30ème dimanche, année A

Auteur: Didier Croonenberghs
Date de rédaction: 26/10/14
Temps liturgique: Temps ordinaire
Année liturgique : A
Année: 2013-2014


Vous savez probablement où se situe le « centre de gravité » d’un être humain? Il se trouve plus ou moins à hauteur de son nombril. Les athlètes professionnels dans cette assemblée auront sans doute un centre de gravité plus haut, et les femmes un peu plus bas, mais peu importe: il ne sera pas loin de cette partie de votre anatomie si facile à localiser —ou contempler pour certains— le nombril !

Dans l’évangile que nous venons d’entendre, les pharisiens arrivent comme d’habitude avec une question piège… Où se situe le centre de gravité, le point d’appui, le nombril de la Torah, le plus grand commandement? Selon une tradition juïve, la loi comprenait 613 commandements. Alors, en posant cette question, les pharisiens forçaient Jésus à choisir le centre? Une question vicieuse et très mal posée —vous l’imaginez— comme s’ils venaient lui dire : «Rabbi, faut-il aimer davantage son papa ou sa maman?».

La réponse de Jésus au piège des pharisiens est subtile et toute simple. A l’amour de la règle, il substitue la règle de l’amour. Revenez à l'essentiel nous dit Jésus. C'est l'amour qui donne sens à nos existences. Tout est dit dans ce simple commandement d’amour et pourtant, tout reste à faire. Jésus n’amène absolument rien de nouveau, mais pose un éclairage complètement neuf sur la loi. Cette règle d'or de l’amour se retrouve dans tous les grands systèmes philosophiques et religieux du monde. Rien de neuf et rien de bien chrétien. Mais la manière avec laquelle Jésus la présente est extraordinairement neuve. L’originalité de sa réponse réside dans le rapprochement entre deux commandements. A une question qui semble n'appeler qu'une seule réponse, Jésus distingue trois déclinaisons d’un même amour. L’amour de soi, l’amour du prochain et l’amour de Dieu.  

En amour, il ne s'agit pas de diviniser l’autre, de manière idéalisée. Il ne s'agit pas non plus de voir Dieu en son prochain, comme si notre regard niait son individualité. Encore moins de s’aimer soi-même de façon narcissique.



En rassemblant ces trois amours, Jésus déplace le centre de gravité Il n’est pas soit dans le nombril d’un simple amour de soi, ou dans un amour désintéressé pour Dieu. Il est dans le prochain, ce point de convergence entre Dieu et nous. «Si quelqu’un dit ‘J’aime Dieu’ et n’aime pas son frère, c’est un menteur» nous dit Saint Jean. Oui, le prochain devient donc ce lieu de rencontre où Dieu vient nous visiter. Aimer, finalement, c’est quitter son petit «moi» narcissique pour découvrir son point d’équilibre dans la relation, son centre de gravité dans le coeur de l’être aimé, créé à l’image de Dieu.

Pour vivre ce déplacement, il faut tout d’abord être capable de s’aimer soi-même, c’est à dire à poser un regard positif sur soi. Découvrir une confiance en ses capacités, accepter que les autres nous fassent confiance! S’aimer soi-même, c’est accepter son âge, assumer son corps, accueillir ses limites, pour pouvoir aimer librement en retour. Il ne s’agit en rien d’un regard prétentieux, mais plutôt d’une nécessaire confiance en soi —aussi difficile qu’indispensable— pour prendre le chemin de l’amour de l’autre.
    
S’aimer soi-même, donc, mais pour aimer l’autre ensuite. Aimer son prochain, c’est veiller sur lui sans le couver. C’est faire que sa solitude ne soit pas un isolement. C’est lui donner à respirer, à espérer; c’est poser sur lui un regard de bienveillance. Parfois même, dans l’amitié ou dans un couple, ce sera  déposer au coeur de l’autre son centre de gravité, trouver dans l’autre son équilibre. Il ne s’agit pas de s’abandonner pour l’autre. Et voilà encore un amour difficile. Combien de personnes n’ont-elles pas voulu aimer — ou cru devoir aimer— les autres —leur conjoint, leur enfant— au détriment de ce qu’ils étaient?

Mais à ce stade, l’audace chrétienne est de dire que le commandement d’amour n’est pas une question de contenu, de règle, d’objet, de quantité. Il n'y a plus qu'un comment, une manière d'être en relation: aimer tout simplement de tout notre coeur, notre âme et notre Esprit.

Quittons alors ce qui nous replie sur nous-mêmes  pour déposer notre centre de gravité, notre propre équilibre au coeur de notre prochain, c’est-à-dire de celles et ceux dont nous voulons nous faire proche. En vivant l’amour de la sorte, Dieu se révèlera alors à nous dans tous les actes de bienveillance que nous poserons en toute liberté. Il ne s’agit plus d’opposer l’amour de soi à l’amour de l’autre ou de Dieu. Mais de découvrir que la confiance en soi —aussi petite soit-elle— lorsqu’elle prend courage et s’épanouit en amour de l’autre, devient véritablement un amour inspiré par Dieu. Amen.

30ème dimanche, année A

Auteur: Raphaël Devillers
Date de rédaction: 26/10/14
Temps liturgique: Temps ordinaire
Année liturgique : A
Année: 2013-2014

QUAND  ON  N’A  QUE  L’AMOUR . . .

Sur l’esplanade du temple, les ennemis de Jésus se succèdent pour le piéger mais il a toujours la réponse sensée et adéquate : oui il faut payer le tribut à l’empereur de  Rome (contre les zélotes et la révolution violente) ; oui il y a résurrection des morts (contre les grands prêtres sadducéens - épisode sauté cette année) ; oui l’amour est le cœur de Dieu et de la Loi (contre les arguties et les règlements des légistes). En effet il y avait un 3ème problème débattu dans les écoles théologiques: quel est le principe essentiel de la Loi ? C’est l’évangile de ce jour.

Les pharisiens, apprenant que Jésus avait fermé la bouche aux sadducéens, se réunirent, et l’un d’entre eux, un docteur de la Loi, posa une question à Jésus pour le mettre à l’épreuve : « Maître, dans la Loi, quel est le grand commandement ? ». Jésus lui répondit : « Tu aimeras le Seigneur ton Dieu de tout ton cœur, de toute ton âme et de tout ton esprit ». Voilà le grand, le premier commandement. Et le second lui est semblable : « Tu aimeras ton prochain comme toi-même ».De ces deux commandements dépend toute la Loi, ainsi que les Prophètes. »
Si même ils comptaient dans leurs rangs certains hypocrites et faux dévots, les pharisiens étaient des laïcs extrêmement soucieux d’observer la Loi de Dieu dans tous ses détails ; leurs légistes s’appliquaient sans arrêt à scruter les Ecritures et à préciser les préceptes à enseigner au peuple afin qu’Israël soit vraiment le peuple de Dieu. Dans l’amas des lois et des traditions, il fallait dégager l’essentiel de l’accessoire et les opinions divergeaient : qu’est-ce qui est le plus important : le shabbat ? la circoncision ? la prière ? l’alimentation casher ? le jeûne ? les fêtes ? l’aumône ?....
Jésus fournit la réponse essentielle, celle qui, jusqu’à la fin des temps, éclaire la conduite humaine.

« Tu aimeras le Seigneur ton Dieu de tout ton cœur, de toute ton âme et de tout ton esprit ».
Voilà le grand, le premier commandement.

Jusqu’à aujourd’hui encore, tout Juif doit, matin et soir, prononcer la profession de foi essentielle appelée le « shema » : « Ecoute, Israël, YHWH notre Dieu est YHWH un. Tu aimeras….. » ( Deuter 6,4). Il n’y a donc qu’un Dieu (Elohim créateur) mais il s’est révélé sous le nom de YHWH (Je suis) lorsqu’il a libéré les Hébreux de l’esclavage, leur a fait passer la mer, a fait alliance avec eux au Sinaï, leur a donné sa Loi, les a guidés à travers le désert jusqu’à la terre promise.
Donc au point de départ et au fondement de tout, il y a l’amour gratuit et actif de YHWH le Seigneur : écoute tout ce que le Seigneur a fait pour toi. En réponse, il est demandé à Israël d’être reconnaissant, de craindre YHWH, de le servir, d’observer ses lois et même de l’aimer. « Tu aimeras » n’est donc pas un précepte arbitraire mais un dû pour un reçu. C’est parce que tu es aimé (ce que l’histoire de tes ancêtres te révèle et te prouve) que tu dois aimer en retour. L’amour de Dieu est reçu afin d’être donné : il consiste donc à imiter YHWH : libérer le prisonnier, le guider, l’éclairer, lui donner un projet.

