28eme dimanche du temps ordinaire

Auteur: Philippe Henne
Date de rédaction: 4/10/15
Temps liturgique: Temps ordinaire
Année liturgique : B
Année: 2014-2015

Cet homme riche, était-il si parfait que cela ? Il nous dit qu’il a toujours respecté les commandements.  En d’autres termes, il n’a jamais fait le mal.  Mais a-t-il fait le bien ? A-t-il rendu service à l’un ou à l’autre ? S’est-il inquiété de l’un ou de l’autre ? Ou a-t-il tout simplement fait son devoir ? Il n’aime pas qu’on le dérange.  Il n’aime pas se déranger pour les autres.  Sa maison est bien rangée, mais elle est froide.  Sa petite vie est bien réglée, mais elle est vide.  Et le malheureux se tourne vers le Seigneur et il lui demande : « que dois-je faire pour être heureux ? » Et le Christ lui répond : « quitte tout et suis-moi. »

            C’est ce que Mère Teresa et Sœur Emmanuelle ont fait à l’âge de la retraite.  Après avoir travaillé tout leur vie, elles ont quitté la chaleur de leur couvent pour aller réconforter les agonisants de Calcutta ou pour accompagner les enfants au milieu des détritus du Caire.  Elles ont cassé la certitude du rythme rassurant de tous les jours pour affronter la saleté et le rejet de la société.

            Le Christ ne nous demande pas autant.  Mais, nous, nous demandons beaucoup et nous avons raison.  Nous voudrions avoir une vie pleine et bien remplie.  Remplie d’enthousiasme et de nouvelles aventures.  Et c’est ce que les apôtres ont connu : une vie bien remplie, pleine d’enthousiasme et de nouvelles aventures.  Et cela les a conduits au don suprême de leur vie pour le Bien-aimé.

            Et c’est cela sans doute ce qu’exige une vie bien remplie.  Cela demande de se vider de ses vieilles rancunes, de ses vieilles désillusions, de se donner à soi-même et aux autres la chance, le risque de vivre à nouveau.  Oui, me direz-vous, mais voilà quarante ans que je vis avec la même personne.  Peut-être y a-t-il moyen de commencer une nouvelle vie avec cette personne.  Il y a peut-être un moyen pour cela.  Pendant une semaine, tous les soirs, il s’agirait de repenser à cette personne et lui trouver une qualité ou se rappeler une belle chose qu’il (ou qu’elle) a faite pendant cette journée.  Et pour tous ceux qui viennent de loin et qui affrontent la difficile démarche de l’intégration, il s’agit peut-être de se rappeler une belle rencontre avec quelqu’un qui nous a considérés comme un être vivant et digne d’intérêt.  Et c’est ainsi que petit à petit, jour après jour, nous changerons notre regard sur le monde, sur les autres.  Nous serons alors petit à petit capables de découvrir Dieu présent à l’intérieur de notre vie.  Nous serons alors riches de sa présence et de sa sollicitude.

28eme dimanche du temps ordinaire

Auteur: Didier Croonenberghs
Date de rédaction: 4/10/15
Temps liturgique: Temps ordinaire
Année liturgique : B
Année: 2014-2015


28eme dimanche du temps ordinaire

Auteur: Raphaël Devillers
Date de rédaction: 4/10/15
Temps liturgique: Temps ordinaire
Année liturgique : B
Année: 2014-2015

La décision de Césarée – quand Jésus a décidé de monter à Jérusalem – coupe la vie de Jésus en deux périodes. Dans la première, tout se déroule bien : les gens font un triomphe à ce Galiléen qui promet la venue du Règne de Dieu et guérit les malades. Mais dès la marche vers la capitale, Jésus annonce le refus auquel il va se heurter et il enseigne à ses disciples des exigences rigoureuses (vus les dimanches précédents) : porter sa croix, servir à la dernière place, respecter le mariage, ressembler aux enfants et (évangile d’aujourd’hui) : se garder du danger de l’argent

UNE VOCATION AVORTEE

Jésus se mettait en route quand un homme accourut et, tombant à ses genoux, lui demanda : « Bon Maître, que dois-je faire pour avoir la vie éternelle en héritage ? »

Jésus lui dit : « Pourquoi dire que je suis bon ? Personne n’est bon, sinon Dieu seul. Tu connais les commandements : Ne commets pas de meurtre, ne commets pas d’adultère, ne commets pas de vol, ne porte pas de faux témoignage, ne fais de tort à personne, honore ton père et ta mère. »

L’homme répondit : « Maître, tout cela, je l’ai observé depuis ma jeunesse. »

Cet anonyme était sans doute un jeune homme, comme le note Matthieu (19, 20) et d’ailleurs on dira qu’il a encore ses parents. Survenant tout à coup, il manifeste une grande vénération pour ce maître à qui il pose la question essentielle: « Que faire pour accomplir ma vie avec Dieu ? ». Le début de la réponse de Jésus étonne : sans doute ne veut-il absolument rien enlever à la Gloire unique de son Père. Et puis peu lui chaut les compliments : il renvoie le jeune à la pratique fondamentale du Décalogue et d’abord aux commandements qui traitent des relations avec le prochain : respecter la vie, le mariage et la réputation d’autrui. Et avant de revenir au 5ème commandement sur l’honneur dû aux parents, il ajoute une mise en garde aux patrons : « Tu n’exploiteras pas un salarié malheureux et pauvre, un de tes frères ou un émigré : le jour même tu lui donneras son salaire » (Deutéronome 24, 14).

L’apparence de son interlocuteur a dû montrer à Jésus qu’il avait affaire à un jeune et riche propriétaire auquel il rappelle la valeur éternelle de la Loi de Dieu, chemin vers la Vie divine.

