Mc 2, 1-12
Imaginez-vous un instant vous trouvant dans la salle de consultation de votre médecin traitant. Vous ne vous sentez pas bien depuis plusieurs jours et vous décidez finalement d'aller le voir. Vous lui expliquez ce que vous ressentez et plutôt que de vous ausculter, de prendre votre dossier, il vous dit tout simplement : « mon enfant, tes péchés sont pardonnés ». Moi en tout cas, à votre place, je réagirais sans doute comme les scribes de l'évangile et me poserait la même question : « pourquoi cet homme parle-t-il ainsi ? Il blasphème » et j'ajouterais également : « c'est quoi ton problème, pour qui te prends-tu ? Je suis venu chez toi pour que tu t'occupes de mon corps pas de mon âme. Ca ce n'est pas ton problème, mêles-toi de ce qui te regardes ».
En cette fin de vingtième siècle, je crois ma réaction assez normale : en quoi mes péchés sont-ils la cause de ma souffrance physique ? Nous avons dissocié les deux. Cependant, il n'en allait pas de même du temps du Christ. En effet, pour les juifs de cette époque, péchés et souffrances ne font qu'un. Si vous souffrez, c'est parce que vous êtes pécheur. Et d'ailleurs, plus vous souffrez, plus votre souffrance doit être grande. Une telle conception de la souffrance déculpabilise évidemment très fortement l'entourage. Si tu as mal, tu n'as qu'à t'en prendre à toi-même puisque ta souffrance est le prix de ton péché. Et si ton handicap est de naissance, tu payes simplement pour le péché de tes parents. Rappelons-nous l'histoire de l'aveugle-né. Heureusement pour nous ce type de théologie, de discours sur la souffrance n'est plus de mise. La souffrance est un mal qu'il faut combattre à tout prix. Rien ne peut justifier la douleur physique. Cette dernière se doit d'être éradiquée par tous les moyens disponibles. Et pourtant, je crois pouvoir affirmer que nous sommes allés trop loin dans la séparation du corps et de l'esprit. Ils ne sont pas aussi dissociés et Descartes, grand philosophe qui a marqué notre culture, s'est sans doute trompé à ce sujet. L'âme et le corps forment le tout que nous sommes. Il fallait donc que Jésus guérisse l'âme, la prison intérieur du paralysé pour que ce dernier puisse se remettre à marcher sur le chemin de sa propre route.
Pour ce faire, et c'est ce qui est sans doute assez surprenant dans notre évangile de ce jour, c'est que Jésus ne fait pas de grands sermons. Il ne prêche pas la foi sous la forme d'un sermon comme je le fais pour le moment, il la voit. C'est par un regard, un simple regard que le Christ annonce la Parole. Pas de mots, peu de mots, juste un regard. Un regard qui permet de percevoir ce qui est de l'ordre de l'invisible, de l'indicible. Un regard qui va au-delà des mots pour comprendre et apprécier un geste. En effet, Jésus voit quatre hommes qui vont jusqu'à percer le toit d'une maison pour lui présenter un des leurs. Pas un mot dans ce récit, simplement une conviction de foi : l'homme-Dieu qui annonce la Parole peut guérir un paralysé et le mettre debout d'abord vis-à-vis de lui-même puis des autres. Et l'homme alors s'en va, prend son brancard et sort devant tout le monde. De cet homme, nous ne savons rien si ce n'est qu'il était paralysé. Nous ne connaissons même pas son nom. Peu importe d'ailleurs ou peut-être tant mieux. Parce que cet homme, ce paralysé, c'est sans doute chacune et chacun d'entre nous. Nos paralysies sont elles aussi nombreuses et nous empêchent d'avancer sur le chemin de nos destinées. Nous en avons hérité certaines, d'autres nous les avons acquises tout au long de notre vie. Petit à petit, elles nous encombrent jusqu'à ce que nous fassions du surplace. Seul nous ne pouvons plus nous en sortir. A l'image du paralysé de l'évangile, tournons-nous alors vers celles et ceux qui nous entourent et demandons-leur en toute humilité de nous porter, de nous accompagner sur cette route nous conduisant au Christ. Il s'agit d'une question de foi. Jésus est là pour nous permettre de nous débarrasser de tout ce qui nous empêche de devenir nous-mêmes, c'est cela aussi le péché.
Si nous le voulons, si nous crevons notre toit intérieur, le Fils de Dieu s'adressera également à nous par ses mots : « mon enfant, tes péchés sont pardonnés. Lève-toi ». Amen.