16e dimanche ordinaire, année A

Auteur: Moore Gareth
Temps liturgique: Temps ordinaire
Année liturgique : A
Année: 1998-1999

 

Mt 13, 24-43

Les anges jetteront dans la fournaise tous ceux qui font le mal ; il y aura des pleurs et des grincements de dents. Mais les justes resplendiront comme le soleil.

C'est l'image d'un jugement sévère, violente, implacable, sans pitié et sans pardon. C'est une image qui nous inspire la peur, si nous la prenons au sérieux. Bref, c'est une image très peu chrétienne. Nous savons, n'est-ce pas, que Dieu n'est pas comme cela, qu'il nous aime comme un père, qu'il nous inspire de faire du bien , qu'il nous pardonne le mal que nous faisons. Comment est-ce possible que Jésus parle d'une manière qui correspond si peu à son propre enseignement ? Pourquoi veut-il faire peur à ses disciples ?

Il faut dire d'abord que ce type d'image est traditionnel dans le judaïsme de l'époque de Jésus, et ici Jésus parle bien sûr aux gens de son époque. Ce n'est pas notre langage, il faut l'avouer. Mais si nous voulons comprendre l'évangile, il ne faut pas nous bloquer sur les mots. Jésus rejette parfois le langage violent de ses contemporains, mais parfois aussi il l'emploie dans un but chrétien, et alors il l'emploie d'une manière un peu paradoxale. Je crois que c'est le cas ici.

Rappelons-nous d'autres éléments de cette parabole de l'ivraie. Bien que le maître de maison ne sème que du bon grain, de l'ivraie pousse aussi ; en le voyant, ses serviteurs proposent d'arracher l'ivraie. Bien sûr : ce sont de bons serviteurs qui savent que le projet de leur maître est d'avoir un champ de blé, et ils veulent travailler pour réaliser ce projet. Mais le maître de maison les empêche en leur disant d'attendre la moisson. Le projet du maître est plus compliqué que les serviteurs ne croyaient ; maintenant, pour obéir au maître, il leur faut ne rien faire ; ils doivent simplement laisser le champ tel qu'il est. Nous pouvons voir derrière ce dialogue un problème qui se soulève dans l'Eglise primitive, peut-être parmi les premiers disciples de Jésus. Jésus sème la parole de Dieu, il fonde la communauté des disciples, l'Église primitive, qui va croître jusqu'à ce qu'elle inclue tous ceux qui font le bien, les justes, tous les enfants de Dieu. Mais les serviteurs de Jésus, ceux qui sont chargés de guider les communautés chrétiennes, voient qu'il y a dans ces communautés de mauvais disciples, ceux qui, tout en se déclarant chrétiens, ne suivent pas vraiment l'enseignement de Jésus ; ils font toujours le mal. L'Église devrait être le commencement du royaume de Dieu, une société juste, une communauté des justes, des bons, des purs, des enfants de Dieu, mais maintenant elle est rendue impure par la présence de ces méchants, elle ne correspond plus au projet de Jésus. Il faut donc arracher l'ivraie, il faut expulser les faux disciples pour que l'Église soit purifiée, pour qu'elle redevienne une communauté digne de Dieu, la communauté des parfaits que Dieu veut.

Et Jésus répond : non, ce n'est pas à vous de séparer les justes des injustes, les bons des méchants, les purs des impurs, les vrais des faux disciples. Ce n'est pas à vous de juger. Le jugement n'est pas votre affaire, ce sera l'affaire des anges, à la fin du monde. À vous d'accepter la communauté chrétienne telle qu'elle est, l'ivraie avec le bon grain. Ne rejetez personne, n'expulsez personne. Vivez en paix avec ceux qui, à votre avis, font le mal. C'est-à-dire, s'il y a ceux qui sont loin d'être parfaits, pardonnez leur leur imperfection. En effet, l'Église n'est pas faite pour être une communauté des parfaits, mais pour être une communauté dans laquelle les fautes, les imperfections, sont pardonnées. Ne vous occupez pas de savoir si les autres sont purs, s'ils sont dignes d'être membres du royaume de Dieu. Ne vous occupez même pas de savoir si vous êtes dignes d'en être membres. Mais, si vous voulez en être membres, apprenez à acceptez les autres, à pardonner. Si vous ne pardonnez pas, telles que soient vos perfections et vos vertus, vous n'êtes pas dignes du royaume. Si vous voulez arracher l'ivraie, vous trouverez que vous êtes de l'ivraie. (C'est pour cette raison que Jésus critique souvent les pharisiens ; c'étaient des hommes pleins de vertu, mais ils ne toléraient pas les défauts des autres ; en cultivant la perfection, ils oublient l'essentiel.)

Si Jésus parle d'un jugement brutal qui viendra à la fin du monde, ce n'est donc pas pour faire peur aux gens ; c'est plutôt pour dire aux disciples qui veulent juger brutalement de ne pas juger ; ce n'est pas leur affaire, quelqu'un d'autre s'occupera de tout cela, et pas maintenant. Maintenant, les disciples ne doivent même pas songer à juger. En effet, si nous jugeons les autres, nous montrons que nous avons mal compris l'appel de Jésus ; si nous nous jugeons nous-mêmes, nous avons mal compris l'évangile. Certes, nous sommes appelés à la perfection - Jésus nous dit ailleurs "Soyez parfaits, comme votre Père céleste est parfait" (Mt 5:48) - mais la base de toute perfection chrétienne, de toute vraie perfection, est le pardon de l'imperfection.

1er dimanche de Carême, année A

Auteur: Cochinaux Philippe
Temps liturgique: Temps du Carême
Année liturgique : A
Année: 1998-1999

Satan ou Serpent ? Démon ou Ange déçu ? Tentateur réel ou fruit d'une illusion personnelle ou collective ? Je n'en sais trop rien. En tout cas ce qui me paraît clair dans les deux récits bibliques où il intervient, c'est qu'il est ennuyeux, voire même répétitif. Quel manque d'imagination, quelle pauvreté créative, de quoi presque pleurer face à une telle médiocrité et j'en arrive presque à avoir pitié de lui. Non pas une pitié de compassion mais une pitié avec un brin de mépris. Vous me direz, c'est mal de penser comme cela surtout en carême. Je vous répondrais, vous avez sans doute raison, mais le dimanche comme ce n'est pas carême laissez-moi en profiter un peu.

