Dimanche des Rameaux

Auteur: Devillers Raphaël
Temps liturgique: Temps du Carême
Année liturgique : A, B, C
Année: 2013-2014

LAISSEZ LE ENTRER

Dans le rituel de la fête de la Pâque, il était prescrit à chaque famille juive de se procurer un agneau mâle le 10 du 1er mois, de l'observer sérieusement pendant quelques jours afin de constater s'il n'avait pas de défaut ou de maladie ; après quoi, le 14, on l'immolait pour célébrer le repas pascal (Exode 12, 3-6)
Voilà pourquoi c'est au moment où les habitants et les pèlerins assaillent les marchés afin d'acheter leur agneau que Jésus fait son entrée à Jérusalem. Pendant 3 ou 4 jours, ses adversaires vont le tester en lui posant mille questions embarrassantes (le tribut à César, la résurrection des morts, le grand commandement... : Matt 21, 23 - 22, 46). Finalement le peuple constatera que Jésus ne ment pas. : il sera donc la victime intègre, sans défaut. S'il va être arrêté, ce n'est pas par surprise, victime inconsciente du piège tendu par ses adversaires : il sait ce qu'il vit pendant tous les moments de ces jours, appliqué à réaliser les Ecritures qui lui transmettent la Volonté de Dieu son Père. Le temps des sacrifices d'animaux est terminé : aujourd'hui et pour toujours Jésus est le véritable AGNEAU PASCAL, celui dont la mort par amour va libérer non un seul peuple mais l'humanité entière de l'esclavage du péché.

LE SIGNE DE L'ÂNE


Jésus et ses disciples, approchant de Jérusalem, arrivèrent en vue de Bethphagé, sur les pentes du mont des Oliviers. Alors Jésus envoya deux disciples: « Allez au village qui est en face de vous ; vous trouverez aussitôt une ânesse attachée et son petit avec elle. Détachez-les et amenez-les-moi...
Sur le moment même, ni la foule ni les apôtres n'ont compris l'intention du Maître mais, après la résurrection, les disciples seront frappés par la cohérence des événements et l'explication de cette entrée sur cette monture. Matthieu écrit : « Cela s'est passé pour accomplir la Parole transmise par le prophète Zacharie....... ». En effet, plus de deux siècles auparavant, le prophète avait annoncé la venue du Messie  à Jérusalem : il ne serait pas le chef, vainqueur irrésistible, monté sur un cheval fougueux:
« Tressaille d'allégresse, fille de Sion ! Pousse des acclamations, fille de Jérusalem !
Voici que ton Roi s'avance vers toi :
il est juste et victorieux, humble, monté sur un âne, avec un jeune ânon.
Il supprimera d'Israël le char de guerre, et de Jérusalem, le char de combat.
Il brisera l'arc de guerre et il proclamera la paix pour toutes les nations... »      (Zach 9, 9-10)

Quel paradoxe ! Pour libérer le monde, le Messie est doux et humble de c½ur, il appelle au désarmement et au  rejet de la violence. Et il vient accorder la Paix non seulement à son peuple mais à toutes les nations. L'Evangile de Pâques propose la réconciliation universelle, la fraternité: le sang de l'Agneau peut laver toutes les souillures de l'humanité.

Dans la foule, la plupart étendirent leurs manteaux sur le chemin ; d'autres coupaient des branches aux arbres et en jonchaient la route.
Les foules qui marchaient devant Jésus et celles qui suivaient criaient : « Hosanna au fils de David ! Béni soit celui qui vient au nom du Seigneur ! Hosanna au plus haut des cieux ! »
Comme Jésus entrait à Jérusalem, toute la ville fut en proie à l'agitation, on disait : « Qui est cet homme ? » .Et les foules répondaient : « C'est le prophète Jésus, de Nazareth en Galilée. »

Israël, piétiné par les empires, occupé depuis plus de 90 ans  par les Romains, fêtait la Joyeuse Entrée de ce Jésus de Nazareth tout auréolé de sa réputation : «  Formidable ! Il opère des guérisons miraculeuses, il assure que Dieu va venir régner, on dit même qu'il a ressuscité un mort, qu'il est un descendant du grand roi David...». Dans la folle ambiance de la Pâque qui était, en même temps, le souvenir de la sortie de l'esclavage en Egypte et l'annonce des libérations futures, quelle espérance se levait dans les c½urs ! Voilà notre sauveur, notre futur Roi, d'où le cri « Hosanna » qui signifie : Dieu sauve-nous
Le doux Messie qui n'a d'autre monture qu'un pauvre ânon n'est pas dupe de ces vivats, de ces fleurs, de ces acclamations : il ne promet ni grandeur, ni succès, ni triomphe, il ne vient pas soulever une nation contre une autre mais les appeler toutes deux à se réconcilier, à marier Décalogue et droit romain, à dialoguer dans le respect des différences, à mettre fin à la dictature, à l'instinct de conquête, à la haine.
ET ENSUITE ?
Jésus entra dans le Temple, et il expulsa tous ceux qui vendaient et achetaient dans le Temple ; il renversa les comptoirs des changeurs et les sièges des marchands de colombes.
Il leur dit : Il est écrit : « Ma maison sera appelée maison de prière pour tous les peuples » (Isaïe 56, 7). Or vous, vous en faites une caverne de bandits (Jér 7, 11)».
Des aveugles et des boiteux s'approchèrent de lui dans le Temple, et il les guérit.
Les grands prêtres et les scribes s'indignèrent quand ils virent les actions étonnantes qu'il avait faites, et les enfants qui criaient dans le Temple : « Hosanna au fils de David ! ». Ils dirent à Jésus : « Tu entends ce qu'ils disent ? » Jésus leur répond : « Oui. Vous n'avez donc jamais lu dans l'Écriture : 'De la bouche des enfants, des tout-petits, tu as fait monter une louange ? » (psaume 8)
Alors il les quitta et sortit de la ville en direction de Béthanie, où il passa la nuit.
Qu'attendait le peuple ? Que Jésus convoque une assemblée où il dénoncerait le paganisme des troupes étrangères, appellerait à la résistance et fulminerait contre les voleurs, les prostituées, tous les malfaiteurs qui souillaient la Ville sainte. Or tout au contraire, et à la stupeur générale, il se rend au temple, à la Maison de Dieu, c½ur de la ville et du pays, et il se déchaîne contre tout le  commerce qui s'était installé sur l'esplanade. En effet le prophète Zacharie avait prédit qu'à la fin, « il n'y aurait plus de marchands dans le temple » : certes puisque Jésus est l'unique Agneau qui supprime tous les sacrifices.

