Nous, les chrétiens, nous nous plaignons souvent - à juste titre - de l'état du monde : dictatures, famine, corruption, pornographie, climat en compote, mépris des droits de l'homme, etc. Le pape multiplie les appels solennels à la paix, exhorte les dirigeants à restaurer la justice et à mettre fin aux conflits. Sans cesse l'Eglise se lamente sur le péché du monde et exhorte les nations au changement.
Et si le problème n° 1 était d'abord la conversion des chrétiens , de l'Eglise ?...
AU C¼UR DE LA RELIGION
Qu'a fait Jésus dont nous suivons la route de dimanche en dimanche ? Quelle a été sa priorité lorsque, à la fin de son long voyage, il est entré dans Jérusalem ? Il n'a pas mis fin à l'occupation romaine, il n'a pas invectivé les hommes politiques, il n'a pas dénoncé les m½urs dissolues de certains. Il a accepté les vivats de la foule mais sans se faire d'illusion sur cet enthousiasme superficiel. Il a même cessé de faire des guérisons : les quelques dernières sont notées furtivement par Matthieu comme si elles n'avaient guère d'importance (21, 14). Ce sont les c½urs qu'il venait guérir. Où s'est-il rendu lorsqu'il a fait son entrée en ville ? Au temple pour chasser les vendeurs càd. purger le culte de tout mercantilisme. Et où revient-il chacun des jours suivants ? Au temple. Pour y faire quoi ? Enseigner c'est-à-dire parler, expliquer la volonté de Dieu, inciter les croyants à l'engagement de l'obéissance réelle.
Dans la lignée des anciens prophètes, Amos, Osée, Isaïe, Jérémie, Ezéchiel et les autres, Jésus le prophète ne supprime pas le culte mais il restitue en son c½ur l'écoute attentive et l'obéissance à LA PAROLE DE DIEU. Ce n'est pas une parole doucereuse, consolatrice à bon compte, émolliente. Mais une Parole qui crie la Vérité de Dieu et donc qui dénonce les mensonges cachés sous les apparences de la piété, le rituel qui tolère trop bien l'injustice régnante, les chants des cantiques qui couvrent les appels au secours des malheureux et des exploités. En conséquence quels sont les personnages qui vont être heurtés par cette prédication ? Non les Romains (que Jésus ne maudit pas) ni les pécheurs publics (à qui il offre la miséricorde divine) mais bien les autorités religieuses : grands prêtres, anciens et scribes, responsables de l'édifice sacré et des cérémonies.
TROIS PARABOLES POLEMIQUES
Pendant que Jésus, imperturbable, poursuit son enseignement sur l'esplanade, divers groupes de ces autorités viennent l'interroger : Matthieu nous présente 5 controverses. La 1ère concerne la question de l'"autorité" de Jésus (21, 23-27) : de quel droit ose-t-il s'ériger en maître ? Qui lui a donné pouvoir de lancer sa contestation ? Jésus réplique que, au préalable, ils doivent se prononcer sur Jean le Baptiste : au nom de qui baptisait-il ? Etait-ce par une initiative personnelle ou était-il envoyé par Dieu ? Embarrassés, les hommes déclinent la réponse. Ce qui autorise Jésus à refuser de se justifier puisque lui-même prolonge l'activité du Baptiste.
Là-dessus Jésus prend l'offensive et il raconte trois paraboles dans lesquelles il dénonce la rouerie de ses interlocuteurs : elles constituent les évangiles lus en ces trois prochains dimanches. Voici la première, celle d'aujourd'hui :
Jésus disait aux chefs des prêtres et aux anciens : " Que pensez-vous de ceci ? Un homme avait deux fils. Il vint trouver le premier et lui dit : " Mon enfant, va travailler aujourd'hui à ma vigne". Il répondit : " Je ne veux pas". Mais ensuite, s'étant repenti, il y alla. Abordant le second, le père lui dit la même chose. Celui-ci répondit : " Oui, Seigneur" et il n'y alla pas. Lequel des deux a fait la volonté du père ? Ils lui répondent : "Le premier". Jésus leur dit : " Amen , je vous le déclare : les publicains et les prostituées vous précèdent dans le royaume de Dieu. Car Jean Baptiste est venu à vous, vivant selon la justice, et vous n'avez pas cru à sa parole tandis que les publicains et les prostituées y ont cru". Mais vous, même après avoir vu cela, vous ne vous êtes pas repentis pour croire à sa parole".