Cet amour pour YHWH requiert toute l’existence du croyant.
-- « de tout ton cœur » : en hébreu le mot ne désigne pas l’affectivité, la sentimentalité mais le centre où la personne crée sa vie, là où elle raisonne, veut, décide, s’engage.
-- « de toute ta vie » : l’amour pour Dieu n’est pas un secteur de la vie, il ne se réduit pas à une vague croyance, à des services religieux, à des liturgies : il doit être total, engager toute l’existence. La foi, c’est donner sa vie à Dieu jusqu’à parfois en mourir.
-- « de toute ta pensée » : (dans le texte original du Deutéronome il est dit « de tout ton pouvoir »). Puisque notre amour pour Dieu est  réponse au sien, il ne se déploiera, ne croîtra, ne subsistera que si nous gardons mémoire des bienfaits que nous avons reçus et dont nous sommes comblés. La Bible exhorte sans cesse à « se souvenir », à faire mémoire (Deut 6, 12…) L’oubli de ce que Dieu fait pour nous entraîne la tiédeur, le laisser-aller.
Donc l’amour du Dieu UN pour l’homme le rend UN, l’unifie, guérit son déchirement, l’apaise, le comble. La foi est bonheur, rectitude lorsque l’homme, luttant contre ses péchés, poursuit son combat pour finaliser toutes ses facultés vers Dieu. Et cet élan sera encore plus fort lorsque le croyant apprend, par l’évangile, que ce YHWH est son Père à qui il peut s’adresser en toute confiance comme un fils bien-aimé.

Et le second lui est semblable : « Tu aimeras ton prochain comme toi-même ».

La réponse semblait suffire à la question (le grand commandement) mais voilà qu’elle se prolonge par un « second commandement » qui résonne comme la suite inséparable du premier. Cette fois Jésus recourt au « Code de Sainteté » du Lévitique qui est scandé par l’exhortation solennelle : « Soyez saints car je suis saint, moi YHWH, votre Dieu ». Cette sainteté est tout de suite précisée non par des pratiques religieuses (mystiques ou ascétiques ou miraculeuses) mais par l’amour du prochain et surtout du pauvre : « Tu abandonneras le coin de ton champ pour le pauvre …N’exploite pas ton prochain et ne le vole pas…Ne commets pas de jugements injustes…N’aie pas de pensée de haine contre ton frère ». Et qui se poursuit : « Tu aimeras ton prochain comme toi-même » (Lév 19, 18). Le monothéisme inculqué par les prophètes est moral, éthique, il établit des relations justes entre les humains.
Déjà « la règle d’or » était soulignée dans le Sermon sur la montagne : « Tout ce que vous voulez que les hommes fassent pour vous, faites-le vous-mêmes pour eux : c’est la Loi et les Prophètes » (7, 12).
Ici encore l’impératif de l’amour découle d’un indicatif : parce que tu as de l’amour pour toi, tu dois prodiguer la même mesure d’amour pour autrui. Ce qui d’ailleurs ne va pas sans poser un problème : est-ce que nous nous aimons vraiment ? « Il est plus facile qu’on ne croit de se haïr » disait le petit curé de campagne de G. Bernanos – ce que des psychanalystes confirment.
Nous sommes renvoyés au début, à l’amour immense de Dieu pour chacun d’entre nous : la foi c.à.d. la confiance en Dieu Père autorise à nous aimer nous-mêmes, sans suffisance, et du coup nous sommes portés à partager avec le prochain cette charité reçue à profusion.
Dieu t’aime – donc aime-le…donc tu peux t’aimer en vérité…et ainsi aimer ton prochain

De ces deux commandements dépend toute la Loi, ainsi que les Prophètes. »

Toute la Révélation divine est « suspendue » (traduction précise du verbe) à ces 2 commandements qui doivent donc susciter, provoquer, épanouir toute l’existence humaine. Liturgie, piété, actions n’ont sens que pour déployer les urgences de l’amour.
La relation verticale à Dieu « croise » la relation horizontale avec autrui ; foi et charité s’entraident, se réchauffent, se renforcent l’une l’autre en ce lieu de la croix où l’homme naît à son histoire. Saint Jean avait bien compris que le double commandement rayonnait à partir du Fils crucifié (1ère lettre 4, 7-12)
« Mes bien-aimés, aimons-nous les uns les autres car l’amour vient de Dieu et quiconque aime est né de Dieu et parvient à la connaissance de Dieu. Qui n’aime pas n’a pas découvert Dieu puisque Dieu est amour…Voici ce qu’est l’amour : ce n’est pas nous qui avons aimé Dieu, c’est Lui qui nous a aimés et qui a envoyé son Fils en victime d’expiation pour nos péchés. Mes bien-aimés, si Dieu nous a aimés ainsi, nous devons, nous aussi, nous aimer les uns les autres. Dieu : personne ne l’a jamais contemplé. Si nous nous aimons les uns les autres, Dieu demeure en nous et son amour en nous est accompli »

29ème dimanche, année A

Auteur: Philippe Cochinaux
Date de rédaction: 19/10/14
Temps liturgique: Temps ordinaire
Année liturgique : A
Année: 2013-2014

« Rendez à César ce qui est à César et à Dieu ce qui est à Dieu ».  Cette phrase de l’évangile, devenue au fil dans siècles un dicton de la langue française, ne peut être comprise aujourd’hui que si nous y ajoutons une troisième partie « pour donner à l’humain ce qui est à l’humain ».  Mais reprenons d’abord la thématique originelle.  
Pharisiens et Hérodiens s’allient pour tendre un piège à Jésus. Voilà une alliance plus qu’étonnante, nous pourrions même aller jusqu’à affirmer qu’elle est absolument contre nature.  En effet, les pharisiens étaient des juifs conservateurs clairement nationalistes, et les Hérodiens quant à eux se complaisaient dans leur rôle de collaborateur avec l’occupant romain.  Des ennemis s’unissent donc pour mettre à mal celui qu’il considère comme un danger tel qu’ils sont prêts à dépasser leurs différends respectifs.  Mais pas de chance pour eux.  Ils tombent sur un génie politique qui en quelques mots les remet à leur place et les confond dans leur hypocrisie de fausse unité.  « Rendez-donc à César ce qui est à César et à Dieu ce qui est à Dieu ».  Tout est dit.  Contrairement à ce qu’il aurait pu penser, César n’est que César.  Il ne sera jamais Dieu.  Personne sur cette terre ne peut prétendre occuper cette place divine. Dès lors, en tant que César, celui-ci a des droits dus à son rang mais aussi un ensemble d’obligations à respecter.  Qu’en est-il pour nous aujourd’hui ? Eh bien, chacune et chacun d’entre nous, nous pouvons être appelés à devenir à notre niveau un ou une César.  Nous le sommes lorsque nous occupons des fonctions politiques, des responsabilités administratives ou de direction.  Nous pouvons également l’être lorsque nous sommes supérieurs de communauté, animateurs de mouvements de jeunesse ou encore simplement parents.  Tout César qui a correctement compris son rôle, exerce une fonction d’autorité pour le bien de sa propre communauté et non pas un pouvoir risquant d’écraser celles et ceux qui lui ont été confiés.  Lorsque nous exerçons notre autorité de César, ne nous identifions jamais à celle-ci.  Elle s’inscrit toujours dans un temps déterminé pour un service donné.  Même au sein de nos familles, les enfants quittent un jour le nid.  Les parents resteront toujours des parents mais leurs relations évolueront également avec leurs propres enfants.  Etre donc César n’est pas d’abord un titre dont nous nous affublons mais plutôt une tâche à vivre, une manière de nous consacrer au bien-être de nos proches qui ne nous appartiendront jamais.  C’est la raison pour laquelle, il est fondamental de ne jamais oublier de « rendre à Dieu ce qui est à Dieu ».  En effet, nous sommes en Dieu et Celui-ci offre à chacun de ses enfants une destinée à accomplir.  Celle-ci s’inscrit dans la douceur de l’amour donné et reçu, dans la bienveillance d’une tendresse relevante, dans un regard empreint de compassion bienfaitrice.  En acceptant à notre tour de rendre à Dieu ce qui est à Dieu, nous acceptons que nous ne le sommes pas et que nous mettons nos pas à la suite de ce que le Fils de Dieu est venu nous proposer comme chemin de vie.  En effet, dès l’instant de la création des êtres humains, Dieu est devenu omnipotent de douceur, omniscient de tendresse, omniprésent d’amour.  Voilà ce que nous sommes dorénavant appelés à vivre à notre tour.  Nous ne sommes pas sur cette terre pour chercher à prendre le pouvoir et à parfois en abuser.  Non, nous sommes ici pour exercer une autorité de croyantes et croyants qui par leur manière de vivre leur vie deviennent contagieux de ce qui vit au plus profonds d’eux.  C’est en ce sens qu’il est heureux que nous ajoutions cette troisième partie : « Rendez à César ce qui est à César et à Dieu ce qui est à Dieu pour donner à l’humain, ce qui est à l’humain ».  Qu’avons-nous reçu ?  Quelque chose de merveilleux qui est inscrit en chacune et chacun de nous.  Toutes et tous, ici sur cette terre, nous sommes créés à l’image de Dieu.  C’est une affirmation à la fois biblique et anthropologique.  Etre image de Dieu est une donnée caractéristique de notre humanité et elle ne pourra jamais nous l’être enlevée.  Images de Dieu, nous le sommes par nature.  Nous sommes donc toutes et tous, capax Dei, capables de Dieu, c’est-à-dire des femmes et des hommes qui cherchent à advenir à eux-mêmes pour un jour partager la vie divine.  Ce partage n’est pas une promesse pour demain, elle se réalise déjà dans l’aujourd’hui de nos vies lorsqu’à notre tour nous devenons omnipotents de douceur, omniscients de tendresse et omniprésents d’amour.
Amen

