PROCLAMER L’EVANGILE AVANT D’EXPLIQUER LES CONSEQUENCES
Jésus semble avoir été au départ un disciple de Jean-Baptiste (de même que ses futurs apôtres) mais un jour les soldats viennent arrêter le prophète intrépide qui avait l’audace de dénoncer les mœurs coupables du roi - drame que Marc racontera plus tard (6, 17).
Ce choc constitue un appel pour Jésus : toutefois sans prendre la place de Jean sur les bords du Jourdain, il fuit vers le nord, dans son district de Galilée. Au lieu d’appeler les gens à lui dans la solitude, comme le faisait son maître, Jésus sera un prophète itinérant, allant à la rencontre des gens.
De même les chrétiens s’approchent des autres, participent à la vie de la cité.
LE TOURNANT DE L’HISTOIRE
La prédication de Jésus est toute nouvelle. Il ne demande plus de préparer la route du Seigneur qui va venir on ne sait quand … mais, tel un héraut, il proclame la Bonne Nouvelle : l’heure a sonné, le Seigneur est tout proche et il va instaurer son règne.
Après l’arrestation de Jean, Jésus partit pour la Galilée proclamer l’Évangile de Dieu. Il disait : « Les
temps sont accomplis : le règne de Dieu est tout proche. Convertissez-vous et croyez à l’Évangile. »
L’urgence n’est plus de s’enfuir dans la solitude, ni de se priver et de jeûner mais de CROIRE ce messager, donc de changer sa propre façon de voir le monde et la vie. La « conversion » opère un changement radical.
On croyait en un Dieu au ciel : il vient sur terre parmi les hommes.
On croyait que Dieu était une Puissance impassible dans l’infini : il est un acteur qui entre dans la vie des hommes, dans la société humaine pour en corriger le sens et la remettre sur la bonne route.
On croyait que la fin du monde allait provoquer une déflagration apocalyptique : elle s’immisce déjà en douceur et chaque personne, devant Jésus, doit opter. Le croyant se déclare pour lui, se jette dans cette Bonne Nouvelle qui renverse nos idoles et dévalorise les faux bonheurs.
Retenons bien cet appel préliminaire de Jésus qui définit son programme et la mission qu’il va accomplir jusqu’au bout. En décalquant le verbe grec (kerussein), on appelle cette proclamation le KERYGME, action essentielle que remplissaient les hérauts (kerux) de l’antiquité chargés d’annoncer partout les grandes nouvelles de l’Etat.
C’est après seulement, lorsque les auditeurs acceptent cette annonce et décident de changer de vie pour entrer dans le Royaume de Dieu qui vient, que l’on peut leur expliquer les conséquences de cette foi nouvelle. Cette seconde manière de prêcher s’appelle la CATECHESE : les homélies révèlent les détails de l’Evangile, les monitions expliquent le sens des rites, la morale apprend les lignes de conduite.
Dans une Europe que l’on avait déclarée trop tôt « chrétienne », la catéchèse a longtemps pris la place du kérygme. On catéchisait, on expliquait la vie chrétienne à des gens qui n’avaient pas la foi, qui n’avaient jamais opté de façon personnelle pour Jésus ; on donnait des sacrements et on inculquait une morale sans que, au préalable, on ait proposé aux personnes d’écouter la grande proclamation de Jésus et d’exprimer librement qu’elles avaient perçu la force de ce message et qu’elles décidaient de vivre selon l’Evangile.
On ne naît pas chrétien : on le devient. C’est la décision de foi – qui est toujours à renouveler car elle n’est jamais acquise de façon définitive – qui permet de demander le baptême, de saisir les raisons de la morale chrétienne et la beauté de la liturgie. Et de comprendre sa place dans l’Eglise et les motifs de sa mission. La religion peut être une convenance, un héritage, une habitude, un conformisme - jamais la foi chrétienne
Le pape François ne cesse de répéter qu’il nous faut sortir d’un espace d’Eglise et d’une catéchèse à usage interne pour, à nouveau, imiter Jésus qui proclamait le kérygme, qui circulait en interpelant les gens : « C’est le moment : Dieu vient établir son règne dans notre société rongée par le mal : croyez-le et adoptez-en sur le champ les conséquences ».
LA PREMIERE INSTITUTION DE L’EGLISE : DES APOTRES ITINERANTS.
Passant le long de la mer de Galilée, Jésus vit Simon et André, le frère de Simon, en train de jeter les filets dans la mer, car c’étaient des pêcheurs. Il leur dit : « Venez à ma suite. Je vous ferai devenir pêcheurs d’hommes. » Aussitôt, laissant leurs filets, ils le suivirent.
Jésus avança un peu et il vit Jacques, fils de Zébédée, et son frère Jean, qui étaient dans la barque et réparaient les filets. Aussitôt, Jésus les appela. Alors, laissant dans la barque leur père Zébédée avec ses ouvriers, ils partirent à sa suite.
Dimanche passé, l’évangile de Jean nous a expliqué pourquoi ces pêcheurs ont obéi sur le champ à cet appel : c’est parce qu’ils avaient connu Jésus près de Jean-Baptiste et que celui-ci les avait orientés à suivre Jésus. L’heure maintenant est arrivée : Jésus a besoin de collaborateurs proches.
Que leur est-il demandé ? De suivre Jésus, de marcher sur ses traces, de recueillir les enseignements qu’il lance (à la façon des rabbins du temps), de regarder ce qu’il fait et comment il le fait, de le questionner quand ils ne comprennent pas bien.
A cette école ambulante, pauvre, semée d’embûches et sans autre assurance que la foi-confiance, ils vont apprendre à « pêcher les hommes ». Tâche urgente, capitale car les hommes, faits pour vivre sur la terre du droit et respirer le souffle de Dieu, basculent dans la mer du mal, ils s’abîment dans les vices et les perversités, ils coulent dans la tristesse et le désespoir, ils font naufrage dans les mensonges, ils se débattent dans les flots en furie des haines.
Il faut vite « les pêcher » : cela ne veut pas dire les prendre par surprise dans les filets de l’Eglise, en faire un bloc fidèle aux rites et aux appels des cloches. Cela signifie les sauver, les remettre debout, solides sur le roc de la foi, leur permettre de souffler, leur rendre leur dignité.
La mission chrétienne n’emprisonne pas : elle libère.
Pour accomplir cette œuvre première, des hommes et des femmes se présentent, acceptent de rompre les liens les plus chers, refusent toute activité lucrative et tout souci de carrière. Ils partiront dans une aventure dont ils ne connaissent pas les aléas : ils rencontreront accueil et refus, sympathie et injures. Reçus ici avec allégresse, ils iront là le ventre creux.
Telle est, dès le premier jour et jusqu’au dernier, la tâche centrale de l’Eglise : être sans cesse en mouvement, se diriger vers les nouveaux horizons et proclamer d’abord la Bonne Nouvelle.
Avant d’aller vers Dieu, croyez que son Fils, son re-présentant, son Messie, vient à vous.
Avant de parvenir à vaincre vos défauts, croyez qu’il s’approche de vous tel que vous êtes.
Avant de l’aimer, sachez qu’il vous aime.
Avant de le voir, sachez qu’il vous regarde sans vous juger.
Et si les disciples de Jésus – les chrétiens, l’Eglise – vous déçoivent, n’oubliez pas que vous aussi vous le décevrez.
Quand l’actualité vous bombarde de mauvaises nouvelles et vous fait craindre le pire, écoutez la Bonne Nouvelle, qui ne sera jamais ni éteinte ni périmée : Dieu est l’avenir de l’homme.