fils ? Un Père qui remontre le chemin de la tendresse, celle qui sommeille dans un recoin de ce que je deviens. Un Père, un Dieu, mon Dieu, qui ce soir encore me fait retrouver le sens profond du pardon, celui qui conduit à la réconciliation.

Pardonner, c'est entre autre accepter de te reconnaître, toi qui m'a fait si mal, dans ce que tu es, en ton altérité. C'est accepter de reconnaître en toi une part d'inconnaissance, d'imperfection, une sorte de nocturnité dont toi-même n'a pas pleinement la maîtrise. Pardonner, c'est ainsi ouvrir en toi qui m'a blessé un nouveau chemin sur lequel tu pourras continuer d'avancer, de vivre avec un fardeau moins lourd. C'est te permettre, je l'espère et te le souhaite du plus profond de mon coeur, d'aller à la rencontre du meilleur de toi-même. Le pardon est alors une forme particulière d'amour. C'est pouvoir continuer à dire tendrement « je t'aime », malgré la peine reçue de toi, être aimé. Jamais rien n'est perdu, tout peut toujours recommencer. Mais, il y a également dans le pardon une dimension plus personnelle et que nous oublions souvent, c'est-à-dire que j'ai aussi à me libérer de moi-même. En effet, j'ai à prendre conscience que faute de pardon, je resterai toujours hanté par un souvenir douloureux. Et ce dernier ne cessera de resserrer en moi un noeud de tristesse et peut-être de colère. Cette colère que j'éprouve à la fois contre moi-même puisque : quelque part, je me reproche d'avoir trop vite fait confiance mais également contre toi qui, outre la blessure, reste le maître de mon existence par l'emprise que tu as maintenant sur ma destinée, sur mes souvenirs, si douloureux soient-ils. Le pardon devient pour moi, dans cette dimension, l'expression, mon expression d'un farouche désir de reprendre ma liberté. Par cette démarche, j'espère pouvoir délier au fond de moi-même cette tension qui m'empoisonne la vie et me rend prisonnier de l'événement. Ainsi, arriverais-je à retrouver une certaine estime de moi, où la blessure n'aura plus le dernier mot, ma propre volonté ayant pris le dessus.

Si cette dynamique m'est donnée à vivre, alors, je peux affirmer que seule une démarche de pardon pourra éliminer cette tristesse installée entre nous. Nous éviterons ainsi une escalade dans la violence négative des sentiments qui me conduiront immanquablement à t'exclure de ma vie. Le pardon ouvre au plus intime de nous-même une nouvelle voie faite d'amitié, de tendresse où toi et moi en nous "déliant" mutuellement, nous retrouvons notre liberté et redonnons par là une certaine dignité à la relation blessée. Il sera pour nous ce passage qui va permettre d'abandonner notre passé-souffrance pour prendre possession d'un futur possible, notre futur, celui qui va libérer toutes nos forces de vie, d'amour et de tendresse, pour marcher à nouveau sur le chemin de nos existences. Alors et alors seulement, nous vivrons entre nous ce que nous appelons la réconciliation. Cette dernière, à l'image de la parabole du fils prodigue trouve, avant tout sa source, dans notre relation à Dieu, notre Dieu, Père de tendresse et de miséricorde. En lui, en prenant le temps, nous puiserons la force pour dépasser ce qui nous semble impossible humainement. L'évangile est une invitation à choisir entre l'attitude du père et du frère, ce soir, quant à moi je ne puis hésiter. Que Dieu nous donne la force de traverser ce chemin de réconciliation. A toi l'ami qui m'a blessé, je te pardonne. A toi l'ami, pardonné, je t'aime. Amen.

4e dimanche de l'Avent, année C

Auteur: Delavie Bruno
Temps liturgique: Avent
Année liturgique : C
Année: 1997-1998

Noël, c'est une naissance ! Pour nous y préparer, la liturgie nous présente aujourd'hui la rencontre de deux femmes qui sont enceintes, sans doute d'une manière exceptionnelle. Mais de quoi peuvent parler deux femmes qui ainsi attendent famille, si ce n'est de l'évènement qui les concerne : l'enfant que chacune porte en elle, les sensations qu'elles éprouvent et surtout le prochain moment où elles le mettront au monde ! Chacune, avec sans doute une certaine crainte, s'éveille à ce qui va venir, au futur accouchement. C'est déjà un grand bonheur d'en parler !

C'est dans ce style affectueux et familier que nous pouvons découvrir en premier lieu l'épisode de la Visitation que Luc nous présente dans son évangile de l'enfance. Il faudrait nous garder d'en donner une interprétation moralisante, comme on le fait habituellement pour inviter les chrétiens à rencontrer leurs frères et soeurs et à être serviables, selon le bon exemple de Marie. Ce récit est porteur d'une réalité bien plus profonde. Il est porteur d'une théologie.