29ème dimanche, année A

Auteur: Raphaël Devillers
Date de rédaction: 19/10/14
Temps liturgique: Temps ordinaire
Année liturgique : A
Année: 2013-2014

FOI ET POLITIQUE

Il ne faut jamais oublier que lorsque Jésus a fait son ultime entrée à Jérusalem, il n’a pas provoqué une insurrection violente contre l’occupant romain ni fulminé de condamnation contre les malfaiteurs, les pécheurs et tous ceux qui enfreignaient la Loi mais il s’est installé sur l’esplanade qui donne accès au Temple et c’est là qu’il « enseignait ». Comme si sa Parole était indispensable avant toute célébration liturgique. Comme si c’était les croyants-pratiquants qu’il fallait tenter de convertir en priorité. Le danger des rites n’est-il pas de se satisfaire de célébrations précises et solennelles mais sans guère d’effets sur les exigences radicales de Dieu dans la vie ?

Evidemment les responsables religieux sont excédés par ce laïc sans diplôme que le petit peuple écoute avec plaisir et ils vont tenter de le prendre en défaut par des questions insidieuses. Voici la première des quatre controverses qui vont se succéder : elles abordent des sujets d’un intérêt considérable.

PAYER OU NON LE TRIBUT A ROME.

Les pharisiens allèrent tenir conseil pour prendre Jésus au piège en le faisant parler.

Ils lui envoient leurs disciples, accompagnés des partisans d’Hérode : « Maître, lui disent-ils, nous le savons : tu es toujours vrai et tu enseignes le chemin de Dieu en vérité ; tu ne te laisses influencer par personne, car ce n’est pas selon l’apparence que tu considères les gens. Alors, donne-nous ton avis : Est-il permis, oui ou non, de payer l’impôt à César, l’empereur ? » Connaissant leur perversité, Jésus dit : « Hypocrites ! Pourquoi voulez-vous me mettre à l’épreuve ? Montrez-moi la monnaie de l’impôt. » Ils lui présentèrent une pièce d’un denier. Il leur dit : « Cette effigie et cette inscription, de qui sont-elles ? » Ils répondirent : « De César. » Alors il leur dit : « Rendez donc à César ce qui est à César, et à Dieu ce qui est à Dieu. »

Sous l’apparence d’un compliment, ces hommes poussent Jésus à ne pas esquiver la réponse et à s’exprimer nettement en public sur cette question ultra brûlante qui agitait tout Israël. En effet si déjà l’on était pressuré par toutes sortes de taxes (sur les personnes, les propriétés, les transports de marchandises, etc.), il fallait en outre s’acquitter du « tribut à César » pour permettre les dépenses somptuaires de l’Empereur de Rome. Le payer en monnaie romaine – comme c’était obligatoire - n’était-ce pas reconnaître que l’odieux païen César était maître de la Terre que Dieu avait donnée à son peuple Israël ? Les extrémistes juifs, qu’on appellera les Zélotes, faisaient campagne pour refuser cet aveu d’esclavage mais en ce cas la répression était féroce et les rebelles payaient souvent leur refus par la crucifixion. C’est pourquoi les grands prêtres et les pharisiens s’acquittaient, à contrecœur, de ce tribut infâmant.

Jésus n’est pas dupe du piège tendu. De quelle monnaie vous servez-vous ? Avec quoi faites-vous vos échanges ? Qu’avez-vous en poche ? L’un d’eux tire un denier romain qui portait une représentation du buste de l’Empereur avec l’inscription « Tibère César, fils du divin Auguste, Auguste ». Nomination sacrilège car, en latin « augustus » signifie divin.

Donc, dit Jésus, puisque vous utilisez la monnaie frappée à l’image du Maître romain, vous devez lui rendre ce qui relève de son pouvoir- si ignoble et si répugnant vous paraisse-t-il. Donc RENDEZ A CESAR….

MAIS RENDEZ A DIEU CE QUI EST A DIEU !!! Or qu’est-ce qui porte l’image de Dieu ? C’est l’être humain qui a été créé « à son image comme à sa ressemblance » (Genèse 1). Nous voilà au cœur d’un immense débat qui agite l’histoire de tous les peuples et la vie de l’Eglise.

Il n’y a donc pas deux domaines juxtaposés : la vie sociale et politique dirigée par l’Empereur et, à côté, la zone religieuse où l’homme remplit ses devoirs pieux ! Il n’y a pas la vie profane avec quelques interstices où l’on s’acquitte de la prière et des cérémonies liturgiques. Et l’Eglise ne peut être confinée dans les sacristies.

L’Etat (César) peut être tenté de sacraliser son pouvoir, d’utiliser une religion qui prêche l’obéissance, la soumission, le respect des autorités, la valeur de la souffrance. Il a intérêt à entretenir les édifices religieux, à traiter les membres du haut clergé en notables, à prendre part aux offices solennels.

Et hélas, de l’autre côté, favorisée par l’Etat, l’Eglise peut devenir intolérante, imposant son monopole ou ne se rendant pas compte qu’elle est anesthésiée, ronronnant des doctrines émollientes sans plus aucun esprit prophétique pour critiquer le régime et défendre les plus faibles.

On a vu des souverains Pontifes jouir de contempler des rois prosternés devant eux pour baiser leurs sandales et fiers de les envoyer soi-disant dans un but missionnaire alors qu’en fait il s’agissait de faire main basse sur les richesses et les métaux précieux des indigènes.

Et ne voit-on pas aujourd’hui se lever des multitudes d’hommes convaincus que leur religion doit s’imposer comme loi d’Etat au monde fût-ce au prix des attentats et de la barbarie !

JESUS A L’ORIGINE DE LA LAICITE ?

Toutes ces dérives n’auraient pas eu lieu si l’on avait mis en pratique la déclaration de Jésus dont on s’aperçoit maintenant qu’elle est à l’origine de la laïcité. René Rémond, le grand historien de l’histoire de l’Eglise écrivait :

« Le christianisme a une position originale dans laquelle il n’est pas impossible dé découvrir…comme le germe de notre idée moderne de la laïcité : cet apport spécifique est la distinction entre l’impératif de la conscience et l’obéissance aux lois de la cité, dont procède la dissociation entre les deux sociétés : la communauté des croyants fondée sur une foi commune et la société séculière, l’Eglise et l’Etat…Reprise à son compte par la laïcité, elle (cette distinction essentielle) trouve son fondement dans la parole de Jésus rapportée dans l’évangile de Matthieu : « Rendez donc à César ce qui est à César et à Dieu ce qui est à Dieu » (« Les grandes inventions du christianisme » : série de contributions qui montrent tout ce que le christianisme a apporté dans l’histoire du monde – éd. Bayard 1999 – p.105)

Pour obtenir la condamnation de Jésus par Pilate, des autorités mentiront : «  Cet homme met le trouble dans notre nation : il empêche de payer le tribut à César et se dit Messie-roi » (Luc 23, 7).