Qu'il existe ou non, je vous le disais, je n'en sais trop rien, et je dirais même que personnellement je n'y crois pas trop. Mais au-delà de sa propre réalité, ce qui reste effrayant c'est que ce qu'il représente reste hélas, toujours et encore, trop bien présent dans nos vies : le désir de dominer, le désir de maîtriser, voire même le désir d'écraser l'autre pour mieux exister. Dans le récit évangélique, le Tentateur propose par trois fois des occasions de maîtrise : changer les pierres en pain, tenter Dieu pour qu'il sauve et encore, recevoir tous les royaumes du monde avec leur gloire. En éprouvant de la sorte Jésus, il ne fait que répéter l'histoire d'Adam et Eve dans le récit de la Genèse. Ces derniers vont goûter du fruit de l'arbre pour devenir comme Dieu, pensaient-ils. C'est-à-dire avoir ainsi la connaissance totale de l'autre, la connaissance totale du Tout Autre en devenant son égal puisque Dieu sait tout, Dieu connaît tout, Dieu domine tout, pensaient-ils naïvement. Désir de dominer et voilà qu'à l'instant même où ce désir précis se réalise, ils découvrent qu'ils sont nus. Dans ce récit, comme dans la vie d'ailleurs, entre personne qui se connaissent, le partage de la nudité est signe de confiance. Si je suis nu, face à toi, je me montre tel que je suis, je n'ai plus rien à cacher, à te cacher. Je deviens profondément vulnérable face à toi. Et pourtant ma nudité ne m'effraye pas, ne m'angoisse pas, car je sais au fond de moi, que tu me respectes, que tu m'aimes. En toi, j'ai mis ma confiance, je te l'ai donnée car je sais que tu n'en abuseras pas. Tu laisses entre nous l'espace nécessaire pour que l'un et l'autre nous puissions exister et faire vivre nos différences comme des richesses qui se complètent. Cette confiance est au coeur de notre relation et ce, qu'elle soit humaine ou divine.

Et pourtant, nous dit le récit un peu plus loin, Adam et Eve vont se cacher l'un de l'autre car la confiance s'est rompue entre eux. Comment garder confiance lorsque l'on sait que l'un et l'autre veulent se dominer pour avoir le dessus. La domination, la maîtrise vont tuer la relation. Cette dernière ne peut se vivre et grandir que dans l'abandon réciproque né d'une confiance mutuelle et inaltérable. Si je te domine car je crois que j'existe mieux, que je suis vraiment quelqu'un, un jour je découvrirai dans ma solitude intérieure que je ne suis qu'objet d'admiration. Par contre, si j'accepte de m'abandonner et de faire le pari de la confiance, un jour je découvrirai, tout autant dans ma solitude intérieure que je suis un sujet d'amour. La domination tue la relation, l'abandon l'a fait vivre. C'est ce que l'histoire tant de la Genèse que de l'évangile tente de nous démontrer. Le Dieu de la Genèse n'est pas un Dieu de la maîtrise, le Jésus de l'évangile n'est pas un Dieu de domination. Et pourtant, croyons-nous ils sont tous deux Tout puissants. Mais leur toute puissance, n'est peut-être pas cette toute puissance à laquelle nous croyons, une toute puissance de domination. Dieu qu'il soit Père ou Fils, ils sont tous deux signes d'une maîtrise maîtrisée, c'est-à-dire d'une puissance de douceur, d'une puissance de tendresse. C'est cette puissance-là, et seulement celle-là qui fait vivre et qui permet d'aimer. Que cette puissance de douceur et de tendresse nous accompagne tout au long de ce carême.

Amen.

21e dimanche ordinaire, année A

Auteur: Cochinaux Philippe
Temps liturgique: Temps ordinaire
Année liturgique : A
Année: 1998-1999

Etonnant cette petite crise d'identité dans le chef de Jésus. On pourrait presque imaginer que cette scène se passe au cours de son adolescence comme s'il était un peu incertain sur lui-même ; un besoin de savoir ce que les autres pensent de lui pour pouvoir se construire et se situer dans son propre monde. Le Christ savait que ses jours étaient comptés. Avait-il réussi sa mission ? Allait-on l'oublier aussi vite après sa mort ou quelque chose resterait finalement de lui après les événements dramatiques auxquels il allait être confrontés ? Tant de questions pour un seul homme. Et nous pouvons comprendre qu'une petite crise d'angoisse existentielle ait pu le traverser. Pourtant, pourtant ce n'est pas d'abord sur cette fameuse question que je voudrais m'arrêter quelques instants ce soir (matin) mais plutôt sur l'endroit où elle a été posée. Ce n'est sans doute pas sans raison que le Christ s'interroge de cette manière précisément dans le région de Césarée-de-Philippe. Césarée-de-Philippe, ville hautement religieuse dans sa diversité. La ville était parsemée de nombreux temples dédiés au dieu syrien Baal. Nous pouvons en dénombrer quatorze. Césarée vivait donc sous l'ombrage d'anciens dieux. Mais ces dieux syriens étaient loin d'avoir le monopole du culte et de la vénération. Dans cette ville, il y avait également une caverne dans laquelle, le dieu grec Pan, dieu de la nature vit le jour. De plus pour les juifs de l'époque, le Jourdain prenait sa source dans cette même caverne. Juifs, Grecs, Syriens avaient fait de Césarée une ville d'adoration de leurs dieux. Il ne manquait plus que les Romains, me direz-vous. Ils ne nous ont pas attendu puisque toujours dans cette ville, ils érigèrent un temple de marbre blanc en l'honneur de la divinité de César. Dès lors, je crois que nous pouvons affirmer que cet endroit choisi par le Christ pour poser ses fameuses questions est loin d'être neutre. Voilà un homme, un sans logis, un sans le sous, un charpentier de Galilée entouré de douze hommes très simples, dans un endroit littéralement submergés de temples syriens, grecs, romains, dans un lieu plein de sens pour les juifs également ; voilà cet homme qui demande à ceux qui l'accompagnent « Le Fils de l'homme, qui est-il d'après ce que disent les hommes ? » Le Christ reprend à son compte cette dynamique de communication. D'abord savoir ce que l'autre dit sur lui. C'est vrai même pour nous, il est tellement plus facile de parler sur l'autre plutôt que de parler à l'autre. Parle sur l'autre, parler de l'autre n'apporte pas grand chose, c'est pourquoi Jésus se tourne vers ses disciples pour leur demander : « Et vous, que dites-vous ? Pour vous, qui suis-je ? ». Cette histoire s'est passée, il y a bientôt deux mille ans. C'était bien loin d'ici. Les lieux ont changé et il en va de même pour les dieux. Ces derniers sont aujourd'hui différents mais tout aussi présents. Nos dieux contemporains sont peut être plus matériel, leur soi-disant bonheur est immédiat. Ils sont en tout cas plus palpables, plus réels. Mais comme les faux-dieux d'hier, ils risquent de nous enfermer dans une spirale qui va nous éloigner de nous-mêmes, nous enlever de notre raison d'être. C'est sans doute pourquoi ce soir (matin) encore, cet évangile s'adresse à chacune et chacun d'entre nous dans le silence de nos coeurs. Un peu comme si le Christ nous susurrait : « je n'attends pas de vous une connaissance intellectuelle sur moi ; il n'y a pas lieu de lire des livres sur ma vie, sur qui je suis ; je vous demande juste une petite chose : me connaître, c'est-à-dire entrer en relation avec moi. Rien de plus ». Cette relation se vivra de diverses manières, en fonction de chacune de nos histoires personnelles. Elle sera directe, régulière pour certains ; elle passera par l'amour et l'amitié pour d'autre. Chacune et chacun nous avons notre chemin de rencontre avec Jésus. Il n'y a pas de recette. Il n'y a pas de chemin tout tracé. Puisqu'il s'agit avec tout d'une rencontre, d'une relation, voire même d'un amour, c'est à nous de trouver notre manière de connaître le Christ. Epris de ce désir, de cette soif de connaissance, nous aussi nous pourrons dire : « oui, tu es le Messie, le Fils du Dieu vivant ». Amen

