Mon pays a près de 10 millions d'habitants.
Mon pays est divisé principalement en deux grandes communautés.
Mon pays a des difficultés politiques.
Mon pays a de belles collines dans le sud.
Mon pays a des pêcheurs dans le nord.
Mon pays a sa capitale au centre de son territoire.
Mon pays a trois langues officielles.
Mon pays a une densité de population parmi les plus hautes du monde.
Mon pays est réputé pour apprécier la bière.
Mon pays a une équipe nationale de football bien décevante...
Qui suis-je ?
Je suis... la Belgique ? Pourquoi pas. Mais aussi le Rwanda. Ce beau pays, aux gens si accueillants, et où j'ai eu l'occasion de passer trois semaines ce mois-ci. Si je vous dis cela, ce n'est point pour vous expliquer que ma mine, un peu moins blanche que d'habitude, est due au soleil de cette partie de l'Afrique. Non, si je vous dis cela, c'est peut-être parce que l'évangile de ce jour nous plonge face à une profonde réalité humaine, véritablement universelle, et qui transcende tous les peuples et toutes les nations. Où que nous soyons, dans quelque pays, région ou communauté que nous soyions, Jésus nous invite aujourd'hui à découvrir que le repli conduit nécessairement à l'exclusion. Quelle que soit notre origine, nous pouvons tous avoir une certaine envie de nous replier sur nous-mêmes, de rejeter ce qui n'est pas nous-mêmes. Les êtres humains que nous sommes ont parfois envie de dire aux personnes qui les entourent, comme le font les disciples dans l'évangile : Allez dans vos villages vous acheter à manger". Comme si pour se nourrir, il suffisait de compter sur ses propres capacités. Comme si nous pouvions nous nourrir nous-mêmes, avec ce que nous avons.
Mais Jésus aujourd'hui nous dit : "Ils n'ont pas besoin de s'en aller chez eux." "Donnez-leur vous même à manger !" Nous connaissons trop bien dans nos vies les dangers de ce repli identitaire : l'actualité belge frôlant parfois le ridicule et l'histoire tragique du Rwanda nous montrent les impasses auxquelles des relations humaines bâties sur un tel repli peuvent conduire. Mais loin du repli sur soi identitaire, loin des barrières et de la distance, Jésus nous dit au coeur de nos égoïsmes : "Non, ne renvoyez pas les foules. Donnez leur vous-mêmes à manger." Comme si nous ne pouvions pas nous nourrir sans l'autre. Comme si les autres ne pouvaient se nourrir sans nous ! Et il est vrai que c'est une des choses les plus difficiles à apprendre, pour les enfants comme pour les adultes. Apprendre à se nourrir, c'est avant tout apprendre à recevoir. L'évangile d'aujourd'hui nous invite à découvrir que nos relations, avec Dieu et avec les autres sont bâties sur notre faim, et sur notre manque, et que ceux-ci ne peuvent être comblés par nous mêmes. Comme chrétiens, nous avons sans cesse, non pas à croire que nous pourrions combler des manques, mais à montrer précisément que nous ne sommes pas à mêmes d'y faire face seuls. C'est toujours par le détour de l'autre que nous pouvons nous nourrir. Une cuiller pour papa. Une cuiller pour maman ! Il y aurait presque un inceste spirituel à vouloir se nourrir soi-même, à vouloir rentrer dans nos villages et nous nourrir tout seuls.
L'évangile d'aujourd'hui nous invite donc à découvrir qu'avec Dieu, il ne nous appartient pas de nous nourrir nous-mêmes. Mais bien plus, nous n'avons pas prise sur ce que nous pouvons donner aux autres. Bien souvent, nous parlons du 'récit de la multiplication des pains' pour qualifier ce passage d'évangile. Or, il n'est pas dit que Jésus a multiplié les pains, mais qu'il rompit les pains. Le mot 'multiplication' n'apparaît en effet pas dans l'évangile. Et tel est bien le paradoxe de notre foi. Vouloir se nourrir soi-même, se replier sur soi-même et agir seul par vanité implique une multiplication d'efforts, de travail, une débauche d'énergie, car nous ne pouvons jamais agir seuls. Par contre agir avec les autres, par humilité, c'est reconnaître simplement que nous avons besoin des autres : ils sont une fraction de notre pain. Le paradoxe est bien là. En nous nourrisant nous-mêmes, avec notre propre nourriture spirituelle, nous manquons d'altérité, nous ne sommes qu'une vaine répétition de nous-mêmes, une auto-similarité fatigante et inintéressante. Tel est bien le tabou alimentaire par excellence : une espèce d'anthropophagie spirituelle, celle de la nourriture de soi par soi, du repli identitaire et culinaire, sans distance. Mais en rompant notre pain, nous donnons peut-être moins, car nous reconnaissons que nous ne pouvons pas tout donner, mais en pensant donner moins, nous nourrissons en réalité bien plus de monde que nous aurions pu l'imaginer.
Le passage de l'évangile d'aujourd'hui, tiré de Saint Matthieu, arrive juste après le récit de la décollation de St Jean Baptiste. Et vous connaissez sans doute ce récit, ou Hérode accepte la demande d'Hérodiade de décapiter Jean-Baptiste. Comme si la puissance devait se manifester dans la division et la violence. Mais le récit de la multiplication des pains est justement l'inverse de ce récit de Jean-Bapiste. Il nous invite à découvrir que la vraie puissance vient non pas dans la multiplication de prodiges et d'artifices miraculeux, mais dans la division et le partage de ce que nous avons reçu, et qui peut véritablement nourrir tout le monde ! Jésus rassemble dans la douceur. Il nous recrée non pas en multipliant, mais en rompant. Tel le Dieu de la Genèse qui crée le monde en séparant et éléments, Jésus nous crée en rompant le pain, en partagant et en donnant non pas la puissance de la quantié, mais la douceur de l'humilité et du manque, la seule vraie nourriture de nos relations humaines. La seule nourriture que nous avons à consommer, mais qui, comme le dit paradoxalement le prohète Isaïe dans la première lecture, "ne s'achète pas." Le manque de l'autre ne s'achète pas. Il se vit et se donne.
Puissions-nous, loin du repli sur soi, bâtir nos relations humaines sur une telle reconnaissance de notre manque originaire et de notre soif et faim des autres. Amen, et bon appétit !