5eme dimanche de Carême B

Auteur: Philippe Henne
Date de rédaction: 22/03/15
Temps liturgique: Temps du Carême
Année liturgique : B
Année: 2014-2015

« Père, délivre-moi de cette heure ». Le Christ Jésus a connu l’angoisse de la mort, l’angoisse devant un malheur brutal et injuste. C’est comme pour chacun d’entre nous quand le médecin nous apprend qu’un cancer est en train de ronger nos entrailles et que cette maladie pousse ses ramifications partout dans notre coprs. C’est comme le jour où nous apprenons que notre enfant ou notre petit-enfant est victime d’un grave accident et qu’il restera paralysé tout sa vie. C’est comme le jour où un étudiant termine ses études et ne trouve pas de travail et que bientôt il ne pourra plus rester en Belgique. « Père, délivre-moi de cette épreuve ». Il est des épreuves qui sont trop lourdes à porter, qui brisent le cœur, qui rongent l’âme, qui sapent tout courage et toute joie de vivre. C’est cet enfant handicapé, ce conjoint diminué, cet adultère commis avec notre meilleur ami. Chaque jour, chaque matin, c’est ce rappel cruel d’une situation injuste et douloureuse. Il y a des hommes, il y a des femmes qui sont brisés par la vie. C’est trop dur. Ils sont asis sur le bord du chemin de la vie, prostrés, écrasés. Ils ne voient même plus les gestes d’aide et de solidarité qui leur sont offerts. Ils ont les yeux pleins de larmes. Ils sont aveuglés par le chagrin.

            Dans l’Ancien Testament, il y a aussi des hommes et des femmes victimes de telles catastrophes. Prenons l’exemple de Joseph. Joseph, vous vous souvenez, c’est le fils de Jacob, l’un des trois grands patriarches, Abraham, Isaac et Jacob. Eth bien ! Jacob avait eu douze fils, dont Joseph, le dernier, celui qu’il a eu sur le tard. C’était lui, le petit chouchou de son papa. Jacob lui avait même offert une magnfique tunique. Pleins de jalousie, ses frères ont décidé de l’éliminer. C’et pour cela qu’ils le vendent à des Madianites, des nomades de passage. Joseph finira esclave en Egypte. Il connaîtra la prison. Il connaîtra la trahison, mais il finira par gagner la confiance de Pharaon et il sera nommé responsable de l’approvisionnement du pays. C’est ainsi qu’il remplira les greniers de grains en prévision d’une grande famine. Et voilà pourquoi, un beau jour, Joseph pourra fournir du grain à ses frères affamés. Lui, le paria, vendu comme esclave, vient au secours de ses traîtres. Il accueillera même toute sa famille en Egypte, dans la sécurité et le confort. Il a transformé toute cette haine injuste en une leçon d’amour et de solidarité. Il n’a pas été victime de la trahison. Il l’a transformée en geste de pardon et de réconciliation.

            Joseph annonce Jésus, Jésus le Christ, trahi par les siens, mais qui nous nourrit pendant les périodes de famine affective, Jésus le Christ, qui nous accueille dans son royaume. Jésus le Christ, Dieu, n’est pas victime de nos petites trahisons. Il est vainqueur de toutes traces d’amertume et de rancœur. Et s’il en est capable, c’est parce qu’il est porté, transporté par l’amour de son Père. « Je l’ai glorifié et je le glorifierai encore », voilà ce que dit son Père. Non, Jésus n’est pas seul. Il est aimé par son Père et il le sait. Nous aussi, nous sommes aimés par Dieu et nous le savons. Alros tournons-nous vers le Bein-aimé et laissons-nous porter par son amour afin de transformer les échecs et les catastrophes de notre vie en un chant d’amour infini.

 

5eme dimanche de Carême B

Auteur: Raphaël Devillers
Date de rédaction: 15/03/15
Temps liturgique: Temps du Carême
Année liturgique : B
Année: 2014-2015

Dimanche prochain, dit « des rameaux », nous écouterons comment Marc raconte l’entrée de Jésus à Jérusalem : à l’approche de la Pâque, Jésus, assis sur un âne et escorté de ses disciples ravis, est accueilli par la foule qui voit en lui le Messie venant enfin libérer Israël de l’occupation étrangère.

Aujourd’hui nous anticipons la scène grâce au dialogue que Jean a ajouté à l’épisode : il dévoile le drame vécu ce jour-là par Jésus et en même temps nous presse de le suivre sur son chemin.

Il y avait quelques Grecs parmi ceux qui étaient montés à Jérusalem pour adorer Dieu pendant la fête de la Pâque. Ils abordèrent Philippe, qui était de Bethsaïde en Galilée, et lui firent cette demande : « Nous voudrions voir Jésus. » Philippe va le dire à André, et tous deux vont le dire à Jésus.

Alors Jésus leur déclare : « L’heure est venue où le Fils de l’homme doit être glorifié. Amen, amen, je vous le dis : si le grain de blé tombé en terre ne meurt pas, il reste seul ; mais s’il meurt, il porte beaucoup de fruit ».

Le pèlerinage étant obligatoire, la ville était remplie de Juifs venus de l’étranger et même de Grecs attirés par la religion d’Israël : intrigués par cette exultation populaire, certains demandent à un apôtre s’il serait possible de « voir », c.à.d. d’avoir un entretien avec leur maître qui a tant de succès.

Sitôt la demande transmise, Jésus l’interprète immédiatement comme un appel : au cadran de l’histoire, son Heure a sonné.

Tout au long de son évangile, Jean avait montré Jésus en route vers un moment mystérieux : à Cana son heure n’était pas encore venue (2,4) ; à la Fête des Tentes, ses ennemis n’avaient pu l’abattre parce que cette heure n’était pas venue (7,30 ; 8,20)….Maintenant cette Heure fixée par Dieu seul est là: l’Heure non de déclencher la révolution violente pour chasser les païens mais de conduire à terme le dessein de Dieu : rassembler Juifs et Nations dans la même unité divine.

Jésus comprend qu’il ne doit pas se montrer à ces quelques hommes qui le sollicitent mais qu’il doit être « vu »- c.à.d. compris, accueilli, cru et vénéré - par les hommes et les femmes de toutes nations.

Il est l’agneau qui s’offre pour accomplir la Pâque définitive : enlever le péché du monde, faire sortir tout homme de la prison du mal, du péché, de la haine et du racisme pour reconstituer l’Humanité droite, juste, pacifique. Lui, le Fils de l’homme, est venu pour sauver toute l’humanité qui n’en finit pas de s’entretuer.