Ce faisant Jésus répète le geste du prophète Jérémie : il ne dénonce pas les profits illicites des marchands - comme on dit souvent -  mais un culte hypocrite. Si l'on ne vit pas selon le droit et la justice, si l'on bafoue les préceptes de Dieu et que l'on vienne ensuite au temple pour une prière ou un sacrifice, on se comporte comme les brigands qui, après leurs larcins, se réfugient dans une grotte lointaine où ils se sentent à l'abri des poursuites (cf. Ali Baba). Le temple, dit Jésus après Jérémie, n'est pas une assurance automatique, un lieu où la liturgie compenserait les failles sociales. Pas de piété sans pitié pour les malheureux. Pas de paternité divine sans fraternité humaine. 
Et Jésus opère quelques guérisons : il autorise l'accès au temple à ceux à qui il était interdit à cause de leurs infirmités. Malades, handicapés, marginaux, enfants peuvent chanter leur allégresse tandis que les grands prêtres et les scribes se durcissent et que s'exacerbe leur hostilité à l'égard de cet inconnu qui ne peut être qu'un blasphémateur à supprimer au plus vite. La croix se profile.

Aujourd'hui nous entrons dans la Grande Semaine (qui ne peut être pour nous, chrétiens, un temps de vacances et de divertissement), nous agitons nos branches de buis en chantant Hosanna à  un Messie sans apparat, sans triomphalisme. A présent nous savons à quoi cette fête conduit et nous accrocherons nos buis à nos crucifix car c'est là, sur la croix, que Jésus est proclamé notre Roi.
Il vient sur son âne comme pour nous dire : ayez de grandes oreilles pour bien écouter mes enseignements - portez les fardeaux les uns autres -  sans hâte ni impatience allez votre chemin - n'ayez cure des moqueries -  acceptez  de subir l'épreuve de la purification.

De lundi à mercredi, abordons « la question Jésus » et la pertinence de l'Evangile, enracinons notre foi.
Jeudi consommons un roi qui  nous constitue en un temple vivant où la liturgie est amour.
Vendredi contemplons l'Agneau qui se donne pour le pardon de nos péchés.
Samedi éprouvons l'absence terrible de Dieu, le vide effrayant au sein de notre société qui désespère.
Et dimanche nous exulterons devant le Seigneur qui fait de la mort une pâque, c.à.d. un passage, qui nous comble de miséricorde et qui nous appelle à être ses joyeux témoins ...même si on nous traite d'ânes !

5e dimanche de Carême, année A

Auteur: Henne Philippe
Temps liturgique: Temps du Carême
Année liturgique : A
Année: 2013-2014

Nous vivons plein de grands événements dans cette paroisse de Saint-François à Louvain-la-Neuve.  Nous sommes ici rassemblés avec un groupe de fiancés.  Et cela nous rappelle la beauté d'un engagement à vie avec et pour quelqu'un.  Nous célébrons le dernier jour d'une belle semaine, fort chargée, celle de la mission paroissiale.  Et cela nous rappelle que le trésor de l'amour de Dieu qu'on a dans le c½ur n'est pas quelque chose qu'il faut garder caché, mais qu'il faut l'annoncer, le faire partager afin que tous aient la même chance que nous : connaître Dieu et son amour.  Et enfin, nous avons ce très bel évangile de la résurrection de Lazare.  Et ceci nous rappelle que nous sommes tous appelés à vivre un amour éternel.

Et c'est à cela sans doute que nous invitent ces trois grands évangiles que nous avons lus et médités ces derniers dimanches : l'évangile de la Samaritaine, la guérison de l'aveugle-né et la résurrection de Lazare.  Et ces trois événements bouleversants sont noyés dans une longue discussion.  Regardez aujourd'hui : Jésus crie d'une voix forte : « Lazare, viens dehors ! » Et le mort sortit.  Point.  Ca suffit.  L'événement, le miracle tient en peu de mots.  Car ce qui est le plus important, ce n'est pas ce qui s'est passé, mais ce que cela signifie.  C'est comme dans la rencontre amoureuse.  Au cours d'un bal, un jeune homme a vu une jeune fille.  Très bien ! Cela arrive souvent, mais le plus important, c'est que c'est Roméo qui a rencontré Juliette.  Et tout est changé ! Et nous, chacun d'entre nous, nous avons besoin de savoir et de comprendre ce que cela signifie, cette rencontre avec le Bien-aimé, cette rencontre avec Dieu.
Et face à cet événement, face à tous les événements de la vie, il y a deux attitudes possibles, l'une intellectuelle, l'autre émotionnelle.  La première, c'est Marthe.  Elle va vers Jésus et elle lui dit : « Seigneur, si tu avais été là, mon frère ne serait pas mort. » Elle ne pleure pas, elle discute.  « Mais, continue-t-elle, je sais que, maintenant, encore, Dieu t'accordera tout ce que tu lui demanderas. » Elle rouspète, mais elle y croit encore.  Et Jésus discute : « Moi, je suis la résurrection et la vie. » Tout autre est l'attitude de Jésus face à  Marie.  Pourtant elle aussi dit la même chose : « Seigneur, si tu avais été là, mon frère ne serait pas mort. », mais elle ne discute pas, elle pleure.  Et « Jésus fut bouleversé d'une émotion profonde. »

Face aux horreurs de la vie, nous réagissons spontanément par un cri de révolte : pourquoi ? Pourquoi moi ? Pourquoi tout cela ? Et les uns discutent et les autres pleurent.  Et Jésus s'adapte.  Il s'adapte pour nous élever au-delà de cette révolte parce que Dieu est plus fort que tout cela.  Regardez : pour que Lazare puisse sortir du tombeau, il faut qu'on enlève tout d'abord la pierre.  Quand Lazare sort du tombeau, il faut qu'on lui enlève les bandelettes autour des pieds et des mains.  Jésus, lui, est sorti du tombeau, et nul n'a roulé la pierre pour lui.  Jésus est sorti de tombeau, et les bandelettes étaient sur la pierre, bien pliées.  Dieu est bien plus fort que les épreuves de la vie.  Il nous invite à dépasser la vie de tous les jours pour partager son éternité d'amour.  
Oui, nous vivons et nous avons vécu de beaux moments : la présence de jeunes fiancés, le partage de la foi au cours de cette semaine de mission, la lecture de belles pages de l'Ecriture.  Tout cela pour que nous ouvrions notre c½ur aux vastes perspectives de l'amour infini de Dieu pour chacun d'entre nous.