23e dimanche ordinaire, année A

Auteur: Dianda Jean-Baptiste
Temps liturgique: Temps ordinaire
Année liturgique : A
Année: 1998-1999

Frères et s½urs, Dans la vie de tous les jours, dans notre société, nous proclamons haut et fort que « chacun est responsable de ses choix et ne peut s'en prendre qu'à lui-même des conséquences qui en résultent. » Il s'agit là de la consécration de la responsabilité individuelle dictée par le respect de la liberté et de la dignité de la personne humaine. La vie privé est sacrée ! Et pourtant, dans notre société, la loi condamne aussi la non-assistance à personne en danger de mort ;comme pour rappeler que la responsabilité individuelle a ses limites, et que, quelque part, nous sommes responsables les uns des autres -malgré tout ! A travers les lectures qui nous sont proposées dans la liturgie de ce dimanche, nous pouvons déceler une constante : « l'indifférence peut devenir fatal. » En effet, ces lectures montrent comment nous comporter envers des frères et s½urs qui ont notoirement commis un péché (Mt.18,15-ss). Elles montrent aussi que « l'accomplissement parfait de la loi c'est la charité », un devoir (dette) avec lequel on n'est jamais quitte(Rm.13,8-ss).Impossible , dès lors, d'abandonner les pécheurs à leur sort. La charité à leur égard demande qu'on s'efforce de les amener à s'amender. Voilà ce que certains appellent le devoir de « correction fraternelle » lequel exige doigté et humilité, car il ne s'agit pas de juger ni de condamner des coupables. Matthieu est très sensible au problème de l'exclusion puisque son principal souci est de rassembler en communauté fraternelle. Il propose donc une solution progressive en trois étapes : 1 .Un accord à l'amiable, mais cela ne marche pas toujours. 2. Prendre deux ou trois personnes comme témoins. 3. L'intervention de la communauté et éventuellement une « excommunication ». Cette procédure relève de la consigne de la correction fraternelle et du bon sens :ne brûlez pas d'étapes. Pour Matthieu, il est important de « parler à son frère » et « non de son frère ». Peut-être le faisons-nous trop peu ? Et ne serait-ce pas alors le signe d'un manque d'intérêt ? L'enjeu de toute cette procédure reste, pour Matthieu, de ne pas perdre quelqu'un, d'avoir une assemblée fraternelle. En Afrique nous parlons de l'arbre à palabre où tout se discute autour d'une calebasse (une espèce de cruche) de vin de palme(ou tout autre vin local)jusqu'à ce qu'une solution de paix ,de réconciliation soit trouvée. Voici une petite histoire que j'ai trouvée dans le livre des « sentences des pères du désert, n ?352, Solesmes, 1966, pp.251-ss. » « Deux anciens vécurent ensemble bien des années, et jamais ils ne se disputèrent. Aussi, l'un dit à l'autre : « si nous nous disputions une fois comme tout le monde ? » Son frère lui répondit : « je ne sais pas comment on fait pour se disputer ». L'autre dit : « voici : je pose une brique entre nous. Mais je dis :elle est à moi. Et toi ,tu dis :non, c'est la mienne ! C'est comme cela qu'une dispute commence ». Il posèrent la brique entre eux. L'un d'eux dit : « elle est à moi ». L'autre dit : « non, elle est à moi ». Le premier reprit : « oui, elle est à toi ; prends-la et va -t-en ». Et ils se séparèrent sans pouvoir se disputer. » Frères et s½urs, Pour terminer, permettez-moi de partager avec vous les réflexions de l'abbé Pierre dans son livre « Fraternité »,Paris,Fayard,1999,pp.85-88. « Nous sommes tous constamment confrontés à choisir entre deux chemins, deux sortes d'engagement, deux manières d'être...Ces deux voies sont très claires : « moi sans les autres ou moi avec les autres ... ». Personnellement, c'est vers l'âge de sept ans que j'ai pris conscience de l'existence des choix à travers un petit événement tout simple. J'avais volé de la confiture et laissé accuser un de mes frères. Mes parents s'en étant aperçus, ils me punirent en m'interdisant d'aller à une fête chez des cousins .Le soir, mes frères et s½urs rentrent tout joyeux et me racontent les jeux merveilleux qu'ils ont faits. Imperturbable, je leur réponds : « qu'est-ce que vous voulez que ça me fasse puisque je n'y étais pas ? » Mon père a entendu ma réflexion. Il me fait venir dans son bureau et me dit avec douceur et tristesse : « Henri, comment ne vois-tu pas combien ce que tu as dit à ton frère est affreux ? Alors il n'y a que toi qui compte ? » Ce fut un choc terrible .Je compris que je pouvais me replier sur moi-même, me suffire à moi-même, ou au contraire, m'ouvrir aux autres, participer à leurs joies et à leurs peines. Tout homme un peu attentif à ce qui est au-dedans de lui voit bien qu'il est traversé par deux mouvements :l'idolâtrie de soi- moi, moi, moi, mon enrichissement, ma réussite, ma carrière, et que les autres se débrouillent- et puis la générosité, le partage, l'amour. Mais aimer, qu'est-ce que c'est ? Aimer, c'est être plus hors de soi. L'amour, c'est la sortie de soi...Je suis intimement convaincu que ce qu'on appelle ,dans l'imagerie populaire chrétienne, l' « enfer » et le « paradis », ne sont que le prolongement dans l'au-delà de ces deux voies que nous aurons choisi de suivre sur Terre. Au contraire de Sartre qui disait « l'enfer c'est les autres », je dirais « l'enfer c'est soi-même coupé des autres ». C'est se contempler éternellement le nombril. C'est être l'idolâtre de soi .A l'inverse, le paradis c'est être relié aux autres. C'est la joie du partage, de l'échange, de communion. »

23e dimanche ordinaire, année A

Auteur: Cochinaux Philippe
Temps liturgique: Temps ordinaire
Année liturgique : A
Année: 1998-1999

Cela fait des années qu'ils se connaissaient et ils avaient décidé d'unir leurs destinées. Elle était vraiment aux anges et lui semblait relativement heureux d'avoir pris une telle décision. Ils avaient chacun choisi de nombreux témoins. Un peu comme s'ils voulaient noyer le poisson dans l'eau. Plus ils sont nombreux, moins il y aura de chance de se faire interpeller. Ses amis à lui, même sa famille proche redoutaient cet événement. Ils parlaient ensemble très souvent de lui. Il était presque devenu leur unique sujet de conversation au fur et à mesure que le plus beau jour arrivait. Ils parlaient de lui mais jamais à lui. Pas un n'avait le courage de l'affronter alors qu'ils avaient tous l'impression qu'il allait à la catastrophe. Il avait tellement changé depuis qu'il la connaissait. Il ne voyait plus personne. C'était trop fusionnel pour qu'il puisse vraiment respirer. Et ils se lamentaient de plus belle sur cette vie gâchée. Il fallait lui parler, il faudrait lui parler. Mais personne n'osait. Quand quelques années plus tard, ils se sont séparés malgré leurs enfants : famille et amis ont vivement regretté de s'être tu.