Le paradoxe de ce moment est donc tragique : Jésus n’est pas dupe des joyeuses ovations de ses compatriotes, il va les décevoir en ne provoquant pas l’insurrection qu’ils guettent et ceux-là même qui aujourd’hui l’applaudissent hurleront dans quelques jours : « A mort ! A mort ! Crucifiez-le ».

Mais le refus de certains entraînera l’élan vers les autres. Quiconque, dans le monde entier, « le regardera » et croira en lui sera sauvé.

L’Heure capitale est celle de sa Glorification car Jésus va être porté, proclamé jusqu’aux extrémités de la terre et jusqu’à la fin des siècles – mais cette Glorification ne sera possible que par la crucifixion.

De même qu’un grain de blé enfoui dans la terre s’écartèle et se redresse pour devenir moisson et vie des hommes, ainsi lui, Fils de Dieu, crucifié et enseveli, sera relevé par son Père et ensuite ses apôtres se disperseront dans le monde entier afin de proclamer sa Gloire. L’humanité pourra s’accomplir en devenant moisson de Dieu.

L’Eucharistie qu’il va inventer à cette Heure sera le signe de sa victoire, de sa Gloire. Par elle Grecs et Juifs, Européens, Africains, Américains, Asiatiques, hommes et femmes, riches et pauvres, pourront « le voir » c.à.d. reconnaître sa véritable identité. Ils percevront qui il est, ils pourront croire en lui et ensemble, devenus avec lui « Christ total », ils constitueront l’épanouissement de l’humanité qui resurgit de la mort et devient une dans l’amour de Dieu.

TOUT DISCIPLE EST UN GRAIN DE BLÉ

Qui aime sa vie la perd ; qui s’en détache en ce monde la gardera pour la vie éternelle.

Si quelqu’un veut me servir, qu’il me suive ; et là où moi je suis, là aussi sera mon serviteur. Si quelqu’un me sert, mon Père l’honorera.

Ce que Jésus accepte alors de vivre – donner sa vie par amour -, il le propose comme loi inéluctable pour tout homme. Si notre corps n’est qu’une carapace pour protéger notre ego centré sur lui-même, cette protection est vaine : nulle réussite sociale, nulle célébrité, nulle science, nulle médecine, nulle fortune ne peut nous sauver de la mort. L’existence préservée est perdue.

Jésus s’avance sur l’ultime tronçon de son existence terrestre et il appelle tout homme à le servir c.à.d. à s’engager sur ses traces, à modeler son existence sur l’Evangile. Incompris de beaucoup, critiqué pour sa naïveté, vilipendé et persécuté mais libéré de toute idolâtrie, cet homme s’épanouira dans la Gloire de Dieu. Ayant renoncé aux honneurs des hommes, il débouchera, comme fils, dans l’Honneur de son Père.

L’ANGOISSE ET L’AGONIE

Mais Jésus n’est pas un héros impavide qui s’avance vers la mort comme si ce n’était qu’un mauvais moment à passer. La perspective de la mort – et quelle mort : le supplice épouvantable de la croix ! – le bouleverse jusqu’au tréfonds de son être. Parce que Fils de Dieu, ses émotions, ses sentiments l’étreignent d’une façon qui dépasse tout ce que nous pouvons ressentir : de même que sa joie était indicible, ainsi sa panique est diabolique (épreuve ultime pour le séparer de son Père)

Maintenant mon âme est bouleversée. Que vais-je dire : “Père, sauve-moi de cette heure” ? - Mais non ! C’est pour cela que je suis parvenu à cette heure-ci ! - Père, glorifie ton nom ! »

Alors, du ciel vint une voix qui disait : « Je l’ai glorifié et je le glorifierai encore. »

En l’entendant, la foule qui se tenait là disait que c’était un coup de tonnerre. D’autres disaient : « C’est un ange qui lui a parlé. » Mais Jésus leur répondit : « Ce n’est pas pour moi qu’il y a eu cette voix, mais pour vous. Maintenant a lieu le jugement de ce monde ; maintenant le prince de ce monde va être jeté dehors ; et moi, quand j’aurai été élevé de terre, j’attirerai à moi tous les hommes. »

         ---- Il signifiait par là de quel genre de mort il allait mourir.

A l’inverse des autres évangélistes qui l’évoqueront quelques jours plus tard, au jardin des Oliviers, Jean situe l’agonie de Jésus ici, dès son entrée à Jérusalem. Quelle tension dramatique ! La foule en fête agite des palmes, chante Hosanna, les disciples sont tout fiers d’entourer leur maître…et, au milieu de ce triomphe, dans la conscience du retournement prochain de tous ces gens, de la lâcheté de ses disciples, de la trahison de Judas, de la haine des autorités et de cette horrible croix qui se profile, Jésus est livide, trempé de sueur, tordu de douleur. Atrocement seul.

Il ne veut pas demander à son Père de lui épargner cette issue effroyable : « Père, c’est ta Gloire que je cherche. Bientôt par ma Pâque, les hommes ne te verront plus comme une idole, un juge impitoyable, une divinité lointaine et inefficace mais comme un PERE qui les embrasse dans un même amour afin qu’ils soient UN en toi et en Moi. Alors ils pourront « adorer Dieu » (1ère phrase) en esprit et en vérité (Jn 4).

Le tonnerre avait éclaté sur le mont Sinaï quand Dieu s’entretenait avec Moïse et concluait avec Israël une Alliance (Ex 19, 19) mais la Loi n’avait jamais pu empêcher les infidélités du peuple. Cette fois, à nouveau la voix du ciel annonce l’ « HEURE » définitive où le sang de l’agneau va sceller l’Alliance Nouvelle. Le prince de ce monde, la puissance qui travaille à séparer les hommes de Dieu, à les dresser les uns contre les autres et à détruire la terre, va basculer. Le mal pourra bien nous frapper encore mais sans jamais plus pouvoir triompher.

Et le Fils de l’Homme, élevé entre ciel et terre sur la poutre de la croix, sera élevé dans la Gloire de son Père ; la croix pascale sera le grand Signe vers lequel tout homme malade, abîmé, handicapé, criminel pourra lever les yeux et entendre, émerveillé, la grande confidence: « Confiance ! Tu es sauvé ! ».

Quel réconfort d’entendre aujourd’hui ces paroles : qu’elles nous aident à vivre avec sérieux les deux prochaines semaines. Allons vers la croix : elle est notre gloire.  