Comme dans la célèbre parabole du fils prodigue de s. Luc, Dieu est présenté comme ayant deux fils qui représentent clairement deux groupes, deux attitudes de vie : d'un côté les pécheurs notoires, de l'autre les pratiquants. Mon prédécesseur, Jean-Baptiste, mon maître, dit Jésus, est venu "selon la justice" : il a été un prophète qui, courageusement, proclamait les exigences de la Justice de Dieu, appelait tout le monde à observer les lois de Dieu afin de devenir des justes, des croyants "ajustés" aux volontés de Dieu.
Des gens qui avaient longtemps refusé d'écouter les commandements et qui vivaient dans le péché furent touchés par la prédication du Baptiste : après avoir longtemps dit NON à Dieu, ils se convertirent, changèrent de vie et dirent OUI. Tandis que vous, grands prêtres et anciens, vous avez répondu OUI à Dieu mais sans accepter de mettre en pratique toutes ses volontés. Vous vous présentez comme des croyants, pieux, fidèles aux cérémonies...mais lorsque le Baptiste vous a demandé, à vous également, de changer et de vous convertir à la vraie foi, vous vous êtes cabrés. La conversion vous apparaissait comme l'affaire des brigands, des débauchés, des voyous et ne vous concernant en rien. Et même, en constatant que des gens de mauvaise vie abandonnaient leurs anciennes m½urs pour chercher à devenir des justes devant Dieu, ce spectacle ne vous pas émus. Vous ressemblez à des hommes qui ont dit OUI à Dieu mais en pratique vous dites NON. Car le rituel, la connaissance théologique, les pratiques pieuses ne peuvent jamais se substituer à l'obéissance et à la pratique vécue de tous les commandements de Dieu.
D'ailleurs les interlocuteurs de Jésus eux-mêmes le reconnaissent : le vrai croyant, ce n'est pas celui qui dit OUI du bout des lèvres...mais celui "qui fait la volonté du Père", celui qui se rend compte qu'il disait NON et qui commence à dire OUI par sa vie. Ce converti, affirme Jésus, "précède" ceux qui n'ont dit OUI que du bout des lèvres ( Attention à une mauvaise interprétation trop répandue : Jésus précise bien que ces grands pécheurs "passent avant" parce qu'ils se sont convertis ! et non parce que peu importe la morale ! )
" Si le méchant se détourne de sa méchanceté pour pratiquer le droit et la justice, il sauvera sa vie. Parce qu'il s'est détourné de ses fautes, il vivra ! " ( Ezéchiel 18 = 1ère lecture )
POUR UN OUI EN ACTES
Ces altercations entre Jésus et ses ennemis ont excité longtemps la colère des chrétiens contre ces chefs juifs indignes. Mais il est manifeste qu'en rapportant ces affrontements, Matthieu a voulu mettre en garde les responsables des communautés chrétiennes : l'orthodoxie (la pensée juste) n'est rien sans l'orthopraxie (l'activité juste). Liturgie et théologie ne valent que si elles changent la vie concrète.
Nous voyons des gens enfoncés dans le mal, nous les jugeons sévèrement, ils ont dit NON à Dieu. Croyons-nous que la Parole peut les toucher et qu'ils peuvent tout à coup dire OUI ? Sommes-nous prêts à les accueillir sans les rejeter dans leur passé ?...
Nous, "bons chrétiens, persuadés que nous sommes (à peu près) des "justes" qui ont dit OUI, savons-nous que nous avons, nous aussi, à changer parce que la conversion n'est jamais accomplie une fois pour toutes ? Admettons-nous que notre OUI cache parfois certains NON ? Osons-nous prendre des options plus radicales ?
Lorsque nous voyons des pécheurs capables de grands changements, sommes-nous heureux ? Voulons-nous une Eglise où tous communient dans la même joie, conscients d'être tous bénéficiaires de la miséricorde du Père ?...
Sommes-nous persuadés que l'avenir de notre ville dépend d'abord de la vérité évangélique de ses paroisses ? ...comme Jésus croyait que l'avenir de son pays dépendait d'abord de la conversion des responsables de sa religion !!!..