Au temps de Jésus, voilà 6 siècles qu'Israël a perdu son indépendance et qu'il est occupé par des puissances impériales : Babylone puis les Perses puis les Grecs puis les Romains. Comme beaucoup cèdent à la séduction des m½urs païennes, en réaction est né le mouvement pharisien qui tente de sauver l'identité du peuple élu non seulement en rappelant les prescriptions de la Loi mais en ajoutant sans cesse des observances. Les rabbins sont arrivés à dénombrer 613 préceptes qu'il faut suivre méticuleusement afin d'éviter l'assimilation au paganisme. Intention louable ...mais finalement devant cet amas d'observances, une question aiguë se posait : Qu'est-ce qui importe le plus ? Qu'est-ce qui est essentiel et qui est accessoire ? La circoncision ? le sabbat ? Les jeûnes ?...Les fêtes ?...D'où la démarche d'un groupe de rabbins qui viennent tester Jésus.
Les Pharisiens, apprenant que Jésus avait fermé la bouche aux Sadducéens, se réunirent et l'un d'eux, un docteur de la loi, posa une question à Jésus pour le mettre à l'épreuve. Maître, dans la Loi, quel est le grand commandement ? Jésus lui répond : "Tu aimeras le Seigneur ton Dieu de tout ton c½ur, de toute ton âme et de tout ton esprit. Voilà le grand, le premier commandement. Et voici le second qui lui est semblable : Tu aimeras ton prochain comme toi-même. Tout ce qu'il y a dans l'Ecriture ( la Loi et les Prophètes) dépend de ces deux commandements.
LE PREMIER COMMANDEMENT : AIMER DIEU
Jésus répond à la façon d'autres docteurs de la Loi : Le 1er commandement, le plus essentiel, c'est l'amour de Dieu. Tous les Juifs, matin et soir, récitaient la prière (en usage encore aujourd'hui) du "SHEMA" ( Deutéronome 6, 4) :
"Ecoute (en hébreu : "shema"), Israël : le Seigneur notre Dieu est le Seigneur UN. Tu aimeras le Seigneur ton Dieu, etc...." :
Dans les premiers livres bibliques, on disait "craindre ou servir Dieu" mais dans le Deutéronome, pour la première fois, on osait proposer aux croyants d'AIMER DIEU, YHWH - mot imprononçable, traduit par "Seigneur", et qui désigne le Dieu de l'histoire, le Dieu Un qui était intervenu gracieusement pour libérer les esclaves hébreux de l'Egypte. Donc avant de demander aux hommes de l'aimer, Dieu avait manifesté, prouvé son amour : il avait entendu la plainte des malheureux et agit pour les sauver. En réponse, il pouvait demander aux croyants non seulement de l'honorer, de le craindre mais de l'aimer.
Aussi le texte biblique ne tombe pas comme un impératif dur et catégorique ("AIME !") mais telle une invitation au futur : "Tu aimeras...". C'est-à-dire : Tu réfléchiras à l'amour que YHWH a pour toi et ton peuple, et en retour, émerveillé par cette grâce, avec reconnaissance, tu comprendras que tu peux, que tu dois rendre amour à Celui à qui tu dois tout : existence, vie et liberté. Laisse-toi attirer par sa révélation : peu à peu tu cesseras d'être un serviteur peureux, l'esclave d'une divinité lointaine pour devenir un croyant donné à un Dieu plein de tendresse et de miséricorde.
UN AMOUR TOTAL
Evidemment tu ne pourras plus te contenter de te mettre en règle sur un minimum, d'offrir à Dieu quelques menus sacrifices et des petites prières furtives : on ne peut renvoyer Dieu aux franges de l'existence et l'amour ne peut se limiter à des miettes. L'amour est total ou n'est pas. Tu aimeras Dieu :
"de tout ton c½ur" : dans la bible, le c½ur ne désigne pas l'affectivité, le sentiment, mais le centre de la personne, de sa volonté, de ses projets, de ses décisions. La foi n'est pas un battement de c½ur sentimental.
