25ème dimanche, année A
- Auteur: Dominique Collin
- Date de rédaction: 21/09/14
- Temps liturgique: Temps ordinaire
- Année liturgique : A
- Année: 2013-2014
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Vous connaissez très probablement le fonctionnement de Twitter, qui permet d’envoyer de brefs messages, sortes de SMS publics. Dans ce réseau social, un tweet ne peut dépasser 140 caractères… Et bien, si je devais choisir une phrase dans Saint Jean pour me risquer à ‘synthétiser’ son évangile —et former un tweet— je prendrais probablement cette phrase que nous venons d’entendre, et qui tient tout juste en 140 caractères : « Dieu a tant aimé le monde qu'il a donné son Fils unique (…) non pas pour juger le monde, mais pour que, par lui, le monde soit sauvé. » Voilà bien un principe de vie que nous devrions méditer plus souvent. Et peut-être savez-vous que sur Twitter, pour chaque message, il est possible de lui associer des mots clés. Les messages sont donc liés grâce à ce qu’on appelle le hashtag, un petit symbole qui a la forme d’un dièse, une petite croix sous le signe duquel le message peut être classé.
La croix glorieuse que nous célébrons aujourd’hui, c’est —passez-moi l’expression— un peu notre hashtag à nous, le symbole qui vient mettre du lien dans notre histoire. Non pas un signe d’appartenance. Encore moins l’exaltation de la souffrance, mais la conviction intime qu’en Dieu, toute souffrance peut être relevée, portée. Mettre sa vie sous le signe de cette croix glorieuse, c’est oser poser une lecture confiante sur sa vie, sur les événements, une lecture qui s’interdit de donner au désespoir le dernier mot. Car la croix —si elle est instrument de torture— devient glorieuse pour le croyant qui ne s’y arrête pas ! Pour celui qui découvre que l’échec peut être traversé. La croix est salutaire non pour elle-même mais par l'amour qui s'y révèle et s'y vit. Telle est bien l’ambiguïté du symbole et du mystère que nous célébrons aujourd’hui. Ce n’est la croix qui est au centre. Mais l’amour qui s’y révèle. L’Evangile d’aujourd’hui, vient nous offrir un sens possible à nos chemins. Quelle que soit notre situation de vie, notre Dieu de patience vient sans cesse nous convier à l’espérance. Il y a toujours un dénouement heureux possible. Sage est celui qui, patiemment, persévère à croire en l’humain, au-delà de toute peur et de toute désespérance. Sage est celui qui se met sous le signe de la croix, qui ne se résigne pas face l’échec, mais persiste à voir le temps qui passe comme un lieu d’accomplissement possible.
L’histoire que nous avons entendue en première lecture retrace ce paradoxe. Dans la marche au désert, alors que le peuple d’Israël était attaqué par des serpents, Dieu donna ce remède à Moïse : celui justement de mettre un serpent de bronze sur un mât, pour que quiconque le regarde soit guéri. De faire justement du problème une solution. Un serpent enroulé autour d’un mât: voilà un symbole qui jusqu’à ce jour a toujours signifié la guérison. Et nous voilà face à ce paradoxe ! Pourquoi le serpent —source du mal, symbole même du mal— devient-il symbole de guérison ? Comme si le venin était salutaire… Si Jésus nous sauve par sa croix, c’est parce qu’il nous montre un chemin qui assume notre humanité blessée. Notre humanité pleine et entière.
La croix glorieuse est bien le signe par lequel nous pouvons entretenir cet espoir tout simple : que nos fragilités, nos serpents peuvent être élevés, guéris, transformés, recrées.
Alors, la questions que l’Evangile nous adresse est toute simple : quels sont nos serpents, nos incohérences qui se mordent la queue, nos forces de mort qui nous tirent vers le bas, nos échecs, qui demandent à être glorifiées, transfigurées ? Nous sommes tous un peu, je crois, ophiophobes… Nous avons peur des serpents. Nous avons peur de ces serpents en nous… peur de ce qui est tapi au fond de notre être et qui n’arrive pas à s’éléver, peur d’une part blessée, déçue peut-être. Mais ces histoires que nous pensons enfuies peuvent être glorieuses.
Car de même que c’est en regardant le mât avec le serpent que le peuple d’Israël a trouvé la guérison dans le désert ; de même nous grandirons si nous nous montrons capable d’apprivoiser ces fragilités en nous-mêmes, où l’amour de Dieu vient toujours nous rejoindre !
Vraiment, pour celui qui met ses pas dans celui de Fils de l’homme, l’échec peut être traversé et la tristesse transfigurée en joie. Si le dicton populaire nous dit que ‘persévérer dans l’erreur est diabolique’, persévérer dans l’espérance malgré les épreuves, se mettre sous le signe de la croix glorieuse, nous fait toucher le coeur de l’Evangile. C’est garder le courage de vivre, croire en un horizon toujours nouveau dans notre quotidien. Au jour le jour, avec le hashtag de l’amour. Amen
« JAMAIS D’AUTRE FIERTÉ QUE LA CROIX DE NOTRE SEIGNEUR » (Saint Paul)
Le 13 septembre 335, l’empereur Constantin fit célébrer la Dédicace de la basilique édifiée sur les lieux du calvaire et du tombeau du Christ et le lendemain on rendit un hommage solennel aux reliques de la croix de Jésus que la mère de l’empereur venait, dit-on, de découvrir suite à une révélation : telle est l’origine de la fête de « l’Exaltation de la Sainte Croix » le 14 septembre.
L’Evangile nous montre comment la croix horrible est devenue glorieuse.
LE BÂTON ET LE SERPENT
Le symbole bien connu de l’art médical - le serpent enroulé sur un bâton - remonte à la plus haute antiquité. Déjà connu en Inde, il était, dans la mythologie grecque, le bâton du dieu Asclépios (en latin Esculape). La tradition juive l’avait également adopté en y voyant une invention de Moïse ainsi que le raconte un curieux épisode du Livre des Nombres (1ère lecture d’aujourd’hui).
Un jour, dit-on, dans le désert, les Hébreux en exode dressèrent leur camp à un endroit infesté de petits serpents à la morsure particulièrement cuisante sinon mortelle et ils y virent une punition pour avoir critiqué Dieu. Ecoutant leurs plaintes et leurs cris de repentir, sur le conseil de Dieu,
« Moïse fit un serpent d’airain et le fixa à une hampe et lorsqu’un serpent mordait un homme, celui-ci regardait le serpent d’airain et il avait la vie sauve » (Nb 21, 4-9)
Plus tard, quelques dizaines d’années avant Jésus, un professeur juif de sagesse, installé à Alexandrie, publia un opuscule, appelé « Sagesse » (attribuée faussement au roi Salomon) où, racontant l’Exode des ancêtres, il donna une interprétation de cet épisode intriguant (Sagesse 16, 5-12).