4eme dimanche de Carême B

Auteur: Didier Croonenberghs
Date de rédaction: 15/03/15
Temps liturgique: Temps du Carême
Année liturgique : B
Année: 2014-2015

« De même que le serpent de bronze fut élevé par Moïse dans le désert,
ainsi faut-il que le Fils de l’homme soit élevé »

Frères et soeurs, 


Dans ce dialogue avec Nicodème que nous venons d’entendre, 
Jésus nous propose une bien curieuse image. 
Elle fait allusion à la marche au désert, alors que le peuple des hébreux était attaqué par des serpents. Dieu donna alors ce remède à Moïse : celui de mettre un serpent de bronze sur un bâton, 
pour que quiconque le regarde soit guéri. 
Un serpent enroulé autour d’un mât: voilà le sigle de nombreuses organisations médicales et un bien curieux symbole ! 
Car pourquoi le serpent —source du mal— deviendrait-il symbole de guérison ? Comme si le venin était salutaire? Ou, pire encore, 
le mal nécessaire?

En réalité, ce serpent élevé est avant tout la préfiguration de la victoire de la croix, c’est à dire de notre humanité blessée que le Christ vient relever par son amour. Le serpent élevé apportant la guérison, c’est donc l’image de nos peurs lorsqu’elles sont dépassées dans la confiance; ce sont nos faiblesses, lorsqu’elles retrouvent des forces dans un regard plein de tendresse. Le serpent élevé, c’est finalement la mort vaincue, préfiguration de la résurrection, qui nous montre qu’un chemin d’épanouissement est toujours possible. 

Voilà cette nouvelle naissance que Nicodème, vous et moi, sommes invités à vivre dès aujourd’hui, dans les petits événements qui jalonnent notre quotidien, dans la nuit et le secret de nos histoires.


Chaque instant, nous avons en effet à renaître, à redécouvrir le mystère de la vie, à nous mettre en recherche. Pour renaître, il faut d’abord faire le deuil de ce que nous ne sommes plus, de nos rêves déçus, 
pour accueillir ce que nous sommes réellement. 
Renaître, ce n’est pas dissimuler ses serpents, masquer ses faiblesses ou fuir la réalité, mais faire le douloureux travail de l’enfantement de l’humain. Naître d’en haut, c’est traverser l’en-bas, découvrir que nous sommes portés par la bonté d’un Dieu qui a tant aimé le monde qu’il lui a donné son Fils. Renaître, c’est aussi et surtout ne pas être dans le contrôle, mais s’ouvrir à l’imprévu, sans le regarder comme une fatalité. Renaître, c’est quitter la nostalgie d’un passé ou d’une histoire dépassée, pour s’ouvrir à ce qui se présente avec confiance.

Ceux qui prennent ce risque de renaître savent prendre de la hauteur dans leurs vies et y mettre un peu d’humour et de joie. Ils ne s’accrochent pas à leur ego, mais ils ont l’audace de découvrir un sens toujours renouvelé à leur vie. Quand tout semble fermé, ils osent croire en un horizon, et y discernent de la hauteur et de la profondeur.

Pour celles et ceux qui acceptent de renaître chaque jour, 
et de faire mourir en eux le serpent de la convoitise, 
la vérité et la lumière seront toujours devant eux ! 
Nicodème vient d’ailleurs d’une racine hébraïque signifiant orient, 
c’est à-dire « là où la lumière commence à poindre », à renaître…

Certes, bien de nos contemporains diront qu’il y a de la naïveté derrière cette confiance. C’est pourtant le seul moyen dont l’humain dispose pour enfanter patiemment un monde nouveau. Vivre, envers et contre tout. Ne pas fuir le réel ou le déprécier, mais s’ouvrir chaque jour à un amour toujours plus grand, à une vie qui nous dépasse. 



C’est cela renaître d’en haut: avoir le courage d’être soi-même devant les autres et couper le cordon d’un Dieu maternant et protecteur 
pour le redécouvrir 
dans une présence bienveillante, 
dans l’inattendu de nos rencontres,
dans l’en-bas de notre humanité, 
dans ce à quoi la vie nous appelle réellement.  

Renaître chaque jour: voilà le difficile chemin de résurrection que nous propose l’Evangile.

Alors, quel que soit notre âge ou notre expérience,
il ne s’agit pas de fuir nos croix et nos serpents qui nous étouffent,
mais tout au contraire, de regarder avec lucidité ce que nous sommes, afin de vivre de nouvelles naissances, 
et regarder le monde, 
avec les yeux de Celui qui a tellement aimé ce monde 
qu’il lui a donné son Fils unique. Amen.




4eme dimanche de Carême B

Auteur: Dominique Collin
Date de rédaction: 15/02/15
Temps liturgique: Temps du Carême
Année liturgique : B
Année: 2014-2015


4eme dimanche de Carême B

Auteur: Raphaël Devillers
Date de rédaction: 15/03/15
Temps liturgique: Temps du Carême
Année liturgique : B
Année: 2014-2015

LA FOI EST UN REGARD QUI GUERIT

Tout le monde connaît le logo du serpent enroulé sur un bâton qui, déjà dans l’antiquité, était l’insigne du dieu Esculape, patron des médecins. Selon la bible, Moïse en serait l’inventeur ( ?) : lors d’une étape de leur longue traversée du désert, les Hébreux avaient été victimes d’une invasion de petits serpents et Moïse, sur l’ordre de YHWH, avait fait faire un serpent de bronze fiché sur un mât. Guérison était promise à ceux qui le regardaient (Nombres 21, 4). Curieux épisode teinté de magie !?

Plus tard un sage professeur en donna une interprétation spirituelle : la souffrance des morsures appelait ces hommes infidèles à la Loi à revenir à Dieu : « Quiconque se retournait (verbe qui désigne la conversion) était sauvé non par l’objet regardé mais par Toi, Seigneur, le Sauveur de tous…C’est ta Parole, Seigneur, qui guérit tout » (Sagesse 16, 1-12).

Cette histoire allait à nouveau rebondir de façon extraordinaire : c’est au Golgotha que se dressera le signe définitif du salut de l’humanité.

LA CROIX SIGNE DE L’AMOUR IMMENSE DE DIEU POUR NOUS

De même que le serpent de bronze fut élevé par Moïse dans le désert, ainsi faut-il que le Fils de l’homme soit élevé, afin qu’en lui tout homme qui croit ait la vie éternelle.

Car Dieu a tellement aimé le monde qu’il a donné son Fils unique, afin que quiconque croit en lui ne se perde pas, mais obtienne la vie éternelle.

La crucifixion de Jésus était pour ses juges l’exécution d’un blasphémateur, pour ses disciples l’effondrement de tous leurs espoirs, pour la foule la fin d’un faux messie, pour tous un spectacle horrible, un signe de la cruauté des hommes capables d’inventer des supplices aussi effroyables.