L’homme, honnête et sans ostentation, assure qu’il a toujours vécu cet idéal. Mais alors, s’il se sent en règle vis-à-vis de la Loi, s’il ne voit rien à se reprocher, pourquoi est-il accouru pour questionner Jésus ? Il lui manque quelque chose puisqu’il se sent insatisfait. L’obéissance aux préceptes ne le comble pas : il ressent que devant Dieu on ne peut se limiter à une observance des règles. L’amour ne s’enferme jamais dans la pratique de préceptes.

Jésus regarde avec affection ce jeune plein de foi et il lui propose d’aller jusqu’au bout de son désir afin de combler ce qui lui manque :

Jésus posa son regard sur lui et il l’aima. Il lui dit : « Une seule chose te manque : va, vends ce que tu as et donne-le aux pauvres ; alors tu auras un trésor au ciel. Puis viens, suis-moi. »

Mais lui, à ces mots, devint sombre et s’en alla tout triste, car il avait de grands biens.

« Va, vends, donne, viens, suis-moi ». Jésus n’a jamais lancé tel appel à tous ses auditoires comme si le dépouillement total était la condition du salut. Il demandait plus de générosité, des aumônes plus généreuses car le mariage, les enfants à élever, la maison à tenir et les charges professionnelles exigent évidemment une certaine possession d’argent. La foi ne réduit pas les croyants à la mendicité.

Mais à certains, comme Simon et André, Jacques et Jean, Lévy ou ce jeune d’aujourd’hui, il est proposé de renoncer à tout, d’abandonner les parents (aimés) et toute possession (nécessaire) non par ascétisme mais pour « suivre Jésus » en toute disponibilité, participer à sa mission itinérante, et être signes vivants que le Royaume de Dieu est en train de survenir.

Il ne s’agit que d’une invitation à laquelle le candidat doit répondre librement. Notre jeune ne trouve pas exagérée ou aberrante la proposition de Jésus, il semble reconnaître que là est bien le bonheur qu’il cherche et que les lois ne lui donnaient pas. Mais il n’a pas le courage de renoncer à sa prison dorée et il se détourne tout triste, signe qu’au fond de lui-même il perçoit qu’il vient de rater le tournant de sa vie.

LE DANGER DES RICHESSES

Alors Jésus regarda autour de lui et dit à ses disciples : « Comme il sera difficile à ceux qui possèdent des richesses d’entrer dans le royaume de Dieu ! » Les disciples étaient stupéfaits de ces paroles. Jésus reprenant la parole leur dit : « Mes enfants, comme il est difficile d’entrer dans le royaume de Dieu ! Il est plus facile à un chameau de passer par le trou d’une aiguille qu’à un riche d’entrer dans le royaume de Dieu. » De plus en plus déconcertés, les disciples se demandaient entre eux : « Mais alors, qui peut être sauvé ? ». Jésus les regarde et dit : « Pour les hommes, c’est impossible, mais pas pour Dieu ; car tout est possible à Dieu. »

Jésus ne fait rien pour retenir le jeune et, élargissant le problème, il lance à l’adresse de tous ses disciples un grave avertissement. L’argent n’est pas seulement un moyen d’échanges mais il est une idole, il a la puissance d’un dieu : l’homme croit s’en servir mais c’est lui qui se sert de l’homme, qui le tient dans son pouvoir si séduisant. On croit être propriétaire et on est possédé.

Dès le début, dans sa première parabole, celle du semeur, Jésus expliquait qu’il lançait ses messages comme des grains et que ceux-ci fructifiaient différemment : « Certains sont ensemencés dans des épines : ce sont ceux qui ont entendu la Parole, mais les soucis du monde, la séduction des richesses et les autres convoitises s’introduisent et étouffent la Parole qui reste sans fruit » (4, 18).

Cette dénonciation de la richesse laisse les disciples pantois : ne leur avait-on pas appris que Dieu comble de bénédictions ses fidèles serviteurs tels Abraham ou Jacob ? Si la richesse ferme la porte du Royaume, qui peut prétendre être indemne de tout attachement à l’argent ? Car qui n’est pas plus ou moins riche ? « Qui peut être sauvé » ?

A nouveau, Marc note le regard de Jésus sur ses interlocuteurs, comme s’il fallait bien se laisser regarder par lui pour être capable de le comprendre. Oui, dit-il, aucun homme, par lui-même, ne peut se détacher, « c’est impossible ». Mais non pour Dieu. Sa Bonté est tellement puissante qu’il peut ouvrir des mains qui se crispaient, des cœurs qui se fermaient comme des coffre-forts.

CELUI QUI DONNE REÇOIT.

Pierre se mit à dire à Jésus : « Voici que nous avons tout quitté pour te suivre. »

Jésus déclara : « Amen, je vous le dis : nul n’aura quitté, à cause de moi et de l’Évangile, une maison, des frères, des sœurs, une mère, un père, des enfants ou une terre sans qu’il reçoive, en ce temps déjà, le centuple : maisons, frères, sœurs, mères, enfants et terres, avec des persécutions, et, dans le monde à venir, la vie éternelle ».

Pierre se rengorge : « Nous, nous avons tout laissé pour te suivre ». Et Jésus promet la véritable richesse : ceux qui laissent là 7 réalités en retrouveront 6 – et en quantité beaucoup plus grande - dans la communauté de Jésus ressuscité. Et en perdant « un père » terrestre, ils retrouveront tous un unique Père des cieux. Mais leur geste, bousculant l’idole adorée par beaucoup, sera perçu comme tellement contestataire, tellement dangereux, qu’ils seront critiqués, vilipendés, combattus, persécutés.