Saint Jean rapportera ce dialogue capital : « Pilate déclara : « Qu’as-tu fait ? ». Jésus répondit : «  Ma royauté n’est pas de ce monde. Si ma royauté était de ce monde, mes gardes auraient combattu pour que je ne sois pas livré…Je suis né et je suis venu dans le monde pour rendre témoignage à la vérité. Quiconque est de la vérité écoute ma voix » (Jn 18, 35-38).

L’Eglise ne peut donc « revendiquer un pouvoir analogue à celui des gouvernements de ce monde » …Selon le concile Vatican II, « l’autorité que l’Eglise exerce sur le monde comme à l’intérieur de la communauté des fidèles n’est pas une autorité de pouvoir comme celle des autres collectivités, mais une autorité au service des autres » (R. Rémond- idem – p.106)

Saint Paul écrira aux chrétiens de Rome : « Que tout homme soit soumis aux autorités qui exercent le pouvoir…c’est encore la raison pour laquelle vous payez des impôts : ceux qui les perçoivent sont chargés par Dieu de s’appliquer à cet office. Rendez à chacun ce qui est dû : l’impôt, les taxes……. » (13, 1-7).

29ème dimanche, année A

Auteur: Philippe Henne
Date de rédaction: 19/10/14
Temps liturgique: Temps ordinaire
Année liturgique : A
Année: 2013-2014

Voilà la question piège : faut-il payer l’impôt à l’empereur romain ? Il ne s’agit pas de savoir si on accomplit son devoir de citoyen, mais il s’agit de savoir si on se soumet à l’autorité brutale et barbare d’un occupant impie et voleur. Le peuple saint, le peuple élu est pillé par l’occupant, car - -ou- le sait, et notre pays l’a vécu – quand une nation étrangère occupe un territoire, c’est aussitôt pour l’obliger à supporter l’effort de guerre et enrichir les occupants. Mais la situation est plus grave encore pour les Juifs de l’époque. Les Romains sont des païens. Rien que par leur présence ils souillent le sol sacré de la Terre Promise. Il ne faut pas oublier que quelques générations plus tôt c’était la révolte des Macchabées et que quelques années plus tard ce sera la première Guerre juive qui durera deux ans et aboutira à la destruction du Temple de Jérusalem. La question de l’impôt n’est pas une question d’honnêteté, mais une question de fierté nationale. Et la poser à Jésus, c’est le placer devant un dilemme : ou bien dire oui, et ce sera pour les pharisiens l’occasion d’accuser Jésus d’encourager la collaboration, non seulement reconnaître l’occupation injuste de la Terre Saine par l’ennemi, des païens, mais aussi encourager les Juifs à soutenir financièrement cette occupation impie, cette destruction de la sainteté nationale ; au contraire, dire non serait aussitôt considéré comme un appel à l’insurrection, à la désobéissance civile. Et ce serait alors avec un immense plaisir que les pharisiens iraient dénoncer ce Jésus aux autorités romaines. Et ce serait avec la satisfaction du devoir accompli que ces pharisiens iraient ainsi détruire un homme pour le bien de l’Etat, de l’Eglise et de la foi.

Et cela pose à chacun d’entre nous la question de savoir comment nous interpellons Dieu devant les situations tragiques de notre vie et du monde. Nous avons parfois envie d’interpeller Dieu et de lui demander des comptes : comment se fait-il que des peuples entiers se font massacrer ? Comment cela se fait-il que tant d’hommes et de femmes meurent de faim ? Et nous interpellons Dieu, confortablement installés dans notre fauteuil, un verre de whisky à la main et un gros cigare en bouche.

Mais le Christ n’est pas venu hurler sur les pécheurs. Il est venu les appeler et les sauver. Il a appelé Zachée, le percepteur d’impôt malhonnête. Il a invité Matthieu, cet autre percepteur d’impôt, tout aussi magouilleur. Il a aimé Marie-Madeleine, la pécheresse publique. Et Pierre, lui-même, ira baptiser Corneille, le centurion romain, païen et pillard. Et tout cela parce que Dieu ne cherche pas des gens parfaits, qui ne se sont pas salis ou contaminés par le monde, mais parce que Dieu cherche des hommes plongés dans l monde, avec leurs faiblesses et leur grandeur. Il n’y a pas d’un côté le règne de César avec ses turpitudes et de l’autre le royaume de Dieu avec sa pureté. Il y a le royaume de Dieu qui transforme et transfigure le monde déchu de nos orgueils et de nos égoïsmes. Laissons donc Dieu nous transformer afin que nous puissions avec tous nos frères chanter la beauté de son Incarnation et de son infini amour pour chacun d’entre nous.

 

28ème dimanche, année A

Auteur: Didier Croonenberghs
Date de rédaction: 12/10/14
Temps liturgique: Temps ordinaire
Année liturgique : A
Année: 2013-2014

Vous avez peut-être déjà entendu parler de l’Oulipo [Ouvroir de littérature potentielle], une tendance en littérature née il y a une cinquantaine d’années environ. Les écrivains de ce courant avaient pour principe d’ajouter des contraintes à l’écriture, dans le but de faire jaillir plus de créativité. L’idée consiste donc à établir une règle de départ, qui complique l’écriture, puis d’écrire avec cette contrainte.

Prenez par exemple Georges Perec, qui a écrit un livre de 300 pages sans la lettre « e ». La disparition. Prenez par exemple Raymond Queneau qui, dans son ouvrage « exercices de style » écrit 99 fois la même histoire, etc… Pour ce courant, les contraintes deviennent source de créativité !

Aujourd’hui, c’est comme si l’évangéliste s’était donné une contrainte pour écrire cette page d’évangile ! Comme s’il avait essayé de transmettre la bonne nouvelle, en utilisant des sentences lapidaires, des phrases dures de condamnation, en parlant de meurtre, d’incendie et de grincements de dents ? Avouez qu’à première écoute, on a l’impression que l’évangile rétrécit l’extraordinaire espérance que nous avons entendue dans la lecture d’Isaïe, alors qu’il devrait l’élargir encore !

La première question qui nous est posée aujourd’hui —comme à chaque lecture de parabole— est très simple. Comment nous mettre en scène dans ce récit ? Comment le faire parler d’une manière créative ? Pour le dire autrement : qui sommes-nous dans la parabole ? Un convive ? Cet homme ne portant pas le vêtement de noces ? Voire un serviteur du roi ? Ou Roi lui-même ?

Ce soir, je vous suggère une clé de lecture qui démine la possibilité de voir une saine colère de Dieu dans ce texte ! En effet, n’interprétons pas trop vite l’appel du roi comme étant pour nous l’appel de Dieu au royaume… Ne serions-nous pas plutôt, au fond de nous, comme ce roi de la parabole ? Des hommes et des femmes qui, au fond d’eux-mêmes, s’énervent parfois un peu vite ? Enervés parce ce que les choses ne vont pas comme nous l’espérons. Irrités parce que ceux qui nous entourent n’accueillent pas les événements —l’évangile peut-être— comme nous voudrions qu’ils le fassent ? Cet évangile nous invite-t-il pas à quitter justement ces petits énervements, qui nous mettent hors de nous, et au centre de notre petit monde! Quitter ces énervements qui nous empêchent de nous centrer sur l’essentiel. Il y a une part en nous qui, confrontée à des lenteurs, des tiédeurs, perd patience, de façon bien légitime. Chacun désire en effet transmettre sans trop de prétention ce qui lui semble bon, inviter ses proches —amis, conjoints, enfants— à quelque chose de mieux…
Mais sur ce chemin, nous sommes confrontés non seulement à nos limites, mais aussi à celles des autres. Et face à ce refus, nous donnons parfois aux autres ce pouvoir de nous énerver ! Ne sommes-nous donc pas un peu comme ce roi, voulant parfois convaincre —et le frère Dominique nous rappelait la semaine passée que dans convaincre… il y a… vaincre, et donc un vaincu ! Ne sommes-nous pas comme ce roi, voulant convaincre, faire entrer les autres dans notre vision ? Combien de parents n’arrivent-ils pas à se réjouir du bonheur de leur enfant, simplement parce que celui a pris une direction imprévue et qui pourtant le fait grandir?