« En guise d’avertissement, ils furent effrayés quelque temps tout en ayant un gage de salut qui leur rappelait le commandement de ta Loi. En effet, quiconque se retournait était sauvé non par l’objet regardé mais par Toi, le Sauveur de tous…Ta miséricorde vint à leur rencontre et les guérit. Pour qu’ils se rappellent tes paroles, ils recevaient des coups d’aiguillon mais ils étaient vite délivrés…Ni herbe ni pommade ne vint les soulager mais c’est ta Parole, elle qui guérit tout »
Pour lui, il n’y avait donc eu là nulle magie, nulle sorcellerie. Le pécheur, en levant les yeux vers l’effigie du serpent, prenait conscience de son péché et comprenait que le péché mène à la mort. Il voyait anéantie la punition de son péché, « il se retournait » - or ce verbe est employé aussi pour désigner la conversion -, il se rappelait la Loi de son Dieu et sa Parole et il recevait sa Miséricorde. Cet épisode et son interprétation vont inspirer saint Jean de manière fulgurante.
LE SERPENT DU GOLGOTHA
Les apôtres et les premières générations chrétiennes ne cessèrent jamais de méditer sur le scandale de la croix : pourquoi cette mort affreuse et ignominieuse de leur Maître ? Pourquoi cette horreur épouvantable ? Il fallait en découvrir la signification.
Après plusieurs années de réflexion, Jean reçut une révélation nouvelle : à la croisée des traditions grecques et juives, Jésus crucifié, tordu, écartelé, ruisselant de sang avait pris la place du serpent et il donnait la guérison des morsures du mal. Il le dit au chapitre 3, dans l’entretien de Jésus avec Nicodème.
« Car nul n’est monté au ciel sinon celui qui est descendu du ciel, le Fils de l’homme.
De même que le serpent de bronze fut élevé par Moïse dans le désert,
ainsi faut-il que le Fils de l’homme soit élevé,
afin qu’en lui tout homme qui croit ait la vie éternelle.
Ses ennemis avaient décidé de supprimer Jésus comme un malfaiteur, un blasphémateur, « un serpent » qui, croyaient-ils, écartait de Dieu et donnait la mort. La foule, elle, n’avait vu dans la croix que l’exécution d’un martyr, la fin de son espoir d’indépendance.
Mais à Jean et l’Eglise, il a été donné une Révélation extraordinaire.
Oui, Jésus était bien le Fils de l’Homme descendu du ciel, le Fils unique qui devait retourner à son Père.
En le clouant entre ciel et terre, les hommes l’ont en fait « élevé », ils l’ont renvoyé vers son Père. C’est sur la croix qu’a commencé son Ascension. En nous aimant jusqu’à la mort, Jésus est « glorifié ».
Car il l’avait dit au moment même où la foule de Jérusalem lui faisait un triomphe dérisoire:
« L’heure est venue où le Fils de l’homme doit être glorifié…Je suis bouleversé. Que dire ? « Père, sauve-moi de cette heure » ?........Père, glorifie ton nom…Maintenant le prince de ce monde (le serpent rusé qui veut la mort de l’homme) va être jeté dehors. Et moi, quand j’aurai été élevé de terre, j’attirerai à moi tous les hommes (Par ces paroles, il signifiait par quelle mort il allait mourir) » (Jean 12, 23-33)
La croix, si elle est d’abord instrument de torture, spectacle épouvantable, paroxysme de souffrances, victoire de la mort, est pour le croyant le signe que sa guérison et la Vie lui sont offertes.
Comme les Hébreux jadis devaient regarder le serpent de bronze pour être guéris par leur mouvement de retournement-conversion, ainsi désormais tous les hommes, jusqu’à la fin des temps, sont invités à lever les yeux vers le crucifié/élevé, vers l’écrasé/glorifié.
Celui qui a un regard de foi, qui voit en Jésus le Fils de l’homme glorifié, il est guéri, il est sauvé. Car Jean rappelait aussi l’autre prophétie de Zacharie :
« Ils regarderont celui qu’ils ont crucifié » (Zach 12, 10)
LA CROIX EST SIGNE D’AMOUR
Car Dieu a tellement aimé le monde qu’il a donné son Fils unique,
afin que quiconque croit en lui ne se perde pas, mais obtienne la vie éternelle.
Car Dieu a envoyé son Fils dans le monde,
non pas pour juger le monde, mais pour que, par lui, le monde soit sauvé. »
Dieu n’est pas un despote cruel qui a envoyé son Fils à la mort parce qu’il exigeait une victime expiatoire. Il l’a envoyé, homme parmi les hommes, pour qu’en se convertissant à sa Parole, ils vivent dans le Royaume : or ils ne l’ont pas reconnu et même l’ont exécuté. Mais en fait il se donnait car « il n’y a pas d’amour plus grand que de donner sa vie » et son Père a accepté ce don par amour pour nous.
Pour un regard de foi, la croix n’est pas image de souffrance maximale mais révélation de l’Amour fou de Dieu, donc salut, pardon et Vie divine.
QUELLE GUERISON ?
Stupéfiants et admirables sont les progrès de la médecine et heureux les malades qui voient quelque part le signe du bâton et du serpent : quelqu’un est là qui va tout faire pour apaiser leurs souffrances et les guérir. Le signe antique continue à rendre espoir aux malheureux.
Mais il y a des maladies bien plus graves qu’aucun médecin, aucun médicament ne peut guérir. Où guérir un cœur plein de haine, un esprit rongé par la vengeance, une main qui a assassiné ? Et comment interpréter la marée noire du mal, la souffrance des innocents, l’indicible angoisse devant la mort ?
La croix ne se dresse pas comme le monument de la souffrance, elle ne canonise pas le mal, elle ne prône pas la disparition de l’homme, elle n’inaugure pas une religion masochiste. Elle est, au centre de l’histoire du monde, le « tant amour » du Père, la glorification du Fils, la Source de la Miséricorde. Notre fierté. Notre « signe de croix ».
LE PROCESSUS DE RÉCONCILIATION
Matthieu a construit son évangile avec soin en alternant les récits des actions de Jésus et les pages d’enseignements. Ceux-ci sont assemblés en 5 grands discours selon les points fondamentaux de la vie chrétienne : 5 à 7 : le Discours sur la montagne = La MORALE chrétienne 10 : les consignes de mission = La MISSION évangélisatrice 13 : les 7 paraboles du Royaume de Dieu = le Règne de Dieu : LA FOI 18 : la communauté = La vie en communauté : LA CHARITE 24, 4 -25 : l’avenir = L’histoire à faire : L’ESPERANCE Donc déjà une cinquantaine d’années après la disparition de Jésus, les chrétiens avaient élaboré la catéchèse fondamentale de la Bonne Nouvelle et ils étaient passionnés de partager leur découverte. Aujourd’hui nous méditons le seul petit extrait du 4ème discours qui passe en liturgie, mais il serait bien de méditer le chapitre entier : l’enjeu de l’entente communautaire est capital.
