Fête du Christ-Roi
- Auteur: Dominique Collin
- Date de rédaction: 23/11/14
- Temps liturgique: Temps ordinaire
- Année liturgique : A
- Année: 2013-2014
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C’EST LA FIN DE TOUT
Nul doute qu’au palmarès des citations bibliques effectuées à notre époque, la première place ne reviendrait à la grande fresque du Jugement dernier. De Charles de Foucauld à l’abbé Pierre, de mère Térésa à Sœur Marie-Emmanuel, de l’Aide aux lépreux à A.T.D. Quart-Monde, tous s’appuient sans cesse sur ce texte pour justifier leurs admirables engagements en faveur des plus démunis.
En ce dimanche qui marque la fin de l’année liturgique en proclamant la Royauté universelle du Christ, nous écoutons cette scène qui clôture tous les enseignements de Jésus et éclaire le sens de cette mystérieuse Royauté. Ultime appel à nous convertir. Désormais nous savons ce que nous avons à faire.
Jésus parlait à ses disciples de sa venue : « Quand le Fils de l’homme viendra dans sa gloire, et tous les anges avec lui, il siégera sur son trône de gloire. Toutes les nations seront rassemblées devant lui ; il séparera les hommes les uns des autres.
Alors le Roi dira à ceux qui seront à sa droite : “Venez, les bénis de mon Père, recevez en héritage le Royaume préparé pour vous depuis la fondation du monde. Car j’avais faim, et vous m’avez donné à manger ; j’avais soif, et vous m’avez donné à boire ; j’étais un étranger, et vous m’avez accueilli ; j’étais nu, et vous m’avez habillé ; j’étais malade, et vous m’avez visité ; j’étais en prison, et vous êtes venus jusqu’à moi !”. Alors les justes lui répondront : “Seigneur, quand est-ce que nous t’avons vu… ? tu avais donc faim, et nous t’avons nourri ? …Quand sommes-nous venus jusqu’à toi ?”. Et le Roi leur répondra : “Amen, je vous le dis : chaque fois que vous l’avez fait à l’un de ces plus petits de mes frères, c’est à moi que vous l’avez fait.”
Alors il dira à ceux qui seront à sa gauche : “Allez-vous-en loin de moi, vous les maudits, dans le feu éternel préparé pour le diable et ses anges. Car j’avais faim, et vous ne m’avez pas donné à manger … j’étais un étranger, et vous ne m’avez pas accueilli ; nu, et vous ne m’avez pas habillé… ». Alors ils répondront, eux aussi : “Seigneur, quand t’avons-nous vu avoir faim,…malade ou en prison, sans nous mettre à ton service ?” Il leur répondra : “Amen, je vous le dis : chaque fois que vous ne l’avez pas fait à l’un de ces plus petits, c’est à moi que vous ne l’avez pas fait.”.
Et ils s’en iront, ceux-ci au châtiment éternel, et les justes, à la vie éternelle.
Quelle révélation stupéfiante ! Matthieu rédige son livre dans les années 80-85, moins de 50 ans après la mort de Jésus, alors que n’existent ici et là que quelques petites communautés chrétiennes et que, pour la très grosse majorité des gens, le souvenir de ce crucifié (un parmi tant d’autres) s’estompe.
Et Matthieu, en toute assurance, écrit cette scène qui nous percute par trois chocs consécutifs.
JESUS FILS DE L’HOMME
Le premier. Les prophètes bibliques avaient annoncé depuis longtemps que l’histoire des hommes marchait vers un terme et qu’à la fin des temps Dieu rendrait un jugement définitif : ceux qui ont vécu selon le droit et la justice seraient récompensés, ceux qui ont bafoué ces valeurs seraient châtiés.
Eh bien, dit Matthieu, c’est Jésus qui opèrera ce jugement. Oui, Jésus de Nazareth, ce petit artisan sans aucun titre, ce Galiléen qui a été condamné et exécuté sur une croix d’ignominie, cet homme est vivant dans la Gloire du Père : c’est lui le mystérieux Fils de l’homme que le prophète Daniel avait jadis annoncé (7, 13-14) :
« Je regardais dans les visions de la nuit et voici qu’avec les nuées du ciel venait comme un Fils d’Homme ; il arriva jusqu’à l’Ancien (Dieu) et il lui fut donné souveraineté, gloire et royauté »
UN CRITERE : LES ACTES DE MISERICORDE
2ème surprise. Ce jugement concernera l’humanité tout entière et se fera selon un unique critère : non les croyances en pensée, les liturgies fastueuses, les projets velléitaires, les pratiques ascétiques, les révélations privées mais uniquement les œuvres de miséricorde effectuées concrètement à l’endroit des plus malheureux. Qu’as-tu fait pour aider les malheureux, soutenir les démunis, sauver les affamés, consoler les désespérés ? On ne te demandera pas ce que tu as pensé à propos de la misère du monde, l’émotion que tu as ressentie devant les catastrophes vues sur le petit écran, ni non plus les initiatives que tu envisageais d’entreprendre plus tard.
Seules compteront les actions réalisées. Même petites mais réelles. Car jamais, dans la Bible, la pitié ne se réduit à un pincement de cœur : elle mobilise, engage, responsabilise, passe à l’acte – sinon elle est illusoire et elle ne console que celui qui la ressent et qui croit avoir bon cœur parce qu’il a la larme à l’œil.
LE FILS DE L’HOMME ANONYME
3ème surprise, plus grande encore. Jésus glorieux révèle qu’il était présent dans chacune de ces personnes en détresse : « C’est à moi que vous l’avez fait…C’est à moi que vous ne l’avez pas fait » !! Tous ces pauvres malheureux n’étaient pas des saints, ils avaient des défauts, parfois une apparence repoussante mais chacun souffrait, était mutilé dans son humanité, parfois méprisé, ignoré par l’entourage.
Jésus qui lui-même avait souffert de la pauvreté, de la faim, du mépris, de la prison, des coups, des injures, d’une condamnation sans raison, de la haine des juges, et qui avait agonisé seul dans l’épouvantable nuit de Gethsémani, révèle que son amour vécu dans une infinie détresse lui a fait rejoindre chacun et chacune de la multitude innombrable des souffrants. « C’était l’un des plus petits de mes frères…C’est à moi que vous l’avez fait »
Tout le monde ignorait ce mystère. Ceux qui ont fait le bien n’avaient pas cherché à accumuler des mérites, ils ne savaient pas que, dans leurs actes de miséricorde, ils atteignaient Jésus. Les chrétiens, à la messe, faisaient mémoire de la Passion de leur Seigneur puis, à l’hôpital ou dans la rue, rencontraient des malheureux ; prière et charité, amour pour Dieu et amour pour les hommes constituaient deux pratiques distinctes. Maintenant, bouleversés, ils apprennent le lien entre le mystère de l’Eucharistie et le mystère du frère. Tant à l’église que dans le monde, on entend : « Ceci est mon corps…ceci est mon sang ». Dans l’une, on le reçoit ; dans l’autre, on lui donne : « Voici mon cœur, mes bras, mes mains ».