Mais qu’ils se réjouissent et gardent l’espérance car, dans le monde en train de venir, ils recevront « la Vie divine » - ce but que le jeune cherchait et dont il n’avait pas eu le courage de payer le prix.

27eme dimanche du temps ordinaire

Auteur: Philippe Cochinaux
Date de rédaction: 4/10/15
Temps liturgique: Temps ordinaire
Année liturgique : B
Année: 2014-2015

« Une femme d'un certain âge expliquait à son psychologue qu'elle avait pu vivre en Amour pendant cinquante ans parce qu'elle avait eu cinq maris.  Le psychologue crut alors qu'elle avait été mariée avec cinq hommes différents, mais elle continua: ‘Lorsque nous nous sommes mariés, il était un jeune homme idéaliste, fort et vigoureux.  Il s'est ensuite transformé en travailleur acharné.  Au début, je n'aimais pas cet homme qui travaillait trop, mais j'ai appris à le connaître et à l'aimer.  Puis, j'ai rencontré un homme en pleine crise de la quarantaine: il s'est désintéressé du travail et a découvert de nouveau intérêts, que j'ai appris à apprécier aussi.  Finalement, il est devenu ce vieil homme plissé et bedonnant qui partage maintenant ma vie.  Je ne vois plus du tout le jeune homme que j'ai épousé il y cinquante ans, mais j'apprécie maintenant sa sagesse et je suis retombée une cinquième fois en amour avec lui’ ».

Vivre un tel projet de vie demande la réalisation de trois attitudes : le détachement, l’attachement et l’enchantement. Tout d’abord, le détachement. Notre vie se construit sur cette réalité puisque, à l’instant de notre naissance, nous avons du physiquement nous détacher du corps de nos mères en coupant le cordon ombilical. Vient ensuite le temps de l’éducation qui nous a préparé à un jour quitter le nid familial pour pouvoir, à notre tour, construire notre vie. Tel est le projet de Dieu selon les Ecritures, puisque tant dans le livre de la Genèse que dans l’évangile, nous lisons « l’homme quittera son père et sa mère, il s’attachera à sa femme, et tous deux deviendront une seule chair ». Toutefois, il est important de souligner qu’une fois encore, la traduction française trahit quelque peu le texte original. En effet, le texte ne dit pas « ils ne seront qu’une seule chair » mais plutôt, « ils n’iront vers qu’une seule chair » c’est-à-dire, soit vers la vie qu’ensemble, un couple offre à celles et ceux à qui ils donneront vie, soit vers cette nouvelle entité qu’ils s’apprêtent à former, leur couple. Il ne s’agit nullement dans le chef du fils de Dieu d’une idée de fusion. Car l’amour fusionnel tue la relation faute de respirations. L’attachement est d’un autre ordre. En effet, la fidélité à nos projets de vie nous fait découvrir que le temps de l'amour n’est pas celui de la répétition mais bien de la reprise.  Ce n'est pas commencer qui est admirable, c'est re-commencer qui l’est, c’est-à-dire repartir, redonner sa confiance, refonder l’union lorsque celle-ci passe d’une phase de son histoire à une autre puisque tout au long de nos vies, nous vivons plusieurs formes d'amour.  Ainsi, le commencement de tout amour est toujours en avant de nous. Aimer devient ainsi une décision. Décider de ne jamais considérer l’être aimé comme un terrain conquis, mais plutôt comme une terre riche de promesses. Rien de son amour ne nous est dû. Ce dernier est un cadeau tellement immérité que jamais rassasiés, nous ne souhaitons qu’une chose : en recevoir plus encore. Tout couple est dès lors invité à continuer jour après jour à s’élire comme conjoint l’un de l’autre. Ils sont ainsi appelés à s’aimer pour la vie même s’ils ne s’aimeront pas tous les jours avec la même intensité. Il y a effectivement toujours une pointe d’incertitude dans l’amour. Tout simplement parce que le futur de toute forme d’amour dépend de tout ce que nous y mettons afin qu’il s’accorde pour l’éternité. Pour ce faire, il faut une bonne dose d’enchantement car l’amour est cette occasion unique de mûrir, de prendre forme, de devenir soi-même un monde pour l’amour de l’être aimé. Tout se passe alors comme si le monde entier était rencontré dans le regard de ce dernier. Nous nous accueillons l’un l’autre dans l'infini de notre être.  Et l’infini c'est ce que chacun de nous n’aura jamais fini de découvrir. L’enchantement, nous fait prendre conscience que l’avenir, c'est l’être aimé.  Une vie nouvelle naît entre deux êtres, à l’intersection de leurs existences, de leurs libertés, de leurs histoires.  Une troisième histoire apparaît, celle d’un amour enchanté parce qu’enchanteur. Nous faisons l’expérience d’une vie inédite, une naissance l’un à l’autre, une naissance l’un par l’autre. Détachement, attachement, enchantement, sont les clés de l’amour. Et si pour diverses raisons, nous n’y sommes pas arrivés, confions-nous alors à la merveilleuse tendresse de Dieu.

Amen

 

26eme dimanche du temps ordinaire

Auteur: Raphaël Devillers
Date de rédaction: 12/09/15
Temps liturgique: Temps ordinaire
Année liturgique : B
Année: 2014-2015

LA FOI N’EST PAS CE QU’ON PENSAIT

Sur la route qui le mène à Jérusalem où il va connaître son triomphe messianique – mais en passant par l’horreur de la croix et de la mort -, Jésus donne en privé à ses disciples des instructions qui bouleversent leurs conceptions. Dimanche passé, nous avons vu les deux premières recommandations du « discours communautaire » qui en regroupe sept : voici les suivantes.