"de toute ton âme" : en hébreu le mot désigne "la vie". Le grand rabbin Aquiba, au moment de mourir martyr, disait : "Enfin je vais pouvoir aimer Dieu en lui donnant mon âme, ma vie".
"et de tout ton esprit" : ( le Deutéronome disait "tout ton pouvoir" = tes biens, tes capacités). L'amour n'est pas irrationnel, vague, aléatoire : la foi est intelligente, claire, décidée. On sait pourquoi on croit et on vit en conséquence.
Donc l'insistance est sur "TOUT" : le sens de la vie humaine est de se donner intégralement à Dieu. Tandis que l'idolâtrie émiette et disperse, l'amour du Dieu UN rassemble les facultés, focalise les désirs. Cet amour unifie l'homme et donc il l'équilibre. "Aimer, c'est tout donner et se donner soi-même" (Ste Thérèse de Lisieux)
UN SECOND COMMANDEMENT : AIMER SON PROCHAIN
Bien des rabbins auraient fait la même réponse quant au 1er commandement mais Jésus ajoute un "second qui est semblable", donc qui ne le remplace pas, ne se substitue pas à lui mais est d'une valeur équivalente :
"Tu aimeras ton prochain comme toi-même" : du livre du Lévitique (19, 18).
Cela sous-entend que l'homme doit s'aimer lui-même - ce qui, contrairement à ce qu'on pense, ne va pas de soi mais qui est possible à partir du moment où l'homme se sait aimé, libéré par Dieu de son égoïsme et de sa détresse. Animé par cette source d'amour ouverte au creux de son être, l'homme est appelé à aimer son prochain, à agir à son endroit comme Dieu a agi envers lui. "Aimez-vous les uns les autres".
Donc Jésus affirme le primat de l'amour, il synthétise tous les préceptes de la Loi en l'amour. Un amour qui est d'abord amour reçu de Dieu, puis amour pour Dieu qui rayonne sur autrui. Mais en outre il ajoute :
"Tout ce qu'il y a dans l'Ecriture dépend de ces deux commandements".
Toute la Bible, toute la Révélation de Dieu, découle de cet amour. Il n'y a plus place pour une religion de mise en règle, une obéissance servile, un rituel accompli par habitude, une prière machinale et réglementée. Tout n'a valeur que comme conséquence, mise en pratique de l'amour. Prière et liturgie ne se mesurent pas à la longueur et au faste mais au feu de l'amour des croyants. L'Eglise ne vaut que par l'amour dont elle vit et qu'elle offre. La foi vient de l'amour ( de Dieu pour nous) ; elle suscite la réponse de l'amour ( de nous pour Dieu ) ; elle se pratique dans l'amour ( de nous, les uns envers les autres).
Le noyau originel des Ecritures soulignait fortement que là était l'existence normale des croyants : "Dieu dit : Tu ne maltraiteras pas l'immigré...Vous n'accablerez pas la veuve et l'orphelin...Si tu prêtes de l'argent à ton frère, tu ne lui imposeras pas d'intérêt...etc.." ( Exode 22 = 1ère lecture).
Et en cette année S. Paul, on peut rappeler les nombreuses exhortations qui parsèment ses lettres : "Comblez ma joie en vivant en plein accord"(Phil 2,2)... " Nous avons été baptisés pour être un seul Corps...les membres ont un commun souci les uns des autres "(1 Cor 12,12)...Que l'amour fraternel vous lie d'une mutuelle affection : rivalisez d'estime réciproque..."( Romains 12, 9).
La messe du dimanche est la célébration du double amour vécu par Notre Seigneur Jésus sur la croix : la foi nous y rassemble pour être UN peuple, UNE communauté qui chante son amour de Dieu en vivant l'amour fraternel. "Au soir de cette vie,nous serons jugés sur l'amour"