Et tant d’incrédules et d’individus à la vie dissolue qui se croyaient condamnés sans recours découvriront, ahuris, émerveillés, que le Christ ne les jugeait pas sur leur immoralité mais sur leur générosité, sur toutes les occasions où ils étaient venus au secours d’un malheureux. Car le manque de foi n’empêche pas d’avoir bon cœur. « L’incroyant » n’est pas toujours celui que l’on pense.
Dimanche prochain, l’année liturgique avec Matthieu se clôturera normalement avec la grande scène du Jugement : aujourd’hui une des ultimes paraboles de Jésus nous presse d’agir pendant qu’il en est temps. La foi n’est pas une croyance privée et inefficace. Croire c’est agir. Croire c’est miser. Au boulot, vite !
LA PARABOLE DES TALENTS
Jésus parlait à ses disciples de sa venue et il disait cette parabole : « C’est comme un homme qui partait en voyage : il appela ses serviteurs et leur confia ses biens. À l’un il remit une somme de cinq talents, à un autre deux talents, au troisième un seul talent, à chacun selon ses capacités. Puis il partit. Aussitôt, celui qui avait reçu les cinq talents s’en alla pour les faire valoir et en gagna cinq autres. De même, celui qui avait reçu deux talents en gagna deux autres. Mais celui qui n’en avait reçu qu’un alla creuser la terre et cacha l’argent de son maître.
Longtemps après, le maître de ces serviteurs revint et il leur demanda des comptes. Celui qui avait reçu cinq talents s’approcha, présenta cinq autres talents et dit : “Seigneur, tu m’as confié cinq talents ; voilà, j’en ai gagné cinq autres.” Son maître lui déclara : “Très bien, serviteur bon et fidèle, tu as été fidèle pour peu de choses, je t’en confierai beaucoup ; entre dans la joie de ton seigneur.”
Celui qui avait reçu deux talents s’approcha aussi et dit : “Seigneur, tu m’as confié deux talents ; voilà, j’en ai gagné deux autres.” Son maître lui déclara : “Très bien, serviteur bon et fidèle, tu as été fidèle pour peu de choses, je t’en confierai beaucoup ; entre dans la joie de ton seigneur.”
Celui qui avait reçu un seul talent s’approcha aussi et dit : “Seigneur, je savais que tu es un homme dur : tu moissonnes là où tu n’as pas semé, tu ramasses là où tu n’as pas répandu le grain. J’ai eu peur, et je suis allé cacher ton talent dans la terre. Le voici. Tu as ce qui t’appartient.”
Son maître lui répliqua : “Serviteur mauvais et paresseux, tu savais que je moissonne là où je n’ai pas semé, que je ramasse le grain là où je ne l’ai pas répandu. Alors, il fallait placer mon argent à la banque ; et, à mon retour, je l’aurais retrouvé avec les intérêts. Enlevez-lui donc son talent et donnez-le à celui qui en a dix. À celui qui a, on donnera encore, et il sera dans l’abondance ; mais celui qui n’a rien se verra enlever même ce qu’il a. Quant à ce serviteur bon à rien, jetez-le dans les ténèbres extérieures ; là, il y aura des pleurs et des grincements de dents !”
Tous les livres du Nouveau Testament sont formels : ce Jésus que ses ennemis croyaient avoir anéanti est vivant et il a promis sa venue, sans toutefois en préciser la date. En cette durée immense et à échéance indéterminée (« longtemps après ») qui est le temps de l’Eglise, ses disciples ne sont pas des individus inscrits dans une organisation, des gens pieux de religion chrétienne : ils sont devant la tâche magnifique et colossale de poursuivre l’œuvre que Jésus a commencée et insérée dans l’histoire.
Les dons que le Seigneur nous a laissés sont d’une valeur incommensurable et c’est bien pour cela que le Seigneur emploie le mot de « talent ». Dans l’antiquité romaine, le « talentum » est une mesure de poids et une monnaie : environ 35 kg d’or soit 6000 francs-or. Attention ! Ce mot qui provient de cette parabole a maintenant changé de sens et désigne une qualité personnelle, une disposition innée, un art.
Ici il s’agit bien de cadeaux dont le Christ nous comble, d’une valeur inouïe: il nous a faits enfants de Dieu, nous a remplis d’Esprit-Saint, nous a permis de prier « Notre Père », nous a ouvert l’accueil permanent à la Miséricorde infinie du Père, nous a inculqué l’amour seul à vivre, nous a invités à la Table où nous mangeons sa Parole et son Pain afin d’être une communion fraternelle, etc. Que de grâces ! Que d’amour prodigué ! Spirituellement le moindre petit chrétien est richissime !
Ces dons ne sont pas des trésors à dissimuler jalousement : ils sont les clefs, les forces indispensables pour épargner au monde la catastrophe et pour guider les hommes dans la Vie éternelle. Etant des personnes libres et différentes, nous recevons ces dons dans des mesures inégales mais tous sont destinés à être mis en œuvre pour guérir l’humanité, l’éclairer sur la route et l’accomplir en Dieu.
REDDITION DES COMPTES
Lorsque le Maître revient, son interrogatoire ne suit pas le code habituel de nos livres de morale ou de piété : il porte sur quelque chose auquel nous ne pensons pas suffisamment : la paresse. Qu’as-tu fait de ce tu as reçu ? Comment t’en es-tu servi ? Comment l’as-tu employé ? As-tu été un chrétien efficace, as-tu osé prendre des initiatives ? As-tu considéré ta foi, ta prière, ta liturgie comme des parenthèses pieuses…ou comme des instruments qui recelaient une puissance divine capable de renverser tous les obstacles, de relever l’homme déchu, d’éclairer l’homme désespéré, de réconcilier des ennemis ?...