Mais cet homme nu, ensanglanté, pantelant, tordu en haut d’une poutre entre ciel et terre a été vu par ses disciples éclairés par l’Esprit-Saint comme le grand « signe » de l’amour infini de Dieu.

Jésus a été mis par ses bourreaux à la place du serpent mais pour ceux qui « se retournent » et voient en lui non plus seulement une victime innocente mais le Fils que Dieu a abandonné à la méchanceté des hommes et qui volontairement donne sa vie pour pardonner aux hommes leurs crimes, ceux-là sont sauvés.

La croix de Jésus est plus qu’un fait-divers dramatique, elle n’est pas l’apologie de la souffrance, elle n’est pas la punition d’un Dieu qui exige une expiation sanglante. Elle est, pour tout croyant, le signe de l’amour infini, la révélation bouleversante d’un Père « qui nous a tant aimés… »

Le cœur transpercé de Jésus devient la source intarissable d’où s’écoule l’eau du baptême qui purifie un nouveau peuple ; il est la source du sang de l’agneau pascal immolé pour que les esclaves du mal soient guéris des blessures du serpent diabolique, échappent à la prison où il les tient et s’élancent sur les chemins de la liberté.

La poutre verticale de la croix « élève », glorifie Jésus, elle le fixe de façon définitive entre ciel et terre, entre Dieu et les hommes, médiateur pour l’éternité. La poutre horizontale écartèle Jésus afin que tout homme sache qu’un Dieu lui ouvre les bras et qu’il peut se jeter dans son cœur qui aime.

Car il n’y a qu’une condition. Non être parfait, auréolé, surchargé de mérites, impeccable. Mais croire.

Et on comprend ici la profondeur de ce mot. Il s’agit d’être conscient de ses fautes, de voir sur la croix la punition qu’elles méritent, de « se retourner » vers le crucifié, d’exulter dans la certitude d’être pardonné, de communier à un peuple qui renaît sans cesse à la liberté.

C’EST L’HOMME QUI SE JUGE LUI-MÊME

Car Dieu a envoyé son Fils dans le monde, non pas pour juger le monde, mais pour que, par lui, le monde soit sauvé. Celui qui croit en lui échappe au Jugement ; celui qui ne croit pas est déjà jugé, du fait qu’il n’a pas cru au nom du Fils unique de Dieu.

Et le Jugement, le voici : la lumière est venue dans le monde, et les hommes ont préféré les ténèbres à la lumière, parce que leurs œuvres étaient mauvaises.

Celui qui fait le mal déteste la lumière : il ne vient pas à la lumière, de peur que ses œuvres ne soient dénoncées ;

mais celui qui fait la vérité vient à la lumière, pour qu’il soit manifeste que ses œuvres ont été accomplies en union avec Dieu. »

Jésus n’a jamais voulu que réaliser la mission que son Père lui avait donnée et qui était définie par son nom : IESHOUAH signifie « Dieu sauve ». Il est « Sauveur » d’abord parce qu’il retire l’homme de l’ornière du mal dans lequel il s’embourbe et ensuite parce qu’il l’élève en lui donnant la Vie éternelle, la Vie divine à laquelle il ne pourrait, seul, accéder. La croix n’est donc que miséricorde offerte.

IL RESTE TOUTEFOIS QU’IL Y A JUGEMENT.

Comment ? Le Fils de l’homme est apparu sur terre parmi les hommes ; par ses actions de guérison, ses paroles de Bonne Nouvelle, son accueil de tous et finalement par sa Passion et sa mort offertes, il est apparu comme la Lumière qui brillait dans nos ténèbres, comme la Vérité que nous cherchions à tâtons. En conséquence, devant lui, tout être humain se situe et ne peut fuir dans la neutralité.

Celui qui fait le mal consciemment, non par un emportement passionnel qu’il peut regretter mais de façon décidée, en sachant qu’il blesse et qu’il écrase, celui-là n’a nulle envie d’écouter l’Evangile, de se remettre en question, de « se retourner » car il refuse que la Vérité dénonce ses agissements. Au contraire il s’endurcit, s’enfonce dans sa nuit. Et ainsi il se juge, il se condamne puisqu’il ne veut pas que la Lumière lui apporte le pardon.

A l’inverse, celui qui fait la vérité, c.à.d. qui lutte contre sa part d’ombre, qui connaît sa fragilité, qui est humilié par ses défaites et qui avoue son besoin de pardon, celui-là peu à peu avance vers la Lumière. Certes il connaît des avancées et des reculs mais il est persuadé que le chemin des béatitudes est le vrai chemin de l’homme, il cherche à faire le bien et à éviter le mal, à se donner plutôt qu’à prendre, à soutenir les faibles plutôt qu’à courtiser les puissants, à pardonner plutôt qu’à se venger, à chercher le droit et la justice plutôt que le méfait. Bref à aimer.

Cet homme simple avance peu à peu vers la Vérité car celle-ci d’abord ne se pense pas, ne se disserte pas mais « se fait » dans le concret de l’existence par des décisions, des projets, des engagements. L’homme qui « fait le vrai » échappe au jugement et il comprend que ses œuvres ne sont pas un palmarès dont il peut se vanter mais des actions qu’il a accomplies avec la grâce de Dieu.

CONCLUSION

« Dieu a tant aimé le monde ». C’est la première fois ici qu’apparaît ce verbe dans l’évangile de Jean : cette révélation doit nous émerveiller et c’est de ce Dieu-là dont nous avons à témoigner. Nous aimons peu et mal mais Lui nous aime sans se lasser. Nous nous décourageons de nos faiblesses mais Lui ne se lasse jamais de nous aimer. Non qu’il soit indifférent. Au contraire cet amour est très exigeant : il brille comme la Vérité qui débusque nos manquements et dévoile nos mensonges.

Il nous presse de « faire la vérité » c.à.d. de nous aimer les uns les autres. Et d’être une communauté dont on peut dire : « Voyez comme l’Eglise aime tant le monde ! ».

Méditons sur le sens du « signe de croix » et marchons vers Pâques, vérité de l’amour.