En effet, dans l'antiquité, à personnage célèbre on a coutume de fabriquer une origine et une naissance exceptionnelle. L'auteur sacré a suivi cette coutume. Il n'a pas d'abord cherché à nous rapporter l'historicité des faits. Il s'est efforcé plutôt de traduire pour nous sa foi en Jésus, Messie promis et attendu depuis des siècles et Fils de Dieu dès le premier instant de sa conception ! Tout l'Evangile de l'enfance, qui fut plus tard placé en tête de l'évangile de Luc, est donc une "profession de foi" des premières communautés chrétiennes en la filiation divine de Jésus.

Vous vous rappelez comme moi les Litanies de la Sainte Vierge, récitées souvent à la suite du chapelet. C'est une série impressionnante de vocables par lesquels nous nous adressons à Marie, en lui demandant de prier pour nous. Parmi ces invocations, il y a celle-ci : "Arche d'Alliance". Je me suis souvent demandé que pouvait bien signifier ce titre, appliqué à la Sainte Vierge. En regardant de plus près, j'ai constaté que le récit de la visitation était tissé d'allusions au transfert de l'Arche à Jérusalem par le roi David. L'Arche était ce coffret de bois précieux, muni de barres dorées pour le transporter, et qui contenait les tables de la Loi. Dieu lui-même avait donné ses commandements à Moïse qui les avait gravés sur des tables de pierre. Par le don de ces préceptes, Dieu faisait alliance avec son peuple. Celui-ci s'était solennellement engagé à les observer. L'Arche contenait donc le témoignage de l'Alliance sacrée entre Dieu et Israël. Sur le couvercle de ce coffre, il y avait deux chérubins, sorte d'anges avec des ailes, entre lesquels reposait l'Esprit de Dieu, sa présence en cet espace.

Pendant longtemps, l'Arche séjourna à Silo sous une tente, comme c'était le cas dans le désert après la rencontre avec Dieu au Sinaï. David résolut de la ramener à Jérusalem pour la placer sur la colline de Sion. Au second livre de Samuel, on nous raconte que "David se leva et partit pour Baala en Juda pour en faire monter l'Arche de Dieu". Dans la visitation, nous avons vu que "Marie se leva et partit dans la montagne vers une ville de Juda". En peu plus loin, l'Arche monte en procession vers Jérusalem et on s'arrête à Edom dans la maison d'Aved. Celui-ci s'écrie : "Comment l'arche du Seigneur entre chez moi ?". Dans la visitation, c'est Elisabeth qui s'étonne :"Comment ai-je cet honneur que la mère de mon Seigneur vienne jusqu'à moi ?" Ajoutons encore un autre rapprochement : la joie du peuple hébreu et celle de David dansant devant l'arche mise en parallèle avec celle d'Elisabeth et de Jean-Baptiste à l'approche de Marie. Notons également que l'Arche, montant à Jérusalem, s'arrête dans la maison d'Aved à Edom et y reste trois mois, comme Marie entre dans la maison de Zacharie et y reste trois mois. Il y a manifestement un rapprochement littéraire entre les deux récits. L'auteur de la visitation a sans doute voulu marquer la continuité qui existe entre l'ancienne alliance et celle que le Messie Jésus va inaugurer. Ainsi la montée vers Jérusalem de l'Arche qui contenait les paroles de la Loi, trouve la plénitude de sa signification lorsque Marie, nouvelle Arche, portant en elle le Verbe fait chair, va vers la Judée dans la maison du prêtre Zacharie, celui qui officia dans le Temple. L'aboutissement s'accomplira parfaitement lorsque Jésus montera vers Jérusalem pour y être "élevé", sa mère se trouvant alors au pied de la croix.. Nous pouvons encore aller plus loin dans ce parrallèle entre l'ancienne et la nouvelle Alliance. Marie qui porte le Christ est aussi figure de l'Eglise, porteuse de la Bonne Nouvelle de Dieu ! Or, comment Marie est-elle Arche d'Alliance ? Comment est-elle porteuse du Seigneur de l'univers ? Elisabeth nous en donne la réponse :"Heureuse celle qui a cru en l'accomplissement des paroles qui lui furent dites de la part du Seigneur !". De la même manière, c'est la foi en l'accomplissement des promesses qui fait de l'Eglise le peuple porteur de la Parole d'Alliance nouvelle. Nous qui sommes l'Eglise aujourd'hui, ne sommes-nous pas par notre foi porteurs du message d'amour et d'alliance de notre Dieu pour notre monde ? Elisabeth, Marie : l'ancienne alliance rencontre la nouvelle. Jean-Baptiste et Jésus : l'ancienne alliance rend louange à la nouvelle. Comment ai-je ce bonheur s'écrie Elisabeth ? Ce bonheur peut toujours être le nôtre en ce dimanche de l'avent où nous nous éveillons à ce qui vient, à la venue prochaine d'un enfant, le Fils de Dieu !