Qui d'entre nous, d'une manière ou une autre, ne se reconnaît pas dans cette histoire ? Combien de fois dans nos vies, des pensées, des intuitions nous traversent et nous n'avons pas le courage et la franchise de le dire à la personne concernée. Et pourtant les paroles du Christ ce soir (matin) sont limpides : « si ton frère a commis un péché ». Ca vaut aussi pour les soeurs, vous n'y échapper pas mesdames. Si ton frère a commis un péché c'est-à-dire si ton frère a fait ou va faire quelque chose qui va à l'encontre de lui-même, qui l'empêche d'advenir, de devenir ce à quoi il est appelé, va lui parler seul à seul. Un péché, c'est donc tout obstacle qui entrave notre épanouissement, tout acte qui nous dévie du chemin qui conduit au bonheur. Ces actes parsèment nos vies et ralentissent notre réalisation personnelle. Si tu vois que ton frère, ta soeur trébuche ne convoque pas une réunion pour discuter, parler de ce qu'il ou elle a fait mais prends ton courage à deux mains et va lui parler seul à seul. « Seul à seul », c'est-à-dire tout en finesse, tout en tendresse. Dans cette rencontre, nous ne sommes pas là pour juger, voire condamner mais pour aider un être aimé à se relever. Un peu comme si nous lui disions, presqu'en s'excusant : « ce que tu vis, je ne peux pas rester indifférent. Ne te formalise pas de la manière maladroite dont je vais te parler, entends seulement mon souci de toi, je t'aime ». Parler « seul à seul » tel que le Christ nous le demande, c'est être capable de se rencontrer tout en tendresse. Nos mots, si durs soient-ils sont portés par l'amour que nous avons pour l'autre, par notre désir profond de ne plus le voir tomber. Oser parler en vérité est une des nombreuses manifestations de l'amitié. Cela n'est pas aisé. Nous avons peur de nous tromper, de blesser la personne aimée. C'est vrai nous sommes suffisamment intelligent pour trouver toutes les excuses qui nous permettront d'éviter une telle confrontation. Mais ça, c'est tout à fait contraire à l'évangile de ce jour. Aimer, c'est aussi aider l'autre à avancer sur le chemin de sa destinée. Et ce, quel qu'en soit le prix à payer ! Cela risque effectivement de nous coûter.

Mais quelle récompense si nous y parvenons. En effet, nous dit Jésus : « s'il t'écoute, tu auras gagné ton frère ». Qu'est-ce à dire : gagner son frère ? Gagner, verbe devenu presque indécent parce souvent il suppose le fait d'écraser l'autre pour y arriver. Dans l'exemple du Christ, le combat est avec soi-même. Il n'est au détriment de personne d'autre. Je dois donc tout faire pour y arriver. Mais c'est vrai que pour gagner, il faut d'abord se battre. Et cela fait parfois mal, si mal. Cependant, si l'être aimé sort victorieux de cette lutte avec lui-même, il n'aura pas gagné une médaille ; il se sera gagné. Il deviendra un peu plus lui-même. Si c'est cela que nous pouvons espérer, cela ne vaut-il pas vraiment pas la peine d'aller lui parler seul à seul pour le gagner ?

Amen.

25e dimanche ordinaire, année A

Auteur: Dianda Jean-Baptiste
Temps liturgique: Temps ordinaire
Année liturgique : A
Année: 1998-1999

 

 

Mt 20, 1-16a

Frères et S½urs,

Il y a quelques années, j'ai assisté à un débat houleux sur la manière de réduire de façon drastique le chômage. A l'époque la thèse controversée était la suivante : il faut « partager le travail et le revenu ». Pour le tenant de cette thèse « les richesses mondiales étant limitées, et la population mondiale ne cessant pas de croître, le jour viendra où il sera non seulement nécessaire de redistribuer les richesses mais aussi d'accepter une diminution globale du travail et de s revenus qui l'accompagnent,... » Selon ce prophète, le temps de plein emploi est révolu et avec lui les meilleurs salaires, la véritable révolution planétaire à laquelle nous devons nous préparer c'est le partage de travail c'est-à-dire « travailler moins et avoir plus de temps pour d'autres occupations, et aussi gagner moins d'argent et donc apprendre à moins consommer ». La réaction fut immédiate. Il a été sifflé, copieusement hué car il passait pour l'ennemi du monde ouvrier. Mais depuis les choses ont changé. Aujourd'hui, ce sont les syndicats eux-mêmes qui demandent à rencontrer le patronat et l'Etat pour trouver, en concertation les solutions les moins inhumaines pour le partage de travail.(cfr . tout le débat sur les 35 heures) C'est dire que ce débat reste d'actualité.

L'évangile de ce dimanche semble évoquer, comme en écho, toutes ces situations autour de chômage et emploi par des images et cadre imaginés par Jésus pour décrire le Royaume des cieux.

En effet, cette parabole des ouvriers de la dernière heure semble se situer au temps des vendanges. « Le propriétaire de la vigne prend des ouvriers où il les trouve. Les gens arrivent à toute les heures de la journée. Un contrat s'effectue avec les premiers. » Les suivants sont envoyés au « boulot » avec la garantie d'un salaire juste ; mais sans contrat clair. Avec les derniers, un dialogue s'enclenche avant de les recruter. Eux , non plus , ils ne signent de contrat précis. Ce qui est clair ,c'est que le Seigneur embauche » : « allez ,vous aussi à ma vigne » dit-il !

Comme dans d'autres passages de son évangile, Matthieu partage à nouveau sa principale préoccupation qui est de rassembler. Il s'agit d'embaucher largement, quelle que soit l'heure, pour que la vendange soit réussie. Le coup de théâtre intervient au moment du règlement des salaires : les derniers sont payés les premiers, en plus , la durée de travail n'est pas prise en compte. Le contrat de travail fait avec les ouvriers de la première heure semble être juste, puisque les ouvriers ne rouspètent pas ; dans tous les cas , ce contrat ne comporte pas une clause sur la durée et même sur le volume du travail. Maître donne à chacun la même somme. C'est alors que les problèmes commencent ! Relisons attentivement la réponse du Maître. Il dit trois choses principales :

1. « Je n'ai pas commis d'injustice envers vous ». Il s'agit du respect du contrat, le respect de la parole d'honneur. Nous admettons cette réponse, mais elle ne nous convainc pas. Il y a quelque chose qui peut nous inspirer en Afrique. Quand on voit le nombre impressionnant d'accords signés, mais sans effets, dans le règlement des nombreux conflits armés qui déchirent le continent.