 

4e dimanche de Carême, année A

Auteur: Devillers Raphaël
Temps liturgique: Temps du Carême
Année liturgique : A
Année: 2013-2014

PROLONGER LA VIE OU L'ETERNISER ?
Le récit de « la résurrection de Lazare » est le dernier « signe » accompli par Jésus : lui qui a donné la LUMIERE à un aveugle-né rend la VIE à un défunt. Les 2 dons par excellence : LUMIERE ET VIE.
Lors des fêtes d'automne à Jérusalem, Jésus s'est heurté à l'incrédulité et à la haine ; il a même échappé à des tentatives de lapidation (8, 59: 10, 31). Alors il a quitté la capitale et est retourné au Jourdain, là même où il avait reçu sa vocation et où Jean-Baptiste l'avait désigné comme « l'agneau de Dieu qui enlève le péché du monde ». On l'imagine méditant la signification de cet appel. Des gens commencent à croire en lui (10, 41) mais il ne s'agit pas seulement de créer une petite secte paisible à la campagne. Que faire ? Lors de ces semaines d'hiver (10, 22), Jésus attend un signal de son Père.
Au début du printemps, alors qu'approche la fête de la Pâque, le signal survient : on lui apporte un message de Marthe et Marie, deux s½urs qui habitent à Béthanie, village proche de Jérusalem : « Notre frère Lazare, que tu aimes, est très malade ». C'est une supplique : « Viens vite ! ».
Néanmoins, au lieu de se rendre d'urgence près de son ami, Jésus demeure sur place 2 jours. Le 3ème jour (notation qui reviendra à la résurrection de Jésus !!), il convoque ses disciples :
« Retournons en Judée. ». Les disciples lui dirent : « Rabbi, tout récemment, les Juifs, là-bas, cherchaient à te lapider, et tu y retournes ? ». Jésus répondit : »....Lazare, notre ami, s'est endormi ; mais je vais aller le tirer de ce sommeil. ». Les disciples lui dirent: « Seigneur, s'il s'est endormi, il sera sauvé. ». Alors il leur dit ouvertement : « Lazare est mort, et je me réjouis de n'avoir pas été là, à cause de vous, pour que vous croyiez. Mais allons auprès de lui ! ».
Thomas dit aux autres: « Allons-y, nous aussi, pour mourir avec lui ! »
Jésus sait donc qu'il va se jeter dans la gueule du loup mais  pour lui une seule chose importe : accomplir la volonté de son Père. En lui obéissant il demeure dans la lumière de la Vérité, quoi qu'il arrive ; s'il refusait l'appel, il basculerait dans les ténèbres. « Pour que vous croyiez » : ce qui va se produire devra entraîner les disciples dans une confiance totale. Jésus est l'Agneau qui arrive à Jérusalem afin d'être immolé pour la Pâque, il est le Fils de Dieu qui vient rendre vie à l'homme mort quitte à offrir sa propre vie en échange. La mort n'est qu'un sommeil dont l'homme peut s'éveiller en écoutant la voix du Fils.
........Lorsque Marthe apprit l'arrivée de Jésus, elle partit à sa rencontre : « Seigneur, si tu avais été ici, mon frère ne serait pas mort. Mais maintenant encore, je le sais, tout ce que tu demanderas à Dieu, Dieu te l'accordera. » Jésus lui dit : « Ton frère ressuscitera. » Elle reprit : « Je sais qu'il ressuscitera à la résurrection, au dernier jour. » Jésus lui dit : « Moi, je suis la résurrection et la vie. Celui qui croit en moi, même s'il meurt, vivra ; quiconque vit et croit en moi ne mourra jamais. Crois-tu cela ? ».   Elle répondit : « Oui, Seigneur, je le crois : tu es le Christ, le Fils de Dieu, tu es celui qui vient dans le monde. »
Marthe croyait en Jésus guérisseur, capable de sauver son frère de la maladie, elle croyait également en la résurrection des morts à la fin des temps (sans doute appartenait-elle à la mouvance pharisienne) mais Jésus la place devant une foi beaucoup plus radicale. Quiconque croit que Jésus est le Fils de Dieu est habité par une Vie divine : dans son corps certes, il connaîtra la mort mais dans son être le plus profond, il vivra déjà d'une Vie sur laquelle la mort n'a pas de prise. Marthe a-t-elle compris la stupéfiante  révélation ? Toujours est-il qu'elle fait la profession de foi qui sera celle des premiers chrétiens, lorsque, croyant en la Résurrection de Jésus, ils croiront aussi à la leur.
Marthe partit appeler sa s½ur et lui dit tout bas : « Le Maître est là, il t'appelle. » Marie se leva rapidement et alla rejoindre Jésus. Les Juifs la suivirent. Dès qu'elle  vit Jésus, elle se jeta à ses pieds et lui dit : « Seigneur, si tu avais été ici, mon frère ne serait pas mort. » Quand il vit qu'elle pleurait, et que les Juifs pleuraient aussi, Jésus, en son esprit, fut saisi d'émotion, il fut bouleversé et il demanda : « Où l'avez-vous déposé ? » Ils lui répondirent : « Seigneur, viens, et vois. ». Alors Jésus se mit à pleurer. Les Juifs disaient : « Voyez comme il l'aimait ! ». Mais certains d'entre eux dirent : « Lui qui a ouvert les yeux de l'aveugle, ne pouvait-il pas empêcher Lazare de mourir ? »
Les deux s½urs savent la menace qui plane sur Jésus et elles tentent de taire son arrivée mais, sans le vouloir, Marie entraîne vers lui « les Juifs » : saint Jean emploie souvent ce mot non pour indiquer la nationalité de ces hommes (tous les personnages sont juifs, à commencer par Jésus) mais pour désigner les « judéens »qui lui sont farouchement hostiles. Et devant cet immense chagrin qui submerge ses amies et leurs proches, Jésus est bouleversé : « il aimait Lazare et ses s½urs ».
Dans l'amour, Dieu et l'homme se rapprochent,  ils communient, pourrait-on dire. Dieu n'est pas un Tout-Puissant impassible, il n'exige pas que nous supportions tout sans broncher. Et Jésus n'est pas un stoïcien. Perdre un ami le bouleverse : il pleure sur ce malheur extrême qu'est la mort d'un frère, d'un ami. Mais pourquoi donc, lui qui a opéré tant de guérisons, n'a-t-il pas empêché la mort de son ami ?....
Jésus, repris par l'émotion, arriva au tombeau. C'était une grotte fermée par une pierre. Il dit : « Enlevez la pierre. » Marthe lui dit : « Seigneur, il sent déjà ; c'est le quatrième jour qu'il est là. ». Alors Jésus dit à Marthe : « Ne te l'ai-je pas dit ? Si tu crois, tu verras la gloire de Dieu. ». On enleva donc la pierre. Alors Jésus leva les yeux au ciel et dit : « Père, je te rends grâce parce que tu m'as exaucé. Je le savais bien, moi, que tu m'exauces toujours ; mais je le dis à cause de la foule qui m'entoure, afin qu'ils croient que c'est toi qui m'as envoyé. ». Après cela, il cria d'une voix forte : « Lazare, viens dehors ! ». Et le mort sortit, les pieds et les mains liés par des bandelettes, le visage enveloppé d'un suaire. Jésus leur dit : « Déliez-le, et laissez-le aller. »
Jésus n'est pas un magicien obligé de multiplier les invocations divines pour obtenir la force de réaliser un miracle ; sa prière est louange, action de grâce, signe pour entraîner les témoins à la foi. C'est le Père qui va agir par son Fils : leur gloire commune va se manifester.