Mais revenons au texte… quel est finalement le personnage central, principal de la parabole ? N’est-ce pas tout simplement le Fils. Il est bien le centre, la raison du récit, et pourtant on n’en parle pas ! Comme si nos soucis nous faisaient passer à côté de l’essentiel ! Comme si l’énervement du roi occultait le fils de la parabole. Oui, le centre de l’évangile est bien le Fils, celui qui épouse notre humanité. Relisez la parabole avec les yeux de l’époux, et vous verrez qu’il n’y a plus de condamnation divine ou de colère… 

Alors, osons quitter nos énervements certes bien compréhensibles, pour découvrir l’enivrement du festin de l’évangile, la joie des noces. La joie de ce Dieu qui part à la rencontre et épouse notre humanité. Puissions-nous au cœur de nos fragilités, au-delà de nos petits énervements ou agacements, prendre le temps de laisser ce Souffle de Dieu agir en nous pour qu'il nous désencombre de tout ce qui nous empêche de nous réjouir. Voilà l’invitation au banquet, se laisser enivrer par un réel esprit de liberté. Un bonheur non pas à transmettre à tout prix, mais à partager gratuitement. Amen.

28ème dimanche, année A

Auteur: Raphaël Devillers
Date de rédaction: 12/10/14
Temps liturgique: Temps ordinaire
Année liturgique : A
Année: 2013-2014

HEUREUX LES INVITÉS AU FESTIN DES NOCES DE L’AGNEAU
(Apocalypse 19, 9)

A l’approche de la Pâque, sur l’esplanade du temple de Jérusalem traversée par les foules qui viennent offrir des sacrifices à Dieu et chanter ses louanges, Jésus parle, explique, enseigne : car le culte doit être précédé et rectifié par l’écoute de la Parole. Lui seul sait qu’il va être, dans quelques jours, l’Agneau immolé sur la croix pour libérer les hommes et, par des paraboles, il met en scène l’histoire qu’il est train de vivre : après celle de la vigne de dimanche passé, voici celle du banquet.

Jésus disait en paraboles :
« Le royaume des Cieux est comparable à un roi qui célébra les noces de son fils.
Il envoya ses serviteurs appeler à la noce les invités, mais ceux-ci ne voulaient pas venir.
Il envoya encore d’autres serviteurs dire aux invités : “Voilà : j’ai préparé mon banquet, mes bœufs et mes bêtes grasses sont égorgés ; tout est prêt : venez à la noce.”
Mais ils n’en tinrent aucun compte et s’en allèrent, l’un à son champ, l’autre à son commerce ; les autres empoignèrent les serviteurs, les maltraitèrent et les tuèrent.
Le roi se mit en colère, il envoya ses troupes, fit périr les meurtriers et incendia leur ville.

L’ALLIANCE COMME UN MARIAGE

A l’encontre de toutes les nations environnantes qui adoraient des dieux représentés par des statues, le petit peuple d’Israël confessait non seulement qu’il n’y a qu’un Dieu, irreprésentable, mais que ce Dieu, YHWH (IL EST), avait conclu avec lui une Alliance. Non un traité imposé par un suzerain qui enferme son vassal dans un réseau d’obligations. Mais une alliance telle que la nouent entre eux les époux.
Oui YHWH aimait Israël comme un époux son épouse. Il l’avait libérée de l’esclavage, lui avait proposé dix Paroles de liberté, lui avait offert une terre où coulent le lait et le miel, bref l’avait comblée de dons…et pourtant Israël ne cessait d’être infidèle. Certes on avait édifié un temple superbe, on y célébrait des liturgies régulières, on apprenait  et récitait la Loi de Dieu mais on ne pouvait s’empêcher de se tourner vers les idoles païennes et on ne mettait pas en pratique les préceptes de son Dieu.

Sans se lasser, pendant des siècles, Dieu avait envoyé ses serviteurs les prophètes pour rappeler à Israël sa dignité insigne, le replacer devant ses engagements, dénoncer ses crimes, dévoiler l’hypocrisie de son culte et le supplier de ne pas tromper son Dieu. « Prostituée ! Adultère ! » hurlaient Osée, Jérémie, Ezéchiel à une société rongée par l’injustice et qui bafouait ainsi l’Alliance d’amour de son Dieu. Mais beaucoup avaient autre chose à faire que d’écouter ces gêneurs (« Mon champ, mes affaires… ») et ces messagers étaient moqués, injuriés, battus, parfois mis à mort.

Alors survint l’événement le plus extraordinaire : Dieu envoya son Fils en qui humanité et divinité s’unissaient. Ni amour dévorant, ni passion captatrice, ni absorption de l’une par l’autre. Ni un Dieu camouflé en homme ni un homme manipulé par un Dieu. C’est pourquoi Jésus pouvait sans mensonge ni exagération s’appeler l’Epoux qui venait offrir sa miséricorde à son peuple pécheur.
En effet, lorsque des Pharisiens dévots l’avaient surpris en train de banqueter joyeusement chez Matthieu, un pécheur notoire qu’il venait d’embaucher comme disciple, et qu’ils lui avaient reproché de dispenser ses disciples d’un jeûne officiel, il leur avait répondu : « Les invités à la noce peuvent-ils être en deuil tant que l’Epoux est avec eux ? » (9, 15).
Pour lui en effet, le repas avec des pécheurs repentis, des hommes qui se détournaient du mal pour vivre l’Evangile avec lui, n’était pas une fête de copains mais réellement un banquet de noces où l’on s’enivrait doucement de la joie du Pardon de Dieu.
Mais comment accepter cette prétention suffocante, intolérable ? Blasphème évident pour les pharisiens et hommes de loi qui enfermaient la religion dans un carcan de pratiques superficielles, dans des observances méticuleuses et qui célébraient un culte rutilant tout en en refusant l’accès aux pécheurs, aux malades, aux païens. Aussi, bouillonnant de rage devant ce Galiléen qui leur semblait torpiller loi et liturgie, ils décidaient de le supprimer.

L’EUCHARISTIE BANQUET DES NOCES DE L’AGNEAU

Mais, au dernier soir, partageant son ultime repas avec ses apôtres, croyants et pécheurs, il scella son union conjugale avec eux par le Vin de la Nouvelle Alliance : « Prenez et mangez…Prenez et buvez… » (26, 26). L’Agneau signifiait qu’il donnait sa vie pour cette Epouse infidèle, ces hommes qui lâchement allaient l’abandonner.
Le banquet des Noces de l’Agneau commençait à être célébré et il allait se répandre dans le monde entier : « Allez donc, dit-il à ses disciples : de toutes les nations faites des disciples, les plongeant dans la Vie du Père, du Fils et de l’Esprit…Je suis avec vous jusqu’à la fin des temps » (28, 19).

Alors le Roi dit à ses serviteurs : “Le repas de noce est prêt, mais les invités n’en étaient pas dignes. Allez donc aux croisées des chemins : tous ceux que vous trouverez, invitez-les à la noce.”
Les serviteurs allèrent sur les chemins, rassemblèrent tous ceux qu’ils trouvèrent, les mauvais comme les bons, et la salle de noce fut remplie de convives.
Tout de suite, les disciples juifs de Jérusalem s’élancèrent dans les pays voisins et la messe fut célébrée à Athènes et à Alexandrie avant de l’être à Paris, à New-York et à Kinshasa.
Car l’Eucharistie n’est pas, comme on le voit souvent, le lieu d’une assemblée confite en dévotions et engoncée dans une piété pincée mais la communauté « des pauvres types » qui se savent pécheurs et qui ont entendu l’appel les invitant au Noces de l’Agneau.

MAIS ATTENTION !