4e dimanche de Pâques, année C

Auteur: Delavie Bruno
Temps liturgique: Temps de Pâques
Année liturgique : C
Année: 1997-1998

"Je suis le Bon Pasteur"

Berger, pasteur, brebis, ce sont des termes qui évoquent pour nous des images de scènes champêtres, colorées souvent de poésie douce et facile. Mais quand ces qualités sont attribuées à Jésus, il s'agit plus tôt d'un combat. Car, lorsqu'il prononce ces paroles : "Je suis le Bon Pasteur" les forces hostiles sont déjà en action pour le mener à la mort sur la Croix.

Le texte que nous venons de lire est fort court et pourtant il résume assez bien la pensée de l'évangéliste Jean sur Jésus, sa mission et sa relation à Dieu son Père.

Puisqu'il va être livré aux mains des juifs, Jésus, le bon pasteur doit veiller à ce que les brebis, c'est-à-dire ses disciples, ne périssent pas . Il doit veiller à ce qu'elles ne lui soient pas arrachées des mains. Au moment de l'arrestation du Maître à Gethsémani, l'évangile de Jean nous montre le Christ allant au devant de ceux qui viennent l'arrêter. Il les interpelle en leur criant :"Qui cherchez-vous ?" "Si c'est moi que vous cherchez, ceux-ci laissez les aller". Pour Jésus, il ne faut pas que les apôtres périssent avec lui. Il compte sur eux pour reprendre sa cause après sa mort. Aussi donne-t-il librement sa vie pour eux.

A l'inverse des mercenaires, il va se dessaisir de sa propre vie. Le mercenaire, celui qui n'est pas vraiment le berger et à qui les brebis n'appartiennent pas, voit-il venir le loup, il abandonne les brebis et prend la fuite.. Le loup s'en empare alors et les disperse.

A la croix, Jésus se dessaisit de sa vie pour les tous les humains. Il n'a pas pris la fuite. Il a été jusqu'au bout. Jésus est passé par la mort pour nous donner son Esprit et pour rassembler tous les enfants de Dieu dispersés. C'est pourquoi il est le seul vrai pasteur. Il est le seul à pouvoir porter le titre de bon, parce qu'il donne la "vie éternelle". C'est seulement à la lumière de Pâques que s'éclaire le titre que Jésus se donne.

"Mes brebis écoutent ma voix et je les connais" Pour un juif, l'expression "connaître" déborde le savoir abstrait et exprime une relation profonde. Connaître une chose, c'est en avoir l'expérience concrète. Connaître quelqu'un , c'est entrer en relation personnelle avec lui.

Jésus est celui qui vient parler au nom de Dieu. Sa mission est de révéler aux hommes tout l'amour que Dieu a pour eux. Toujours dans la passion selon S. Jean, nous entendons Jésus déclarer devant Pilate : "Je suis né, je suis venu dans le monde pour rendre témoignage à la Vérité".

Les brebis, c'est-à-dire les disciples, écoutent Jésus Mais déjà pour l'écouter, il faut être de Dieu. C'est pourquoi le Christ considère ses apôtres et ses disciples comme un don du Père. "Mon Père, qui me les a données" est-il dit dans le texte de l'évangile de ce jour. C'est l'idée force de Jean : devant Jésus, les hommes se séparent en deux groupes, ceux qui l'écoutent et ceux qui le rejettent. Les premiers peuvent écouter de par le Père et forment ainsi le troupeau. Au moment de la croix, Jésus achève sa mission et apporte la vie à ceux qui le suivent.

Enfin, l'évangéliste est particulièrement sensible à montrer tous les liens unissant Jésus à son Père. D'ailleurs son intention n'est-elle pas de nous amener à croire que Jésus est vraiment fils de Dieu. Le Père et moi, nous sommes UN.

4e dimanche de Pâques, année C

Auteur: Cochinaux Philippe
Temps liturgique: Temps de Pâques
Année liturgique : C
Année: 1997-1998

Il y a une dizaine de jours, un animateur de mouvements de jeunesse de Rixensart posait la question suivante à son staff : « pourquoi continuons-nous à venir presque tous les samedis à 14 heures aux mouvements de jeunesse alors que les jeunes que nous animons nous engueulent et ne sont jamais contents ? ». C'est vrai pourquoi continuer quelque chose alors que nous en retirons très peu de gratitude, de reconnaissance. Est-ce la peur de s'ennuyer le samedi après-midi, un plaisir masochiste dissimulé sous une bonne action. Non, il doit, enfin je l'espère, il y avoir autre chose. « Si nous venons ici constata cet animateur, c'est parce que c'est quelque chose de bien ».