Beaucoup de détails évoquent la mort prochaine de Jésus et sa résurrection mais Jean souligne les énormes différences. Au Golgotha, la pierre sera découverte déjà roulée ; les vêtements funéraires seront identiques  (drap du corps et linge de la tête) mais alors ils seront découverts, vides, à plat, à leur emplacement ; et personne n'aura à délier Jésus.
C'est pourquoi il est préférable de parler de la « réanimation de Lazare » et de garder le mot « Résurrection » pour Jésus car Lazare se retrouve dans le même état qu'avant. Et s'il se tait en sortant, s'il ne dit rien de ce qu'il aurait pu expérimenter dans l'au-delà, c'est sans doute parce qu'il comprend qu'il vient seulement de bénéficier d'un sursis, qu'il lui faudra reprendre la marche à la mort et « re-mourir ». On comprend donc la réticence de Jésus à offrir cette possibilité à son ami. La solution à notre angoisse est-elle de prolonger la vie terrestre ou de recevoir une Vie tout autre, éternelle ?

Beaucoup de Juifs, qui étaient venus auprès de Marie et avaient vu ce que Jésus avait fait, crurent en lui. Mais quelques-uns allèrent trouver les pharisiens pour leur raconter ce qu'il avait fait.
Comme il en va toujours, le « signe » opéré par Jésus divise l'auditoire. Certains commencent à croire en lui tandis que d'autres courent rapporter l'événement aux autorités religieuses.

Il faut lire la suite tragique du récit : on convoque le grand conseil (le Sanhédrin) car on craint que la rumeur se répande et que de plus en plus de gens se mettent à croire en Jésus le messie. Puisque celui-ci peut rendre la vie, le peuple, enthousiasmé, risque de se soulever contre les Romains mais ceux-ci noieront la révolte dans le sang et saccageront la ville et le temple. D'où la conclusion du grand prêtre Caïphe : «  Votre avantage, c'est qu'un seul homme meure pour le peuple.... ». Jean note : « C'est ce jour-là qu'ils décidèrent d'exécuter Jésus » (11, 47-53). On décide de faire mourir celui qui vient de redonner la vie !

REFLEXIONS :
Attendre et comprendre les appels que le Seigneur nous lance à travers les malheureux. Oser y répondre même s'il y a risque.
Le Seigneur crie : « Sors !! » : de quelle résignation, de quel sommeil dois-je « sortir » ?...A qui répercuter ce cri d'encouragement ?...
Tous nous sommes écrasés par la mort d'un être aimé, scandalisés s'il s'agit d'un jeune, nous voudrions qu'il continue à vivre. Réaction bien normale mais cet évangile nous rappelle que nous sommes mortels et que la solution n'est pas de prolonger la vie terrestre mais de faire confiance au Christ Seigneur qui nous offre de participer à la Vie divine. Celui qui croit vraiment vit dès aujourd'hui d'une vie sur laquelle la mort n'a pas de prise. Il est donc essentiel que les chrétiens soient présents lors de la mort d'un homme. Non pour tenir des propos faussement consolateurs mais pour témoigner, debout, de Jésus ressuscité et donc de l'espérance. Les funérailles ont retrouvé par bonheur leurs ornements blancs et on y chante l'Alléluia car là où il y la croix, là même jaillit la Vie éternelle.

3e dimanche de Carême, année A

Auteur: Cochinaux Philippe
Temps liturgique: Temps du Carême
Année liturgique : A
Année: 2013-2014

Lorsque je prépare un couple à la célébration de son mariage, j'aime toujours demander aux fiancés la manière dont ils se sont rencontrés.  En les écoutant, ce qui me frappe, c'est la diversité du début de leurs histoires singulières même si les mouvements de jeunesse semblent rester la première agence matrimoniale de notre pays.  Que ce soit lors d'un camp, lors d'une soirée, lors d'un barbecue, au travail, par le biais d'un site internet et même à la messe comme quoi si vous êtes célibataire vous avez bien fait de venir ce soir dans cette église, chaque première rencontre est unique pour chacun de ces couples et la liste est évidemment loin d'être exhaustive.  Toutefois, à ce jour, je n'ai jamais entendu qu'un couple s'était rencontré suite à un tête-à-tête auprès d'un puits.  Or, constate le philosophe des religions Frédéric Lenoir, « dans la Bible, les rencontres amoureuses ont souvent lieu près d'un puits.  C'est près d'un puits que le serviteur d'Abraham demande à Dieu de lui désigner la future femme d'Isaac, le fils de son maître, et qu'il découvre Rebecca.  C'est près d'un puits que Jacob, fils d'Isaac, tombe amoureux de Rachel.  C'est près d'un puits encore que Moïse rencontre sa future épouse Cippora.  Et c'est près d'un puits que Jésus rencontre la Samaritaine, cette femme en quête d'amour qui n'arrive pas à garder ou à se satisfaire d'un mari ». Le lieu du puits est donc important dans le récit que nous venons d'entendre. Il y a également un autre détail qui est loin d'être anodin.  En effet, il est tout à fait anormal qu'une femme aille puiser de l'eau au puits alors qu'il est environ midi, c'est-à-dire au moment où il fait le plus chaud dans la journée.  A cette époque, l'habitude était d'aller chercher de l'eau le matin ou le soir, quand la chaleur est plus douce.  Si la Samaritaine se rend au puits à cette heure-là, c'est qu'il y a une raison. Elle a besoin d'y être seule.  Le puits est par excellence le lieu où les gens se rencontrent, bavardent, et vraisemblablement s'adonnent à cette détente qu'est le commérage.  Ayant eu cinq maris et vivant avec un homme avec qui elle n'est pas mariée, elle avait de quoi alimenter les conversations.  Peut-être avait-elle même volé le c½ur d'une de ces femmes se rendant au puits.  Midi était donc l'heure idéale pour elle afin de ne pas devoir entendre des propos la jugeant et la condamnant. A midi, elle savait qu'elle se retrouverait au c½ur de sa solitude intérieure. 
« Un puits à midi », cette information n'est pas un détail mais le début d'une histoire d'amour.  La Samaritaine est assoiffée d'amour.  Comme tout un chacun, elle cherche à aimer et à être aimée.  Toutefois, elle n'y arrive pas.  Et Jésus vient lui offrir un amour exceptionnel, l'amour du Père, le seul amour capable de désaltérer le c½ur de l'être humain.  A y regarder de plus près, notre c½ur n'est-il pas un peu comme un puits ? Lorsque nous l'avons compris, nous aimons venir nous y ressourcer. L'amour est d'ailleurs cette eau vive qui jaillit des profondeurs de notre être. Nous apprécions ces moments où celles et ceux que nous aimons viennent s'y ressourcer.  Et en même temps, celles et ceux que nous aimons et qui nous aiment, viennent le remplir de leurs sentiments, de leur tendresse, de leur empathie et de leur attention. Ce puits est bien là accroché en nous. Il suffit d'y retourner lorsque le besoin se fait sentir. Rien ne peut nous l'enlever ni la vieillesse, ni la maladie, ni nos erreurs, nos errances ou encore nos transgressions. Notre c½ur est ce lieu de vie où Dieu nous rejoint. Il nous prend là, à ce moment très précis, à la margelle de nos vies. Il aime venir au puits de notre c½ur à midi lorsqu'il n'y a personne d'autres pour que nous puissions prendre un temps d'intimité dans un face-à-face divin.  Dans ce merveilleux épisode de l'évangile où il y aurait encore tant de choses à dire, le Fils de Dieu nous fait découvrir que, quel que soit notre état de vie sur cette terre, toutes et tous nous sommes conviés aux noces éternelles, c'est-à-dire celles qui unissent le Père dans le Fils et par l'Esprit à chacune et chacun d'entre nous.  Notre soif d'amour sera à jamais apaisée lorsque nous aurons découvert et accepté l'amour que Dieu a pour nous.   Puisque Dieu a choisi de venir se reposer à la margelle de notre c½ur, pressons le pas et retournons-y pour y boire une « source d'eau jaillissant en vie éternelle ».
Amen