2. « Ne puis-je pas faire de mon bien ce que je veux ? » Très souvent, nous lui refusons cette liberté. Nous exigeons sans le dire tout haut, le salaire d'après prestation. Heureusement les contrats modernes sont plus précis sur le volume de travail pour lequel on s'engage et le temps qu'il faut pour le réaliser.

3. « Vas-tu regarder avec un ½il mauvais parce que moi je suis bon ? » c'est la pointe de cette parabole. Dieu n'a pas agi par caprice mais par bonté. Serons-nous fâchés contre lui parce qu'il est bon ? La parabole veut nous faire comprendre combien, de ce point de vue, nous sommes mesquins et calculateurs. Et pourquoi l'attitude de Dieu fait- elle mal ? Pourquoi concluons-nous que Dieu nous aime moins ,alors que la parabole dit seulement qu'il aime les autres autant que nous ? Tous nos malheurs ne proviendraient-ils pas de ce que nous nous comparons aux autres ? « Ce qui est reproché aux ouvriers de la première heure, c'est leur jalousie et leur jugement du comportement du maître ».

Frères et s½urs,

Nous n'oublions pas qu'il s'agit d'une parabole dans la bouche de Jésus qui veut nous parler du « royaume des cieux » et donc de Dieu. Jésus ne nous parle pas de justice sociale et des conventions collectives. Cette parabole est un moyen, une image pour nous parler de la justice de Dieu, ce maître qui embauche à toute heure et rétribue chacun de la même manière. Ce maître dont la bonté est sans mesure accueille tout le monde chez lui chacun peut y trouver sa part. Ce n'est pas parce qu'on est chrétien depuis longtemps ou parce que l'on est meilleur que Dieu nous aime. Dieu nous aime avant tout ça. Il donne tout son amour à chacun.

Cette parabole se termine par une question adressée à tous, une remise en question de notre mentalité. C'est une provocation à la conversion. Comme le montre le passage du livre d'Isaie (55,6-9) : « riche en miséricorde », Dieu laisse à chacun le temps de se convertir. Il est urgent de mettre ce délai à profit pour « le chercher », « l'invoquer », « revenir » à lui, « abandonner » la voie de la perversion. Ces quatre verbes indiquent qu'il ne suffit pas de prendre de bonnes résolutions . Il faut agir. La foi ne se paie pas de mots : elle doit se traduire également en actes dans la vie de chaque jour, en toutes circonstances :la liturgie de ce week-end exhorte à ne pas l'oublier. Le Seigneur embauche pour un salaire juste, viens découvrir sa bonté !

26e dimanche ordinaire, année A

Auteur: Cochinaux Philippe
Temps liturgique: Temps ordinaire
Année liturgique : A
Année: 1998-1999

En entendant l'évangile, je ne puis m'empêcher de penser à Ludivine. Comme le diraient certains, dans les termes d'aujourd'hui, Ludivine est une enroule et elle est « frappa-dingue » de mener sa vie comme elle le fait. Je traduis pour celles et ceux qui comme moi, ne sont pas habitués à ce type de langage. Ludivine est prostituée, elle est une de celles que nous ne comprenons pas, dont nous désapprouvons le métier. Un brin de condescendance et peut-être même de dégoût, voire de mépris. En tout cas un être qui est tombé bien bas, trop bas sans doute. Et pourtant, nous dit Jésus, elle nous précède dès maintenant, ici-bas dans le Royaume de Dieu. C'est quand même un peu fort de café cette affirmation de Jésus. Comme je vous l'ai déjà dit, je crois, du moins j'espère, être celui dans cette assemblée qui a eu le plus de prostitués et de prostituées dans ses bras. Pour celles et ceux qui ne me connaissent pas, c'était à New York comme aumônier et non pas comme client bien évidemment.

Même si c'était il y a quelques années déjà, leurs visages vivent en moi. Ils étaient tous tombés si bas, blessés par la vie. Et pourtant, je n'ai jamais autant senti la présence de l'Esprit que dans les rues de Manhattan la nuit. Michaël se considérait comme une sous-merde. Peu avant de mourir, nous lui avons fait prendre conscience qu'être trilingue était un atout dans la vie et il était redevenu quelqu'un à ses propres yeux. Cathy avait toujours sur elle une petite boite métallique contenant les cendres de sa maman qui l'avait abandonné à la naissance et qu'elle venait de retrouver juste trop tard. Margareth pouvait à nouveau dire « je t'aime » après tant d'années d'abus incestueux. Vance, poète et prostitué, écrivit un jour ses mots : « à quoi cela sert-il de construire des châteaux de sable, ils sont de toute façon détruits par la mer. Croire cela est faux. Ils restent à jamais graver dans la mémoire des vagues ». Enfin pour ne pas trop allonger la liste, Patrick me dit vers 4 heures du matin, alors que je ne le connaissais pas : « Père, par le simple fait de votre en présence en ce lieu, je découvre que Dieu m'aime encore. Merci ». Et puis, il s'est enfuit dans la nuit. Le point commun de tous ces jeunes dont le plus âgé avait 23 ans, c'est qu'ils sont tous morts au moment où je vous parle. Ils sont morts mais vivent dans le Royaume de Dieu. Oui, ils nous précèdent.

Ils nous précèdent parce que lorsque l'on touche de la sorte le fond de son être, il n'y a plus de place pour la suffisance, l'arrogance, la prétention. Ce que publicains et prostitués nous apprennent à nous les bien-pensants, les ingécos quoi de la première lecture et tous ceux et celles qui leur ressemblent, les nantis de la vie avec notre lot de blessures également, c'est que le Royaume de Dieu se gagne avec les fruits de l'humilité. Etre humble, contrairement à ce que notre culture nous a fait croire, ce n'est pas s'humilier, s'écraser, ne plus exister. Non pour être humble, il faut d'abord bien se connaître, s'apprécier dans ses forces et ses fragilités. L'humilité est la qualité des êtres qui s'aiment d'abord eux-mêmes. Qui s'aiment et non pas qui se suffisent. Les êtres prétentieux s'intéressent à eux et non pas aux autres. Ils se donnent l'impression de se suffire à eux-mêmes. Mais quel mensonge.

