Les professeurs d’histoire de l’art se plaignent du manque de culture religieuse de leurs élèves qui, devant les innombrables tableaux de l’Annonciation à Marie, s’interrogent sur la signification de ce jeune homme aux grandes ailes inutiles, incliné devant une jeune fille très émue. Peu y reconnaissent l’ange Gabriel devant Marie.
Ce qui, pendant les siècles, a provoqué l’admiration et la ferveur des foules, n’évoque plus rien à la majorité de nos contemporains et l’on peut ajouter que notre culture post-chrétienne conduit les chrétiens eux-mêmes à s’interroger sur cette scène d’une densité spirituelle pourtant exceptionnelle. Qu’en est-il de la vérité de ce récit ? Quel est son message pour nous, aujourd’hui ?
L’Annonciation nous raconte en effet un événement qui est de l’ordre du merveilleux. Avez vous souvent rencontré des anges ? Ce récit est rédigé comme un mythe, comme un poème, comme un concentré de symboles. Nous sommes invités à l’écouter et à le décrypter. Comme une pièce de musique, à plusieurs voix, à plusieurs harmoniques. Le message essentiel n’est pas nécessairement le sens le plus immédiat.
Oui, nous pouvons nous interroger, car il n’est gère possible aujourd’hui d’être un croyant naïf, un chrétien protégé. La foi n’abolit pas l’intelligence, tout au contraire elle la stimule dans sa recherche de vérité. Avoir la foi, c’est ne pas se protéger dans un système de pensée tout fait. C’est ne pas avoir peur de perdre des illusions, s’il le faut… La foi, c’est faire confiance et dans un premier temps, accepter de ne pas savoir. Mais c’est pour mieux vérifier la vérité de ce qui est annoncé. La foi conduit à la pratique, à la vérification.
La foi communique le courage intellectuel d’aborder toutes les questions car la vérité chrétienne présente plus de questions que de réponses. A l’Annonciation, Marie n’a pas peur d’exprimer sa question, de manière pragmatique : « Comment cela pourra-t-il se faire puisque je ne connais point d’homme ? » Et la réponse de l’ange ne répond pas vraiment, elle renforce le mystère. « Rien n’est impossible à Dieu ».
La question redouble pour nous aujourd’hui car l’étude comparative des religions nous apprend que Jésus n’est pas le premier à naître d’une vierge. Des légendes historiques racontent que Bouddha serait né ainsi. Et, peu avant Jésus, la mère de l’empereur César-Auguste, l’aurait conçu de la même façon, dans le temple d’Apollon. Il est facile de trouver sur Internet ces récits déroutants.
Nous avons appris à lire la Bible en tenant compte des genres littéraires. L’auteur ne cherche pas à nous abuser. Il n’est pas un menteur. Il s’exprime simplement dans le langage de son temps et ce qu’il faut entendre n’est pas toujours la littéralité stricte des mots qu’il utilise. Il faut entendre ce que l’auteur a l’intention de communiquer, ce qu’il veut dire.
Alors que veut-il nous communiquer ? Quel message faut-il retenir qui utilise ces métaphores si puissantes, ces mythes qui traversent l’histoire de l’humanité et qui, pour une fois, pourquoi pas, quand la Parole prend corps, quand le Verbe se fait chair, se font réalité ?
Quel message se propage-t-il à travers la Bible, par ces femmes stériles qui enfantent finalement des personnages aussi providentiels que Samson ou Samuel? Quel message, sinon celui de la Paternité de Dieu, fondement de toute vraie paternité ?
L’Annonciation nous dit qu’il se produit en Jésus-Christ quelque chose de totalement nouveau. Cette nouveauté ne vient pas simplement, dans le cours des choses, comme naturellement mais elle vient d’ailleurs. « L’Esprit saint viendra sur toi et la puissance du Très Haut te prendra sous son ombre ». Il y a la puissance et il y a la douceur qui n’est pas celle l’éclair mais celle de l’ombre car tout est ici d’une immense discrétion.
Comment cela s’est-il produit, nous ne le savons pas, cet épisode de l’évangile est le dernier à être écrit, après tout le reste, comme lorsque l’on remonte la vie d’un héros pour découvrir, de manière rétrospective, après tous ses hauts faits, où il a vécu son enfance, et finalement où il est né. Du point de vue de l’histoire, l’Annonciation est un non-événement. Mais l’incendie qui a suivi prouve l’étincelle qui l’a provoqué, cette étincelle que nous pouvons recueillir nous aussi dans notre cœur.
Car ce qui est le plus extraordinaire de tout, le plus merveilleux, le plus exceptionnel, c’est que cette fécondité spirituelle tout à fait intime et personnelle n’est pas exclusive, elle est appelée à être partagée, à être multipliée. « Qui est ma mère, qui sont mes frères, mes sœurs ? Tous ceux qui mettent en pratique la parole de Dieu ! »
Ce que nous dit le récit de l’Annonciation, c’est qu’en fêtant bientôt Noël, nous sommes tous, ici et maintenant, appelés à recevoir le message des envoyés pour donner corps au projet, au désir, à l’amour de Dieu.