3e dimanche de Carême, année A

Auteur: Henne Philippe
Temps liturgique: Temps du Carême
Année liturgique : A
Année: 2013-2014

Il y a quelque chose de pathétique dans cette longue conversation.  C'est la réponse de la Samaritaine : « je n'ai pas de mari ».  Or ce n'est pas vrai.  Elle en a eu cinq.  Et Jésus semble abonder dans son sens, dans ce mensonge : « tu as raison de dire que tu n'as pas de mari. »  C'est comme si aucun de ces maris ne lui avait apporté ce qu'un mari doit apporter ou ce que la Samaritaine attendait : le vrai amour.  En disant : « je n'ai pas de mari », la Samaritaine dit qu'elle n'a pas rencontré le vrai amour.  Et en disant : « tu as raison de le dire », Jésus voit dans le c½ur de la Samaritaine cette blessure, cette souffrance.  Et, en ce sens-là, l'humanité tout entière est devant Dieu comme la Samaritaine, à la recherche du véritable amour.
Certes, je crois en la beauté et en la grandeur de l'amour conjugal.  Le couple est un lieu de sanctification, car il est le lieu où chacun peut mieux approfondir ce que cela veut dire : Dieu est mort par amour chacun d'entre nous.  Mais nous tous, dans un couple, dans une communauté religieuse, dans une paroisse, nous tenons souvent une conversation pareille à celle de cet Evangile.  Chacun parle de son monde, à partir de ses soucis, à partir de ses attentes.  Jésus parle de l'eau vive qui est l'amour de Dieu pour nous, et la Samaritaine pense à l'eau fraîche d'une rivière qui remplacerait l'eau fétide du puits.
Et c'est là sans doute l'effort libérateur qui nous est demandé pendant ce carême : non pas réclamer ce que nous voulons, mais accueillir avec gratitude ce qu'on nous donne.  Car on peut avoir des surprises. La Samaritaine pensait parler avec un Juif un peu entreprenant.  Elle apprend à la fin de la conversation que le Messie, celui viendra et qui nous fera connaître toutes choses, c'est Jésus, celui à qui elle parle.
Oui, accueillons avec gratitude tout ce que nous recevons, parce que c'est Dieu qui le donne.

2e dimanche de Carême, année A

Auteur: Croonenberghs Didier
Temps liturgique: Temps du Carême
Année liturgique : A
Année: 2013-2014

Vous avez peut-être déjà lu par plaisir, par curiosité --ou sans doute à l'école par devoir-- une célèbre nouvelle écrite il y a tout juste 100 ans, par un auteur praguois. Je vous en propose un petit résumé... Voyons si vous vous souvenez du titre ! C'est l'histoire d'un homme, Gregor Samsa, qui se réveille un matin et découvre qu'il est devenu un insecte monstrueux. Alors qu'il tente de s'adapter à son nouveau corps, il se rend compte qu'il est en retard pour son travail. D'abord sa mère, puis son père et sa s½ur, viennent frapper à la porte de sa chambre, pour le faire sortir de son lit... Gregor réussit à ramper jusqu'à la porte de sa chambre, à ouvrir et à révéler sa nouvelle apparence. Sa mère s'effondre et son entourage s'enfuit...

Ce livre, c'est... la métamorphose de Kafka. Un court récit --très symbolique-- de la chute existentielle et sociale d'un être tout ordinaire, ?qui découvre l'absurde, l'absence de signification dans sa vie et ?le changement du regard des autres et de lui-même sur sa propre personne...

D'une certaine manière, la métamorphose de Kafka est la dynamique strictement inverse du récit de la transfiguration sur la montagne que nous venons d'entendre. La transfiguration, c'est lorsque nos regards donnent du sens, voient loin, au-delà des apparences ! Si je me permets la comparaison, c'est parce que dans l'évangile, le terme grec pour exprimer ce que nous appelons la transfiguration est bien metamorphè, métamorphose ! ?Il s'agit bien de la métamorphose de Jésus sur la montagne. Mais le récit d'Evangile, par contre, n'a rien de kafkaïen ! La métamorphose de Jésus n'est pas une fatalité, la descente d'un être dans l'infra humain, mais bien la révélation de Jésus tel qu'il est et la préfiguration de sa destinée. Sur la montagne, c'est le regard des disciples qui change !

En effet, Pierre, Jacques et Jean, à l'écart, ne font pas la rencontre d'un 'nouveau Jésus' --fût-il resplendissant. Tout au contraire, ils posent sur lui, un regard nouveau et lui donnent un nouveau visage. Ces disciples posent véritablement un regard nouveau sur Jésus en fonction d'un seul aspect qui conditionne toute leur vision : la résurrection que, dans le récit de l'Evangile de Matthieu, Jésus vient tout juste d'annoncer. Après cette annonce publique, les disciples ne peuvent dès lors que transformer leur regard qu'ils posent sur Jésus en fonction de cette clé de lecture décisive... pour ne voir en Lui, que le Christ resplendissant, préfiguration de sa résurrection.

Dès lors, ce que nous avons peut-être à réapprendre, c'est à découvrir la puissance de notre regard, la force d'une lecture confiante de la vie. ?Le regard que nous posons sur les personnes et sur nos histoires dit parfois plus que les mots. Et bien plus encore, notre regard constitue notre monde et la réalité qui nous entoure. Un regard aimant rend une personne aimée. Finalement, un visage n'a de sens et n'existe pleinement que pour les yeux et par les yeux qui le regardent.

En ce qui concerne Jésus, le récit de la transfiguration nous invite à ne pas le voir seulement comme un homme, éclairé et resplendissant, mais peut-être à voir Dieu en lui, source de toute lumière ; ?à le voir non pas comme un prophète de Dieu, comme Elie, ?mais comme le Dieu des prophètes ; ?non pas comme un homme de la Loi comme Moïse, ?mais comme la source de la Loi... ?Si Dieu a pour nous de multiples visages, c'est peut-être parce que nous avons de multiples manières de le regarder. Mais pour ne voir que Lui comme le font les disciples, il faut se lancer sur un chemin inconnu, partir, et comme Abraham, quitter le pays de nos certitudes, laisser derrière nous nos représentations, nos cocons qui nous rassurent, quitter la famille habituelle de nos visages de Dieu, quitter la maison qui nous sécurise... ?afin de rencontrer parmi les multiples visages de Dieu, celui qui donne réellement sens à nos vies, qui est source de bénédiction, ?qui ouvre toujours un chemin possible, ?celui sur lequel nous voulons poser notre regard, tout simplement.?
Des moments de vraies métamorphoses, nous pouvons toutes et tous en vivre. Là où nous parvenons à être --ne fût-ce qu'un instant-- en harmonie avec nous-mêmes, là où nous nous sentons compris, acceptés, aimé peut-être, pour ce que nous sommes et pas pour ce que nous avons ou faisons. Et chaque fois que nous poserons sur les autres un regard lucide, qui ne juge pas, c'est peut-être la transfiguration de notre monde qui est, elle aussi en marche... Oui, un regard lucide --le mot le dit bien-- est une lecture de la vie pleine de lumière, un regard d'éternité! 