3eme dimanche de Carême B

Auteur: Philippe Henne
Date de rédaction: 8/03/15
Temps liturgique: Temps du Carême
Année liturgique : B
Année: 2014-2015

            L’Evangile d’aujourd’hui nous surprendra toujours. Comment Jésus, le petit Jésus peut-il être aussi brutal ? Comment peut-il espérer qu’on vienne chez lui si c’est pour recevoir des coups ? Ce qu’on rechercher chez Jésus, c’est quelqu’un qui nous console, qui nous encourage, qui nous pardonne. Ici, c’est tout le contraire : c’est Jésus qui frappe, qui hurle, qui renverse les tables. Et ce n’est pas une histoire inventée. Cela s’est réellement passé. Les quatre Evangiles en parlent, mais pas de la même façon. Les Evangiles synoptiques (Matthieu, Marc, Luc) placent cet événement à la fin de la vie publique de Jésus, c’est-à-dire peu avant son arrestation. Et cela se comprend. Ce brutal déchaînement de violence a précipité sa condamnation. Jean, bien au contraire, situe cela au début de la vie publique de Jésus. Selon cet évangéliste, Jésus, après avoir été baptisé, transforme l’eau en vin aux noces de Cana, puis il va chasser les vendeurs du Temple.

            Jean veut ainsi dénoncer la formidable force de destruction que nous avons en nous. Cette formidable force de destruction apparaît dans la Bible. Aussitôt après que Dieu a créé l’homme et la femme, c’est le péché originel. Pendant que Dieu donne à Moïse les tables de la Loi sur le mont Sinaï, le peuple hébreu se façonne un veau en or et il l’adore. Aussitôt après que Dieu est né dans une crèche, c’est le roi Hérode qui massacre les petits enfants innocents. Il y a dans le cœur de chacun d’entre nous une force incroyable de destruction. Et nous le savons : il est plus facile de détruire la vie que de la donner. Il est plus facile de détruire sa santé que de la recouvrer. Il est plus facile de détruire l’amour que de le reconstruire et de pardonner.

            L’Evangile d’aujourd’hui nous met particulièrement en garde contre les dangers de l’ennui, de l’indifférence et de la routine. Au bout de quelques années de mariage ou de vie religieuse, l’amour fait parfois place à la cohabitation. Madame lave les chaussettes et fait la cuisine. Monsieur bricole dans la maison et joue au foot avec des amis. C’est la cohabitation pacifique. Chacun respecte son contrat de présence et de service en assurant le strict minimum. Ce n’est plus de l’amour. C’est de l’organisation. Ce sont deux vies en parallèle. De même que les vendeurs du Temple ont transformé les offrandes à Dieu en un commerce profitable et rentable. Ce n’est plus de la religion. C’est du commerce.

            Et Jésus se fâche. Il renverse les tables. Ce sont ces offrandes payées qui le révolte. Ce qu’il veut, ce qu’il attend de nous, c’est de l’amour, du vrai amour, du temps passé ensemble, de l’attention pendant la journée, un petit mot, une petite pensée. Alors, en cette période de Carême, redécouvrons la force de la présence de Dieu dans notre vie. Actuellement, des catéchumènes, des adultes cheminent vers le baptême. Ils nous rappellent que connaître Jésus, cela peut changer toute une vie. Alors, nous aussi, laissons-nous transformer par l’amour de Dieu pour en devenir de vrais témoins.

3eme dimanche de Carême B

Auteur: Didier Croonenberghs
Date de rédaction: 8/03/15
Temps liturgique: Temps du Carême
Année liturgique : B
Année: 2014-2015

Je suppose qu’il vous est déjà arrivé de vous rendre dans un magasin ou une grande surface, mais de repartir avec autre chose que ce dont vous aviez besoin ou que vous comptiez acheter… Le constat est banal… Et nous faisons également, je pense, des expériences similaires dans nos relations et nos rencontres humaines. C’est ce qu’il y a d’amusant dans cet extraordinaire chapitre de Saint Jean que nous venons d’entendre, et qui manie à merveille le double sens !
Au puits de Sykar, Jésus n’a finalement pas reçu l’eau qu’il était venu chercher. Fatigué et assoiffé, —littéralement é-puisé— Jésus veux étancher sa soif. Mais si nous nous en tenons au texte, la Samaritaine ne lui donne pas à boire.

D’autre part, cette femme n’est pas pas repartie avec l’eau dont elle pensait avoir besoin. Perdue, affectivement é-puisée, la Samaritaine repart sans ce pour quoi elle était venue, mais avec bien davantage qu’elle n’osait espérer !

Voilà l’expérience de toute rencontre en vérité. Nous repartons avec bien plus que ce que nous n’imaginions recevoir.

Ce dialogue se passe à midi, lorsqu’il n’y a pas d’ombre, pas de masque, pas de fuite possible. Comme pour nous confronter à l’essentiel. Cette rencontre de l’évangile, c’est l’image de toutes nos rencontres lorsqu’une personne —par sa parole, par un geste ou une simple attention— nous aide à faire la vérité sur nous-mêmes, nouys magnifie, nous pousse à creuser en nous le désir de vérité, le désir d’aimer et d’être aimé en retour. 

Ce désir inscrit au plus profond de nous sera toujours plus grand que nos besoins de surface, ou de grande surface ! Car « toute demande est toujours une demande d’amour », écrira d’ailleurs le psychanalyste Lacan.

Voilà ce que nous invite à redécouvrir cet Evangile baptismal : 
nous abreuver à la source de ce qui nous porte réellement.  

C’est ce qu’offre Jésus à cette femme de Samarie: il lui permet d’être elle-même, quelles que soient ses histoires ou son passé. Il lui permet de quitter l’angoisse, d’abandonner la honte, le regard qui juge —son côté cruche peut-être?— pour ne plus se cacher, pour revenir à la ville et se montrer aux autres telle qu’elle est! Il suffit parfois de quelques mots pour redonner courage, pour remettre quelqu’un face à lui-même en toute vérité. Comme pour la Samaritaine, nos parcours ont peut-être été semés d’erreurs, d’impasses, de zones d’ombres, d’échecs que nous essayons de fuir. Ceux-ci ne constitueront jamais la fin de notre histoire. 

Les événements heureux et plus difficiles, les rencontres joyeuses ou douloureuses ne s'effacent jamais complètement mais s'inscrivent en nous dans le puits de notre coeur. Que nos eaux soient stagnantes, que la nostalgie ou l’incapacité d’avancer s’installe, Dieu nous rencontrera toujours-là, dans notre coeur, en ce lieu très précis où nous pouvons venir seul nous ressourcer.