FAIRE LE BIEN N’EST PAS UN PRIVILEGE CHRETIEN

Jean, l’un des Douze, disait à Jésus : « Maître, nous avons vu quelqu’un expulser les démons en ton nom ; nous l’en avons empêché, car il n’est pas de ceux qui nous suivent. »

Jésus répondit : « Ne l’en empêchez pas, car celui qui fait un miracle en mon nom ne peut pas, aussitôt après, mal parler de moi ; celui qui n’est pas contre nous est pour nous ».

Les guérisseurs de ce temps avaient coutume d’accompagner leurs soins et leurs exorcismes par des invocations aux dieux et à de grands personnages célèbres pour leurs pouvoirs thérapeutiques Les apôtres ont remarqué un guérisseur qui opérait des guérisons en invoquant le nom de Jésus et cela déplait beaucoup à Jean. Cet homme me respecte, répond Jésus, laissez-le faire ; vous n’avez pas le monopole de mon pouvoir, vous verrez beaucoup d’hommes qui ne partagent pas votre foi mais qui luttent contre le mal, font du bien aux gens, leur rendent la santé. Croyants ou non, les hommes ne doivent pas rivaliser mais collaborer pour guérir et sauver tout homme, faire advenir la justice et la paix.

LE SALUT PAR LA CHARITE 

« Et celui qui vous donnera un verre d’eau au nom de votre appartenance au Christ, amen, je vous le dis, il ne restera pas sans récompense ».

Bien des gens, continue Jésus, ne se convertiront pas à l’Evangile mais ils montreront de la compassion, ils vous viendront en aide, vous soulageront dans vos détresses. Même sans une foi déclarée, la pitié, la charité seront pour beaucoup chemin du ciel.

Le concile Vatican II disait magnifiquement : « Puisque le Christ est mort pour tout et que la vocation dernière de l’homme est réellement unique, à savoir divine, nous devons tenir que l’Esprit-Saint offre à tous, d’une façon que Dieu connaît, la possibilité d’être associé au mystère pascal » (L’Eglise dans le monde - § 22)

 NE PAS FAIRE PERDRE LA FOI

« Celui qui est un scandale, une occasion de chute, pour un seul de ces petits qui croient en moi, mieux vaudrait pour lui qu’on lui attache au cou une de ces meules que tournent les ânes, et qu’on le jette à la mer ». 

Après l’ouverture aux incroyants, Jésus recommande à ses apôtres une grande vigilance à l’égard des disciples. La foi est une flamme fragile, exposée aux grands vents des tentations mais elle est un trésor d’une telle valeur que la faire perdre à quelqu’un par des paroles ou un comportement inconvenants est chose extrêmement grave qui entraîne la destruction.

DES AMPUTATIONS NECESSAIRES

« Et si ta main est pour toi une occasion de chute, coupe-la. Mieux vaut pour toi entrer manchot dans la vie éternelle que de t’en aller dans la géhenne avec tes deux mains, là où le feu ne s’éteint pas.

Si ton pied est pour toi une occasion de chute, coupe-le. Mieux vaut pour toi entrer estropié dans la vie éternelle que de t’en aller dans la géhenne avec tes deux pieds.

Si ton œil est pour toi une occasion de chute, arrache-le. Mieux vaut pour toi entrer borgne dans le royaume de Dieu que de t’en aller dans la géhenne avec tes deux yeux, là où le ver ne meurt pas et où le feu ne s’éteint pas ».

Ce n’est pas seulement le mauvais exemple d’un autre mais son propre comportement personnel qui peut faire perdre la foi. Le langage de Jésus est certes hyperbolique, à ne pas prendre à la lettre, mais on voit que sa mise en garde est extrêmement grave. Les tentations viennent du cœur, de l’esprit : elles incitent la main à voler, les pieds à se rendre en des endroits périlleux, les yeux à être fascinés au point d’exciter une envie irrésistible.

Les tentations sont normales car nos sens sont sollicités par la beauté, l’intérêt, l’attrait, l’utilité. Mais, en chaque cas, lorsque le désir risque d’entraîner dans l’infidélité, il est impérieux de ne pas tarder, de ne pas s’accorder des permissions dangereuses et de « trancher dans le vif ». Sinon il y a un moment où la résistance sera impossible et où l’on tombera dans le scandale.

La fidélité dans la foi et la charité mènent à la vraie Vie et cet enjeu mérite toutes les luttes et tous les sacrifices y compris celui de sa vie corporelle.

Les dérives voulues et décidées font basculer dans la « géhenne ». C’est-à-dire ?

Il y avait à la bordure sud-ouest de la ville de Jérusalem une terre qui avait appartenu à un certain Hinnôn, et que l’on appelait en grec « guè-hinnôn » (d’où le français « géhenne »). Cette terre avait été maudite car on y avait pratiqué jadis des sacrifices d’enfants, si bien qu’on en avait fait le dépotoir, la décharge de la ville. La vision des tas de détritus et de la vermine, l’odeur pestilentielle, la chaleur et la fumée qui s’en dégageaient avaient conduit à voir là une image de la putréfaction où s’abîmeraient les condamnés. Et on a parlé d’ « enfer ».