LA CORRECTION FRATERNELLE
Jésus disait à ses disciples : « Si ton frère a commis un péché contre toi, va lui faire des reproches seul à seul. S’il t’écoute, tu as gagné ton frère. S’il ne t’écoute pas, prends en plus avec toi une ou deux personnes afin que toute l’affaire soit réglée sur la parole de deux ou trois témoins. S’il refuse de les écouter, dis-le à l’assemblée de l’Église ; s’il refuse encore d’écouter l’Église, considère-le comme un païen et un publicain. Amen, je vous le dis : tout ce que vous aurez lié sur la terre sera lié dans le ciel, et tout ce que vous aurez délié sur la terre sera délié dans le ciel. L’engagement de la foi et le baptême font entrer dans la communauté universelle de l’Eglise et, très concrètement, dans une cellule de base, la paroisse. Les membres y sont de toutes conditions, très différents les uns des autres mais, convertis en enfants de Dieu, ils sont réellement des frères et sœurs puisqu’ils partagent la Vie divine. Priant le « Notre Père », ils sont appelés à vivre ces nouvelles relations et à s’aimer les uns les autres, but ultime du Dessein de Dieu réalisé par son Fils Jésus.
Evidemment des heurts peuvent se produire et l’un peut faire mal à l’autre : que faire alors ? Régler le problème le plus tôt possible afin que la situation ne s’envenime. Matthieu nous explique comment on procédait dans sa communauté. 1er cas : dans le Sermon sur la montagne, Jésus a prévenu que celui qui prenait conscience d’avoir blessé son frère devait aller lui demander pardon sinon sa prière, sa liturgie était vaine. Le mur dressé devant le prochain est en même temps un mur qui empêche la rencontre de Dieu (5, 23-26) 2d cas (celui de notre évangile du jour): ici on envisage la situation inverse du frère qui a été lésé et il lui est enseigné la procédure à suivre. 1ère étape : D’abord ne pas jeter tout de suite le différend sur la place publique mais aller rencontrer l’auteur en privé, lui exposer ses reproches. Le dialogue doit lui ouvrir les yeux et l’amener à avouer ses torts. S’il « écoute », c.à.d. s’il avoue sa faute, demande pardon et s’engage dans une réparation, la relation sera renouée et la fraternité sauvée. 2ème étape : si le frère « n’écoute pas » les reproches, s’il se disculpe lui-même, s’il nie les faits, l’autre doit inviter un ou deux frères (ou sœurs) à l’accompagner afin d’ouvrir un nouveau dialogue et mettre l’affaire au clair. La présence de ces « témoins » permet de justifier ou non les reproches, de préciser l’ampleur du mal commis, d’exhorter le fautif à reconnaître son péché, de l’assurer du secret et de souligner le caractère indispensable de ressouder la fraternité. S’il « écoute », s’il tombe d’accord, s’il demande pardon, tous ensemble peuvent manifester la joie des retrouvailles. 3ème étape : Il est possible que le coupable persévère dans sa négation et refuse catégoriquement d’ « écouter » les supplications du petit groupe : en ce cas, si l’on voit la gravité d’une affaire qui blesse gravement la communion générale, alors l’affaire peut être portée devant l’Eglise. La communauté, la paroisse, est mise au courant et entreprend de juger l’affaire à nouveaux frais. Il ne s’agit pas d’un tribunal neutre qui juge de façon impassible selon un code de lois mais d’une « fraternité » consciente de tous les liens réciproques, animée par la charité. On ne passe pas l’éponge, on ne favorise pas le frère le plus important, on multiplie toutes les tentatives afin d’arriver à la réconciliation. En dernière instance, après tous les échecs, on peut considérer le coupable comme cessant d’être un frère participant à la communauté. Comme on le voit, il ne s’agit absolument pas d’une justice expéditive, d’une procédure pour mettre dehors certains indésirables mais d’un cheminement cordial, patient, pour sauver la fraternité. Le verdict final sera avalisé au ciel, c.à.d. par Dieu - à condition que tout ait été tenté. D’ailleurs, pour éviter l’enlisement dans les chicaneries, Matthieu a pris soin d’encadrer ce texte par deux paraboles qui rappellent le comportement de Dieu et la suprématie de la miséricorde. Il est le bon Berger qui s’inquiète d’un mouton égaré et se met en hâte à sa recherche : lorsqu’il l’a retrouvé, il le ramène au troupeau, plein de joie, car le Père du ciel ne veut pas qu’un seul de ces petits se perde (18, 12-14). Il faut chercher le frère avec empressement et amour. Et Dieu est le grand Roi qui, apitoyé par son serviteur incapable de lui restituer une dette immense, lui remet cette dette…mais qui exige que ce serviteur, à son tour, ne soit pas dur envers son confrère qui lui doit une somme bien plus modeste. Le serviteur bénéficiaire d’une miséricorde infinie se doit de partager ce pardon avec le frère qui l’a blessé- et qui doit lui-même demander pardon. (18, 21-35). Tout chrétien ne doit jamais oublier qu’il bénéficie lui-même d’abord du pardon incommensurable.
LA PRIERE
Et pareillement, amen, je vous le dis, si deux d’entre vous sur la terre se mettent d’accord pour demander quoi que ce soit, ils l’obtiendront de mon Père qui est aux cieux. En effet, quand deux ou trois sont réunis en mon nom, je suis là, au milieu d’eux. L’affirmation s’ouvre de façon solennelle afin que les disciples n’en doutent jamais (même si les apparences sont contraires) : lorsque deux ou trois frères qui ont eu un différend refusent que le fossé s’agrandisse entre eux et « sont d’accord » pour demander la grâce d’une réconciliation qui leur paraît impossible, ils l’obtiendront. Car en priant pour rester « frères » et ne pas briser l’unité de l’Eglise, ils font mémoire de Jésus qui s’est abaissé au rang de serviteur et qui a supporté injures, coups, plaies, mort pour pardonner à ses frères. Le Seigneur vivant est donc présent au milieu de ces « petits » qui portent leurs blessures les uns pour les autres. La réconciliation, c’est mourir pour ressusciter et constituer une communauté où le pardon réciproque cimente une concorde toujours nouvelle. Là il n’y a plus revendication d’honneur blessé ni ressentiment mais humilité pour reconnaître ses propres fautes et adoucir ses exigences.
L’UNITE ENTRE FRERES et SŒURS
Le Royaume du Père que Jésus voulait et qu’il a fait commencer sur la terre est la création d’une humanité qui refuse haine et déchirement. Jésus terminait sa vie en disant à ses disciples: « Ce que je vous commande, c’est de vous aimer les uns les autres ». Cette paix est toujours à construire et toujours difficile à maintenir : il suffit de voir que toutes les lettres d’apôtres gardées dans le Nouveau Testament reviennent sans cesse sur ce leitmotiv de la charité fraternelle – preuve qu’elle posait déjà problème partout. Notre premier travail d’évangélisation est sans doute là : dans la volonté de former et de maintenir des communautés dont les membres, sans doute, connaissent parfois heurts, colères, affrontements mais où domine la volonté d’obéir au Christ qui veut « des frères et sœurs » unis et réconciliés dans son Amour. La vraie communauté chrétienne n’est pas l’assemblée de gens qui se rassemblent par affinité d’âge, de conditions sociales, d’opinions politiques, de niveau culturel (cela, les païens le font aussi) mais la communion de tous ceux qui n’oublient pas qu’ils vivent de la Miséricorde de leur Père, qui partagent entre eux l’amour de leur Seigneur et qui offrent leurs plaies pour le salut du monde.