La Samaritaine, c’est vous, c’est moi, avec des citernes et des eaux dormantes. Encombré de questions probablement, de problèmes à gérer sans doute, de difficultés familiales ou sentimentales peut-être…Mais quelles que soient nos routes, lorsque nous nous penchons à la margelle de notre coeur pour nous désaltérer, nous sommes ramenés non plus à nous-mêmes, mais nous pouvons ouvrir à l’altérité. Voilà l’extraordinaire chemin de la Samaritaine. Elle fait l’expérience d’un puits profond… Lorsqu’on se penche à l’intérieur, l’eau au fond ne nous renvoie pas notre image, de façon narcissique, mais nous amène à quelque chose de plus profond encore ! Alors, se « désaltérer » à son propre puits, devient s « altériser »,  s’ouvrir au coeur de l’autre.


La question qui nous est posée est dés lors toute simple: quels sont nos lieux de ressourcements? Quel est ce puits, ce réservoir émotionnel qui ne demande qu’à être rempli? Quel est ce puits, ces lieux d’équilibre, qu’il nous faut remplir, auquel nous devons parfois nous abreuver pour ne pas nous épuiser?

Pour le découvrir, nous serons toujours invités à nous asseoir à la margelle de notre coeur, pour y relire notre histoire, en vérité, sans honte ni fierté, en plein midi, à la lumière du Christ. Ce puits en nous, rien ne pourra nous l’enlever —ni la vieillesse, ni la maladie— car il trouve sa source en Dieu. Il est ce lieu où naîtra toujours une source jaillissante et où l’Esprit nous rejoint sans cesse.

Tel est bien le chemin que nous sommes invités à emprunter. Faire la vérité sur soi par le détour de ceux que nous risquons d’aimer. Alors, nous découvrirons un source de vie et un amour toujours plus profond que nous ne l’imaginons. Amen.



3eme dimanche de Carême B

Auteur: Raphaël Devillers
Date de rédaction: 15/02/15
Temps liturgique: Temps du Carême
Année liturgique : B
Année: 2014-2015

2eme dimanche de Carême B

Auteur: Dominique Collin
Date de rédaction: 15/02/15
Temps liturgique: Temps du Carême
Année liturgique : B
Année: 2014-2015

2ème dimanche de Carême B

Auteur: Raphaël Devillers
Date de rédaction: 22/02/15
Temps liturgique: Temps du Carême
Année liturgique : B
Année: 2014-2015

LA VÉRITÉ A UN VISAGE

La lecture de l’Evangile de ce dimanche commence en omettant la notation par laquelle Marc ouvre son récit de la Transfiguration : « 6 jours après… » . Elle a pourtant une énorme importance puisque c’est le seul endroit où les évangiles synoptiques signalent le lien entre deux épisodes de leurs livres (Mt 17, 1 ; Luc 9,28).

Que s’est-il donc passé la semaine précédente ? Rien de moins que le tournant central de la vie de Jésus : son chemin, qui a d’abord été celui du succès populaire avec les prédications admirées et les guérisons spectaculaires, bifurque subitement. Alors que Pierre, pour la 1ère fois, vient de reconnaître en Jésus le Messie, celui-ci annonce aux disciples qu’il va être arrêté, condamné, mis à mort par les autorités du temple mais qu’il ressuscitera. Pierre, sidéré, veut se mettre en travers du projet de son maître mais celui-ci le rejette violemment (« Arrière satan ! ») et il proclame : « Si quelqu’un veut me suivre, qu’il renonce à lui-même et porte sa croix ».

Cet enseignement nouveau frappe comme la foudre et demeure incompréhensible, intolérable, impossible pour les disciples : comment imaginer que le Messie soit mis à mort par les grands prêtres ?

Pourtant Jésus, qui bute depuis le début contre l’opposition des pharisiens et des scribes et qui voit monter la haine de certains à son égard, est certain de ce qui l’attend s’il monte à Jérusalem. Mais il lui faut accomplir jusqu’au bout la mission que son Père lui a donnée au baptême : donc le Royaume viendra mais il ne viendra que par sa pâque, par son amour qui ne peut vaincre le mal qu’en le subissant.

« Six jours après » cette annonce, Jésus, qu’il ne faut pas croire impassible, acceptant son destin horrible sans frémir, décide d’un long temps de prière dans la solitude : seul le contact renouvelé avec son Père lui donnera le courage d’aller jusqu’au bout de sa route.

Jésus prend avec lui Pierre, Jacques et Jean, et les emmène, eux seuls, à l’écart sur une haute montagne. Et il fut transfiguré devant eux.

Ses vêtements devinrent resplendissants, d’une blancheur telle que personne sur terre ne peut obtenir une blancheur pareille. Élie leur apparut avec Moïse, et tous deux s’entretenaient avec Jésus.

La nécessité de la croix prochaine étreint Jésus (car il ne peut ni arrêter sa mission, ni s’enfuir, si ne taire, ni faire des concessions sur son message) mais comme il continue à dire oui à son Père, la Lumière de la Vérité le saisit tout entier.

Sa « transfiguration » n’est donc pas un phénomène de grâce mystique : elle vient quelques jours après l’acceptation de la croix comme, bientôt, la Résurrection de Pâque viendra après la crucifixion et l’intervalle du samedi-saint.

La Trans-figuration est offerte à celui qui, par amour de Dieu et des hommes, accepte la dé-figuration.

Jésus vit déjà de la promesse de Pâques. L’épisode en est une pré-figuration.

Ce qui apparaît comme une folie ou une absurdité est tout à coup révélé comme l’aboutissement même de l’histoire et les grands ancêtres, représentant la Loi et les Prophètes, le confirment.

Moïse, sur la montagne du Sinaï, avait reçu la Loi divine ; son visage était rayonnant lorsqu’il s’entretenait avec Dieu et il devait le voiler devant ses frères. Mais son histoire était marquée par la violence (assassinat du contremaître; mort des premiers-nés d’Egypte ; massacre des adorateurs du veau d’or…).

Elie avait été le prophète fougueux, l’homme de Dieu, le défenseur acharné de son honneur et il avait même eu la grâce d’être enlevé au ciel. Mais lui aussi avait les mains rouges de sang (tuerie des 350 prophètes de baal – 1 Rois 18, 40).

Il faut du temps pour comprendre le dessein de Dieu, discerner sa volonté, purifier la religion de ses déviances, de ses intransigeances, de son fanatisme.

Maintenant les deux grands hommes – la Loi et les Prophètes – viennent s’incliner devant le Fils et reconnaissent qu’il est bien au-dessus d’eux, que c’est lui qui a raison et qu’il pourra, par sa douceur et sa croix acceptée, apporter le salut de l’humanité.