Cette réflexion, me semble-t-il, peut être transposée à nos eucharisties dominicales. Nous y venons, par habitude, par conviction personnelle, par besoin de ressourcement, pour prendre un peu de temps avec soi et avec Dieu. Certains dimanches, nous nous y sentons bien, les lectures nous parlent, nous interpellent et puis d'autres fois, en sortant, nous ne nous rappelons même plus de l'évangile et encore moins de la prédication, durant tout le temps de la célébration, nous étions ailleurs, dans notre ailleurs, c'est-à-dire au plus profond de nos pensées soit à la rencontre de Dieu, soit nourries de préoccupations humaines. Et c'est la vie, tout simplement la vie. Elle est d'autant plus étonnante qu'il nous arrive parfois d'entendre un texte biblique comme si c'était pour la première fois, comme s'il venait d'être écrit. En effet, nous dit le Christ ce soir, mes brebis écoutent ma voix. Nous sommes ses brebis et la manière dont nous écoutons sa voix varie de personne à personne. Notre écoute qu'elle soit celle de Dieu ou celle de nos proches, dépend de multiples facteurs : notre histoire personnelle, nos problèmes et nos joies... Il nous arrive d'entendre et de faire le sourd. Le texte révélé se découvre à nous lors de nos lectures de manière nouvelle, fraîche en fonction de là où nous en sommes dans notre propre vie. A chacune et chacun de le recevoir dans le silence de son coeur, de le méditer pour pouvoir continuer à grandir sur notre propre chemin de vie.

Se serait évidemment fortement réducteur de ne voir l'écoute de Dieu qu'à partir des écritures. D'ailleurs le Christ ne dit pas cela. Il dit simplement : mes brebis écoutent ma voix ; moi je les connais, et elles me suivent. La voix de Dieu s'exprime à nous aujourd'hui encore de multiples manières. Cette voix ne s'est pas éteinte avec le temps. Elle est peut-être plus difficile à entendre dans notre société polluée par le bruit et l'empressement. En effet, la voix de Dieu s'exprime dans la brise légère, elle ne crie pas, elle susurre au creux de nous-mêmes. Et pour pouvoir l'entendre, il nous faut arrêter notre cinéma intérieur. Cette voix divine se laisse rencontrer lorsque nous reprenons le contact avec elle mais elle surgit également là où nous nous y attendons le moins. Dieu continue de nous parler, à travers de multiples signes, à travers de multiples rencontres. A nous de les déceler et de les nommer.

Reconnaître et nommer la voix de Dieu, c'est oser dire, « ici, je crois que Dieu est présent. Je ressens quelque chose qui me dépasse et me fait du bien ». Et ça, c'est un sacrement. C'est vrai, l'Eglise reconnaît aujourd'hui au moins 7 sacrements, mais des sacrements, au sens où ils sont des signes visibles de la présence de Dieu, il y en a non pas 7, dix ou cent mais des millions. Ils parsèment nos vies dans ce que nous faisons et lorsque nous aimons. Ecouter la voix de Dieu, c'est prendre conscience de cette présence et oser la reconnaître. Lorsque les événements de nos vies sont sacramentels, signes visibles de le présence divine, Dieu nous invite à le suivre, à répondre à son invitation. Et si ce soir (matin), nous faisions tout simplement silence en nous pour écouter la voix de Dieu et se mettre à le suivre.

Amen.

4e dimanche ordinaire, année C

Auteur: Cochinaux Philippe
Temps liturgique: Temps ordinaire
Année liturgique : C
Année: 1997-1998

« A ces mots, dans la synagogue, tous devinrent furieux ». Mais de quels mots peut-il donc bien s'agir pour que des hommes et des femmes, tout ce qu'il y a de plus ordinaires, soient à ce point furieux, qu'ils sont prêts à commettre un meurtre pour se débarrasser de cet indésirable qui en quelques mots a fait monter en eux une colère telle. Une forme de pseudo-crime passionnel, irrationnel puisque ce sont les sentiments premiers, bruts qui les animent.

Ce soir (matin), nous sommes invités à prendre un peu de temps pour vérifier nos propres colères. Elles disent je crois énormément de nous, en tout cas, certainement plus de nous que ce que la colère tente de combattre. En effet, si cela ne nous touche pas, si je ne suis pas concerné dans mon essence, dans mon existence, les sentiments furieux ne prendront pas le dessus et ne guideront pas ma conduite. A la lecture de l'évangile nous pourrions nous sentir assez loin de la problématique des gens de cette synagogue et pourtant à y regarder de plus prêt, nous voyons que ce thème reste vraiment d'actualité, ici sur notre terre.