Chaque deuxième dimanche Carême, un récit de transfigutation nous est proposé. Peut-être parce que le Carême n'est pas un temps de préparation pour mériter Pâques, mais un temps de métamorphose, de vraie conversion, de transfiguration : même là où une situation semble kafkaïenne, un sens est toujours possible pour celui qui choisit la confiance et la bénédiction. Car lorsque notre regard se transforme, de la banalité du quotidien peut surgir un horizon nouveau, aux couleurs de l'éternité. Amen.

1er dimanche de Carême, année A

Auteur: Devillers Raphaël
Temps liturgique: Temps du Carême
Année liturgique : A
Année: 2013-2014

GRÂCE AUX TENTATIONS, LA FOI SE RENFORCE

Au carnaval, le monde se déguise et se masque, s'enivre et s'empiffre, s'esbaudit et se trémousse : il se bat les flancs pour se persuader qu'il est heureux en outrepassant les limites et en faisant le fou.
Tout au contraire, pour le carême, Jésus propose à ses disciples de quitter leurs oripeaux, d'enlever leurs masques, de se livrer, nus et libres, à Dieu. C'est pourquoi nous reprenons ce chemin non pour comptabiliser des petites privations mais pour chercher la vérité. Non pour prendre un air renfrogné mais pour manifester la joie de la foi.  Non par dédain de l'humanité qui s'amuse mais pour l'aider à se remettre debout dans l'honneur de la liberté.

« FILS DE DIEU » : QUE FAIRE ?

Jésus, après son baptême, fut conduit au désert par l'Esprit pour être tenté par le démon.
A l'issue de son baptême par Jean, Jésus a reçu la confirmation de son identité (Fils bien-aimé du Père) et le don de l'Esprit l'a investi comme messager, colombe de la paix. Il a compris et accepté la mission d'inaugurer sur le champ, comme Messie, le Royaume de Dieu chez les hommes. L'appel était net, impérieux mais ne précisait rien de la méthode et des moyens à utiliser: aussi, à l'écart de tous, Jésus va réfléchir dans la terrible solitude du désert. L'Esprit l'y pousse précisément parce qu'il se doit de reprendre l'itinéraire de son peuple qui, jadis baptisé (plongé) dans les eaux de la mer Rouge, s'était enfoncé dans le désert du Sinaï pour y subir l'épreuve du feu. Qu'est donc ce « démon » dont la voix doucereuse succède à la douce voix du Père  et dont la figure n'est en rien précisée ? La vocation divine n'est pas un automatisme : les tentations ne sont pas un péché mais la conséquence de notre liberté.

1ère TENTATION : QUELLE FAIM ASSOUVIR ?


Après avoir jeûné quarante jours et quarante nuits, il eut faim. Le tentateur s'approcha et lui dit :   « Si tu es le Fils de Dieu, ordonne que ces pierres deviennent des pains. »
Mais Jésus répondit : « Il est écrit : 'Ce n'est pas seulement de pain que l'homme doit vivre, mais de toute parole qui sort de la bouche de Dieu».
La durée du passage est symbolique : elle rappelle celle du séjour de Moïse sur le Sinaï et évoque les 40 ans d'Israël au désert pendant lesquels le peuple se plaignait sans cesse du manque d'eau et de nourriture. La tentation touche donc à l'essentiel : il faut manger pour vivre. Mais si Jésus a faim, il cherche avant tout à accomplir sa fin, sa finalité. Le besoin de nourriture - l'entretien indispensable du corps - est second vis-à-vis de l'usage de la vie : obéir à Dieu, accomplir la mission reçue de lui. La société de consommation, la quête effrénée des nourritures terrestres toujours plus alléchantes constitue un péril mortel pour l'homme. Le carême est donc  d'abord écoute attentive de la Parole de Vérité qui fait vivre.
Se priver de dessert : peut-être ; mais surtout ne pas se priver de désert. Prendre des plages de solitude, diminuer le flux des médias. Ouvrir sa Bible, se rassembler pour échanger sur les Ecritures, les dévorer et les ruminer afin de les assimiler, puis prier en silence : notre tâche prioritaire en ce temps.

2ème TENTATION : JOUER À L'ANGE

Alors le démon l'emmène à la ville sainte, à Jérusalem, le place au sommet du Temple et lui dit : « Si tu es le Fils de Dieu, jette-toi en bas ; car il est écrit : 'Il donnera pour toi des ordres à ses anges' et : 'Ils te porteront sur leurs mains, de peur que ton pied ne heurte une pierre'».
Jésus lui déclara : Il est encore écrit : Tu ne mettras pas à l'épreuve le Seigneur ton Dieu. »

Mais attention : le démon connaît bien les Ecritures, les psaumes et il nous attend lorsque nous ouvrons le Livre. Il y a péril à utiliser les Ecritures à notre profit, à faire de la foi un exercice de force, de la piété une performance, de l'Eglise un lieu de prodiges et de prestige. Certains chrétiens voudraient une Eglise où se réalisent des merveilles, où les croyants, blottis dans le cocon du sacré, sont transportés au 7ème ciel et y expérimentent le sublime.
« Qui fait l'ange fait la bête ». Le temple ni l'Eglise ne sont des lieux de foire et le chemin de la foi connaît beaucoup plus les affres du silence de Dieu que les extases bouleversantes. La pesanteur du corps et des institutions revendique toujours ses exigences charnelles lancinantes.
En carême, nous ne demanderons pas à Dieu de réaliser pour nous des miracles, de nous consoler par des visions éthérées qui nous aideraient à « planer » sur les saletés du quotidien. La foi n'est pas une drogue, le chrétien se débat dans la gadoue du chemin, il s'enfonce dans les ornières boueuses, il a les pieds et les mains sales. Mais le vrai danger serait de jouer à l'ange et de se retirer des affaires du monde. C'est là qu'il serait en péril de mort.