Il n’est pas exigé que chacun réalise les mêmes effets: certains font plus et d’autres moins et nous n’avons pas à les comparer. Mais celui qui a peu reçu doit, lui aussi, présenter des résultats. Or c’est lui, le pauvre, qui naturellement n’a pas osé risquer. Quand on a peu on a peur de tout perdre. Se voyant moins doué que les autres et écrasé par certains qui réalisent des exploits, le peu doté reste enfermé dans ses doutes. Il se croit humble alors qu’il se protège.
« Oh moi, monsieur le curé, il ne faut rien me demander…Je ne sais rien faire…Je n’ai pas fait d’études… » : que de fausses excuses, que de réticences ! Bien des paroisses n’avancent pas parce que beaucoup ont mis les freins. Ils croient qu’il faut être l’abbé Pierre ou mère Térésa !
Ou bien ils devinent que s’ils engageaient un doigt dans l’engrenage, il faudrait qu’ils négocient un autre style de vie et renoncent à certaines facilités.
Une autre cause de ce lamentable statuquo peut également provenir des prêtres. Parfois ils se contentent de collaborer avec certaines personnes connues, dont ils savent les qualités, dont ils n’encaissent pas les contradictions et ils n’osent solliciter telle autre. Ou bien plutôt que de se risquer près de certains, ils préfèrent accomplir toutes les tâches eux-mêmes.
Un responsable n’a pas à tout assumer, il doit placer l’assemblée chrétienne devant ses responsabilités immédiates. Par exemple, vous les retraités, vous avez été pris par des dizaines d’années de travail professionnel et de responsabilités familiales, vous êtes restés des « pratiquants » inertes qui assistaient à la messe et profitaient du travail des autres. A présent que vous avez du temps et encore une bonne santé, ne comprenez-vous pas que vous devriez assumer telle ou telle tâche ? Vos petits enfants râleraient sans doute que vous leur consacriez moins de temps mais ils s’étonneraient de voir que leurs papys et mamies s’engagent dans des activités paroissiales. « La foi serait-elle donc si importante ? ». L’engagement joyeux de grand père aurait plus d’effet que les homélies du prêtre.
Ne pas prendre sa part dans l’œuvre d’évangélisation, se résigner aux malheurs des hommes sans agir, se contenter d’un christianisme de cérémonies routinières, c’est du coup se retirer de la communauté vivante, c’est basculer « dans les ténèbres extérieures ».
La partie centrale de cet Evangile, ce n’est pas la pauvreté du troisième serviteur (il n’a qu’un talent), ni la réussite de ces deux compagnons (ils ont doublé la mise initiale). Non, la partie centrale de cet Evangile, c’est cette phrase terrible : « Seigneur, je savais que tu es un homme dur ». Quelle phrase terrible ! Un ouvrier peut la dire à son patron. Un ingénieur ou un chef de bureau peut la dire à son directeur. Mais ce qui est plus terrible encore, c’est quand un fils le dit à son père : « Père, je savais que tu es un homme dur ».
Et pourtant, nous ne sommes pas tous des brutes, nous voulons tous le bonheur de notre entourage. Mais de quelle façon ? Un jour, une grand-mère invita son petit-fils à monter dans la voiture et à prendre place sur le siège avant à côté d’elle, et voilà que le petit répond : non, il préfère s’installer sur le siège arrière. Il prend son indépendance et la grand-mère soupire : « Ah ! Les enfants ne devraient pas grandir ! » Que fait-elle ? N’est-elle pas en train de dire à son petit-fils : « Ne grandis pas ! Reste petit ! Que je m’occupe de toi ! ». Et comment s’occupe-t-elle de ce petit ? Comme d’une poupée qui ne doit pas grandir. Un jour, un homme félicite son ami parce son fils a fait de brillantes études, qu’il a une bonne place et qu’il a fondé une belle famille, et le père soupire : « oui, mais il a des problèmes ! » Que fait-il, si ce n’est réduire son fils, qui est un adulte, qui a réussi ? Il réduit son fils à son petit qui n’a pas le droit de grandir, qui n’a pas le droit de réussir sans son papa. Nous avons tous à l’intérieur de nous un petit côté de belle-mère. Ne grandis pas ! Reste petit ! Je m’occupe de toi ! C’est tellement plus facile de dominer un petit que de collaborer avec son égal.
Mais on ne veut que le bonheur de l’autre. Quand un homme arrive à la pension et souhaite réorganiser toute la cuisine à la maison, il ne veut pas déranger sa femme, il veut au contraire l’aider, apporter une gestion plus efficace et raisonnable de ce lieu de travail. C’est probablement pour cela que Juda a trahi Jésus : c’est parce qu’il était convaincu qu’il fallait arrêter Jésus. Il allait trop loin. Il ne pouvait plus se contrôler. Il fallait donc l’arrêter.
Et c’est cela qui est impressionnant dans cet Evangile : c’est que les serviteurs reçoivent leurs talents quand leur maître s’en va. C’est quand le maître est parti qu’ils peuvent déployer tous leurs talents et les faire fructifier. C’est comme le Nil en Egypte. Le grand fleuve inonde la vallée pendant ses crues. Il y dépose le limon fertile et il se retire pour que les plantes puissent pousser, croître et donner leur fruit. De la même façon, les parents couvrent leurs enfants de leur affection, mais vient un moment où il faut se retirer pour que le petit puisse grandir et se développer. De la même façon, Dieu nous comble de sa grâce et de ses biens, et Il se retire pour nous laisser vivre, croître et porter du fruit. De loin, Il veille sur nous. De près, Il nous laisse la liberté. En quittant son domaine, le maître n’a donné nulle consigne pour faire fructifier les talents. Les serviteurs auraient pu partir au Grand-Duché, ou en Suisse, ou, pourquoi pas ?, aux Caraïbes. Dieu nous prend pour des adultes. Il nous donne l’énorme responsabilité de notre vie et de celle des autres.
L’Evangile d’aujourd’hui nous dit combien Dieu nous aime comme des adultes. Il nous comble de talents qu’il nous laisse fructifier à notre façon. Nous aussi, recevons-nous les uns les autres non pas comme des petits qu’il faut écraser de prévenances et de surveillances, mais comme des adultes infiniment différents les uns des autres, mais tous remplis de la même grâce, celle d’aimer et de déployer les ailes de nos talents.