Nous sommes des êtres de relation et nous avons besoin de cette dernière pour exister, pour vivre. L'humilité est une attitude du coeur, c'est prendre conscience de notre être mais sans jamais le faire peser sur celles et ceux qui croisent mon chemin. La personne humble reconnaît de la sorte la valeur de l'autre. Je ne te suis ni supérieur, ni inférieur, nous partageons ensemble notre condition humaine. Mon seul désir est de te rencontrer. Pour ce faire, je refuse de m'enfermer dans la spirale du plus et du moins. Tout être, quel qu'il soit, quoiqu'il ait fait, garde sa valeur aux yeux de Dieu. Si c'est vrai pour Dieu, il devrait en être de même pour nous. Ne pas juger, ne pas condamner, simplement rencontrer. Et la rencontre, c'est tout simplement l'union de deux histoires qui se racontent en vérité. Cela nous demande une fameuse dose d'humilité. L'humilité, c'est créer un espace d'abord en nous pour laisser l'autre exister en toutes ses composantes. Prostitués et publicains sont peut-être petits à nos yeux mais grands dans le coeur de Dieu. Ne marchons pas à côté d'eux avec dédain, mais partons à leur rencontre, eux aussi, à leur manière nous montrent le chemin de la vie. En toute humilité. C'est d'ailleurs ce que saint Paul nous dit dans sa lettre aux Philippiens. Amen.

27e dimanche ordinaire, année A

Auteur: Cochinaux Philippe
Temps liturgique: Temps ordinaire
Année liturgique : A
Année: 1998-1999

Cette histoire des vignerons homicides, (ce poème wallon concernant les cloueurs) nous montrent que l'histoire continue d'aller de commencements en recommencements, que notre humanité a bien des difficultés à apprendre les leçons du passé. C'est vrai des dictatures, il y en a eu ; des régimes totalitaires continuent d'exister et nous continuons à clouer ce Jésus Christ déjà Crucifié. Oh, prétendront certains, contre ces puissants nous ne pouvons pas faire grand chose et ils ont sans doute raison.

Par contre, ce qui est folie dans l'évangile de ce matin (de ce soir), c'est de découvrir que dans notre petite vie quotidienne, dans nos relations de tous les jours trop souvent encore nous nous conduisons comme ces vignerons. Heureusement, en n'allant pas jusqu'au meurtre physique. Mais il y a cependant des meurtres intérieurs qui ne tuent pas, des blessures que nous endurons et qui font tant souffrir. Le drame de cette vigne est le drame humain de toute violence qu'elle soit verbale ou physique. Cette violence-là a été mise au grand jour par ce grand anthropologue français René Girard. Cet auteur nous explique que la violence est inscrite en nous, qu'elle fait partie de nous-mêmes et que nous sommes invités à la maîtriser, à la transformer en douceur. Douceur de la vie, douceur de la rencontre. Et cela prend du temps.

C'est ce temps-là que les vignerons n'ont pas voulu prendre. Ils voulaient tout, tout de suite. Ils ne faisaient pas vraiment confiance. Et ils pensaient qu'ils obtiendraient cette unité, ce désir réalisé, cette paix en se séparant de l'autre. C'est toute l'idée du Bouc émissaire dont parle Girard. Qui d'entre nous n'a pas dans sa vie fait l'expérience dans sa classe, son staff, son groupe d'amis, son boulot, du bouc émissaire, de celle ou celui qui prend toutes les remarques, les critiques. Et le groupe se soude autour de cette personne qui devient ainsi le souffre douleur. Et le groupe se sent bien mais tout cela est bien éphémère car c'est fondé sur la violence, l'exclusion d'un être humain. Cette dynamique ne tient pas la route et le premier dans l'histoire de l'humanité à avoir refusé de répondre à la violence, à un tel jeu fut Jésus. Il a été ce bouc émissaire, mais il a refusé de s'exclure et il y a répondu par l'amour et le pardon. Tout simplement par la douceur.

Ce soir, l'évangile nous invite à nous poser les questions suivantes : pourquoi ai-je si souvent besoin d'exclure l'autre ? De le critiquer de manière négative, en le condamnant ? Est-ce le seul moyen mis à ma disposition pour trouver une paix intérieure ? Me rappelle-t-il trop mes propres faiblesses ? Suis-je envieux, voire jaloux de ce qu'il a ? Et même si j'ai du bonheur à me retrouver avec d'autres, est-ce que le bouc émissaire au sein de notre groupe n'a-t-il pas la fonction suprême de me permettre de ne pas devoir me dévoiler, de dire un peu de moi-même ? Si à ces différentes questions nous répondons de façon positive, alors il est sans doute plus que temps nous rappelle Jésus de reprendre sa propre route d'Emmaüs. Pour que le monde vive un jour en paix, il est de notre devoir d'arrêter de clouer encore et toujours le Christ sur le bois de sa Croix. Amen.

28e dimanche ordinaire, année A

Auteur: Cochinaux Philippe
Temps liturgique: Temps ordinaire
Année liturgique : A
Année: 1998-1999

Mt 22, 1-14

Alors qu'Olivier Strelli vient de nous annoncer qu'il ne dessinera pas la robe de mariée de la future reine des Belges, que les médias nous parlent des collections de mode présentées à Paris cette semaine, les couturiers de Ralph Loren, Scapa of Scotland, Cricket and Co doivent être heureux d'entendre l'évangile de ce jour. Quelle belle publicité pour eux. Enfin pour qu'ils en soient conscients, il faudrait évidemment qu'ils assistent à la messe, et ça, je n'en suis pas trop sûr, mais qui sait finalement. Je profite de cette occasion pour formellement démentir le bruit qui a couru chez certains d'entre vous que les habits dominicains allaient être confectionnés par la célèbre marque belge. C'est tout à fait faux.

Et pourtant aussi compétents qu'ils soient ces couturiers, ils n'arriveront jamais à réaliser les vêtements dont le Christ nous parle. En effet, il n'existe à ce jour aucun tissu qui permet de confectionner les habits de la foi pour participer à la noce. Un vêtement spécifique que nous revêtons pour dire l'aujourd'hui de notre bonheur de croire. Il est cousu avec les plus beaux fils invisibles entrelacés d'amour et de douceur. Nous sommes invités à le porter tout le temps, à chaque instant. Et c'est là que les choses se compliquent un tant soit peu. Vivre et croire ne vont pas toujours très bien ensemble. C'est tellement facile pour nous d'être pris par les choses de la vie que nous en arrivons parfois à oublier les choses de l'éternité, de se limiter à ce que l'on voit plutôt qu'à ce que nous ne voyons pas, d'entendre les appels de plus en plus pressant du monde plutôt que la douceur de la voix du Christ. Nous pouvons être à ce point préoccupés de gagner notre vie que nous en arrivons à la perdre en passant à côté d'elle comme si l'organisation, la gestion de cette dernière nous en faisait presque oublier son existence. Je ne vis plus, je survis dans un monde qui me demande de plus en plus et j'en arrive presque à me noyer dans cet océan sans fond, sans îlot pour se reposer ne fut-ce qu'un petit temps au cours de cette course folle. Courir, toujours courir mais après quoi finalement : un bien-être terrestre, des désirs à combler, des plaisirs à fredonner. Au risque de se perdre soi-même. C'est vrai, il est souvent bien difficile à porter cet habit de foi, de vivre en accord avec soi au nom des valeurs auxquelles nous adhérons, au nom du Dieu auquel nous croyons.