Comme le montre le Christ, il est venu pour chacune et chacun, il ne fait pas de différence : Dieu est pour tout le monde. Et la réaction de ses contemporains, c'est un peu comme s'ils disaient, Dieu pour tous d'accord, mais pas pour ces gens-là. « Ces gens-là », comme chante Brel, ont existé de tout temps et de toute culture. Ce sont ceux que nous rejetons car ils sont différents, en tout cas pas comme nous, que ce soit niveau social, culturel, ethnique, religieux... Et hélas, l'histoire de notre humanité est illustrée de ces épisodes où lorsque l'on se met à regarder l'autre comme faisant partie de ces gens-là, très vite, pour ne pas dire tout de suite, il y a des dérapages et un espace grand ouvert à la montée d'extrémismes de toutes formes. Vous l'aurez compris, je ne puis ce soir m'empêcher de vous parler des trois semaines que je viens de vivre au Rwanda. Ce ne sont pas des souvenirs de vacances mais plutôt des souvenirs de souffrance. Souffrance d'un peuple tout entier et désespéré. Au long des ces jours, j'ai rencontré des femmes et des hommes désespérés, soit parce que leurs familles ont été décimées lors du génocide, d'autres parce que de nombreux membres sont en prison, ou encore ne sont jamais revenus des camps de réfugiés. Jusqu'il y a peu je ne savais pas que des gens pouvaient pourrir au sens premier de terme, c'est-à-dire se décomposer dans leurs corps. C'est ce qui hélas se passe en prison là-bas. Comment peut-on continuer à garder l'espoir quand on a vécu une histoire comme celle-ci. Durant la guerre, il avait caché, chez lui, dans un faux plafond, un groupe de gens de l'autre ethnie. Une des ces personnes est tombée malade et toussait, elle a alors quitté la cache pour que les autres puissent rester sans être découvert par ses toussotements. Il fut pris par les milices, torturé et dénonça les autres. Pour punir celui qui avait caché, les milices, sous peine d'abattre sa femme et ses six enfants, exigea que cet homme tue lui-même, l'un après l'autre, celles et ceux qu'il nourrissait depuis des semaines. Il le fit, mais comme il avait quand même fauté, les milices tuèrent ensuite sa femmes et ses six enfants. Cet homme n'a plus le goût de vivre... Cette histoire n'est qu'un exemple parmi tant et fait le lot quotidien de ce que l'on entend.

Voilà, me semble-t-il, un pays qui s'est anéanti en considérant l'autre comme faisant partie de ces gens-là, ceux qui ne doivent pas exister. Les Tutsis et les Hutus opposés au régime étaient appelés les serpents. Et les serpents, pour s'en débarrasser, on les coupe en morceaux, à la machette, c'est pourquoi, tant et tant payaient pour qu'on les tue plutôt par balles. « Ces gens-là » ont été tués, mais je puis vous assurer qu'aujourd'hui encore « ces gens-là », même s'ils ont changé d'ethnie, de majorité politique, continuer à être assassinés. Chaque jour des hommes, des femmes et des enfants meurent. Les massacres ne se sont pas arrêtés. On sent dans le pays un tension très forte, vais-je être attaqué, tué cette nuit par les milices voire même l'armée. Suspicion, peur sont le pain quotidien. En plus de cette guerre-là, il faut également mener celle contre le sida, les chiffres sont éloquents : 30% de la population, plus de 60% des universitaires en sont atteints. Le désespoir se lit sur les visages. A quoi bon, se battre de toute façon, d'ici peu je mourrai... Puissions-nous ne pas les oublier dans notre prière et dans nos coeurs, puissions nous implorer Dieu d'envoyer son Esprit sur ces pays de la région des grands lacs d'Afrique pour qu'ils redécouvrent que seul l'Amour dont saint Paul nous parle, est le fondement de toute réconciliation. Amen.

5e dimanche ordinaire, année C

Auteur: Delavie Bruno
Temps liturgique: Temps ordinaire
Année liturgique : C
Année: 1997-1998

"Eloigne-toi de moi, car je suis un homme pécheur". C'est le cri de Pierre face à un phénomène qui le dépasse : l'abondance de la pêche. Il exprime ainsi sa prise de conscience de ses propres limites !

Il s'y connaissait pourtant en matière de capture de poissons. Un vrai technicien. Au courant de toutes les ficelles du métier. La barque d'ailleurs lui appartenait. Il avait pour ainsi dire pris la tête de la petite entreprise, associé qu'il était avec Zebédée et ses fils. Dans la vie des pêcheurs, il y avait de temps en temps des moments de malchance. Ainsi, la nuit précédente, malgré leurs savoirs et leurs astuces, il n'avaient rien pris. Et voici qu'aujourd'hui, avec le maître le poisson afflue. Les filets sont prêts à se déchirer tellement il y en a !

Alors, Pierre prend conscience qu'il est "dépassé". Malgré tout son savoir, malgré toute sa technique, il se sent tout à coup un pauvre homme, "limité". Il mesure la distance qui le sépare de Jésus , lui criant : "Eloigne-toi de moi, je ne suis qu'un pécheur". Ses compagnon autant que lui-même font l'expérience de la finitude de l'être humain. Aussi l'effroi les avait saisi. Tous se sentaient tout petits, face à ce qui arrive !

Nous trouvons un écho de cet effroi qu'éprouve tout être humain, si malin soit-il, devant l'extraordinaire qui lui échoit dans la description de la vison d'Isaïe dans le Temple. "Malheur à moi, s'écrie le prophète, je suis un homme aux lèvres impures et j'habite au milieu d'un peuple aux lèvres impures". Quand l'homme prend conscience de sa finitude, devant la grandeur de Dieu ou la beauté de l'univers, devant l'immensité des espaces et des galaxies que la science aujourd'hui découvre, devant la complexité des êtres, même les plus petits, il éprouve une sorte de vertige ! Qui suis-je ? Si non, un être imparfait, limité dans l'espace - je ne puis être à la fois en Europe et dans le Nouveau Monde-, limité dans le temps- le nombre de mes années peut être de quatre-vingt, nonante tout au plus - perdu dans la foule des êtres et des générations qui ont précédés et de celles plus nombreuses encore qui pourraient venir, un être imparfait, qui certes peut beaucoup mais ne peut pas tout.