Il y a déjà quelques années, des novices dominicains visitaient une cathédrale. Dans ce groupe, il y en avait deux qui étaient particulièrement très pieux. En arrivant dans ce bel édifice, ils cherchaient un lieu pour se recueillir et méditer du mystère de la vie. Après avoir quelque peu déambulés, ils découvrirent une crypte. Ne trouvant pas l’interrupteur et leurs yeux s’étant habitués à la lumière, ils virent au fond de celle-ci, une petite lumière rouge. En bons novices dominicains, ils s’agenouillèrent devant ce qui devait être le tabernacle et prirent le temps de prier. Etant spirituellement rassasiés de ce moment d’intimité divine, ils décidèrent de rejoindre leurs autres co-novices qui étaient restés dans la nef centrale. En sortant de la crypte, par hasard, l’un des deux trouva l’interrupteur et alluma la pièce. Avec stupeur, ils virent qu’ils venaient de faire leur méditation non pas devant un tabernacle mais bien devant la chaudière. La petite lumière rouge était celle du brûleur.
Si je me permets de vous raconter cette histoire réelle, c’est parce qu’elle dit quelque chose de notre inconsistance de croyants catholiques. Lorsque nous visitons des églises, nous savons que celle-ci est de notre confession lorsque nous découvrons la petite lumière rouge indiquant le tabernacle. Or si nous étions consistants avec nous-mêmes, nous devrions porter une telle lumière sur nous puisque, selon saint Paul, le temple de Dieu est sacré et ce temple, c’est nous. Evidemment, matériellement, il ne nous est pas possible de nous balader avec une lumière en permanence. Et pourtant, pourtant, nous devrions avoir le sentiment que celle-ci est toujours à nos côtés si nous prenons au sérieux les mots de l’apôtre : « N’oubliez pas que vous êtes le temple de Dieu, et que l’Esprit de Dieu habite en vous ». Oui, nous sommes aujourd’hui encore les tabernacles vivant de notre Dieu au cœur de notre humanité. Telle est notre responsabilité. Et c’est à cet endroit précis que le Christ vient mettre un peu d’ordre. Avec tendresse et force, il vient nous désencombrer de tout ce qui nous empêche de devenir nous-mêmes afin que nous puissions, ainsi libérés, nous rendre plus disponibles à ce que Dieu attend de chacune et chacun de nous. Le Christ vient chasser en nous tout ce qui ne nous permet plus d’être ajustés à la volonté divine. Nos églises ne sont donc pas le seul et unique lieu de l’expression de notre foi. Elles sont des espaces qui nous permettent de nous rassembler, de méditer, de partager cette foi qui nous fait vivre. Elles sont donc un lieu de la foi mais peut-être pas le lieu de la foi par excellence puisque l’histoire nous a montré qu’à différentes époques ces bâtisses ont été saccagées, profanées, détruites. Ici à Liège, nous en avons pour preuve la destruction de la cathédrale saint Lambert, il y a un peu plus de deux siècles. Toutefois, il est un lieu de foi qu’il n’est pas possible de détruire, c’est celui qui est en nous, ce temple de Dieu qui nous constitue et où l’Esprit Saint a choisi d’y construire sa propre demeure. Etre temple de Dieu, c'est reconnaître qu'il y a en chacune et chacun de nous quelque chose de sacré, c'est-à-dire quelque chose qui nous dépasse et qui va bien au-delà de nous. En tant que temple de Dieu, tout sacré que nous soyons, nous portons en nous une part de Dieu qui est plus grand que nous. Dieu prend donc à ce point son humanité au sérieux qu'il choisit de venir résider en nous. Nous avons de la valeur à ses yeux. Cela peut sembler bien prétentieux de se dire que nous sommes « temple » de Dieu. Toutefois, ce n'est pas nous qui nous sommes octroyés un tel titre, c'est un apôtre qui nous l'affirme. Nous sommes « temple » de Dieu car nous sommes toutes et tous des êtres sacrés. Tant dans notre corps que dans notre âme. En tant que temple de Dieu, c'est notre être tout entier qui est sacré. Puissions-nous ne pas trahir cette réalité qui nous a été donnée et permettre ainsi à Dieu de continuer de nous façonner chaque jour un peu plus dans la vérité de nos relations afin de devenir sacrement de Dieu sur terre, c'est-à-dire signe visible de sa présence au cœur de notre humanité. De la sorte, être « temple » de Dieu n'est plus un titre honorifique mais un état de vie, un état de foi.
Amen
La consécration de la basilique du Latran est tellement importante que sa liturgie supplante celle du 32ème dimanche. Pourquoi ? Constantin, l’empereur de Rome converti, avait offert au pape le palais de la famille des Laterani et on y édifia la Basilique du Saint-Sauveur : consacrée en 324, elle devint la cathédrale du pape en tant qu’évêque de Rome (ce n’est donc pas la basilique St Pierre). Au-dessus du portail on peut lire l’inscription « Mère de toutes les églises ». Elle prit ensuite son nom de Basilique de Saint-Jean-de-Latran.
C’est l’occasion de méditer sur ce mot « EGLISE » qui désigne à la fois : l’église/bâtiment, l’Eglise/communauté locale et l’Eglise universelle/Corps du Christ.
L’EGLISE MONDIALE : LE CORPS DU CHRIST
Le mot église, qui vient du grec « ek-klèsia », ne désigne donc pas d’abord un bâtiment mais la communauté de ceux qui sont « appelés-hors-de ». La personne qui donne sa foi au Christ en acceptant le baptême est retirée d’un certain genre de vie pour s’agglomérer à la communion de ceux qui croient en Jésus Sauveur et décident de vivre selon l’Evangile.
Certes cette Eglise a d’énormes défauts (goût du faste, peur des engagements, mœurs infâmes de certains membres…), il est courant de ne voir qu’eux et donc d’en faire la cible de critiques virulentes (et parfois justifiées). Cependant c’est bien pour que cette Eglise existe que Jésus a donné sa vie sur la croix. A la fin de sa vie, il a donné son Eucharistie à des convives qu’il savait menteurs et lâches (« Je donnerai ma vie pour toi » venait de dire Simon-Pierre) et il est allé à la mort non pour les récompenser mais pour les aimer jusqu’au bout, et par cet amour, les changer.
Entrer en Eglise n’est pas la récompense des parfaits ni l’assurance d’un salut automatique : elle est réponse à un appel, décision d’entrer dans un processus de conversion permanente, accueil d’exigences parfois très dures.
Mieux connue, cette Eglise du Christ fait éclater toutes les caricatures où certains veulent l’enfermer pour la dévaloriser aux yeux des jeunes. Cette Eglise traverse tous les temps et toutes les frontières, elle a commencé depuis longtemps le processus de mondialisation en créant un immense réseau international de cliniques, d’hôpitaux, d’écoles, d’universités. Dans toutes les zones de pauvreté, de détresse, de conflits, des chrétiens travaillent dans l’ombre, bâtissent, consolent, éduquent, soignent. Longtemps étouffés par une idéologie matérialiste, des Russes, des Albanais, des Chinois, des Cambodgiens, par millions, découvrent enfin l’espérance et demandent le baptême à cette Eglise qu’on leur présentait jadis comme une ennemie infâme.