Permettez-moi de vous faire une confidence: il m'arrive d'écouter d'autres radios que R.C.F., l'excellente radio chrétienne francophone, sur 93.8 fm, dont vous trouverez la grille de programme au fond de cette église. Oui, je dois le confesser publiquement, il m'arrive d'écouter d'autres chaînes que R.C.F., surtout quand je suis au volant en dehors de la zone de diffusion. Et il y a quelques jours, je suis tombé sur une émission d'une grande chaîne radiophonique francophone concurrente.
Je vous avoue que j'étais un peu mal l'aise en écoutant le débat. Le principe de l'émission—tout à fait respectable—était avant tout de défendre les consommateurs, en invitant à l'antenne des clients mécontents. Et, pendant près de 10 minutes, les déclarations de témoins se succédaient. Tous s’attaquaient à une personne qui n'avait nullement l'occasion de se défendre. En écoutant cette forme de procès en l'absence du prévenu, j'ai pensé à l'évangile de ce jour. "Si ton frère a commis un péché, va d’abord lui parler seul à seul, puis avec des témoins, puis au sein de la communauté ".
Avouez que notre culture prend souvent le chemin inverse. Aujourd'hui, les jugements se font souvent en public, de manière un peu lâche ! Notre culture aime faire parler les groupes, plutôt que de s'adresser aux individus. Et nous aussi, nous parlons souvent plus facilement des autres, plutôt qu'aux autres. Dans les réseaux sociaux d'ailleurs, se développe de plus en plus chez le jeunes ce qu'on appelle le 'cyber-bullying', le lynchage collectif sur internet.
Et voilà que l'évangile nous rappelle aujourd’hui cette sagesse fraternelle, cette sagesse toute simple que nous n’aurons jamais fini de redécouvrir. Si ton frère a commis un péché, va lui parler seul à seul,
Cette bienveillance fraternelle nous invite à bien veiller sur nos frères et soeurs lorsqu’ils trébuchent, à nous mettre à l’unisson de leur solitude. C’est une attention qui ose dire « non », parce qu'elle se sait capable de dire « oui ». Elle peut formuler un reproche, car elle sait aussi se faire parole d'encouragement. La bienveillance fraternelle est cette attention qui n'a pas peur de reprendre l’autre, parce qu'elle sait aussi se réjouir de ce qu’il vit.
Cette bienveillance nous pousse à mettre des mots sur ce qui ne va pas, à verbaliser... Et vous sentez le double sens ! Il ne s'agit pas de verbaliser son frère—comme un agent le ferait— mais verbaliser avec son frère, c’est-à-dire à mettre des mots sur ce qui ne convient pas. Nous sommes ainsi, comme le dit la lecture que nous avons entendue, des "guetteurs" les uns pour les autres, dans l’amour de respect.
Dans l’individualisme ambiant, il peut nous arriver de ne plus nous occuper des autres, peut-être pour que ces derniers ne nous remettent pas non plus en question... Je les fuis tout en me fuyant moi-même! Mais l’évangile nous dit Va lui parler seul à seul... Va lui parler. Fais un geste. N'attends pas qu'il s'enferme dans son erreur, mais n'aie pas non plus la prétention d'avoir la vérité ! Va voir ton prochain pour qu'il puisse mettre des mots sur ce qu'il traverse, pour qu'il puisse se réapproprier son histoire. Parle lui, seul à seul... Rainer Maria Rilke écrivait que l'amour n’est rien d’autre que « deux solitudes qui se rencontrent ».
Devenons ainsi des guetteurs ! Si ton frère a commis un péché, c'est-à-dire s'il pose des actes qui l’empêchent de se réaliser, s'il entre en rupture avec lui-même, avec les autres, va lui parler ! Cela ne veut pas dire l'accuser, le culpabiliser, devenir moralisateur. Non c'est être capable de lui proposer des possibles, d'illuminer sa route. Cela nous demande douceur et vérité, patience et confiance. Mais nous pouvons avoir cette conviction que nous sèmerons ainsi en lui quelque chose d'indicible pour qu'un jour, il se relève de lui-même.
Voilà cette invitation que l’évangile nous adresse en ce temps de rentrée : la bienveillance fraternelle. Alors, soyons non pas des spectateurs mais des acteurs de notre vie, en étant guetteur de celle des autres. Amen.
Évangile de Jésus Christ selon saint Matthieu
Ce n'est sans doute pas sans raison que le Christ interroge ses disciples sur sa propre identité alors qu’il se trouve dans la région de Césarée-de-Philippe. Césarée-de-Philippe était ville hautement religieuse dans sa diversité. Elle était parsemée de quatorze temples dédiés au dieu syrien Baal et vivait donc sous l'ombrage d'anciens dieux. Mais ces dieux syriens étaient loin d'avoir le monopole du culte et de la vénération. Dans cette ville, il y avait également une caverne dans laquelle, le dieu grec Pan, dieu de la nature vit le jour. De plus pour les juifs de l'époque, le Jourdain prenait sa source dans cette même caverne. Juifs, Grecs, Syriens avaient fait de Césarée une ville d'adoration de leurs dieux. Il ne manquait plus que les Romains, me direz-vous. Ils ne nous ont pas attendu puisqu’ils y érigèrent un temple de marbre blanc en l'honneur de la divinité de César. Dès lors, je crois que nous pouvons affirmer que cet endroit choisi par le Christ est loin d'être neutre puisqu’il est littéralement submergé de temples syriens, grecs, romains. Cette histoire s'est passée, il y a bientôt deux mille ans. C'était bien loin d'ici. Les lieux ont changé et il en va de même pour les dieux. Ces derniers sont aujourd'hui différents mais tout aussi présents. Nos dieux contemporains sont peut-être plus matériels, leur soi-disant bonheur est immédiat. Ils sont en tout cas plus palpables, plus réels. Mais comme les faux-dieux d'hier, ils risquent de nous enfermer dans une spirale qui va nous éloigner de ce qui constitue le moteur de nos vies, c’est-à-dire les relations.