Dans des paraboles précédentes, Jésus avait prévenu ses apôtres que leurs assemblées seraient mêlées, comme un champ avec du blé et de l’ivraie, comme un bateau avec de bons et de mauvais poissons (13, 24 ; 13, 47), qu’il ne fallait pas procéder trop vite au tri mais qu’un jour, évidemment, Dieu surviendrait. La fin de la parabole le répète :

Le roi entra pour examiner les convives, et là il vit un homme qui ne portait pas le vêtement de noce.
Il lui dit : “Mon ami, comment es-tu entré ici, sans avoir le vêtement de noce ?” L’autre garda le silence.
Alors le roi dit aux serviteurs : “Jetez-le, pieds et poings liés, dans les ténèbres du dehors ; là, il y aura des pleurs et des grincements de dents.” Car beaucoup sont appelés, mais peu sont élus. »
Le vêtement est le symbole de la conduite. S’il sait que le banquet n’est pas une récompense de ses mérites, l’invité doit évidemment tirer les conséquences pratiques de sa participation : qu’il se rappelle le sort des autorités qui jadis furent rejetées, qu’il change de comportement, qu’il ne se contente pas d’une pratique superficielle. L’Eglise ne remplace pas Israël. Dieu attend des fruits c.à.d. des communautés qui vivent selon le droit et la justice, des liturgies où la Parole enseigne les engagements à prendre et où le partage du Pain envoie les convives pour construire la solidarité mondiale. Le communiant est appelé à s’embraser du feu de l’amour de l’Agneau pour ne pas chuter dans le feu du rejet et du regret.

La dernière phrase, si elle semble pessimiste et désabusée, n’annonce pas une condamnation quasi générale : elle veut nous dire que la messe, le banquet de l’Agneau, peut se fêter avec « peu » alors que « beaucoup » s’en détournent. Par leur allégresse, leur humilité et leur amour réciproque, les quelques-uns peuvent donner aux autres l’envie de les rejoindre. Saurons-nous accueillir les « revenants » en leur manifestant la joie de les retrouver ?

28ème dimanche, année A

Auteur: Philippe Henne
Date de rédaction: 12/10/14
Temps liturgique: Temps ordinaire
Année liturgique : A
Année: 2013-2014

Jésus n’a décidément pas la manière de se faire des amis. Voilà qu’il nous annonce qu’il nous rejettera comme le roi a rejeté les invités de la noce et qu’il va inviter tous les gens qui traînent dans la rue, les drogués, les prostituées, les bons comme les mauvais.  Ce n’est vraiment pas comme cela qu’il va nous encourager à le suivre.  Mais il est vrai qu’il veut nous réveiller, nous faire sortir de notre torpeur, de nos petites habitudes.  On finit par vivre avec Jésus comme avec n’importe qui.  Dieu fait partie de la liste de nos amis, sans rien de plus, alors que Jésus devrait être au centre actif de notre existence.   Cela me rappelle cette petite histoire de couvent.  C’était au noviciat.  Le noviciat, vous le savez, c’est la première année au couvent.  C’est une année de solitude, de prières et d’approfondissement spirituel.  Il y avait donc dans un couvent un couloir réservé au noviciat.  Les novices étaient répartis de part et d’autre du couloir et au bout du couloir il y avait la chambre, la cellule du père maître.  C’était un vrai père maître, sérieux, vertueux, ennuyeux.  Le père maître préparait sa prochaine conférence spirituelle sur la joie dans les épreuves.  Il entend soudain une porte claquer, des pas précipités dans le couloir des coups portés sur la porte : « père maître, père maître – oui, entrez ».  La porte s’ouvre violemment.  Le frère novice entre précipitamment.  Il est là tout essoufflé, bouleversé.  « Père maître, père maître, le Seigneur … - oui – père maître, Dieu nous aime – oui, et alors ? » Il ne faut certes pas vouloir imiter l’excitation du jeune novice.  On essaie parfois de retrouver des sentiments pour Dieu, mais c’est parfois artificiel, superficiel. Il y a de très belles musiques qui peuvent nous émouvoir.  Mais Dieu est plus que cela.  Et de plus à chaque âge sa passion, ou mieux, à chaque âge sa façon de vivre la passion amoureuse.  Mais le danger est grand de tellement s’habituer à l’amour de Dieu que l’on n’est plus capable d’en voir le caractère révolutionnaire et épanouissant.  Regardez comment l’Evangile parle des invités indifférents : les invités ne voulaient pas venir », « ils n’en tinrent aucun compte et s’en allèrent l’un à son champ, l’autre à son commerce ».  La collection de timbres ou les mots croisés sont devenus plus importants que la rencontre avec son conjoint, son enfant, son proche parent.  Et chacun s’enferme dans la solitude et dans l’indifférence.  Il faut réagir contre cela.  Oui, mais comment ? En découvrant avec émerveillement notre voisin et notre voisine.  Oui, Dieu nous invite à ses noces.   Oui, Dieu nous dérange dans nos petites habitudes tellement rassurantes.  Oui, Dieu nous parle à travers ce voisin et cette voisine qui eux aussi sont venus chercher l’eau vive et le pain de la vie éternelle.  Merci, mon frère, d’être là auprès de moi.  Apprends-moi à t’aimer afin que je puisse vraiment aimer Dieu.

27ème dimanche, année A

Auteur: Raphaël Devillers
Date de rédaction: 5/10/14
Temps liturgique: Temps ordinaire
Année liturgique : A
Année: 2013-2014

27ème dimanche, année A

Auteur: Raphaël Devillers
Date de rédaction: 5/10/14
Temps liturgique: Temps ordinaire
Année liturgique : A
Année: 2013-2014

LA VIGNE DE DIEU PLANTÉE AU GOLGOTHA
 
Le jour même où chaque famille achetait un agneau pour la fête de la Pâque toute proche, Jésus est entré à Jérusalem et, sur l’esplanade du temple, s’est mis à hurler pour qu’on supprime de là tout ce commerce d’animaux. Scandale général, stupeur du peuple, furie des autorités ! Imperturbable, pendant plusieurs jours, Jésus revient sur ce lieu, s’y installe et y enseigne : la Parole remplace les sacrifices ! Les responsables religieux vont alors se succéder pour cribler cet intrus de questions. Mais Jésus réplique et par 4 paraboles il dévoile le péché de ces hommes et révèle du coup le dessein de Dieu qu’il est en train d’accomplir. Après celle des 2 fils, nous écoutons les deux suivantes.

PARABOLE DES VIGNERONS HOMICIDES

Jésus disait aux chefs des prêtres et aux pharisiens : « Écoutez une autre parabole :
Un homme était propriétaire d’un domaine ; il planta une vigne, l’entoura d’une clôture, y creusa un pressoir et bâtit une tour de garde. Puis il loua cette vigne à des vignerons, et partit en voyage.
Quand arriva le temps des fruits, il envoya ses serviteurs auprès des vignerons pour se faire remettre le produit de sa vigne. Mais les vignerons se saisirent des serviteurs, frappèrent l’un, tuèrent l’autre, lapidèrent le troisième. De nouveau, le propriétaire envoya d’autres serviteurs plus nombreux que les premiers ; mais on les traita de la même façon.

Jésus s’inspire d’un chant célèbre du prophète Isaïe – repris ce jour en 1ère lecture - où Dieu comparait Israël à une vigne précieuse à laquelle il avait apporté tous les soins et qui hélas donnait de mauvais fruits : « Mon bien-aimé avait une vigne sur un coteau plantureux, il y installa un plant de choix ...Il en attendait de beaux raisins et il n’en eut que de mauvais ! Il en attendait le droit et c’est l’injustice ; il en attendait la justice et il ne trouve que les cris des malheureux » (Is 5,1-8).
Jésus pointe la responsabilité des autorités (les vignerons). Les présidents du culte (les grands Prêtres) et les spécialistes des commandements (les Pharisiens) auraient dû veiller aux effets sociaux, pratiques, des cérémonies et des observances : créer un peuple régi par le droit et la justice et où l’on n’entend plus les cris de détresse des malheureux.
Or non seulement ces hommes n’ont pas voulu accomplir le Dessein du Maître mais en outre, ils ont refusé d’écouter les objurgations des Prophètes que Dieu leur envoyait régulièrement pour leur rappeler leurs devoirs. Osée avait exprimé la volonté de Dieu: « C’est la miséricorde que Dieu veut et non les sacrifices » (Os 6, 6 – cité deux fois par Matthieu 9,13 ; 12, 7). Amos, Isaïe, Jérémie, Ezéchiel…tous avaient butté sur le refus de conversion, le mépris et même à la haine. Combien de prophètes avaient été rejetés, battus, emprisonnés, mis à mort !