3ème TENTATION : LA VOLONTÉ DE PUISSANCE

Le démon l'emmène encore sur une très haute montagne et lui fait voir tous les royaumes du monde avec leur gloire. Il lui dit : « Tout cela, je te le donnerai, si tu te prosternes pour m'adorer. »
Alors, Jésus lui dit : « Arrière, Satan, car il est écrit : 'C'est devant le Seigneur ton Dieu que tu te prosterneras, et c'est lui seul que tu adoreras'».
Alors le démon le quitte. Voici que des anges s'approchèrent de lui, et ils le servaient.
Il y a tant de malheurs et de souffrances, il est si urgent d'apporter la Bonne Nouvelle aux extrémités du monde : donc, disent certains, accumulons des biens, montrons notre force, imposons nos vérités à ceux qui vivent dans le mensonge, bâtissons des édifices magnifiques, sauvons le monde par le faste de nos cérémonies, les processions hiératiques de nos prélats vêtus de velours.
Tentation diabolique dans laquelle, hélas, notre Eglise est si souvent tombée et qui a suscité des millions d'incroyants.
Jésus bondit devant cette suggestion : Arrière la violence, le luxe, la splendeur, la corruption, l'instinct de conquête, l'idolâtrie de la réussite à tout prix, tous les instruments de satan ! Et il opte pour les moyens pauvres, la seule force de la Parole qui propose sans s'imposer, le refus de l'argent et des vanités cléricales, la priorité aux petits, aux malades, aux ignorants.
Plutôt le pardon aux pécheurs que les compromissions avec le Pouvoir. Dieu premier servi.
Cette méthode lui vaudra non le respect mais la croix (les hommes n'aiment pas qu'on les incite à la faiblesse ; ils préfèrent suivre les forts, être esclaves des idoles).  Mais le Père rendra vie à son Fils et, à la fin de l'Evangile, Jésus retrouvera ses disciples « sur une haute montagne de Galilée » et il leur affirmera : « Tout pouvoir m'a été donné sur la terre comme au ciel....» (Matt 28, 16-20) .
Parce qu'il aura refusé de recevoir du démon le règne dictatorial sur les royaumes de la terre, il recevra de son Père le règne de l'amour sur la terre comme au ciel.
Beauté et utilité du carême : il subvertit nos idées.
La vie chrétienne n'est pas privation et tristesse mais enrichissement et joie de la Parole de Dieu
Elle n'est pas évasion dans le ciel et quête du merveilleux mais fidélité au quotidien
Elle n'est pas déploiement de puissance mais force de la faiblesse de Dieu.

2e dimanche de Carême, année A

Auteur: Devillers Raphaël
Temps liturgique: Temps du Carême
Année liturgique : A
Année: 2013-2014

SON VISAGE QUI EST LUMIERE SUR LA CROIX

Dès sa vocation reçue au baptême, Jésus s'est enfoncé dans une longue retraite afin d'y décider les grands axes de la mission reçue de son Père. Rejetant les suggestions habiles mais perverses, il a opté pour le primat de la prière, le rejet du merveilleux, le refus de la violence et, tout seul, pauvre, sans moyens, il s'est mis à circuler à travers son district de Galilée, proclamant que Dieu vient inaugurer son règne de douceur et de fraternité, qu'il importe donc de modifier ses comportements et de croire cette Bonne Nouvelle. En outre il a guéri quelques malades et handicapés.
Quelles ont été les réactions devant cette manifestation inattendue ? Les foules se pressaient pour écouter ce remarquable prédicateur qui semblait annoncer la libération prochaine à un peuple opprimé. Mais surtout on venait implorer des guérisons et assister à des miracles (« L'important, c'est la santé, n'est-ce pas ? »). Quant à obéir à l'injonction de la conversion et du changement nécessaire, il en était beaucoup moins question : on attendait un bonheur sur un plateau, sans effort.
Mais d'autre part Jésus se heurtait à la résistance farouche des pharisiens et des scribes, modèles de piété et de connaissance des Ecritures : « Pour qui se prend ce Galiléen inconnu ? De quel droit parle-t-il de la sorte ? Ses prétendues guérisons ne sont-elles pas l'effet d'une magie diabolique ? »
Les mois passent et Jésus rencontre toujours les mêmes réactions : d'un côté acclamations superficielles et demandes de santé, de l'autre opposition rageuse. Que faire ? Il prend alors sa seconde décision capitale, celle qui va désarçonner complètement ses disciples : « Jésus commença à montrer qu'il lui fallait aller à Jérusalem, souffrir beaucoup de la part des autorités et ressusciter ». Et à nouveau il fait la rencontre du diable en la personne du premier de ses disciples, Simon-Pierre, qui veut lui barrer la route. Mais il le rejette avec violence : « Arrière satan ! » (16, 21-23) et il annonce le seul chemin pour rester disciple : renoncer à son égoïsme, prendre sa croix et le suivre.
A ce moment, Matthieu poursuit son récit par l'évangile de ce dimanche en enchaînant par une notation chronologique importante mais qui est supprimée dans la lecture liturgique : « 6 jours après ».

JESUS TRANSFIGURÉ

Six jours après, Jésus prend avec lui Pierre, Jacques et Jean son frère, et il les emmène à l'écart, sur une haute montagne. Il fut transfiguré devant eux ; son visage devint brillant comme le soleil, et ses vêtements, blancs comme la lumière.
Annonce de la Passion et Transfiguration sont donc intimement liées : c'est à cause de la première que la seconde a lieu. L'illumination que connaît Jésus n'est pas une extase gratuite, un phénomène miraculeux qui survient tout à coup à un mystique comme une récompense. C'est parce que Jésus vient de consentir à aller jusqu'au bout de sa mission, que le Père confirme sa décision et lui offre un gage de son issue lumineuse.
Lorsque Jésus a accepté et annoncé sa passion inéluctable, son visage devait être livide en imaginant l'horreur de la croix et en réalisant que c'était ses propres frères qui allaient le précipiter dans cet abîme. « Six jours après », son Père lui manifeste son amour : il n'arrêtera pas la haine des hommes mais son « Fils bien-aimé », anéanti et jeté dans les ténèbres, resurgira dans la lumière divine.
Le Visage transfiguré sur la montagne apparaît en surimpression sur la pauvre Face ensanglantée du Golgotha. Moment fugitif que les 3 apôtres interpréteront plus tard : le Serviteur rejeté et tuméfié est bien le Seigneur de Gloire.
L'effet de clarté sur la face et le vêtement est fortement accentué pour montrer que Jésus a une condition infiniment supérieure à celle de Moïse qui, à la réception de la Loi sur le Sinaï, avait un visage rayonnant (Ex 34, 29)

NE PAS CONSTRUIRE UNE MAISON POUR DIEU MAIS ÊTRE SA DEMEURE

Voici que leur apparurent Moïse et Élie, qui s'entretenaient avec lui.
Le Législateur qui avait donné la Loi fondamentale et le Prophète véhément, champion de la lutte contre les idoles, reconnaissent Jésus comme l'aboutissement de leur itinéraire et ils l'approuvent. Nous, nous avons utilisé la force pour imposer nos vues, constituer un peuple à part des autres et supprimer les ennemis : Toi, tu viens dans la douceur, tu es rempli d'Esprit, tu accomplis la Loi, tu donnes ta vie et apporte à tous les hommes l'Amour de Dieu qui est ton Père.- et leur Père miséricordieux.