En effet, nous sommes des êtres relationnels nés d’une relation et nourris par toutes celles qui nous sont données à vivre. La vie nous convie ainsi à nous relier les uns aux autres. Toutefois, il peut arriver que de reliés à l’autre, nous en venions à être liés à lui, c’est-à-dire que nous entrons dans une relation de fusion, voire de confusion. Cette fois, nous aurons à être déliés de telles relations. Le Fils de Dieu ne dit-il pas « tout ce que tu auras lié sur la terre sera lié dans les cieux, et tout ce que tu auras délié sur la terre sera délié dans les cieux ». Cette affirmation n’est en rien de l’ordre d’une morale mais plutôt, comme le souligne si bien la théologienne Lytta Basset, d’une forme de libération de relations aliénées et aliénantes. Il y a parfois des personnes qui peuvent être toxiques pour nous, soit parce qu’elles ne nous permettent pas d’exister par nous-mêmes, soit parce qu’elles ont un projet pour nous et cherche à nous l’imposer. Peut-être parfois de manière inconsciente, elles nous lient à elles et nous avons le sentiment d’étouffer. Il est fondamental de pouvoir s’en libérer sur terre pour en être délié dans les cieux, ces derniers étant entendus comme cet état où la relation s’équilibre et s’inscrit dans le respect de l’amour ou mieux encore dans l’amour de respect. Une relation « dans les cieux » est une relation où nous permettons à l’autre d’être ce qu’il souhaite devenir afin qu’il puisse accomplir sa propre destinée. Ici, il y a place pour l’altérité. L’autre existe parce que je le reconnais comme étant pleinement autre, différent de moi. Je n’ai pas de projet sur lui, juste une intention bienveillante : qu’il puisse se réaliser. Et j’attends en retour une attitude équivalente. Le souffle de l’amour agit ainsi entre nous et nous pouvons vivre nos pentecôtes terrestres où nos vies sont comme des langues de feu, expression de la tendresse divine. Il est, souligne Lytta Basset, « de notre responsabilité d’humains en voie d’humanisation de nous intéresser suffisamment à l’être unique d’autrui pour éveiller en lui le désir d’un tel partage : nous avons besoin des autres pour prendre pleinement conscience du feu qui nous a embrasés ne serait-ce qu’une fois ». Le Christ nous invite une fois encore à nous relier les uns aux autres dans des relations qui nous font grandir et avancer sur le chemin de nos vies mais également, quand cela s’avère nécessaire, à avoir le courage de nous délier de relations encombrantes qui ne nous permettent plus de respirer. Pour ce faire, il nous suffit de prendre appui sur la relation que Dieu vit avec chacune et chacun de nous. Il nous aime tel que nous sommes et nous accompagne sans jamais nous lâcher. Son souhait : que nous puissions vivre de la vie en abondance que son Fils est venue nous offrir. Bienheureux, sommes-nous alors de nous savoir aimés « dans les cieux » de la sorte par Dieu afin que nous puissions nous aimer de manière équivalente sur cette terre entre nous. Délions ce qu’il y a lieu d’être pour que nous puissions nous relier dans des relations ajustées aux autres et au Tout-Autre au cœur de notre propre Césarée.
Amen
Permettez-moi de commencer par une question toute simple : quel était l’épisode de l’évangile que nous avons entendu dimanche dernier ? Voilà un exercice de mémoire que je nous invite à faire. Pourquoi me direz-vous ? Tout simplement pour comprendre celui que nous venons d’entendre. En effet, la marche sur les eaux se lit à la lumière de cet événement où le Christ a partagé cinq pains et deux poissons et a nourri une foule immense. En agissant de la sorte, il a pris un grand risque : celui de se voir enfermé dans ce qu’il fait. Les gens pourraient être fascinés par lui vu ce qu’il peut d’accomplir. Ils pourraient admirer cet homme capable de réaliser de telles choses. Or comme le dit l’adage : « nous sommes admirés pour ce que nous faisons mais nous sommes aimés pour qui nous sommes ».
La foi n’est pas d’abord une multitude de valeurs à réaliser. Non, elle est plutôt de l’ordre d’une relation à découvrir et à entretenir. C’est pourquoi, il était fondamental pour le Fils de Dieu qu’il revienne à l’essence de son être. Et c’est sans doute la raison pour laquelle, il s’en va à l’écart, sur la montagne pour prier. Il est bon de prendre ce temps pour soi, de prendre ce temps pour Dieu. La prière, vécue à l’écart du brouhaha de la vie, est cette occasion unique qui est offerte à chacune et chacun de nous de pouvoir nous arrêter, de prendre ce temps au plus intime de nous-mêmes, sur ce mont Horeb tout intérieur, où nous partons à la rencontre du Seigneur. Il est là, il nous accueille, tout comme Elie, dans le murmure d’une brise légère. Et pour entendre un tel murmure, il nous faut faire silence en nous et autour de nous. Il nous suffit d’éteindre toutes ces pensées qui nous invitent à faire et à rêver pour nous rendre plus disponible à Celui qui continue à chaque instant de se dévoiler en nous. Prendre le temps d’un silence tout paisible afin de se laisser envahir par le murmure d’une brise légère, un sifflement musical dont les notes nous conduisent à redécouvrir le sens de notre destinée. A son tour, Dieu le Père se réjouit de ce que nous sommes et de ce que nous advenons à nous-mêmes lorsque nous ajustons nos vies à sa volonté. « Que ta volonté soit faite », disons-nous chaque fois que nous récitons le « Notre Père ». La volonté de Dieu n’est pas fatale, elle n’est pas à la source de tout ce qui nous arrive. « Que ta volonté soit faite » est une invitation proposée à chacune et chacun de nous, dans le murmure d’une brise légère, pour que nous nous mettions en marche afin d’être à notre tour et à notre niveau, les signes visibles de la présence de Dieu au cœur de notre humanité. Il est donc essentiel de se retirer à l’écart pour venir puiser à cette source divine les forces nécessaires qui nous permettront d’être des femmes et des hommes profondément justes car nous sommes ajustés à ce que Dieu espère et attend de nous. Fort de ce temps pris dans l’intimité de la prière, nous pouvons alors, à notre tour, nous mettre à marcher sur les eaux de la vie tout en nous rappelant que cette eau est solide puisqu’elle est celle de notre propre baptême. Et c’est précisément sur cette eau-là, que Dieu le Père, tout comme à Elie, nous invite à « sortir sur la montagne » ou que Dieu le Fils, tout comme à Pierre, dit « Viens ». Notre foi ne peut donc jamais être statique. Nous ne faisons plus du sur place. Pierre et Elie nous montrent que nous sommes conviés à sortir, à oser opérer des déplacements, à quitter notre monde pour marcher sur les eaux de la Vie. Et il est vrai que lorsque les vagues des événements deviennent trop fortes, nous pouvons nous mettre à vaciller, à perdre confiance. Or, il est intéressant de constater qu’en français, c’est la même racine latine « fides » pour parler de foi, de confiance et de fidélité. Avoir la foi, c’est donc faire confiance, se fier à Lui et prendre appui sur Lui pour ne plus craindre les tempêtes de nos existences. Le Fils de Dieu nous prend par la main et nous accompagne dans la traversée de la mer de la Vie. En nous redisant encore une fois : « Confiance ! N’ayez pas peur, c’est moi », le Christ nous réaffirme sa divinité. En grec, « c’est moi » se dit « ego eimi », c’est-à-dire « Je suis » qui, à son tour, rappelle ce que le Père a dit à Moïse, également sur un montagne, « Je suis qui je suis ». Heureux sommes-nous que le Fils nous rappelle qu’il est également Dieu. Dans la confiance, n’ayons plus peur. Dieu sera toujours avec nous.