Cette finitude de l'être humain me semble très bien exprimée dans les premiers récits du livre de la Genèse. Les premiers chapitres ne sont pas une relation historique des origines du monde, tel que l'entendrait le concept moderne de l'Histoire : relation précise de ce qui s'est exactement passé autre fois. Ce sont plutôt des récits mythiques, mais qui nous révèlent une réalité humaine profonde, présente dans l'homme depuis ses origines, au coeur même de ce qu'il est. Ainsi, au second chapitre de la Genèse, nous découvrons cette mise en scène où Dieu, ayant formé l'humain, Adam, avec la glaise du sol et lui ayant insufflé le souffle, la vie, se met à réfléchir. Le texte emploie la première personne du pluriel, comme si Dieu n'était pas seul et qu'il parla avec quelqu'un : "Il n'est pas bon, dit-il que l'homme soit seul. faisons lui une aide semblable à lui" . Ayant plongé l'homme dans un sommeil, il tira de lui un vis à vis ; la femme, Eve, autre être humain, différend mais complémentaire."Homme et femme, il les créa" nous dit l'auteur sacré.

Ce récit, quelque peu imagé, exprime une réalité profonde : l'être humain, seul, est limité, imparfait. Pour grandir, il a besoin d'un autre, des autres. Il a besoin de l'autre sexe d'abord, mais aussi de tous les autres qui viennent par lui à l'existence. Au plus profond de l'humanité est inscrite la différence entre les humains, présentée comme une richesse et une complémentarité. Chacun étant un être fini, à la puissance limitée, a besoin d'un autre, des autres pour grandir et progresser ! Le drame, qui deviendra faute et péché, serait de penser qu'on est seul, qu'on peut se passer des autres et qu'il est intéressant d'accaparer la place, toute la place, pour soi tout seul, au besoin en éliminant le partenaire

Nous avons besoin des différences, celles des sexes d'abord, celles des générations, celle des races, des nations, des cultures. Il faut le vivre comme une grande richesse, en acceptant que notre faiblesse soit comblée par la présence des autres et même du Tout Autre. Il n'y aurait pas de relation entre nous si nous étions parfaits. C'est notre pauvreté qui est comblée par les ressources des autres et nos propres valeurs remplissent leurs manques. Ainsi toute rencontre de celui qui est différend de moi peut être enrichissante.

Quand, dans le Temple de Jérusalem, Dieu demande à Isaïe "Qui enverrai-je ? cette question suppose un envoi du prophète vers des gens différents, qui attendent le message de Dieu ! Et lorsque Jésus dit à Pierre : "Sois sans crainte. Désormais ce sont des hommes que tu prendras", cela signifie : n'ait jamais peur de la différence. Considère les autres comme pouvant t'apporter ce que tu n'as pas.

Mais que veut dire alors l'expression "pécheurs d'homme" ? Il faut savoir que pour les juifs, et peut-être encore pour les premiers chrétiens de la communauté lucannienne, l'eau, et surtout le lac et la mer sont comme l'habitacle de Satan et des forces opposées à Dieu. Le signe de la pèche extraordinaire provoquée par Jésus, est une manière de dire à Pierre - et à travers lui à tout chrétien - qu'il a mission de tirer les hommes en dehors de ces eaux, de les libérer du mal et surtout de cette violence qu'engendre le désir de vouloir tout pour soi, en écrasant les autres. Dans cette lutte incessante, seul, le chrétien ne peut rien. Comme Pierre, il peinera toute la nuit sans rien prendre. Mais ensemble, avec les autres et avec le Seigneur, tout est possible. Et pour le montrer Luc ne craint pas d'annoncer l'efficacité collective par une accumulation d'images : il y a une quantité exceptionnelle de poissons, les filets se déchirent, les barques s'enfoncent. Etre pécheurs d'hommes, c'est donc participer ensemble à cette entreprise de sauvetage.

Que conclure, sinon que Dieu n'attend pas que nous soyons parfaits pour nous confier ses projets de bonheur pour l'humanité. Il travaille d'ailleurs avec nous, à partir de ce que nous sommes, des êtres limités. Il nous accepte et nous aime avec nos limites. Isaïe se sentait faible quand Dieu l'appelle. Paul avait persécuté l'Eglise quand le Seigneur en fait l'apôtre des nations. Pierre s'est dit pécheur et, en effet, plus tard il a renié. Notre expérience personnelle autant que nos réflexions sur nos conditions d'existence nous font comprendre nos limites, nos imperfections et nos échecs. Malgré cela Dieu nous appelle tous, tous différents, mais tous complémentaires. Cela me fait penser à la petite chanson qu'apprenait autrefois à ses élèves une institutrice d'école primaire : "Seul, on ne peut rien. A deux, c'est déjà mieux. A cent, c'est plus plaisant. A mille, c'est plus facile. Alors, viens !"