Entrer en Eglise est donc une vocation, un honneur pour lequel il faut sans cesse rendre grâce, et en même temps une mission, celle d’appeler tous les hommes à sortir de l’égoïsme, de l’indifférence et du désespoir. Tâche qui rencontre refus, hostilité, haine. C’est pourquoi l’Eglise n’est pas seulement objet de sarcasmes : lorsqu’elle remplit sa mission, elle dérange beaucoup. Selon une source récente, plus de 100 millions de chrétiens subissent aujourd’hui la persécution et sont battus, chassés, violés, assassinés. L’Eglise chrétienne est reconnue comme la communauté la plus persécutée du monde ; jamais dans son histoire elle n’a compté autant de victimes et de martyrs. Bien souvent dans le silence des médias et, hélas, dans l’ignorance et l’indifférence des baptisés des pays nantis.
L’Eglise ne se réduit pas à une organisation avide d’augmenter ses effectifs et de manifester sa force : elle est LE CORPS DU CHRIST. En effet, au grand bouleversement des apôtres qui se croyaient d’abord disciples de Jésus (comme il y avait eu les disciples de Jérémie, de Jean-Baptiste, de Bouddha…), Jésus leur révéla qu’il allait les transformer de façon inimaginable :
« Encore un peu et le monde ne me verra plus. Vous, vous me verrez vivant et vous vivrez vous aussi. En ce jour-là, vous connaîtrez que je suis en mon Père et que vous êtes en moi et moi en vous…Si quelqu’un m’aime, il observera ma parole et mon Père l’aimera. Nous viendrons à lui et nous établirons en lui notre demeure… » (Jn 14, 19-23).
L’évangile de ce jour nous révèle que la réalité de l’Eglise dépasse de loin la beauté de la basilique du Latran et de toutes les cathédrales du monde (qui n’en sont que les images de pierre).
« VOUS ETES LE TEMPLE DE DIEU » (Saint Paul : 1ère aux Cor 3, 16)
Comme la Pâque juive était proche, Jésus monta à Jérusalem. Dans le Temple, il trouva installés les marchands de bœufs, de brebis et de colombes, et les changeurs. Il fit un fouet avec des cordes, et les chassa tous du Temple, ainsi que les brebis et les bœufs ; il jeta par terre la monnaie des changeurs, renversa leurs comptoirs, et dit aux marchands de colombes : « Enlevez cela d’ici. Cessez de faire de la maison de mon Père une maison de commerce. »Ses disciples se rappelèrent qu’il est écrit : « L’amour de ta maison fera mon tourment ».Des Juifs l’interpellèrent : « Quel signe peux-tu nous donner pour agir ainsi ? » Jésus leur répondit : « Détruisez ce sanctuaire, et en trois jours je le relèverai. » Les Juifs lui répliquèrent : « Il a fallu quarante-six ans pour bâtir ce sanctuaire, et toi, en trois jours tu le relèverais ??! »
Mais lui parlait du sanctuaire de son corps. Aussi, quand il se réveilla d’entre les morts, ses disciples se rappelèrent qu’il avait dit cela ; ils crurent à l’Écriture et à la parole que Jésus avait dite.
Voilà 46 ans que le roi Hérode avait lancé les travaux pour réparer le vieux temple et en faire un des plus beaux édifices religieux du monde. Et tout autour de l’immense esplanade par laquelle on y accédait, le grand prêtre avait autorisé l’installation de marchands d’animaux (pour les sacrifices du culte) et des changeurs (pour payer l’impôt annuel). Initiative très lucrative car le prélat retirait un pourcentage juteux de ce trafic ! Jésus, scandalisé, commence le nettoyage de toute cette foire qui souille « la Maison de son Père ». Et, mieux encore, il annonce une révolution : bientôt le lieu du culte, la Demeure de Dieu, ne sera plus un bâtiment de pierres mais SON CORPS.
Déclaration incompréhensible qui a laissé tous les spectateurs pantois et incrédules. Mais lorsque Jésus fut ressuscité, ses apôtres comprirent qu’il avait été, sur la croix, l’agneau unique immolé pour le pardon des péchés du monde et qu’il était dorénavant le sanctuaire vivant, le Corps, auquel, par la foi, les disciples pouvaient d’adjoindre pour devenir son Eglise, la véritable Maison où peuvent accéder les hommes de toutes les nations qui deviennent les enfants du Père.
Lorsque, 40 ans plus tard, en l’an 70, suite à la révolte juive, les Romains incendièrent et rasèrent le Temple (qui venait d’être achevé) au grand désespoir du peuple, les chrétiens ne se sont pas réjouis mais ont répété que l’on ne détruirait jamais le temple spirituel de l’Eglise.
Magnifique est la basilique du Latran – ainsi que tant de cathédrales du monde -, modestes et fragiles sont nos petites églises de village. Traverseront-elles le temps ? Seule a la promesse d’éternité l’Eglise vivante, communauté universelle, Corps du Christ.
Veillons sur nos édifices mais sans oublier que la réalité essentielle, c’est « la paroisse », la cellule de base de l’Eglise, la communion des croyants qui se réunissent tous les dimanches autour de l’autel afin de devenir de mieux en mieux « le Corps du Christ » et témoigner, en chaque lieu du monde, que la beauté d’une église, c’est l’amour divin qui unit ses membres.
Un jour, un jeune homme s'agenouille au bord d'une rivière. Il plonge ses bras dans l’eau pour se rafraîchir le visage et là, dans l'eau, il voit l'image de la mort. Il se redresse très effrayé et lui dit :
«Que me veux-tu ? Je suis jeune! Pourquoi viens-tu me chercher sans me prévenir ? »
« Je ne viens pas te chercher, répondit la voix de la mort. Rassure-toi et rentre chez toi, car j’attends ici quelqu'un d'autre. Je ne viendrai pas te chercher sans te prévenir, je te le promets. »
Le jeune homme rentre joyeusement chez lui. Il devient un homme, il se marie, a des enfants, et suit le cours de sa vie tranquille.
Un jour d'été, se trouvant auprès de la même rivière, il s'arrête pour se rafraîchir. Et de nouveau il vit le visage de la mort. Il la salua et voulut se redresser. Mais une force terrible le maintient agenouillé au bord de l'eau.