Finalement, il leur envoya son fils, en se disant : “Ils respecteront mon fils.” Mais, voyant le fils, les vignerons se dirent entre eux : “Voici l’héritier : venez ! tuons-le, nous aurons son héritage !” Ils se saisirent de lui, le jetèrent hors de la vigne et le tuèrent.
Eh bien ! quand le maître de la vigne viendra, que fera-t-il à ces vignerons ? »
On lui répond : « Ces misérables, il les fera périr misérablement. Il louera la vigne à d’autres vignerons, qui lui en remettront le produit en temps voulu. »
A la fin, un changement capital se produit : après avoir envoyé des « serviteurs », Dieu envoie SON FILS. En effet si l’homme Jésus s’est présenté comme un prophète, disciple du Baptiste, il a peu à peu révélé son identité mystérieuse.
Lors de son baptême, il avait perçu la voix de Dieu : « Celui-ci est mon Fils bien-aimé, qu’il m’a plu de choisir » (3, 17 – redit à la Transfiguration 17, 5).
Dans sa prière, il disait : « Je te loue, Père…Oui, Père, c’est ainsi que tu en as disposé…Nul ne connaît le Père sinon le Fils… » (11, 25-27).
Lorsque Pierre avait confessé sa foi, Jésus lui avait répondu : « Heureux es-tu, Simon, fils de Jonas, car ce n’est pas la chair et le sang qui t’ont révélé cela mais mon Père qui est aux cieux » (16, 17).

Au terme de la lignée des prophètes, Jésus a une valeur singulière, difficile à percevoir : il est le Fils du Père, l’image parfaite de Dieu, sa révélation humaine, sa Parole authentique, fiable.
On aurait pu s’attendre à ce que, enfin, les vignerons prêtent l’oreille à cet ultime envoyé : hélas non, leur endurcissement s’accentue et ils vont même jusqu’à exécuter ce fils. « Hors ville » dit Matthieu puisque Jésus condamné sera conduit en-dehors de Jérusalem, au lieu dit Golgotha (Héb 13, 12)

Subtil, Jésus termine son histoire en apostrophant ses interlocuteurs : si vous-mêmes étiez dans ce cas, comment auriez-vous agi ?...Naïvement ils donnent une double réponse qui prophétise ce qui va survenir et qui explique la raison de leur condamnation :
« Il les fera périr » : lorsque, en l’an 70, 40 ans après le Golgotha, Jérusalem se soulèvera, sera écrasée par les armées romaines et que le temple sera détruit, les chrétiens seront très frappés par ce désastre. L’aveuglement des autorités juives les aura, pensaient-ils, conduits à cette catastrophe
« Il la donnera à d’autres vignerons qui remettront des fruits ». Cela ne signifie donc pas qu’Israël sera rejeté par Dieu et remplacé par l’Eglise – puisque tous les premiers chrétiens seront des juifs. Mais la vigne de Dieu ne sera plus un peuple enclos dans ses frontières, une nation dirigée par une religion : elle sera constituée de volontaires de toutes origines, appliqués à fructifier selon la volonté de Dieu c.à.d. à vivre selon le droit et la justice.

PARABOLE DE LA PIERRE

Jésus leur dit : « N’avez-vous jamais lu dans les Écritures : « La pierre qu’ont rejetée les bâtisseurs est devenue la pierre d’angle : c’est là l’œuvre du Seigneur, la merveille devant nos yeux ! »
Aussi, je vous le dis : Le royaume de Dieu vous sera enlevé pour être donné à une nation qui lui fera produire ses fruits. Et tout homme qui tombera sur cette pierre s’y brisera ; celui sur qui elle tombera, elle le réduira en poussière ! »
En entendant les paraboles de Jésus, les grands prêtres et les pharisiens avaient bien compris qu’il parlait d’eux. Tout en cherchant à l’arrêter, ils eurent peur des foules, parce qu’elles le tenaient pour un prophète.
Greffée sur la précédente, cette petite parabole reprend une autre image inspirée du psaume 138, 24 : les maçons chargés de bâtir le peuple de Dieu ont jugé que Jésus était indigne d’entrer dans cette édification et ils vont le chasser, le rejeter, le tuer. Mais voilà la merveille accomplie par Dieu : il reprend, relève son Fils et le constitue « pierre angulaire », c.à.d. pierre de faîte qui soutient de manière extraordinaire la Nouvelle Demeure, le Temple nouveau, l’Eglise constituée de pierres vivante.
« ‘C’est en vous approchant de lui, pierre vivante, rejetée par les hommes mais choisie et précieuse devant Dieu, que vous aussi, comme des pierres vivantes, vous êtes édifiés en une sainte communauté sacerdotale pour offrir des sacrifices spirituels agréables à Dieu par Jésus Christ » (1 Pierre 2, 5)

CONCLUSION

Sans doute retravaillée par Matthieu, la double parabole de Jésus est devenue une allégorie de l’histoire du salut. La succession d’événements : cérémonial et légalisme improductifs, échec des prophètes, refus de réaliser le projet social de Dieu et exécution du Fils Jésus, tout prend sens. La communauté de Matthieu saisit l’accomplissement paradoxal du dessein de Dieu et, du coup, comprend qu’elle doit toujours prendre garde à ne pas répéter, elle-même, les péchés des ancêtres.
Les responsables des nouvelles communautés n’ont pas à honorer Dieu par des cérémonies fastueuses et l’abattage d’animaux dans des édifices majestueux ; les théologiens doivent veiller à ne pas déraper dans des arguties spécieuses et à ne pas accumuler les interdits pharisiens.
Le culte chrétien – dépouillement dans l’eau du baptême et partage d’une galette de pain autour d’une simple table – permet d’éviter les dérives faussement religieuses et crée une communauté fraternelle qui porte les fruits que Dieu attend et vit selon: « le droit et la justice ».

26ème dimanche, année A

Auteur: Raphaël Devillers
Date de rédaction: 28/09/14
Temps liturgique: Temps ordinaire
Année liturgique : A
Année: 2013-2014

LE ROYAUME C’EST L’AGE DU FAIRE

Parti de Césarée de Philippe, Jésus est arrivé à Jérusalem au début du printemps, quelques jours avant la grande célébration de la Pâque, au moment où les foules de pèlerins affluent. Une joyeuse effervescence gagne toute la ville . D’emblée il a fait scandale en chassant les animaux destinés aux sacrifices et en vente sur l’esplanade. Ensuite, pendant plusieurs jours, installé sur cette même esplanade, « il enseigne » comme il le fait depuis le début (21, 23).

Son esclandre, son comportement et sa parole exacerbent les autorités religieuses qui lui demandent de quel droit il agit de la sorte puis qui se succèdent pour lui poser des questions embarrassantes afin de le déconsidérer devant le peuple qui l’écoute avec intérêt (Marc 11, 18). Sans se laisser décontenancer, Jésus répond à ses adversaires par quatre paraboles dont nous lisons la première aujourd’hui.

LE « OUI » EN PAROLE DOIT DEVENIR ACTE

Jésus disait aux chefs des prêtres et aux anciens :

« Quel est votre avis ? Un homme avait deux fils. Il vint trouver le premier et lui dit : “Mon enfant, va travailler aujourd’hui à la vigne.” Celui-ci répondit : “Je ne veux pas.” Mais ensuite, s’étant repenti, il y alla. Puis le père alla trouver le second et lui parla de la même manière. Celui-ci répondit : “Oui, Seigneur !” et il n’y alla pas. Lequel des deux a fait la volonté du père ? » Ils lui répondent : « Le premier. »

« Mon enfant, va travailler à la vigne » : nous réentendons l’invitation pressante de la parabole des ouvriers de la 11ème heure. Entrer dans le Royaume de Dieu ne se réduit pas à une formalité, une inscription dans un registre, une récitation de formules : l’adhésion doit absolument entraîner une obéissance active, il est requis de travailler, de pratiquer ce que le Père dit. La croyance dite par la bouche doit passer aux actes, et des actes conformes à ce que Dieu exige.

La foi, c’est faire la volonté du « Père » (7, 21 ; ….). Sinon elle est illusion.

D’autre part, l’entrée dans le Royaume est toujours possible : un homme qui avait refusé pendant longtemps peut subitement se convertir et se donner de tout son cœur. C’est bien lui le fidèle : les interlocuteurs de Jésus en conviennent volontiers.

En prenant appui sur leur accord, Jésus va leur appliquer l’exemple qu’il vient de leur donner. Car une parabole n’est pas une historiette que l’on écoute poliment mais une interpellation directe ; « Ce n’est pas seulement à toi que je m’adresse mais c’est de toi que je parle » dit Jésus.