Jésus n’a pas l’obsession du péché et il n’a jamais envoyé personne en enfer. Au contraire il aime tous les hommes et fait tout pour les accueillir, les guérir, leur pardonner et leur promettre la Joie éternelle dans la Maison de son Père. Il est l’ « Agneau qui enlève le péché du monde ». Mais quelquefois, comme ici, il évoque une éventualité qui nous glace d’horreur. Y a-t-il vraiment un enfer ? Si oui y-a-t-il des condamnés dedans ? Peut-on imaginer une souffrance éternelle ?....Certains Saints assurent avoir eu des visions épouvantables ; des théologiens débattent et s’interrogent encore ; une chanson fredonne allègrement : « Nous irons tous au paradis » !?...

La vie humaine n’est pas un processus automatique où tous, quoi qu’ils aient commis, se retrouvent dans les délices ou disparaissent dans le néant. Notre liberté décide, nous optons pour tel chemin et pas tel autre. Certes notre faiblesse est immense mais à la dernière minute, le criminel peut crier : « Seigneur, souviens-toi de moi ». Certains refuseraient-ils jusqu’au bout la Miséricorde ?...

LE SEL

Chacun sera salé au feu. C’est une bonne chose que le sel ; mais s’il cesse d’être du sel, avec quoi allez-vous lui rendre sa saveur ? Ayez du sel en vous-mêmes, et vivez en paix entre vous. »

Cet ultime conseil est un peu obscur si bien qu’il n’est pas repris dans la liturgie de ce jour.

CONCLUSIONS

Le Jésus de Marc n’est pas bavard, il ne prononce pas de grands discours comme dans Matthieu ou Jean : il agit. Signe pour nous que l’essentiel est toujours l’action. Cependant l’enseignement lu ce jour, s’il est bref dans son expression, doit être médité avec la plus grande attention car il pointe des comportements qui resteront toujours importants pour notre témoignage.

25eme dimanche du temps ordinaire

Auteur: Philippe Henne
Date de rédaction: 20/09/15
Temps liturgique: Temps ordinaire
Année liturgique : B

Quelle étonnante remarque ! Jésus est en Galilée et il ne veut pas qu’on le sache. Mais alors pourquoi est-il donc venu sur terre, si c’est pour rester caché ? Et d’ailleurs sa venue sur terre aurait pu être un peu plus médiatique. Quelle idée de naître à Bethléem, de grandir à Nazareth et de rester trente ans chez ses parents ! Jésus fait tout à l’envers. Au lieu de se montrer au grand public et de profiter de la publicité produite par quelques beaux miracles spectaculaires, il préfère rester caché. C’est que Jésus a tout d’abord peur d’une mauvaise publicité, d’une publicité trompeuse. Il n’est pas venu pour guérir tous les malades de son village, ni pour soigner notre dépression ou combler notre solitude. Le christianisme n’est pas une assurance pour le bonheur ou pour le confort. Regardez Jésus et les apôtres : leur vie n’a pas été une sinécure. Tous, ils ont connu la trahison, l’abandon, la solitude, le supplice et la mort. La vie de Jésus comme celle des apôtres n’apparaissent pas vraiment comme un modèle à imiter ou un idéal à suivre. Et le symbole du christianisme nous le rappelle. Ce n’est pas un fauteuil confortable dans un salon luxueusement aménagé. C’est la croix, qui symbolise le christianisme, un instrument de supplice réservé aux esclaves révoltés ou aux dangereux gladiateurs. Vous vous souvenez que les Romains ont crucifié Spartacus et ses compagnons sur la route entre Rome et Naples. Non, le christianisme n’est pas une assurance pour le confort. Il est un appel à se transformer et à transformer les autres.

            Jésus le rappelle en prenant l’exemple d’un enfant. « Celui qui accueille en mon nom un enfant comme celui-ci, c’est moi qu’il accueille ». Il n’était pas bon d’être un enfant dans l’Antiquité. Saint Augustin, à la fin de sa vie, a écrit qu’il ne voudrait plus jamais revivre ses années d’enfance tellement il avait été maltraité, même par sa mère, saint Véronique. Le mot éducation en grec est d’ailleurs révélateur de ce climat de violence. Le mot paideia en grec, qui a donné pédagogie en français, ce mot signifie aussi bien éducation que punition et châtiment. Les enfants n’avaient aucun droit dans l’Antiquité. Sous la République romaine, le pater familias avait droit de vie et de mort sur ses propres enfants. Quand Jésus prend un enfant sur ses genoux, il nous invite à accueillir les hommes et les femmes qui ont tout perdu, qui n’ont plus aucun droit, aucune protection. Ce sont des gens qui sont livrés à la merci de l’administration ou de requins qui profitent de leur détresse pour les réduire en esclavage. C’est là le génie d’une femme comme Mère Teresa. Elle s’est occupée d’hommes et de femmes qui agonisaient, seuls, dans les rues de Bombay. Ils étaient réduits à l’état d’objets malsains et répugnants. Et c’est là sans doute le défi que nous lance Jésus-Christ aujourd’hui : accueillir celui ou celle qui ne nous intéresse pas, lui rendre sa dignité d’enfant de Dieu, lui permettre de sourire avec les yeux. C’est tellement beau quand une lumière intérieure éclaire le visage d’un homme abandonné, d’une femme désespérée. Prenons donc aujourd’hui, en quittant l’église, le risque de saluer quelqu’un que nous ne connaissons pas et de lui souhaiter tout simplement un bon dimanche. Ce sera peut-être pour lui ou pour elle la seule fois que quelqu’un lui parlera aujourd’hui.