Il prends peur et demande : « Que veux-tu ? »
«C'est toi que je veux, répondit la voix de la mort. Aujourd'hui je suis venue te chercher.»
Mais tu m'avais promis de ne pas venir me chercher sans me prévenir! Tu n'as pas tenu ta promesse ! »
La mort répond : « Je t'ai prévenu de mille façons. Quand tu croisais un visage, je te rappelais le mien. Comment peux-tu dire que je ne t'ai pas prévenu ? Chaque fois que tu croisais le visage d’un humain —qu’il soit jeune ou plein de rides— c’est moi qui te visitais pour te rappeler l’urgence d’aimer.»
Face à la mort, c’est toujours la même question qui revient… Pourquoi? Pourquoi lui, pourquoi elle? Pourquoi maintenant? Pourquoi moi?
Commémorer les défunts, ce n’est pas s’enfermer dans la spirale amère des pourquoi, mais c’est paradoxalement se poser le question du comment ! «Comment vivre?» Comment bien vivre en sachant que nous devons mourir? Comme vivre, en sachant que nous devons bien mourir? Comment être heureux malgré malgré la perte de ceux qui nous aimons?
Parce que la mort met un terme irrémédiable à notre soif d’aimer, elle reste le mystère ultime de notre existence. Et bien que ce soit notre seule certitude sur terre, nous sommes toujours désemparés quand elle survient. Nous sommes comme désarmés, dans un monde qui aime maîtriser, posséder, conserver, immortaliser. Or, la mort, c’est la dépossession par excellence. Certains la fuient, en la taisant. D’autres la défient. Mais bien peu en parlent ouvertement.
Voilà pourquoi il nous faut apprivoiser la mort, l’accueillir, oser peut-être en parler plus souvent, la domestiquer pour mieux vivre, pour découvrir que le temps qui passe est le chemin que prends l’éternité de Dieu pour nous rejoindre.
Le christianisme —permettrez-moi l’expression— a remis la mort au centre un milieu du village ! Prenez l’exemple des cimetières… Si dans la culture païenne, les morts étaient enterrés à l’extérieur des villes, les chrétiens ont voulu enterrer leurs morts dans le village, autour de l’église. Comme pour manifester ce lien qui nous unit avec tous ceux qui nous précèdent, par delà la vie éternelle. Un lien, peut-être ténu, mais qu’il nous appartient d’entretenir.
Et si nous éprouvons de la gêne à parler de la mort, c’est peut-être parce qu’au fond de notre coeur, il y a finalement ce sentiment que la mort n’est pas notre destinée. L’amour au fond de nous la défie. Comme pour dire, à l’être aimé qui nous précède,«je t’aime encore, tu restes bien vivant dans mon coeur, toi tu ne mourras pas. » Oui, notre amour, notre fidélité peuvent être plus grandes que la mort. Et c’est bien au nom de cet amour plus fort que la mort que nous nous sommes rassemblés ici, dans l’espérance de la résurrection. Nous nous souvenons —en ce jour— d’un proche, d’un ami, d’un mari ou d'une épouse, d’un père ou d’une mère, d’une frère ou d’une soeur, d’un enfant, d'un membre de sa famille, disparus à nos yeux, mais dans la foi, toujours vivants dans notre coeur.
Par-delà la vie éternelle, ils sont des passeurs de vie. Ils ont usé la vie, été peut-être usés par elle, mais ils nous invitent à aimer, à vivre plus intensément la vie, sans pour autant la défier. Peut-être même que leur souvenir rendra le jour de notre grand passage plus facile à traverser. Alors, illusion, rêve, ou fuite du réel? Peu importe, pour autant que cette foi en la résurrection qui nous rassemble, nous amène non pas survivre, mais à mieux vivre, à aimer davantage. Nos morts sont, dans les mains de Dieu, des grands vivants qui nous invitent à vivre la vie en abondance, et à éprouver l’urgence d’aimer. Amen.
Dans le très beau chapitre 8 de la Constitution sur l’Eglise, le concile Vatican II a écrit ces phrases pleines d’espérance. En ce jour où nous faisons mémoire des défunts, nous dilatons notre conception de l’Eglise : elle n’est pas une institution, une organisation mais LE CORPS MYSTIQUE DU CHRIST dont tous les membres communient dans l’amour et s’entraident dans la prière et le service de la charité.
Il m’a paru que la méditation de cette page était pour chacun la lumière de la journée et le réconfort dans l’évocation de nos chers disparus.
« En attendant que le Seigneur vienne dans sa majesté et que, la mort détruite, tout lui ait été soumis, les uns parmi ses disciples continuent leur pèlerinage sur terre – d’autres, ayant achevé leur vie, se purifient encore – d’autres sont dans la gloire et contemplent dans la lumière le Dieu un en trois Personnes.
Cependant tous, nous communions dans la même charité, chantant à notre Dieu le même hymne de gloire.
En effet tous ceux qui sont du Christ et possèdent son Esprit, constituent une seule Eglise ; ils se tiennent mutuellement comme un tout dans le Christ.
Donc l’union de ceux qui sont encore en chemin avec leurs frères qui sont endormis dans la paix du Christ n’est nullement interrompue. Au contraire, selon la foi constante de l’Eglise, cette union est renforcée par l’échange des biens spirituels.
En effet, étant liés plus intimement avec le Christ, les habitants du ciel contribuent à affermir plus solidement toute l’Eglise en sainteté, ils ajoutent à la grandeur du culte que l’Eglise rend à Dieu sur la terre et ils l’aident à se construire plus largement.
Car, admis dans la Patrie et présents au Seigneur, par Lui, avec Lui et en Lui, ils ne cessent d’intercéder pour nous auprès du Père….Ainsi leur sollicitude fraternelle est du plus grand secours pour notre faiblesse.
Reconnaissant dès l’abord cette communion qui existe à l’intérieur de tout le Corps mystique de Jésus-Christ, l’Eglise, dès les premiers temps du christianisme, a entouré de beaucoup de piété la mémoire des défunts …Car « la pensée de prier pour les morts, afin qu’ils soient libérés de leurs péchés, est une pensée sainte et pieuse » (2ème Livre des Maccabées 12, 45) …………
C’est surtout dans la sainte liturgie que se réalise de la façon la plus haute notre union avec l’Eglise du ciel. Là en effet la force de l’Esprit-Saint s’exerce sur nous par les signes sacramentels ; là nous proclamons, dans une joie commune, la louange de la Divine Majesté ; tous, rachetés dans le sang du Christ, de toutes nations, et rassemblés dans l’Eglise unique, nous glorifions Dieu un en Trois Personnes dans un chant unanime de louange.