LA PIÉTÉ PEUT RENDRE INCAPABLE DE CONVERSION

Jésus leur dit : « Amen, je vous le déclare : les publicains et les prostituées vous précèdent dans le royaume de Dieu. Car Jean le Baptiste est venu à vous sur le chemin de la justice, et vous n’avez pas cru à sa parole ; mais les publicains et les prostituées y ont cru. Tandis que vous, après avoir vu cela, vous ne vous êtes même pas repentis plus tard pour croire à sa parole ».

Jésus rappelle l’activité prophétique de son ancien maître. Loin du temple, consacré à la pauvreté, l’ascète de la frontière avait pris « le chemin de la justice » - c.à.d. qu’il se comportait en obéissance à Dieu - et il avait dénoncé l’hypocrisie de certains qui venaient lui demander le baptême mais sans en tirer les conséquences pratiques :

« Engeance de vipères, qui vous a montré le moyen d’échapper à la colère qui vient ? Produisez donc du fruit qui témoigne de votre conversion et ne vous avisez pas de dire : « Nous avons pour père Abraham » (3, 7-10)

Des responsables religieux s’étaient rendus près du Baptiste : peut-être avaient-ils reconnu en lui un prophète, un envoyé de Dieu et admiré son courage mais ils n’avaient pas accepté de se remettre en question et de procéder au changement qu’il préconisait. Leurs titres, leur appartenance au peuple élu, l’appui sur les mérites des ancêtres et leur fréquentation du temple leur semblaient suffire à assurer leur salut.

Au contraire, des grands pécheurs avaient été bouleversés par la prédication du Baptiste : après avoir longtemps enfreint les commandements de Dieu et être restés sourds aux appels des responsables religieux, voilà que tout à coup ils avaient décidé de changer de vie. Faisant confiance à Jean, ils étaient revenus sur « le chemin de la justice ». Après des années de NON, ils avaient fini par dire OUI.

Et vous, poursuit Jésus, vous avez vu que ces pécheurs se convertissaient et vous n’avez pas accepté de faire de même. La conversion était leur affaire à eux et pas la vôtre. C’est pourquoi ces pécheurs vous précèdent dans le Royaume, ils prennent votre place.

Comprenons bien : Jésus n’a jamais enseigné que des pécheurs impénitents valaient mieux que des croyants, comme si la morale n’avait pas d’importance. Il dit au plus grand pécheur qu’il peut décider de revenir à Dieu, changer de conduite et être pardonné. Et il dit au croyant qui se croit impeccable qu’il a lui aussi à se convertir.

L’autre « parabole des deux fils » dans l’évangile de Luc enseignera de la même façon que le prodigue, s’il revient, est pardonné avec amour et que son frère qui se croyait bon observant s’exclut en refusant la miséricorde (Luc 15)

RISQUE EN TOUTE RELIGION

Sur l’esplanade qui donne accès au temple, Jésus s’est mis à prêcher : avant de procéder à des rites, il importe au préalable d’écouter le prophète qui annonce la Parole de Dieu. Sinon il y a toujours danger de se fier à ses pratiques liturgiques, à son appartenance à un groupe religieux pour « se croire en règle ».

La liturgie de la Parole (les lectures et l’homélie) est l’entrée nécessaire dans l’Eucharistie et non « une avant-messe » plus ou moins facultative : l’invité au repas doit d’abord apprendre à quoi il s’engage. En foi chrétienne, l’audition prime la vision, l’acoustique l’emporte sur le décoratif.

Il est sans doute dommage que dans le langage courant, le mot « pratiquant » désigne quelqu’un qui observe des rites réguliers alors que, pour Jésus, il est celui qui met « en pratique » les enseignements entendus, qui vit ce qu’il a appris. Il faut dire « oui » et immédiatement « travailler à la Vigne ».

Mais quel bonheur de savoir que si nous nous sommes longtemps contenté d’un OUI rituel tout en refusant de vivre les exigences de l’Evangile, nous pouvons à tout moment répondre par un OUI en actes et nous mettre au travail avec un élan redoublé.

26ème dimanche, année A

Auteur: Philippe Cochinaux
Date de rédaction: 21/09/14
Temps liturgique: Temps ordinaire
Année liturgique : A
Année: 2013-2014

Un soir d’automne, une maman et son fils discutaient des choses de la vie. A un moment donné vint sur le tapis le thème de la mort et de tout ce qui tournait autour de l’approche de celle-ci. Avec gravité, le fils dit à sa mère : « maman, ne me laisse jamais vivre dans un état végétatif où je dépendrais de machines. Si tu me vois dans cet état, je t’en supplie, débranches toutes ces machines qui me maintiendraient en vie. Je préfère mourir ». Très sereine la maman se leva, serra son fils dans ses bras puis se mit à débrancher le téléviseur, le lecteur DVD, l’ordinateur ensuite elle lui confisqua son GSM, son ipod et son ipad. A cet instant précis, le fils faillit mourir. La morale de cette histoire éclate alors à nos yeux : ce fils aurait certainement mieux fait de réfléchir à deux fois avant de parler.

Voilà, ce à quoi l’évangile de ce jour nous invite en ce jour: à réfléchir à deux fois. C’est vrai, parfois, dans la vie, nous répondons trop vite à une attente, nous prenons trop rapidement une décision sans avoir pris le temps d’analyser toutes les conséquences. Or, le « tout, tout de suite » peut conduire à des frustrations incessantes. Nous risquons de manquer notre cible, c’est-à-dire notre destinée : celle de devenir des hommes et des femmes justes, au sens d’être ajustés au dessein de Dieu. Il est donc heureux que nous puissions, à notre tour, nous mettre à réfléchir à deux fois. En effet, réfléchir à deux fois, nous permet de vivre avec une certaine sagesse ou pour reprendre l’expression entendue dans le livre d’Ezekiel, nous ouvrons les yeux. Ouvrir les yeux n’est pas toujours une tâche aisée car cela nous demande d’être confronté à notre propre vérité. Il est parfois plus confortable de traverser la vie avec des œillères, de refuser de voir la réalité par confort individuel, de s’enfermer dans un ensemble de principes mortifères qui sont juste là pour nous rassurer. Ouvrir les yeux, par contre, demande une certaine dose de courage et d’humilité. Et la chance que nous avons de croire, c’est de prendre conscience qu’avec Dieu, il ne nous sert à rien de nous voiler la face. Dieu nous aime tel que nous sommes et il est plus grand que notre cœur pour reprendre les mots de la première lettre de saint Jean. Dieu nous connaît mieux que nous-mêmes. Et il sait qu’ouvrir les yeux, permet de vivre pleinement nos vies. Au moment de ce vis-à-vis avec Dieu, dans le silence de notre cœur, nous sommes conviés à nous accepter et à reconnaître qu’il y a en chacune et chacun de nous, une part de faillibilité, d’imperfection, d’inconnaissance. Ces dernières sont constitutives de notre humanité. La perfection n’est d’ailleurs pas de ce monde, ni de celui-de l’au-delà. Ce qui importe, c’est l’accomplissement de notre être. Et il est clair que ce chemin nous fait parfois passer par des moments de transgression, d’errance et d’erreurs. Même si ceux-ci ont quelque fois un côté aliénant, nous avons à les intégrer dans nos histoires respectives car ils nous marquent à jamais. Ne cherchons pas à nous enfermer dans une spirale qui nous tire vers le bas mais osons plutôt rebondir pour repartir à la conquête de la vie. Ouvrons les yeux. Tout simplement. Et reconnaissons-nous tels que nous sommes en vérité car la vérité nous libère des fantasmes que nous avons sur nous-mêmes et nous conduit sur le chemin d’une liberté toute retrouvée.   Toutes et tous, à notre manière, lorsque nous nous mettons à réfléchir à deux fois, lorsque nous osons ouvrir les yeux, nous devenons comme les publicains et les prostituées de l’évangile car nous prenons conscience de notre propre humanité. Et cette attitude est fondamentale puisque c’est à partir de celle-ci que nous pouvons nous repentir. Le repentir n’est pas de l’ordre d’une flagellation spirituelle. Non, le repentir est cette attitude du cœur qui nous permet de prendre ce temps nécessaire de vérité intérieure pour accepter ce que nous sommes. Forts de cela, nous pouvons alors nous convertir, c’est-à-dire nous détourner de tout ce qui nous empêche d’advenir et nous tourner à jamais vers le Fils de Dieu. Réjouissons-nous alors puisque, si nous ouvrons les yeux, nous ne mourrons pas, nous vivrons.

Amen