24eme dimanche du temps ordinaire

Auteur: Philippe Henne
Date de rédaction: 12/09/15
Temps liturgique: Temps ordinaire
Année liturgique : B
Année: 2014-2015

« Pour vous, qui suis-je ? » Voilà bien la question que chacun d’entre nous, nous posons à notre conjoint, à notre frère, à notre sœur, à nos parents, à nos enfants. « Pour vous, qui suis-je ? » N’est-ce pas la question que nous voyons dans les yeux des migrants échoués sur une plage, recueillis dans un bateau en mer, repoussés par des agents à une frontière ? N’est-ce pas la question muette que pose la présence de jeunes étudiants étrangers, ici à Louvain-la-Neuve ? Leurs papiers sont en règle, leur inscription est régularisée, mais ils n’ont pas de bourse, ils n’ont pas d’ami. « Pour vous, qui suis-je ? » C’est la question de tant d’hommes et de femmes arrivés à un certain âge nous posent à nous, qui sommes installés à Louvain-la-Neuve, ou partout ailleurs. Quel accueil réservons-nous à ces nouveau-venus ? Certes, il ne faut pas les envahir, ni les heurter par une débordante générosité. Mais il n’est pas interdit de leur sourire, de les saluer et, comme le petit prince avec son renard, de nous apprivoiser les uns les autres.

            Et saint Pierre s’exclame : « tu es le Messie ». C’est un éclair dans son âme et dans son cerveau, une illumination. Il n’y avait jamais pensé, mais maintenant c’est clair, c’est évident : Jésus, c’est le Messie. Il est intéressant de noter que c’est Pierre, et pas le disciple que Jésus aimait, qui a découvert cela. Comme quoi, ce n’est pas toujours l’amour ou l’amitié qui nous permettent de bien connaître quelqu’un. Pierre n’est probablement pas le plus intelligent parmi les apôtres, mais il y a en lui une générosité, une spontanéité qui lui permettent de découvrir les choses les plus belles et les plus simples. Voilà pourquoi il a été jugé digne de devenir le prince des apôtres. La simplicité de son cœur lui a permis de recevoir la grâce de l’Esprit et d’apercevoir la profondeur et la richesse du mystère de ce Jésus qu’il suit et qu’il fréquente depuis des semaines et des mois.

            Et cette révélation n’a pas lieu n’importe quand. Elle se situe en plein milieu de l’Evangile selon saint Marc. Il y un avant, où les disciples sont séduits par la personnalité de Jésus. Et il y a un après, où ils apprennent la grandeur et la tragédie du destin du Messie. Jésus leur parle de sa Passion et de sa mort sur la croix, et Pierre le rabroue : non, ce n’est pas ça qui était prévu ; ce qui était prévu, c’est que le Messie apporte la paix et l’indépendance au peuple juif dispersé. Non, ce n’est pas ça qui était prévu pour les chrétiens d’Orient. Ils étaient réunis dans des églises bondées où ils chantaient la gloire de Dieu. Ils travaillaient dans le bâtiment ou dans le commerce. Ils ont encore un GSM, mais ils n’ont plus de clients qui les appellent. Ils ont encore la clé de leur maison, mais un obus l’a ravagée, et ils n’ont plus que des sandales au pied et la peur au ventre. La foi chrétienne n’est pas une assurance bonheur, ni assurance confort. C’est une ouverture à une vie plus riche, plus profonde, plus aimante. C’est ce qui a poussé saint Pierre à quitter ses filets et sa barque de pêcheur pour annoncer l’amour de Dieu toujours plus loin, jusqu’à Rome où il mourut sur une croix, seul, abandonné, mais transfiguré par l’amour de Dieu.

            Et cela pose la question d’accueillir quelque de nouveau, car Jésus était quelqu’un de nouveau, d’inconnu pour Pierre et tous les disciples. C’était quelqu’un qui leur disait de belles choses et qui les bouleversait. Car accueillir quelqu’un, ce n’est pas l’obliger à être comme moi, de penser comme moi, de croire en Dieu comme moi. Accueillir quelqu’un, c’est comme accueillir un enfant dans une famille ou un frère dans une communauté, c’est accepter d’être dérangé, de voir la vie autrement, non plus en ayant notre petite personne comme le centre du monde. Accueillir quelqu’un, c’est accepter de recevoir quelque chose de lui, c’est être capable de lui demander : « apprends-moi à aimer Dieu ». J’ai ma petite idée de Dieu, elle n’est pas mauvaise, mais ce n’est qu’une petite idée. Apprends-moi qui est Dieu pour toi et je découvrirai une autre facette du Bien-aimé. Alors nous pourrons tous ensemble nous élancer vers notre Seigneur et Sauveur, emportés par l’enthousiasme de chacun d’entre nous.


Philippe Henne

 

23eme dimanche du temps ordinaire

Auteur: Raphaël Devillers
Date de rédaction: 6/09/15
Temps liturgique: Temps ordinaire
Année liturgique : B

L’Evangile d’aujourd’hui nous présente Jésus traversant des régions plus païennes les unes que les autres. Il quitte la Phénicie avec Tyr et Sidon, et il passe en Décapole, c’est-à-dire la région des dix villes. Ce n’est pas une région historique comme la Judée et la Samarie. C’est une région un peu artificielle crée par l’occupant romain autour du lac de Génésareth, c’est-à-dire de la mer de Galilée, dans le nord de l’Etat d’Israël actuel. Et c’est là dans cette terre devenue étrangère que Jésus va guérir un sourd-muet. Ce n’est peut-être pas par hasard que la première personne que Jésus rencontre vraiment là-bas est un handicapé. Car ce sourd-muet symbolise peut-être toute la misère dans laquelle l’homme est plongé quand il ne connaît pas Dieu. Ne sommes-nous pas, nous aussi, un peu sourds ? Car il y a des gens qui sont physiquement sourds, soit de naissance, soit par accident. Mais il y en a d’autres qui eux aussi sont sourds, mais sourds du cœur et de l’esprit. Et peut-être, malgré toute notre bonne volonté, nous sommes non seulement maladroits dans notre façon de parler et de réagir, mais nous sommes aussi parfois sourds aux appels et à la présence de nos proches. Combien de fois, dans un couple, dans une communauté, une dispute n’éclate-t-elle pas parce que l’un des partenaires se sent lésé, négligé : « mais tu ne m’écoutes pas, tu n’essaies même pas de comprendre ». Nous sommes parfois comme ces jeunes qui ont les écouteurs sur les oreilles et leur plaquette devant les yeux. Ils ne voient plus rien, ils n’entendent plus rien du monde extérieur. Ils sont repliés sur eux-mêmes. Ils sont devenus incapables d’entendre leur voisin, leur voisine leur parler. Ils sont devenus incapables d’entendre Dieu leur parler.