La célébration du sacrifice eucharistique est le moyen suprême de notre union au culte de l’Eglise du ciel, tandis que, unis dans la même communion, nous vénérons la mémoire de Marie, Joseph, les apôtres et martyrs et tous les saints………….. »
LA VRAIE VIE EST SAINTETÉ ET BONHEUR
Rien n’est plus opposé à l’ambiance actuelle du jour de Toussaint dans notre société que le climat de cette fête dans la liturgie. Tristesse et exultation. Brouillard et lumière. Regret du passé et espérance de l’avenir. Chrysanthèmes nostalgiques et joyeuse agitation des palmes. Odes funèbres et alléluias.
Non que les chrétiens ne soient pas meurtris par la disparition des êtres aimés. Non que leurs larmes ne coulent de leurs plaies jamais refermées. Car la mort n’est jamais banale : elle est l’ennemie implacable, la traîtresse sournoise, celle à laquelle on ne s’habitue jamais, celle qu’il faut combattre sans pitié. Mais le chrétien a l’audace de la narguer : « Ô mort, où est ta victoire ? » (1 Cor 15,55) et il sait qu’elle sera le dernier ennemi vaincu (1 Cor 15,26)
Les lectures du jour jettent une lueur sur notre destinée.
L’ASSEMBLEE UNIVERSELLE EN LOUANGE (Apocalypse 7, 2-14)
« J’ai vu une foule immense, que nul ne pouvait dénombrer, de toutes nations, peuples et langues. Ils se tiennent debout devant le trône de Dieu et de l’Agneau (Jésus), en vêtements blancs, des palmes à la main et ils proclament : « Le salut est donné par notre Dieu et par l’Agneau ». Et tous les anges se prosternent pour adorer Dieu en disant : « Amen ! Louange, gloire, sagesse, action de grâce, honneur, puissance à notre Dieu »….Tous ces gens viennent de la grande épreuve ; ils ont lavé leurs vêtements, ils les ont purifiés dans le sang de l’Agneau.
Jean a eu la grâce d’une Révélation (sens du mot « apocalypse ») et il est bien obligé d’évoquer « le ciel » (sans espace ni temps) en termes humains. Contrairement à la petite phrase de l’autre dimanche qui nous inquiétait (« Beaucoup d’appelés, peu d’élus « ), sa vision nous dilate : la multitude des humains sauvés, de toutes origines est innombrable, enfin rassemblés dans la concorde sans fissure et sans rivalité. Eux tous que la mort avait couchés dans la poussière, sont debout, ressuscités ; eux tous qui avaient été souillés par le péché sont en pleine clarté ; eux tous qui avaient tant pleuré et souffert chantent leur joie inaltérable.
Ils n’ont pas mené une vie paisible : chacun d’eux a dû se débattre dans « la grande épreuve » -la vie terrestre- parmi des tentations de toutes sortes qui cherchaient à les faire dévier du chemin. Mais aucun ne se targue d’être un héros qui a réussi sa vie à force d’efforts. Tous, sans exception, bénéficient de la grâce, du salut qui leur est donné par Dieu et par Jésus, l’Agneau pascal qui s’est offert pour leur donner le pardon de leurs fautes (image du vêtement blanc)
Si la terre était une cacophonie de cris, de hurlements, de plaintes, d’explosions meurtrières, le ciel est un chœur parfait. L’humanité y est comblée : droite, unie, libérée, lumineuse, joyeuse, elle réalise sa plénitude dans l’adoration. Car l’homme est fait pour la louange.
LE CIEL DEJA MAINTENANT (1ère Lettre de Jean 3, 1-3)
Nous parlions des cris, des blessures, des haines, des guerres qui déchirent la terre et nous aspirions à un au-delà où enfin nous pourrions goûter la paix. Jean nous détrompe : lui qui a vu l’horreur du Golgotha et connu les assassinats d’Etienne, Jacques, Pierre, Paul et tant d’autres, lui qui a vu s’abattre sur les chrétiens une opposition haineuse qui ne désarmait jamais, lui qui a souffert de voir les baptisés s’affronter, se disputer, se déchirer, lui, Jean, tant de fois déçu, ose rappeler à ses frères leur grandeur actuelle, leur dignité inaliénable : oui, dès maintenant, « nous sommes enfants de Dieu ».
Mes bien-aimés, voyez comme il est grand l’amour dont le Père nous a comblés : il a voulu que nous soyons appelés « enfants de Dieu » - et nous le sommes. Voilà pourquoi le monde ne peut pas nous connaitre : parce qu’il n’a pas découvert Dieu….Dès maintenant nous sommes enfants de Dieu, mais ce que nous serons ne parait pas encore pleinement. Nous le savons : lorsque le Fils de Dieu paraîtra, nous serons semblables à lui parce que nous le verrons tel qu’il est. Tout homme qui fonde sur lui une telle espérance se rend pur comme lui-même est pur.
Oui Jésus nous a révélé que Dieu était Père, que son projet était de nous compter parmi ses enfants. Nos péchés sont si grands et ils nous paraissent incurables, nos échecs sont si répétés et ils nous découragent, les sarcasmes de nos adversaires sont si caustiques et leurs coups font si mal…Et cependant, oui, nous croyons Jean : « Il faut que le Fils de l’homme soit élevé afin que quiconque croit en lui ait la Vie éternelle » (Jn 3,15) … Celui qui croit a la vie éternelle » (3,36)…Celui qui écoute ma parole et croit en celui qui m’a envoyé, a la vie éternelle…il est passé de la mort à la vie (5, 24)…Celui qui mange ma chair et boit mon sang a la vie éternelle » (6, 54).
La foi, pour Jean, n’est pas qu’espérance : elle est transfiguration actuelle. Les yeux fixés sur l’horizon de gloire, elle goûte dès aujourd’hui le présent vivifiant du Père. Certes cette vie nouvelle se distingue mal, même pour celui qui l’a reçue, et elle n’est qu’illusion, folie pour ses ennemis qui ont beau jeu de s’en moquer. Mais bousculé par le péché, convaincu de ne pouvoir jamais le vaincre par ses propres forces, et parfois tenaillé par le doute, le croyant sait qu’ « il est passé » de l’oppression de la mort à la liberté du vivant et qu’il ne ment pas lorsqu’il ose murmurer : « Père ».