Pierre alors prend la parole et dit à Jésus : « Rabbi, il est bon que nous soyons ici ! Dressons donc trois tentes : une pour toi, une pour Moïse, et une pour Élie. » De fait, Pierre ne savait que dire, tant leur frayeur était grande. Survint une nuée qui les couvrit de son ombre, et de la nuée une voix se fit entendre : « Celui-ci est mon Fils bien-aimé : écoutez-le ! »

Lorsque, quelques jours auparavant, Jésus avait annoncé la croix, le brave Pierre s’était cabré : « Non, non, nous te défendrons : ça ne t’arrivera jamais ! ». Réflexe humain, trop humain que Jésus avait rejeté comme satanique car son apôtre voulait une foi sans croix.

Ici à nouveau, l’apôtre se trompe. Il voudrait arrêter le temps, prolonger le bonheur d’un moment de lumière et de beauté, goûter avec quelques amis la douceur d’une piété suave, enfermer Jésus dans une tente (un tabernacle) pour jouir de sa présence. A nouveau réflexe humain, trop humain, qui sépare Dieu, Jésus et les hommes et que l’Esprit-Saint écarte d’un souffle.

En effet son signe - la Nuée - englobe tout le groupe comme elle était jadis descendue sur la tente du désert puis sur le temple bâti par le roi Salomon. Autour de Jésus au centre, Dieu établit le 3ème temple, la véritable Maison de Dieu qui n’est plus bâtie avec des étoffes ou des pierres mais qui est constituée par des hommes, ceux de l’Ancien comme ceux du Nouveau Testament, tous ceux qui acceptent un Jésus qui est en même temps Messie crucifié et Lumière du Monde.

Soudain, regardant tout autour, ils ne virent plus que Jésus seul avec eux.

Ils descendirent de la montagne, et Jésus leur ordonna de ne raconter à personne ce qu’ils avaient vu, avant que le Fils de l’homme soit ressuscité d’entre les morts.

Et ils restèrent fermement attachés à cette parole, tout en se demandant entre eux ce que voulait dire : « ressusciter d’entre les morts ».

Fugace est la vision, éphémères les moments de jouissance de la foi, rapides les éclairs de lucidité : il faut quitter ces lieux de contemplation où l’on plane avec ravissement dans le sentiment du sacré et redescendre dans la plaine, reprendre le chemin de sa mission, proclamer la Bonne Nouvelle, exhorter à la conversion, se heurter aux hommes et à leur terrible besoin de bonheur immédiat, refuser la consommation des choses pour accepter de se consumer dans l’amour des personnes.

Entre le souvenir d’une expérience de lumière que l’on a peine à décrire et l’espérance d’une résurrection future dont on ne sait trop que dire, les disciples ne sont sûrs que d’une chose :

«  Voir Jésus seul ». Car la visée de la foi chrétienne n’est pas une théorie mais un Visage.

«  Ecouter le Fils bien-aimé ». Car la foi n’est pas une contemplation stérile mais une obéissance à une Parole qui bouscule nos tranquillités et nous presse d’aller là où nous ne voudrions pas.

La messe du dimanche nous offre de même un temps de grâce : regroupés autour de notre Seigneur bien-aimé, nous goûtons d’être, par Lui et avec Lui, des fils aimés du Père.

Mais toute liturgie ouvre vers la suite, elle est envoi (Ite : missa est), ouverture d’une semaine où nous serons tentés d’oublier les exigences de l’Evangile mais où, sans cesse, il nous faudra les assumer.

La Sainte Face, unique et inoubliable, gravée dans notre cœur, nous permettra de discerner dans tout homme, fût-il atrocement souillé, un reflet du Visage de lumière qu’il doit devenir.

Dans les tragédies de l’histoire, l’humanité marche vers sa Transfiguration.

1er dimanche de Carême B

Auteur: Michel Van Aerde
Date de rédaction: 15/02/15
Temps liturgique: Temps du Carême
Année liturgique : B
Année: 2014-2015

Jésus vivait parmi les bêtes sauvages, comme Noé dans son arche. Les bêtes sauvages ne sont pas le mal. Ce sont les hommes qui sont dangereux pour elles, qui représentent la sauvagerie. Il y a quelques semaines, j’ai vu un cerf s’approcher pour brouter l’herbe dans le jardin de la maison où je me trouvais. Quand j’ai ouvert la fenêtre, il a fui, de peur probablement que je saisisse un fusil.

Dans une vision, le prophète Isaïe entrevoit la création réconciliée. « Le loup habitera avec l’agneau, le léopard se couchera près du chevreau, le veau et le lionceau seront nourris ensemble, un petit garçon les conduira (…) » et il précise : « Il n’y aura plus de mal ni de corruption sur toute ma montagne sainte ; car la connaissance du Seigneur remplira le pays comme les eaux recouvrent le fond de la mer[1].» Cette vision d’une paix universelle s’inscrit dans cette alliance cosmique entre Dieu et Noé, qui s’exprime dans l’arc en ciel.

Dans cet évangile, Jésus se présente comme le nouvel Adam qui vit au milieu de toutes les créatures dans un univers sans hostilité.

Comme Jésus, tout homme jeune, en découvrant les potentialités de son corps, sa force et ses besoins, doit passer par un temps d’entraînement à la maitrise de soi. Il y a un effort d’ascèse, de discipline, pour humaniser son agressivité, ses pulsions naturelles et parvenir à une certaine harmonie. Il faut apprendre à rentrer ses griffes, à se comporter autrement que dans une jungle où le plus fort tue le plus faible, où les prédateurs dévorent leurs proies.

Et comme l’humanité est blessée, il suffit pas de suivre la nature des choses, il faut aller plus avant : guérir les rancunes, les peurs réciproques, les ressentiments. Nous le voyons bien en ces temps agités : il faut retrouver un monde pacifié où l’on puisse apprécier la douceur du vivre ensemble, différents.

Voici donc Jésus dans un équilibre dynamique, qui apprend à maitriser ses faims, qui est tenté comme tout être humain, entre le règne animal et le règne angélique. Jésus vit entre les anges d’un côté et les bêtes sauvages de l’autre. Il n’est ni un ange ni un animal. Il a un corps qu’il doit soigner, une relation aux autres et aux objets qu’il doit respecter.

Il jeûne, pendant quarante jours et quarante nuits, nous dit le récit, utilisant le chiffre symbolique de la durée. Quarante jours comme il y a eu quarante ans dans le désert

Le jeûne est une pratique aussi ancienne que l’humanité. Même les animaux jeûnent instinctivement quand ils sont malades ou blessés. Il s’agit de se reposer, de se désintoxiquer, de se régénérer. Cela peut aider à retrouver une meilleure clarté d’esprit, en accompagnant une sorte « désencombrement mental » pour se concentrer sur l’essentiel.