6e dimanche ordinaire, année C

Auteur: Cochinaux Philippe
Temps liturgique: Temps ordinaire
Année liturgique : C
Année: 1997-1998

Vous avez compris quelque chose à cet évangile ? Tous ces uns. Pour vous, je les reprends et ça me paraît bien compliqué. Qu'ils soient un, comme toi tu es en moi et moi en toi. Qu'ils soient un en nous, comme nous sommes un : moi en eux et toi en moi. Et que moi aussi je sois en eux. Au premier abord, tout cela paraît bien malsain, comme si on se modelait l'un dans l'autre, une fusion parfaite au risque de nier notre propre individualité au nom de cette unité entre le Père et le Fils. Unité, unité au risque de se perdre, sommes-nous en droit de nous demander.

Mais de quelle unité s'agit-il donc ? Je ne pense pas qu'il s'agisse d'une unité d'organisation, une unité d'Eglise, comme certains l'ont prétendu. Cette unité-là n'existe pas. Nous n'organiserons jamais nos églises de la même façon. J'en ai pour preuve la manière de prier : chacune et chacun vit sa rencontre intime avec Dieu à partir de sa propre histoire. Une relation s'établit entre Dieu qu'il soit Père, Fils ou Esprit, valeur de vie, Absolu. Chacun le définit à partir de ce qu'il en pressent. Je crois même pouvoir affirmer qu'au sein de notre propre assemblée, nous ne croyons pas tous les mêmes choses. Notre perception de Dieu est fonction de ce que nous avons reçu de Dieu lui-même et des lieux où notre foi a grandi. Il en va de même de nos célébrations, celles-ci sont influencées par les lieux, les groupes de préparation, les célébrants, la manière de chanter. Et pourtant ce soir, malgré toutes ces différences qui nous éloigne d'une certaine forme d'unité nous sommes là pour vivre de cette rencontre divine. Sans doute parce que l'unité dont le Christ nous parle dans l'évangile est une unité qui transcende, dépasse toutes ces différences pour rejoindre chacune et chacun dans une relation d'amour entendue au sens de respect, d'autonomie laissée à l'autre pour se réaliser.

Il me semble qu'ici nous nous situons donc au coeur de l'unité de relation personnelle. Nous sommes donc bien loin d'une quelconque idée de fusion idyllique qui emprisonne, voire même étouffe. Non le Christ Ressuscité nous convie à établir entre nous des relations d'amour puisque dans sa propre prière il demande au Père : pour qu'ils aient en eux l'amour dont tu m'as aimé. Et l'amour, comme le rappelle Christian Bobin, dans notre deuxième lecture, est manque bien plus que plénitude. Mieux encore, l'amour est plénitude du manque, une chose incompréhensible. Mais ce qui est impossible à comprendre est pourtant tellement simple à vivre, conclut-il.

Simple à vivre, vite dit, surtout lorsque nous lisons l'histoire de l'humanité, notre humanité. Nous sommes confrontés à un certain danger qui risque de tout faire basculer, celui d'aimer plus nos organisations et structures d'Eglise, nos crédos, nos rites, que de nous aimer l'un l'autre. Nous nous enfermons alors en nous-mêmes dans des barrières, importantes peut-être, mais qui ne conduisent pas à la vie, puisque son fondement n'en est plus au coeur. Une organisation, un crédo, un rite sans amour est quelque chose qui petit à petit se dessèche et meurt. Seul l'amour fait vivre et donne vie. Et pourtant, il nous fait peur cet amour et alors nous nous mettons à fuir et nous nous contentons de ce que les journaux, la radio et la télé nous crient chaque jour, c'est-à-dire que des hommes et des femmes tuent, humilient, torturent. Nous nous réjouissons du malheur des autres mais sans le faire nôtre. Et nous voilà partis dans la spirale des cancans et des ragots que nous parviendrons toujours à justifier par un soi disant souci de l'autre, n'oublions pas, nous sommes des êtres intelligents et que nous sommes les rois et les reines des excuses faciles. Mais le ragot est tellement loin de l'amour. Comme si le malheur de l'autre nous rassurait ; par lui nous nous mitonnons notre petit coin de bonheur. Cette dynamique nous conduit à dire : « aimons-nous, comme on s'aime dans le monde de Dieu ». Cependant, l'évangile nous invite à nous aimer comme Dieu nous aime. Là est toute la différence. Et c'est si simple à réaliser. Plutôt que de nous contenter du malheur des autres ou de s'en apitoyer, pourquoi ne pas commencer à nous émerveiller à nouveau devant des simples gestes de la vie véhiculé par l'amour, des actes de tendresse et d'amitié, des solidarités. Nos vies en sont parsemées. Prenons le temps de nous tourner vers tout ce qui se fonde sur l'amour et alors se réalisera la prière de Jésus : « qu'ils soient un comme nous sommes un ».