Pierre alors prit la parole et dit à Jésus : « Seigneur, il est bon que nous soyons ici ! Si tu le veux, je vais dresser ici trois tentes, une pour toi, une pour Moïse, et une pour Élie ». Il parlait encore, lorsqu'une nuée lumineuse les couvrit de son ombre, et voici que, de la nuée, une voix disait : « Celui-ci est mon Fils bien-aimé, en qui je trouve ma joie : écoutez-le ! » Quand ils entendirent cela, les disciples tombèrent face contre terre et furent saisis d'une grande crainte. Jésus s'approcha, les toucha et leur dit : « Relevez-vous et soyez sans crainte ! » Levant les yeux, ils ne virent plus personne, sinon lui, Jésus, seul. En descendant de la montagne, Jésus leur donna cet ordre : « Ne parlez de cette vision à personne, avant que le Fils de l'homme soit ressuscité d'entre les morts. »
Au Sinaï, seul Moïse avait eu un contact direct avec Dieu, seul il avait le visage rayonnant et il était descendu avec l'ordre de Dieu de lever une contribution chez tous les fils d'Israël : « Ils me feront un sanctuaire et je demeurerai parmi eux » (Ex 24, 8).
Lorsque Jésus est glorifié, c'est l'inverse : Dieu lui-même, par son Esprit (symbolisé par la Nuée), vient recouvrir et rassembler tous les disciples, gratuitement, dans l'unité de son amour. En effet si, à la Transfiguration, cette expérience est réservée aux 3 grands apôtres, elle est destinée à être vécue par tous les disciples de Jésus à travers tous les temps.

Simon-Pierre qui voulait « un christianisme sans croix », comme dit notre pape François, tombe dans une série de fautes :
-    il sépare Moïse, Elie et Jésus, c.à.d. la Loi, les Prophètes et l'Evangile, c.à.d. la Loi et la Bonne Nouvelle, c.à.d. Israël et l'Eglise  - alors qu'il n'y a qu'une seule Révélation progressive ;
-    il croit honorer Jésus en l'enfermant dans un sanctuaire (un tabernacle) - alors que le Fils du Père veut demeurer dans la vie et les maisons de tous ses frères ;
-   comme ses successeurs Pontifes, il projette de dresser des édifices sacrés, des églises - alors que Dieu veut constituer une Eglise, communauté universelle des peuples (car il est plus facile de bâtir une cathédrale que de s'accueillir les uns les autres dans une communauté vivante)
-   il rêve de prolonger son bonheur en arrêtant le temps, en se réfugiant dans la bulle d'une piété désincarnée - alors que la lumière de la contemplation n'est offerte que pour oser redescendre dans la vie ordinaire et s'élancer au risque de la croix.

Le Père répète, cette fois à l'intention des apôtres, ce qu'il avait murmuré à Jésus lors de son baptême : « Jésus est mon Fils (le messie du psaume 2, 7) bien-aimé (comme Isaac en Gen 22, le fils voué à la mort mais épargné),  « celui qu'il m'a plu de choisir » (le Serviteur de Is 42, 1).
Mais  ici il ajoute : « ECOUTEZ-LE ». Or Jésus est silencieux depuis le début de la scène ! Donc cette exhortation ne peut que renvoyer à l'enseignement qu'il a donné « 6 jours avant » : je donnerai ma vie et vous aussi, si vous me suivez. Cette révélation, qui avait scandalisé les disciples, et notamment Pierre qui s'y était violemment opposé, est tout à fait exacte et nécessaire: faites confiance à mon Fils, obéissez-lui, suivez-le sur le chemin qui, par la croix, conduit à la Gloire éternelle.
Voix du Père, Nuée englobante de l'Esprit et, au centre, Jésus, le Fils bien-aimé, unissant peuple de l'Ancienne Alliance et Eglise de la Nouvelle : la scène majestueuse manifeste le mystère de Dieu Trinité et celui de l'Eglise assumée dans la Lumière  divine.
Entrevoir aujourd'hui le Visage lumineux de Jésus nous permet de continuer à le suivre en ce carême, image de notre vie : oser aller vers le vendredi du Golgotha pour passer dans la Lumière de Pâques.

 

8e dimanche ordinaire, année A

Auteur: Henne Philippe
Temps liturgique: Temps ordinaire
Année liturgique : A
Année: 2013-2014

L'Evangile d'aujourd'hui pose la délicate question de notre rapport à l'argent.  Cette question est d'autant plus délicate que nous ne sommes pas tous dans la même situation.  Certs, nous avons tous des soucis d'argent.  Quand nous recevons notre feuille d'impôt, nous ne sautons pas tous de joie, en disant : « quel bonheur ! quel plaisir de pouvoir participer au rayonnement et à la gloire de la Belgique ! » Mais nous connaissons tous dans notre entourage, et même dans notre famille, des personnes qui vivent dans la précarité.  Cela peutêtre une mère de famille qui éduque seule ses enfants parce qu'elle est divorcée.  Cela peut être un étudiant venu de loin et obligé de vivre avec une petite bourse, ou parfois sans bourse.
Et c'est là toute la différence entre ces personnes et moi.  Moi, j'ai la chance de pouvoir me demander quelle est la place de l'argent dans ma vie.  Ces personnes vivant dans la précarité ne se posent pas cette question.  Pour elles, l'argent est un souci quotidien.  Et pourtant, certaines d'entre elles ont la force, le courage d'écouter les autres et de partager leurs joies et leurs peines.  Je suis toujours plein d'admiration devant tous ces hommes et ces femmes qui arrivent à ne pas être brisés par la vie malgré les grands drames qu'ils ont pu traverser, malgré les grandes difficultés dans lesquelles il doivent vivre. 
C'est la raison pour laquelle je suis embarrassé devant cette parole de Jésus : « ne vous faites pas tant de souci pour votre vie ».  Que Jésus m'adresse cette parole, à moi, d'accord ! jer comprends.  Il faut toujours être prudent dans son rapport avec l'argent, mais qu'il lance cette remarque à tous ses contemporains, c'est étonnant.  A cette époque, il n'y a pas de sécurité sociale, pas d'assurance-maladie, pas d'assurance-chômage.  Ce qu'il y a, ce sont des hommes qui le matin s'installent sur la place et attendent qu'on les engagent pour la journée, ce sont les veuves qui, comme Ruth, glânent dans les champs les épis de blé oubliés par les moissonneurs.  Tout cela, c'est bien, c'est romantique, mais cela ne dure que le temps de la moisson.  Il y a bien sûr face à tous ces traîne-misère les riches propriétaires terriens et la famille d'Hérode qui usent et abusent de leur pouvoir pour mieux s'enrichir, s'enrichir sans cesse et sans fin, car tout le monde le sait : on n'est jamais assez riche.  Et c'est là peut-être le point sur lequel Jésus veut attirer notre attention : ne pas s'habituer à la pauvreté autour de soi, rester sensible à la détresse de nos proches, leur rendre leur dignité humaine soit par une aide ponctuelle, par une aide structurelle.  Car on ne peut rester ébloui par l'amour de Dieu sans vouloir le faire partager par tous ses proches, en leur rendant des conditions de vie dignes d'un enfant de Dieu.
Philippe Henne