            Mais comment Dieu nous parle-t-il ? Regardez comme c’est curieux. Dans l’Evangile, il est dit que les gens demandent à Jésus d’imposer les mains, c’est-à-dire d’accomplir un acte liturgique, religieux et peut-être même magique. Imposer les mains, c’est vouloir transmettre à quelqu’un l’esprit qu’on a reçu, l’esprit dont on est dépositaire. Jésus, lui, bien au contraire, s’éloigne de la foule. Pas de spectacle ! Il y a des choses trop sérieuses pour être galvaudées en les montrant sur la place publique. Il y a des choses trop belles pour être jetées en pâture aux journalistes et aux ragots des vieilles commères ou des vieux pépères. Jésus s’éloigne. Il est seul avec le sourd-muet. Et que fait-il ? Il lui plante son doigt dans l’oreille. Quel manque de bonne éducation ! Il prend de sa propre salive et la dépose dans la bouche du malheureux sourd-muet. Quelle manque d’hygiène ! Nous attendons tous des gestes merveilleux de la part de nos proches et de Dieu. Et c’est la routine de tous les jours. Dans la vaste monotonie d’une vie qui se répète sans cesse surgit peu à peu le désespoir d’être un jour aimé. Et voilà que le Christ, au lieu de faire un grand miracle, met le doigt dans l’oreille. Cela veut peut-être dire que c’est dans le côté prosaïque de la vie de tous les jours que Dieu manifeste son amour infini. Non pas dans les grandes déclarations, mais dans les petits gestes quotidiens. Et c’est sans doute la raison pour laquelle nous sommes sourds.   Nous attendons les grandes fanfares des manifestations divines, et c’est notre frère, notre sœur qui est là, pour nous parler, à sa manière, de façon maladroite et inadaptée, de l’amour de Dieu.

            Oui, certes, Dieu nous murmure chaque jour des paroles d’amour, mais nous ne les entendons pas parce que nous sommes absorbés par le bruit violent de la vie. Nous pouvons être guéris de notre surdité dans la mesure où nous ôtons notre casque de certitudes et d’angoisses. C’est cela sans doute un aspect de la sainte Eucharistie : pouvoir s’asseoir, couper le son et les images devant nos yeux pour laisse Dieu nous surprendre par son manque d’éducation. C’est cela le miracle de l’Eucharistie : Dieu qui se donne tout entier dans un morceau de pain insignifiant, et qui nous invite à découvrir les plus paroles d’amour dans les petits gestes de tous les jours. Alors coupons le bruit qui nous assourdit et ouvrons nos oreilles à la petite mélodie d’amour que Jésus nous chantonne à travers les frères et les sœurs que nous rencontrons tous les jours.

24eme dimanche du temps ordinaire

Auteur: Raphaël Devillers
Date de rédaction: 13/09/15
Temps liturgique: Temps ordinaire
Année liturgique : B
Année: 2014-2015

A QUI PERD GAGNE

Après avoir parcouru la Galilée, Jésus s’est aventuré en pays païen : à l’est, le grand port phénicien de Tyr puis à l’ouest la Décapole et il y a remarqué les mêmes détresses, les mêmes appels à la guérison et au salut. A présent il remonte à l’extrême nord d’Israël, aux pieds du mont Hermon là où jaillissent les sources du Jourdain. Dans cette très belle région verdoyante, le roi Philippe a fait édifier une nouvelle ville, modèle séduisant de la grande civilisation hellénistique. Voilà Jésus entre deux mondes, entre la foi d’Israël et la religion grecque. Entre Jérusalem et la cité païenne. Or Jésus n’entre pas dans Césarée pour dénoncer ses vices : c’est vers Jérusalem qu’il veut se diriger en priorité pour l’appeler, elle d’abord, à la conversion. Nous voici au moment de la grande décision qui coupe l’évangile en deux.

Jésus s’en alla, ainsi que ses disciples, vers les villages situés aux environs de Césarée-de-Philippe. Chemin faisant, il interrogeait ses disciples : « Au dire des gens, qui suis-je ? » Ils lui répondirent : « Jean le Baptiste ; pour d’autres, Élie ; pour d’autres, un des prophètes. » Et lui les interrogeait : « Et vous, que dites-vous ? Pour vous, qui suis-je ? » Pierre, prenant la parole, lui dit : « Tu es le Christ. » Alors, il leur défendit vivement de parler de lui à personne.

Depuis le début de sa mission, Jésus intrigue : qui donc est ce petit artisan sans titres, sorti de son coin perdu et qui a l’audace d’annoncer la venue du Règne de Dieu ? Un fou, un illuminé ? Un sage aux belles paroles ? Un sorcier auteur de prodiges ? Un révolutionnaire dangereux capable d’attiser la passion révolutionnaire d’un peuple meurtri ?