LA SAINTETE EST BONHEUR (Evangile de Matthieu 5, 1-12)
Comment espérer s’épanouir dans l’adoration universelle (1re lecture) et comment vivre en « enfants de Dieu »(2ème) ? En s’engageant sur le chemin des 8 béatitudes, programme inverse de celui proposé par une société qui cherche la consommation des choses au lieu de la «consommation », la plénitude des personnes. Les 4 paires pointent les 4 attitudes fondamentales à vivre.
L’HUMILITE
Heureux les pauvres de cœur, car le royaume des Cieux est à eux.
Heureux les doux, car ils recevront la terre en héritage.
La pauvreté n’est pas d’abord celle du portefeuille, elle est « du cœur », refus de l’orgueil, de la suffisance. Mais elle engage à la douceur c.à.d. au refus de la cupidité, de la rapacité pour avoir toujours plus. Car l’amour ne peut que partager donc s’appauvrir.
L’ESPERANCE
Heureux ceux qui pleurent, car ils seront consolés.
Heureux ceux qui ont faim et soif de la justice, car ils seront rassasiés.
Il ne s’agit pas des pleurnichards ni de ceux qui souffrent du deuil mais de ceux qui ne supportent pas l’état actuel des choses avec tant de haines, de désastres, d’affamés, d’injustices et qui ont faim d’une autre société régie par le droit où toute personne sera respectée, où éclatera la Louange à Dieu
LE CŒUR COMPATISSANT
Heureux les miséricordieux, car ils obtiendront miséricorde.
Heureux les cœurs purs, car ils verront Dieu.
Le cœur simple est unifié par le double amour qui n’en fait qu’un : Tu aimeras Dieu de tout toi-même et tu aimeras ton prochain qui souffre, comme toi- même.
LA VOLONTE DE PAIX
Heureux les artisans de paix, car ils seront appelés fils de Dieu.
Heureux ceux qui sont persécutés pour la justice, car le royaume des Cieux est à eux. Heureux êtes-vous si l’on vous insulte, si l’on vous persécute et si l’on dit faussement toute sorte de mal contre vous, à cause de moi. Réjouissez-vous, soyez dans l’allégresse, car votre récompense est grande dans les cieux ! C’est ainsi qu’on a persécuté les prophètes qui vous ont précédés.
On ne crie pas à la paix, on ne l’installe pas d’un coup de baguette : on la bâtit, pierre par pierre. Sourire contre colère. Main ouverte contre poing fermé. Engagement contre résignation. Artisanat de génie.
Finale : ce programme est tellement contraire à l’ordinaire qu’il sera toujours combattu par beaucoup. Le chrétien vit le paradoxe : pécheur, il ne doute pas de son Père ; attaqué il connaît le bonheur. Les béatitudes ne sont pas une utopie mais une prophétie, l’esquisse du monde à venir, le chemin par lequel nous pouvons devenir TOUS…SAINTS !
Homélie de Toussaint 2014
Louvain-la-Neuve le 01/11/2014
Hier c’était Halloween, l’ancienne fête celtique qui nous rappelait qu’il fallait vénérer et apaiser les morts pour éviter qu’ils nous entraînent dans leurs tourments. Halloween est devenue aujourd’hui une fête qui dénature la mort dans une caricature pour se faire peur. Demain, c’est la fête des morts, de la mémoire de tous ceux qui ont vécus parmi nous et nous ont quittés. Et aujourd’hui, c’est la fête de tous les saints, ceux que l’Église de la Gaule du VIIIème siècle a commencé à déclarer dans la plénitude de Dieu. Ceux que Jean voit dans la vision d’une foule immense rassemblant races, peuples et nations autour du trône de Dieu et de l’agneau.
Mais n’est-ce pas aussi notre vision, notre rêve : que tous ceux qui nous ont quittés soient dans la plénitude de Dieu.
Les vivants, les morts et les saints seraient-ils si éloignés les uns des autres ?
On dit parfois dans notre langage courant de quelqu'un de décédé et même encore vivant : "Celui-là, ou celle-là, c'était ou c'est vraiment un saint.
Un peu comme si on classait quelqu'un dans une autre catégorie que la nôtre.
Comme si on le rendait hors norme, inaccessible dans un univers qui lui est propre.
On respecte cet univers, on s'en émerveille parfois mais on a difficile à le rencontrer et à s’y voir un jour.
J'ai presque envie de dire que donner ce qualificatif de « saint » à quelqu'un, c'est parfois un peu l'enfermer dans son nuage, le mettre dans une bulle hors de portée.
Et pourtant, l'évangile de ce jour nous dit le contraire !
Jésus quitte la foule et monte avec ses amis, à l'écart, sur la montagne pour se rapprocher de ce "Royaume de Dieu" dont il veut leur parler.
Les saints de notre église, les "Heureux ceux qui …" en font partie.
Bienheureux les humbles, dans un monde de supériorité et de domination.
Bienheureux les doux et les tendres, dans un monde de violence et d'agressivité.
Bienheureux les sensibles et ceux qui pleurent, dans une société dure et pleine de masques.
Bienheureux ceux qui ont faim et soif de justice, dans un monde plein de conflits, de jugements et de rejets.
Bienheureux les artisans de paix, quand on est si souvent artisan de discorde………
Tous ces bienheureux verront Dieu, le royaume des cieux est à eux, nous dit l’évangile.
Le "Royaume de Dieu", cet espace de bonheur, ce rendez-vous des bienheureux, des saints, est déjà à notre portée poursuit Matthieu dans l’évangile.
Chaque fois que la douceur l'emporte sur la violence.
Que la consolation l'emporte sur la tristesse.
Que le pardon l'emporte sur le rejet de l'autre.
Chaque fois, l’humain prend sens dans le divin. Chaque fois, il avance dans ce "Royaume de Dieu".
Tous les saints, tous ceux que l’Église a reconnu, qui nous précèdent et intercèdent pour nous mais aussi et peut-être surtout, tous ceux qui nous ont aimé et qu’on a aimé et dont la mémoire reste vivante au creux de nos cœurs, tous ceux-là sont les « beati, les bienheureux ceux qui …. »
Les saints ont besoin de relais pour garder sens. Notre monde, notre société, a besoin d’hommes et de femmes engagés, de saints du quotidien.
Que la foi de ceux qui nous ont précédés nous aide à faire mûrir la nôtre pour que notre monde devienne un jour, dès ici-bas, ce « Royaume de Dieu ».
Amen
Fr. Stéphane Braun, o.p.