Alors, c'est vrai, parfois nous nous déshabillons, nous retirons cet habit et nous succombons à certaines tentations qui ne nous font pas grandir, qui parfois nous blessent nous ou celles et ceux qui croisent nos chemins. Et ces fameuses tentations font elles aussi partie de la vie mais nous gardons en nous l'espérance que si nous ne portons pas toujours l'habit de la foi, il en reste toujours sa trace, comme s'il était imprimé sur notre corps. Même si Dieu n'est pas omniprésent dans nos existences, dans nos gestes quotidiens, la foi a ancré en nous des marques précises. Celles-ci parfois de manière inconsciente nous permettent de ne pas nous trahir, de continuer à avancer avec les valeurs de l'éternité que sont le respect, la tolérance de soi, des autres, du Tout-Autre. Parce que dans le miroir de l'amour nous revient toujours l'image de l'être que nous souhaitons devenir malgré nos errances, nos trébuchements. [Comme le disaient ceux qui ont préparé cette eucharistie, et comme ils sont tous en voie de devenir ingénieur,] « une flamme doit toujours rester comme dans le boiler de la salle de bain ». C'est une image peut-être un peu terre à terre mais elle nous rappelle que l'éphémère ne doit jamais l'emporter sur l'éternel. Le vêtement de la noce à laquelle toutes et tous nous sommes conviés est un habit divin. Il se porte, en tout temps, en tout lieu, avec douceur et en tendresse. Ne l'abîmons pas, ne le négligeons pas, il est souffle de vie. Il nous accompagne dans les plaines, sur des sentiers escarpés et même lorsque la vie nous semble devenir une montagne infranchissable. L'habit de la foi, revêtons-le, au-delà des couleurs qu'il apporte, il donne un tout autre goût à la vie.

Amen.

2e dimanche de Carême, année A

Auteur: Moore Gareth
Temps liturgique: Temps du Carême
Année liturgique : A
Année: 1998-1999

Jésus prend Pierre, Jacques et Jean, et il les emmène sur une haute montagne. Ce sont trois des premiers quatre disciples que Jésus prend. Ils le connaissent maintenant assez bien. Ils ont entendu une grande partie de son enseignement, ils ont vu les miracles qu'il a accomplis. Ils savent que c'est un homme qui parle avec autorité, qu'il peut guérir les malades et expulser les démons. Ils trouvent profond et convaincant son enseignement. Tout cela explique pourquoi ils continuent à le suivre : c'est un homme qu'il vaut la peine de suivre. Cela n'est pas rare ; c'est l'expérience des disciples de beaucoup de rabbins, de beaucoup de gourous.

Mais maintenant, sur cette haute montagne, Pierre, Jacques et Jean découvrent que Jésus est beaucoup plus que cela, qu'il est beaucoup plus qu'un homme dont les paroles et les gestes sont impressionnants, et dont les valeurs sont profondes. Il est transfiguré devant eux ; il brille comme le soleil, ses vêtements comme la lumière. Ceci n'est pas simplement un spectacle, ou encore un miracle. Ici, il ne s'agit pas de ce que Jésus fait, mais plutôt de la révélation de ce qu'il est. Il est révélé comme source de la lumière. Ce n'est pas un homme éclairé ; Jésus est celui qui éclaire, qui illumine, qui, dans l'obscurité de cette vie, est lumière. C'est à dire que Jésus est une figure divine. Comme nous le disons chaque dimanche lorsque nous récitons de crédo, il est lumière née de la lumière. Depuis le début, quand Jésus les a appelés là au bord du lac de Galilée, Pierre, Jacques et Jean sont, sans le savoir, en présence de Dieu. Maintenant, ils voient la divinité de Jésus. La voix qui vient de la nuée lumineuse le confirme : "Celui-ci est mon fils bien-aimé, en qui j'ai mis tout mon amour". Depuis quelques mois, peut-être depuis des années, ils marchent avec Dieu, et Dieu avec eux, d'une manière humaine, familière, intime.

En entendant cette voix, les trois se rendent compte du mystère divin qui, depuis longtemps mais à leur insu, fait partie de leur quotidien. Ils réagissent par se prosterner, remplis de crainte. Leur réaction est juste, parce qu'il faut avoir crainte devant Dieu, devant le mystère divin qui est la source de toute existence et de toute vie. Et n'ont-ils pas accompagné Jésus jusque maintenant d'une manière tout à fait inappropriée ? Un homme ne marche pas avec Dieu, son créateur, comme avec un simple homme. Leur crainte est donc compréhensible.

Mais Jésus s'approche d'eux et leur dit de se relever et d'être sans crainte. Seul Dieu a le droit de dire aux hommes de ne pas avoir peur devant Dieu, seul Dieu peut inviter les hommes à se mettre debout, à regarder Dieu face à face. Si ici, sur la montagne, Jésus est révélé comme Dieu, Dieu est révélé comme l'ami des hommes, comme le Dieu avec qui on peut cheminer d'une manière familière, intime. Si ici se révèle le fait Jésus est divin, il se révèle aussi que, en Jésus, le Dieu devant lequel il faut se prosterner est vraiment devenu humain, un homme ami des hommes, qui marche avec nous et fait partie de notre quotidien même si nous ne le savons pas, qui s'approche de nous, qui nous met debout.

2e dimanche de l'Avent, année A

Auteur: Cochinaux Philippe
Temps liturgique: Avent
Année liturgique : A
Année: 1998-1999