Mais Jésus doit sortir de cet état paradisiaque. Jean Baptiste vient d’être arrêté. Le mal et sa force brute l’ont emporté sur la sagesse et la ferveur du prophète. Jean Baptiste ne sortira pas vivant de sa prison, il sera décapité. C’est pour Jésus une leçon, il peut pressentir l’issue tragique de sa propre mission.

Alors Jésus part en Galilée, pas loin de chez lui et il commence sa vie publique. Il proclame l’Evangile de Dieu, la Bonne Nouvelle : « les temps sont accomplis. Le Royaume de Dieu est tout proche. »

Il y a un temps pour tout, « un temps pour se taire et un temps pour parler[2].» Dans la Bible, il y a des temps sabbatique, un jour par semaine, une semaine toutes les 7 semaines, un an tous les 7 ans…Il peut être important, pour nous, de prendre un temps de retrait, de vivre, comme Jésus, un moment de désert, de retrait, dans un cadre différent, pour retrouver l’essentiel, pour redéfinir nos choix.

Ce carême peut être pour nous l’occasion Prendre de vivre un jeûne, pas seulement de nourriture mais en tout cas un jeûne de consommation, pour vivre le manque, pour retrouver le sens du vrai désir, pas celui que les autres veulent pour nous, pas celui de la publicité, pas celui du groupe qui nous entoure et qui cherche à nous instrumentaliser, rencontrer le désir du Père qui nous a créés pour être vraiment vivants dans un monde de droit, de justice et de paix.

1er dimanche de Carême B

Auteur: Philippe Cochinaux
Date de rédaction: 15/02/15
Temps liturgique: Temps du Carême
Année liturgique : B
Année: 2014-2015

« Il vivait parmi les bêtes sauvages et les anges le servaient ». Avec un tel verset, plusieurs hypothèses s’offrent à nous. La première serait plutôt d’ordre culinaire. Les anges étant de fins cuisiniers, peut-être qu’ils assaisonnaient et cuisinaient superbement en sauce toutes ces bêtes sauvages qu’ils avaient à leur disposition et ils servaient Jésus. Celui-ci passa ainsi quarante jours de bonheur gastronomique au cœur d’un désert dignement étoilé. La deuxième hypothèse serait quant à elle plus humoristique. Comme tout être humain, Jésus étant effrayé par toutes ces bêtes sauvages, s’est dit que la seule façon de dépasser ces émotions négatives était d’en rire et de se les représenter de manière ridicule comme tant de peintres l’ont fait au cours des siècles. Jésus passa ainsi quarante jours de franche rigolade au désert. Quant à la troisième hypothèse et c’est celle qui retiendra mon attention ce soir, les bêtes sauvages vivent en parfaite harmonie avec les anges. Tout est paisible. La peur n’a plus de prise. Le Carême devient alors une invitation à vivre un temps de pacification intérieure conduisant à un nouvel ordre, celui d’une paix retrouvée.

Etre inachevés par excellence, n’y a-t-il pas en tout être humain une faune sauvage qui côtoie une armée d’anges ? Un peu comme dans Tintin finalement où, à plusieurs reprises, lorsqu’il est confronté à des choix, Milou se retrouve, avec en phylactère, les représentations d’un milou ange tout de bleu vêtu et d’un milou démon aux couleurs rouges vives.   Bêtes sauvages et anges disent à leur manière quelque chose de notre propre humanité. C’est vrai, comme le dit si bien saint Paul, nous faisons parfois ce que nous ne voulons pas et nous ne comprenons pas toujours pourquoi nous agissons de la sorte. Cela semble nous dépasser. Des mots, des regards, des gestes sont parfois assassins et résultent d’une dureté de notre propre cœur. Il suffit parfois d’un simple énervement, d’une fatigue, d’un trop plein de soucis. Nous nous quittons de nous-mêmes et ne sommes plus en phase avec notre propre destinée. Lorsque nous faisons ce type d’expérience, nous sommes hors de nous-mêmes et notre langue française le dit si bien : « je suis hors de moi ». En langage théologique, nous dirions que nous sommes devenus sclérocardiaques, c’est-à-dire des êtres dont le cœur s’est endurci. L’agressivité prend alors le dessus dans notre cœur qui est devenu une véritable jungle avec ses propres lois où le plus fort cherche à gagner, quitte à écraser le plus faible. A cet instant précis, la faune sauvage a pris le dessus sur nous. Nous pourrions évidemment tomber dans une forme de désespérance. Toutefois, cela n’est pas de l’ordre de notre foi car même lorsque nous sommes envahis de tels sentiments, il y a toujours, en tout être humain, une armée d’anges qui attendent l’instant idéal pour reprendre le dessus. Au cœur de notre cœur, le combat devient alors inégal car les armes de la tendresse vaincront toujours la bête sauvage intérieure. En ce début de Carême, chacune et chacun d’entre nous, nous sommes poussés par l’Esprit pour partir dans notre désert intime. Dieu nous offre quarante jours pour retrouver cette paix intérieure nécessaire à la compréhension du mystère de cette Pâques qui nous est offerte à toutes et à tous. Nous sommes conviés à vivre un chemin de pacification véritable, celle qui commence d’abord par nous. N’ayons pas ou plus peur de nous-mêmes. Acceptons-nous dans la fragilité de notre humanité qui fait l’essence même de notre être. Redécouvrons que cette fragilité peut devenir une véritable force de vie lorsque nous sommes capables de la reconnaître. De quelle manière ? Tout simplement, tout tendrement, en osant la partager avec celles et ceux de qui nous nous faisons proches. Une fragilité partagée n’est pas un aveu de faiblesse, elle est plutôt une occasion donnée d’être dorénavant portée par d’autres personnes aimées. Je ne suis plus seul à l’affronter. Lorsque je suis capable de faire l’expérience d’une tel partage, je découvre à nouveau que la loi du plus fort n’a plus lieu d’être. Il n’est plus nécessaire de montrer les dents et de sortir nos griffes. Je n’ai plus peur de moi. Je n’ai plus peur des autres. Je n’ai plus peur de Dieu. Je m’accepte et me découvre accepté et aimé tel que je suis. Je suis ainsi pacifié. Voilà donc ce que le Carême nous invite à vivre durant ces quarante jours. Dommage qu’il soit alors si court. La vie ne serait-elle pas plus belle encore si nous pouvions vivre dans un monde de paix où il n’y aurait plus de place pour la peur, le ressentiment, la rancune, l’amertume, la tristesse. Dans ce monde-là, nous goûterons chaque jour la douceur et la tendresse de Dieu. Telle est la promesse de Pâques.

Amen