Amen.

6e dimanche ordinaire, année C

Auteur: Cochinaux Philippe
Temps liturgique: Temps ordinaire
Année liturgique : C
Année: 1997-1998

A force de les avoir tellement entendues, ces béatitudes, nous pourrions être pris par ce sentiment où nous avons l'impression que tout a déjà été dit, qu'il n'y a plus rien à ajouter, comme si elles avaient au cours des années été galvaudées. Cependant, croire que nous les possédons à ce point, risque de nous en faire oublier le caractère particulièrement révolutionnaire.

Les béatitudes sont un chemin de bonheur proposé ; elles nous sont données comme des éclairs au milieu d'une tempête, notre tempête. Elles bousculent, surprennent, déconcertent, et font voler en mille morceaux nos idées bien établies. (Comme si, faisait remarquer un de ceux qui a préparé cette eucharistie, Jésus avait bu un petit verre en trop avant de les dire. Ivre de vin, non, ivre de vie, certainement.) Elles sont la réponse du Christ aux dix commandements, ces lois anciennes qui donnaient déjà un chemin possible de bonheur. Mais à la différence de ces dernières, les béatitudes ne s'enferment pas dans des prescrits de lois énonçant ce qu'il y a lieu de faire. Non, les « heureux » et « malheureux » de l'évangile de ce matin (soir) sont non des normes mais des défis lancés à chacune et chacun d'entre nous dans la quiétude de nos vies et que nous sommes appelés à relever.

Le défi du Christ, dans notre quête incessante de bonheur est de nous inviter à voir si nous souhaitons investir dans le court ou le long terme. Il nous rappelle que, même si sur terre, le tout, tout de suite est une valeur ; cette immédiateté fait hélas de nous des êtres déjà consolés et repus, pour reprendre les termes de Jésus. Or, le bonheur n'est jamais un état atteint, il se projettera toujours dans un avenir. En effet, l'amitié, l'amour prennent du temps, le temps de se construire peu à peu, au hasard des rencontres. Leur objectif n'est jamais comblé, sinon la relation se meurt. Fort de ce constat, pour être heureux à long terme, il y a alors lieu d'oser vivre l'expérience du manque, du vide. C'est à partir de ce dernier que l'existence surgit, qu'une relation plus libre à l'autre et à Dieu peut se réaliser. « Si je suis vide de tout, c'est afin de pouvoir mieux vous attendre » dit Don Camille dans le Soulier de Satin de Paul Claudel. Telle est l'expérience de la pauvreté, de la nudité de l'esprit.

La béatitude devient ainsi un défi au détachement. L'autre, l'être aimé ou Dieu ne peut se donner que si le coeur s'est préparé, dilaté en quelque sorte, pour l'accueillir. N'est-il pas vrai que bien souvent nous ne recevons de l'autre que ce que nous sommes nous-mêmes capables de recevoir. Et pour recevoir, il faut qu'il y ait un espace en nous. Si nous sommes comblés, rassasiés, repus, il n'y a pas de rencontre possible. La faim, l'attente sont des flèches qui nous propulsent dans un avenir où nous espérons que le bonheur se conjuguera toujours au pluriel.

« Fais-toi capacité, je me ferai torrent » entendait Thérèse d'Avila. Avoir soif d'amour, avoir soif de Dieu, voilà le défi des « heureux êtes-vous » de ce matin (soir). Ne jamais se sentir combler pour pouvoir partir à la quête d'un plus et d'un mieux à toujours découvrir et partager. Le merveilleux des béatitudes, c'est qu'elles nous font ressentir que le vide est ce temps nécessaire pour vivre d'un désir de tendresse. Alors effectivement, le Christ a raison d'insister sur les « malheureux êtes-vous ». Non pas pour nous culpabiliser, mais plutôt pour nous faire découvrir que certaines valeurs et attitudes de notre monde, si elles sont vécues de manière égoïstes ou extrêmes empêchent tout naturellement qu'une véritable relation puisse s'établir soit entre nous, soit avec Dieu. Etre, de suite comblé, c'est passé à côté des mille beaux côtés de la vie ; c'est s'enfermer dans une solitude toute nourrie de son confort ; c'est à long terme, perdre le goût de l'existence. Heureux sommes-nous de pouvoir relever chacune et chacun avec ce que nous sommes, ces défis de Dieu. Alors, nos choix quotidiens sont-ils vécus à court ou à long terme, nos options de vie sont-elles guidées par la philosophie des « heureux » ou celle des « malheureux », avons-nous toujours faim et soif de Dieu et des autres. N'attendez pas de moi une réponse, elle est tout simplement, tout tendrement, en vous, puisque « heureux, êtes-vous », nous chante le Christ. Amen.