Un patron belge d'une grande société à capitaux de notre pays venant de vivre une fusion cette semaine et dont je tairai le nom disait un jour : « dans une réunion, où une quinzaine de personnes assistent, lorsqu'il faut discuter d'un investissement de plusieurs milliards de nos francs, seulement trois ou quatre prendront la parole. Par contre, quand il faut décider de la couleur du tapis plein qui va être changé au troisième étage de l'immeuble, là chacun a son mot à dire ». Au plus les décisions sont complexes, au plus elles nous dépassent. Au plus elles s'éloignent de nous, au plus nous ne nous sentons pas concernés. Phénomène intéressant, quand on nous parle de décisions au niveau de la Commission européenne, de mondialisation (je me permets de vous rappeler la conférence qui aura lieu ce vendredi dans cette église), de globalisation, nous sentons que notre prise sur la réalité prend une certaine distance. Tout s'éloigne de nous comme si inexorablement nous ne pouvions rien faire. Peut alors s'installer en nous un sentiment de découragement, voire même de déprime et nous entrons alors dans la philosophie des « ah quoi bon ! ». Comme si le fatalisme était notre réponse. En effet, du fait que tout est dépersonnalisé, nous pouvons nous rassurer en regardant l'absence de réaction chez les autres. Si personne ne bouge pourquoi n'en ferais-je pas autant. Allons-nous inexorablement vers un monde mauvais, où tout va finir par s'écrouler ? La peur devient-elle moteur de nos existences ? Si tel est le cas, il est plus que temps de nous tourner à nouveau vers les textes de notre liturgie d'Avent. Notre monde n'a pas été créé pour aller vers une catastrophe cosmique ; nous sommes sur terre pour découvrir le bonheur. Et si nous nous sentons bien seul face à l'immensité de l'évolution de notre humanité, rappelons-nous que les juifs vivaient la même chose à l'époque de Jésus. Depuis plus de quatre siècles déjà, la voix prophétique s'était tue. Et voilà qu'aujourd'hui une voix à nouveau crie dans le désert. Cette voix s'adresse à nous dans nos déserts. Au coeur de notre société que je crois polluée par tant de bruits inutiles, Dieu nous invite à retrouver la route du silence et du calme. N'est-ce pas dans la brise légère qu'il se révèle à nous ? Dans nos déserts intérieurs, nous sommes conviés à oser prendre le temps de nous arrêter, à faire taire tous ces bruits qui nous protège de nous-mêmes et nous empêche de réfléchir. Dans nos silences intérieurs une voix crie : préparez le chemin du Seigneur, aplanissez sa route. Un homme a transformé le monde, il y a deux mille ans. Nous aussi osons croire, osons faire ce pari que nous pouvons transformer le monde dans lequel nous sommes. Tel est d'ailleurs le thème de cette superbe bande dessinée de Van Hamme : SOS bonheur que je vous invite à lire. Alors que tout semble à ce point nous échapper, l'espérance permet de prendre part à la construction de notre monde. A nous de décider, quel type de société nous léguerons aux générations ultérieures. Et cette construction se vit maintenant, chacune et chacun y a sa place. Ce chemin à préparer, cette venue à célébrer, Jean l'adresse à chacune et chacun d'entre nous. L'invitation est lancée dans nos silences intérieurs. A nous d'y répondre avec ce que nous sommes, avec les moyens dont nous disposons. Ce ne sera peut-être qu'une petite goutte dans un océan. N'oublions jamais que celui-ci est formé de la somme de ces petites gouttes. Si nous nous y mettons toutes et tous à préparer ce chemin, les solidarités naîtront, l'autre que nous croisons prendra un autre visage, celui d'un frère ou d'une soeur à aimer. Alors que beaucoup étaient désespérés, il y a bientôt 2000 ans, certains ont écouté cette voix qui criait et c'est grâce à eux que nous sommes là ce soir (matin). La route qui nous est donnée de vivre est belle, empreinte de douceur et de tendresse, respectueuse des différences et s'enrichissant de celle-ci. Une route qui nous conduit à un monde de paix. Vous ne me croyez pas ? Pourtant ce n'est pas moi qui le dit, mais Isaïe. [Rappelez-vous : le loup habitera avec l'agneau, le nourrisson s'amusera sur le nid du cobra. C'est cela la paix de Dieu, le monde que nous sommes invités à construire. Il n'y a plus de temps à perdre, préparons le chemin du Seigneur. Amen.]

2e dimanche de Pâques, année A

Auteur: Moore Gareth
Temps liturgique: Temps de Pâques
Année liturgique : A
Année: 1998-1999

Jn 20, 19-31

Aujourd'hui, quand il s'agit de la religion, presque tout le monde doute. Mais c'est souvent un doute nébuleux, peu précis. Nous doutons mais, souvent, nous ne savons pas précisément de quoi nous doutons. C'est parce que nous ne savons pas précisément ce que nous croyons. Nous croyons, peut-être, mais vaguement, donc nos doutes aussi sont vagues. Si nous croyons en Dieu, nous ne savons pas exactement en quoi nous croyons, et nous ne croyons pas avec certitude, nous hésitons ; le doute est, pour beaucoup de croyants, intégral à la foi.

C'est peut-être inévitable aujourd'hui. Nous avons perdu l'ancienne culture chrétienne qui favorisait une foi commune et solide. Nous sommes entourés de tant de voix différentes, de tant d'opinions divergentes et contradictoires, qu'il est difficile d'affirmer avec certitude une seule foi. Cette certitude peut nous sembler même très peu souhaitable. Nous savons très bien que ceux qui sont trop certains, qui croient que leur système religieux ou politique est le bon système, s'imposent souvent avec violence sur les plus faibles. Nous avons appris qu'un peu de doute, un peu d'hésitation, peut nous rendre plus humain, et le doute est devenu presque une vertu.

Thomas semble correspondre très bien à cette mentalité moderne. Pour certains, il est même devenu patron des douteurs. Mais le doute de Thomas n'est pas le nôtre. Thomas n'est pas vague. Il doute, mais il sait exactement ce dont il doute. Plutôt, il ne doute même pas ; il nie, il nie que le Christ soit ressuscité des morts. C'est parce qu'il sait ce qu'il croit ; il croit fermement que le Christ est mort, mort à jamais. Et c'est une certitude très raisonnable, parce que tout le monde sait qu'il est impossible de ressusciter d'entre les morts. Thomas ne veux donc pas croire le témoignage des autres disciples qui prétendent avoir vu le Christ vivant. Il ne leur répond pas : « Oui, peut-être, c'est possible, mais je'en doute ». Il dit : « Si je ne vois pas dans ses mains la marque des clous... je ne croirai pas ».

Après, le Christ ressuscité se montre à tous les disciples quand Thomas aussi est là. Il n'approuve pas le doute de Thomas ; il lui dit : « cesse d'être incrédule, sois croyant ». Pour Jésus, le doute n'est pas une vertu, ce n'est pas un élément intégral de la foi ; au contraire, il s'oppose à la foi. Thomas voit Jésus, et il croit. Il ne nie plus la résurrection. Son doute disparaît ; plutôt, sa certitude négative est remplacée par la certitude de la foi ; il dit : « Mon Seigneur et mon Dieu ». Pour Jésus, ce n'est pas que Thomas qui peut croire ainsi, mais toutes les générations suivantes aussi : « Parce que tu m'as vu, tu crois. Heureux ceux qui croient sans avoir vu. » Pour Thomas et pour Jésus, il ne faut pas faire du doute une vertu, il ne faut pas en faire un élément de la foi. La foi implique la certitude.

Mais ne savons-nous pas que la certitude est dangereuse ? L'histoire de notre siècle et l'histoire des guerres de religion ne nous montrent-elles pas clairement cela ? Non. Ce que l'histoire nous montre est que la certitude sans charité est dangereuse, que la certitude de celui qui veut s'imposer et ne se met pas au service des autres est dangereuse. C'est ce manque de charité qui s'oppose à la foi chrétienne, pas la certitude. Sans charité, notre certitude ne vaut rien, c'est-à-dire que sans charité notre foi ne vaut rien. Si la foi et la charité vont ensemble, la certitude de la foi prête sa force à l'amour du croyant. Thomas croit, et dans la force de sa foi il finira, selon la tradition, par donner sa vie pour l'évangile. Aimons-nous les uns les autres et, si nous aimons, n'ayons pas peur de croire.