Amen
SI TU LUI DIS : « TU ES LE FILS » , TU ES « PIERRE »
Rien n'est anodin ou superflu dans les Evangiles : tout a une signification. Matthieu précise que Jésus emmène ses disciples tout au nord de leur pays, là où la Galilée bute sur le massif montagneux de l'Hermon (attitude près de 28OO m - seule station actuelle de ski en Israël). Au bas de la montagne surgissent les flots impétueux des sources qui donnent naissance au fleuve Jourdain. La région est magnifique, verdoyante, fertile, tout à l'opposé de la Judée très aride. Philippe, le fils d'Hérode le grand, a lancé le projet d'une ville en honneur du César Tibère et portant son propre nom : « Césarée de Philippe ». La cité devient un nouveau témoin de la prestigieuse civilisation de l'époque (dite gréco-romaine) avec ses temples, théâtres, stades et sa démocratie : tous les citoyens sont convoqués aux réunions de l' « ekklesia » afin d'y débattre librement et voter les lois.
Tel est « le monde » qui se développe en ce temps et que Jésus connaît bien : à 7 km de son village de Nazareth, il a vu construire « la perle de la Galilée », Tsipori (Sepphoris) où l'on voit encore les ruines d'un théâtre de 4000 places et où peut-être d'ailleurs son père charpentier a travaillé. La civilisation apporte la paix et la prospérité, favorise enrichissement, luxe, voyages, distractions, confort.
Que va faire Jésus pour réaliser le Royaume de son Père dans « ce monde » ?
Surprise : il ne montre aucun mépris pour cette cité païenne, il ne vitupère pas contre les temples d'idoles, les statues de dieux nus, le luxe ostentatoire, les m½urs dévergondées, les marchés où l'on vend des esclaves, il ne jette pas l'anathème sur « une civilisation de mort ».
En effet en cas de maladie, le problème n'est pas la maladie elle-même mais le médecin et les médicaments appropriés. Il ne faut pas maudire la société mais y instiller le moyen de sauver l'homme. Ne critiquons pas « le monde » : soyons une Eglise authentique.
Qu'a donc vu Jésus lors de son excursion ? Une montagne, un roc majestueux d'où sourd l'eau qui donne la vie ; la source du Jourdain où il a reçu son appel de baptême; une ville-type de la civilisation avec son « ekklesia » démocratique (l'assemblée des citoyens qui votent les lois); des architectes et ouvriers édifiant avec soin des bâtiments. Grâce à cela il va enseigner son projet d'ekklesia à lui, d'Eglise - mot qui n'apparaît qu'ici (et 18, 17) dans les 4 évangiles et dont nous allons méditer le sens d'après ce texte.
Jésus, arrivé dans la région de Césarée-de-Philippe, demandait à ses disciples : « Au dire des gens, qui est le Fils de l'homme ? ». Ils répondirent : « Pour les uns, Jean le Baptiste ; pour d'autres, Élie ; pour d'autres encore, Jérémie ou l'un des prophètes. » Jésus leur demanda : « Et vous, que dites-vous ? Pour vous, qui suis-je ? » Alors Simon-Pierre prit la parole et dit : « Tu es le Christ, le Fils du Dieu vivant ! » .... Jésus lui dit : « Heureux es-tu, Simon fils de Jonas : ce n'est pas la chair et le sang qui t'ont révélé cela, mais mon Père qui est aux cieux. Et moi, je te le déclare : Tu es Pierre, et sur cette pierre je bâtirai mon Église ; et la puissance de la Mort ne l'emportera pas sur elle. Je te donnerai les clés du royaume des Cieux : tout ce que tu auras lié sur la terre sera lié dans les cieux, et tout ce que tu auras délié sur la terre sera délié dans les cieux. »
*« Eglise » ne désigne pas d'abord un bâtiment mais l'assemblée. « Je vais à l'Eglise » signifie : je me rends à la communauté où qu'elle soit : on va y prier, étudier l'Evangile, échanger, partager le Pain, décider - de façon démocratique - de la mission commune.
* Elle n'est pas ½uvre humaine : « Je bâtirai mon Eglise » dit Jésus : elle est sienne, unique, il la commence, il la construit, il l'agence, il la garde, elle est son ½uvre.
* Les disciples sont ceux et celles qui répondent à l'appel de Jésus. Ils continuent à vivre dans la cité mais Jésus les a « appelés-hors » (ek-klesia) pour être une communauté spécifique dans la foi et l'amour.
* Les disciples ne construisent pas l'Eglise : ils en sont les éléments, « les pierres » que leur Seigneur choisit, joint, assemble pour construire la Maison de Dieu. Nous voulons toujours « faire » : or il s'agit de nous laisser adapter les uns aux autres.
* Simon, le pêcheur du lac de Galilée, est choisi afin d'être le premier élément de la communion, il est donc renommé « Pierre » pour indiquer sa fonction de pierre de fondation. Sa justification n'est pas due à ses qualités, ses mérites, son intelligence, sa culture mais uniquement à la volonté du Seigneur Jésus.
* Son titre repose sur sa confession de foi : « Tu es le Christ, le Fils de Dieu ». Celle-ci ne peut être la reprise d'une opinion courante, la répétition d'une formule de catéchisme, une vague croyance conservée en privé. La foi se dit, et elle se professe de façon personnelle. « Que dis-tu que je suis ? » : chacun doit répondre pour soi-même.
* Cette profession de foi n'est pas le fruit d'une théologie, d'une argumentation mais une révélation, un don du Père.
* Par cette foi, Pierre reçoit « les clefs du Royaume » qui seront aussi données aux disciples (18, 18). « Lier et délier » est déjà une expression juive pour désigner le pouvoir de permettre et défendre, d'admettre et refuser. L'Eglise, comme son Seigneur, aura comme mission essentielle d'ouvrir les portes du péché par la miséricorde, d'être messagère de la libération de l'homme: « Confiance, mon fils, tes péchés sont pardonnés » (9, 2)
* La guerre et le temps frapperont Césarée, et Athènes et Rome ; toutes ces villes raffinées, si belles d'apparence mais rongées par l'injustice et l'idolâtrie, seront tôt ou tard des amas de ruines avec quelques vestiges pour les musées tandis que l'Eglise de Jésus, sa communauté, jamais ne périra puisque la mort des baptisés en fait des saints éternels et que l'assassinat des martyrs les rend semences de nouveaux chrétiens.
* Au c½ur de l'Eglise - le c½ur du Christ crucifié - jaillit la source d'eau emportant la boue du péché, renouvelant la création et suscitant la floraison d'une humanité qui porte des fruits de bonté, de douceur, d'humilité, de confiance et de paix.
* Au milieu de toutes les cités vouées à tous les Césars (orgueil, toute puissance, ambition, cupidité, violence....), l'Eglise du Christ témoigne de l'amour du Père, de la communion de ses enfants et de l'espérance d'une humanité enfin guérie et heureuse.
Mais il ne faut pas omettre la suite du récit.
À partir de ce moment, Jésus commença à montrer à ses disciples qu'il lui fallait partir pour Jérusalem, souffrir beaucoup de la part des anciens, des grands prêtres et des scribes, être tué, et le troisième jour ressusciter. Pierre, le prenant à part, se mit à lui faire de vifs reproches : « Dieu t'en garde, Seigneur, cela ne t'arrivera pas. » Mais lui, se retournant, dit à Pierre : « Passe derrière moi, Satan ! Tu es pour moi un scandale, une occasion de chute : tes pensées ne sont pas celles de Dieu, mais celles des hommes. »
Nous sommes au tournant, à un nouveau « commencement » (4, 17) Jésus décide de monter à Jérusalem afin d'y proclamer son message : « Convertissez-vous : le Règne de Dieu approche ». Effectivement le Royaume de Dieu va s'ouvrir : ce ne sera pas par des paroles et des guérisons mais par la mort et la résurrection de Jésus. La croix en est la clef et Pierre, tout fier de sa distinction nouvelle, heureux de posséder les clefs, refuse celle-là !
Qu'il faille que Jésus meure : intolérable, impossible ! Il veut une Eglise solide, propre, resplendissante de qualités, exhibant sa puissance... bref sur le modèle de Césarée, la cité païenne ! Et combien de ses successeurs tomberont dans la même tentation : vouloir un Jésus sans croix, une Eglise de croisades, sans misère, un Evangile sans la pâque à travers la mort. Jésus le rabroue violemment : « Tu es satan, non plus pierre de fondation mais pierre d'achoppement, cause de scandale qui empêche de croire vraiment car tu veux contrecarrer le projet de Dieu. ».
Jésus n'a pas quitté ce monde dans lequel il vivait : il l'a accepté et y a fondé une communauté nouvelle, basée non sur l'argent et l'ambition mais sur l'humilité de pauvres hommes comme Pierre et Paul, émerveillés non de devenir des personnages célèbres mais d'être des pierres, des éléments d'une communion indestructible chargée d'apporter aux hommes lumière et vie. Ils se savaient pécheurs et fondaient des paroisses pleines de défauts. Mais il n'y avait d'avenir du monde que là.
Que nos vacances ne soient pas seulement voyage, divertissement, évasion : prenons le temps de réfléchir à l'Eglise, à notre vocation de « pierres »... Que nous laissions là nos idées d'hommes afin d'obéir aux idées de Dieu et témoigner de la joie d'être « des pierres vivantes » dans une Eglise toujours à réformer.
Cela ne s'arrête pas. On pensait en avoir terminé avec les fêtes pascales set voilà qu'on nous rajoute la fête de la Sainte Trinité et maintenant celle du Saint Sacrement. Avec toutes ces fêtes, on est un peu désarçonné et on ne sait plus où donner de la tête. Il y a quinze jours, c'était la Pentecôte avec la fête du Saint Esprit. C'est maintenant la fête du Saint Sacrement avec Jésus ressuscité, présent dans l'hostie. On se méfie même de cette fête. Elle rappelle des images triomphalistes d'une certaine Eglise catholique avec des processions, des chars de fleurs, des enfants habillés en angelots. Se pose même la question de savoir s'il n'y a une petite pointe polémique, un vieux relent antiprotestant. Et pourtant, dès le début de l'Eglise, il y avait un goût, une passion pour le Saint Sacrement. Il y avait tout d'abord la conviction qu'on ne pouvait pas priver les malades et les absents de cette communion au pain consacré. Dès les premières discussions entre chrétiens et païens, on précise qu'après la messe, des fidèles vont porter aux malades et aux infirmes ce pain eucharistié, comme on l'appelait alors. Ce pain donc était porté précieusement parce que les chrétiens étaient conscients que c'était beaucoup plus que du pain. C'était la présence du Christ ressuscité qui était ainsi partagée avec les plus démunis, les malades et les isolés.
Et cette présence était vraiment partagée en communauté. On se souvient que saint Paul reprochait aux Corinthiens de déchirer le corps du Christ par leurs querelles et leurs disputes. Un peu plus tard, c'est-à-dire vers 100, Ignace, l'évêque d'Antioche, dira qu'il n'y a qu'une seule Eucharistie dans l'Eglise et que ceux qui célèbrent l'Eucharistie de leur côté détruisent l'Eglise. Et cela nous rappelle une chose importante, c'est que, si nous sommes ici rassemblés, ce n'est pas tout d'abord par amitié ou sympathie, mais parce que nous reconnaissons que nous, chacun d'entre nous, nous sommes sauvés par Dieu. Ce qui nous rassemble, ce qui nous réunit, c'est la conviction que sans Dieu notre vie n'a pas de sens, mais que, grâce à lui, nous formons tous une grande famille, celle des enfants de Dieu.
Et il y a enfin une très belle image, un très beau geste : nous sommes invités à recevoir le corps du Christ dans le creux de la main et Cyrille de Jérusalem dit qu'alors nous présentons nos mains comme le trône de Dieu. Ce n'est pas nous qui saisissons Dieu dans nos doigts. C'est lui qui vient parmi nous et transforme nos mains, notre corps, notre vie en trône divin. Soyons dignes de cet honneur. Recevons le Bien-aimé pour être transformés par lui.
«SACREMENT DE L'AMOUR, SIGNE DE L'UNITÉ »
Il a suffi d'une cinquantaine d'années pour que, chez nous en Occident, la pratique religieuse subisse un effondrement spectaculaire. Alors que, dans certaines régions, plus de 75 % de la population allaient à la messe du dimanche, aujourd'hui on est tombé en beaucoup d'endroits en-dessous des 5 %. Et comme ce sont les jeunes générations qui manquent, les assemblées vieillissent et marchent vers un avenir très hypothétique. Sans parler de la crise des vocations sacerdotales.
Devant cette situation alarmante, évêques, théologiens et sociologues religieux multiplient les recherches et les études afin d'en discerner les causes. Pourtant nos Eglises n'ont pas été persécutées de façon violente, la liberté de culte a été sauvegardée, les Etats ont même offert des subventions énormes afin de réparer et entretenir les édifices religieux. Mais de façon plus insidieuse, on a créé une société de bien-être, de consommation sans freins, de compétitivité, de recherche du profit immédiat tandis que les médias répandaient une idéologie séduisante qui dévalue la religion comme une survivance désuète et la pratique comme une habitude surannée.
Que faire ? Il serait trop simple de nous limiter à des plaintes et gémissements, à des anathèmes contre cette société matérialiste, à des critiques contre le laxisme des m½urs, à des reproches contre les jeunes insouciants. Certains assurent même que le mouvement de sécularisation a guéri l'Eglise de ses tentations de pouvoir, d'intolérance, de fondamentalisme, qu'il a promu la liberté de choix et qu'il est en train de faire obstacle à la tentative de rétablir une société gérée par des principes religieux.
Toute crise déséquilibre le système, inquiète les esprits accrochés aux habitudes séculaires, met en question des certitudes, des habitudes, un certain langage. Si le danger de torpillage est réel, la crise peut aussi aider l'institution religieuse à sortir de ses ornières, à se renouveler, à accueillir les audaces modernes comme des avancées. Ne sommes-nous pas en train non de péricliter mais de revenir à une situation « normale » ? Si des nations comme la France et l'Allemagne avaient été si chrétiennes, aurait-on tenu des discours de haine et béni des armes avant de se jeter les uns contre les autres ?
Quand Jésus proclamait que les possédants doivent partager, que les injuriés doivent pardonner, que la vengeance et le racisme sont intolérables, qu'il faut accepter de porter sa croix et donner sa vie, il savait que son Eglise ne serait qu'un peu de sel dans les aliments, un peu de levain dans la pâte.
Bref le problème n'est pas de vouloir à tout prix remplir les églises mais y réunir des chrétiens heureux de croire, conscients des exigences d'un baptême qu'ils ont voulu et décidés à les mettre en pratique. Alors les sacrements ne sont plus les sacralisations des tournants de la vie (naissance, puberté, mariage, mort) mais des actes pour promouvoir la sainteté en Christ et vivre ensemble le Royaume tel que Jésus l'a institué : l'existence selon les Béatitudes.
La Fête de l'Eucharistie nous invite donc aujourd'hui à une méditation sur ce Mystère.
Jamais Moïse, Jérémie, Jean-Baptiste n'auraient imaginé pareille « invention », conscients qu'après leur mort, ils ne laisseraient que des souvenirs, des préceptes et des recommandations à leurs disciples. Jésus, lui, savait qui il était : le Fils du Père, envoyé pour sauver les hommes. Offrant aux siens le pain et le vin comme son Corps et son Sang, il transformait l'échec de sa Passion en une action victorieuse, sa croix en don, sa mort en vie pour les autres. L'Eucharistie n'a rien d'un jeu ni d'une parenthèse pieuse dans le cours de l'existence.
D'abord désemparés, incrédules devant ce geste inouï de leur Maître, les Apôtres ont dû être secoués, bouleversés par les retrouvailles de Jésus ressuscité et par le don « soufflant » de son Esprit et pour qu'ils comprennent la signification et la portée du dernier acte de leur Maître.
Jésus l'avait prescrit : « Faites cela en mémoire de moi » : donc le souvenir de Jésus n'était pas un regret qui allait s'estomper avec le temps mais un acte : se réunir autour d'une table et refaire ce qu'il avait fait. Il n'y aurait plus d'apparition miraculeuse d'un Messie parmi les hommes mais l'apparition d'une communauté fraternelle en laquelle le Fils de Dieu continuait à vivre. Oui il demeurait avec eux, comme il l'avait promis. L'Eucharistie du dimanche est la première proclamation de la Bonne Nouvelle.
Des disciples, tel Thomas, étaient restés incrédules devant l'affirmation incroyable de la résurrection : c'est en allant à la réunion « huit jours après », c.à.d. le premier jour de la semaine suivante, qu'ils allaient s'ouvrir à la foi (Jn 20, 24). D'autres disciples, comme Cléophas, écrasés par la croix, tournaient le dos à l'Eglise et se mettaient à la recherche d'un autre sauveur. Mais en relisant les Ecritures, en reprenant le dialogue, en jetant la lumière de la résurrection possible sur leur foi ancienne, en se remettant à table pour partager un Pain qui leur offrait une présence, « leurs yeux s'ouvraient » et en toute hâte, ils couraient rejoindre la communauté de Pierre (Luc 24, 13)
Ainsi les premiers chrétiens, si incroyable que fut le récit de la dernière Cène, comprirent que l'Eucharistie n'était pas obligatoire mais indispensable, qu'elle constituait un des 4 piliers sur lesquels reposait l'Eglise naissante : « Ils étaient assidus à l'enseignement des apôtres et à la communion fraternelle, à la fraction du Pain et aux prières » (Ac 2,42). Elle synthétisait même tous ces éléments puisque, à la messe, on écoute les lectures, on partage la collecte et la poignée de main, on mange le Corps du Christ, on prie l'Esprit dans l'union des c½urs.
Saint Paul, ulcéré d'apprendre que les Corinthiens se séparaient en groupes différents selon la richesse, leur écrivait que le Repas du Seigneur ne pouvait avaliser les distinctions de classe : « Lorsque vous vous réunissez en assemblée, il y a des divisions....Ce n'est pas le Repas du Seigneur que vous prenez ! ... Car celui qui mange et boit sans discerner le Corps du Seigneur mange et boit sa condamnation » (1 Cor 11, 29). Paul ne reprochait pas aux Corinthiens de ne pas croire en « la présence réelle » du Seigneur Christ dans les aliments mais de ne pas la distinguer dans l'assemblée, la communauté qui les partage.
En effet le but de l'Eucharistie est l'union des croyants, la manifestation visible de l'Eglise. La foi dans le Pain consacré est charité, amour entre ceux et celles qui, en communiant deviennent « présence réelle » du Ressuscité. « Puisqu'il y a un seul pain, nous sommes tous un seul corps» (1 Cor 10, 17)
Il est remarquable que les premiers chrétiens n'aient pas décidé de fêter la Pâque de leur Seigneur au jour anniversaire (au printemps suivant) mais bien chaque semaine. Et non le jour de la dernière cène (jeudi) ni le jour de la croix (vendredi) mais le lendemain du shabbat, le premier jour de la semaine, jour de le Résurrection de Jésus, qu'ils dénommèrent « Jour du Seigneur », jour de la victoire de la Vie, jour marqué par la convocation de l'assemblée des baptisés et doté d'un nouveau nom DIMANCHE.
Le mot EGLISE ne désigne pas d'abord un édifice mais la communauté rassemblée, l'appel de Dieu à sortir de la vie ordinaire afin de rejoindre les frères croyants dans le partage du Pain et du Vin et ainsi manifester la présence du Royaume de Dieu au c½ur de l'histoire.
S'il y a équivalence entre : Résurrection, Assemblée, Fraction du Pain, Dimanche, il est donc difficile de se dire « chrétien » tout en refusant d'adopter ce rythme de vie et en ne rejoignant pas l'assemblée puisque Jésus est mort et ressuscité dans le but même de réunir les croyants.
L'évangile de ce jour évoque le scandale abominable que constituaient encore les paroles de Jésus à la fin du 1er siècle et prouve la valeur unique, essentielle, de l'Eucharistie :
« Je suis le pain vivant, qui est descendu du ciel : si quelqu'un mange de ce pain, il vivra éternellement. Le pain que je donnerai, c'est ma chair, donnée pour la vie du monde. »
Les Juifs hurlaient violemment: « Comment celui-là peut-il nous donner sa chair à manger ? »
Jésus leur dit alors : « Amen, amen, je vous le dis : si vous ne mangez pas la chair du Fils de l'homme, et si vous ne buvez pas son sang, vous n'avez pas la vie en vous. Celui qui mange ma chair et boit mon sang a la vie éternelle ; et moi, je le ressusciterai au dernier jour............ » (Jean 6, 51-58)