« Que dit-on de moi ? Que disent les gens ? ». Les apôtres rapportent à Jésus les diverses opinions qui courent à son sujet. Mais brusquement il les accule à se prononcer par eux-mêmes. Sur Jésus il est insuffisant de colporter des rumeurs, de répéter les opinions des autres. C’est : « TOI que dis-tu ? ». Car on ne peut se contenter d’une information : la question engage.

Les apôtres qui ont été appelés les uns après les autres, qui suivent Jésus dans ses pérégrinations, qui l’écoutent et l’observent, eux aussi se demandent qui il est (4, 41). Mais pour la première fois, un homme, Simon-Pierre, exprime la certitude à laquelle il est arrivé : « TU ES LE MESSIE ». Donc tu n’es pas un prophète parmi d’autres, un magicien, un agitateur, un moraliste. Tu es le Messie, le roi oint par Dieu pour éradiquer le mal, apporter enfin le droit et la justice, et ainsi rendre à Israël sa splendeur,

Jésus ne dément pas son disciple ni ne le félicite pour son discernement: mais à tous il intime l’ordre formel de ne pas divulguer leur confession de foi qui serait susceptible d’aviver la fièvre nationaliste et de mettre le feu aux poudres dans ce pays occupé depuis plus de 90 ans par des païens et qui vit dans l’attente ardente d’une Sauveur définitif – le Messie.

Et là-dessus Jésus leur fait une révélation qui tombe comme la foudre et qui ouvre la seconde partie de l’Evangile. Un nouveau « commencement » (1, 1 ; 6, 7)

1ère SECOUSSE : UN MESSIE QUI VA A LA PASSION ?

Il commença à leur enseigner qu’il fallait que le Fils de l’homme souffre beaucoup, qu’il soit rejeté par les anciens, les grands prêtres et les scribes, qu’il soit tué, et que, trois jours après, il ressuscite. sus disait cette parole ouvertement.

Après la Galilée et le monde païen, Jésus a décidé de monter à Jérusalem. « Il le faut » car son Père lui a confié la mission d’annoncer la Bonne Nouvelle partout et donc dans la capitale. Il sait que les plus hautes autorités religieuses ne le tolèrent pas. On l’a vu à plusieurs reprises : Jésus tout de suite a éveillé la suspicion puis la colère puis la haine des pharisiens et des scribes furieux de le voir offrir le pardon des péchés, de paraître violer les saintes lois du shabbat, de rejeter des coutumes vénérables. Ils insinuent même que ses guérisons seraient dues à un pacte avec le diable.

Le temple, les autorités doivent recevoir la Bonne Nouvelle : il s’agit de convertir ces hommes, de libérer leur religion du carcan des observances, de la rigidité des lois, de l’antique coutume des sacrifices d’animaux, des pratiques qui les ferment aux païens.

Nul besoin d’être prophète : Jésus sait que ces hommes n’accepteront pas son message et ils feront tout pour le faire taire et le supprimer. Mais il a une telle confiance dans l’amour de son Père qu’il en est convaincu : celui-ci ne l’abandonnera pas à la mort. Il est impossible que celle-ci soit plus forte que la vérité. Alors la Bonne Nouvelle ne sera plus belles paroles et guérisons mais la révélation de l’amour qui se donne jusqu’au bout jusqu’à ressusciter.

2ème SECOUSSE : LE REFUS DE LA CROIX

Pierre, le prenant à part, se mit à lui faire de vifs reproches.

Mais Jésus se retourna et, voyant ses disciples, il interpella vivement Pierre : « Passe derrière moi, Satan ! Tes pensées ne sont pas celles de Dieu, mais celles des hommes. »

Sidéré par cette révélation, le brave Pierre ne peut imaginer ce destin cruel : il est impossible que le Messie soit rejeté par les gardiens du Temple, ceux-là même qui entretiennent la promesse de sa venue. Et prenant Jésus à l’écart, il se permet de lui faire des remontrances !

Mais, à voix forte pour que tout le groupe entende, Jésus le rabroue vertement. L’apôtre partage la conception habituelle chez les hommes : messie = chef, puissance, invulnérabilité, victoire sur les ennemis, triomphe. En cherchant à détourner Jésus de son chemin, en voulant le conduire sur les chemins de la gloire terrestre, Pierre devient un satan, celui qui se dresse contre les projets de Dieu.

Hélas, dans son histoire, il est arrivé à l’Eglise – surtout à ses prélats – d’oublier cet ordre du Seigneur, de croire à nouveau qu’il fallait évangéliser de manière ostentatoire, en déployant faste et grandeurs, en se décernant des titres ronflants, en adoptant des tenues d’apparat, en utilisant des méthodes de coercition. Pardon, Seigneur, pour nos « pensées d’hommes », nos désirs d’Eglise puissante.

3ème SECOUSSE : LA CROIX POUR CHACUN

Appelant la foule avec ses disciples, il leur dit : « Si quelqu’un veut marcher à ma suite, qu’il renonce à lui-même, qu’il prenne sa croix et qu’il me suive. Car celui qui veut sauver sa vie la perdra ; mais celui qui perdra sa vie à cause de moi et de l’Évangile la sauvera ».

Il serait trop facile de regarder le trajet du Messie comme des spectateurs attendant passivement tous les bienfaits qu’il apporte (comme la foule attendait une nouvelle multiplication des pains). Et ce ne sont pas seulement les apôtres ni les disciples mais tous les hommes qui sont appelés à suivre cet itinéraire.

« SI QUELQU’UN » : l’appel s’adresse à tout homme et il est libre. C’est à chacun- s’il se décide - de « renoncer » à ses vues « sataniques », trop humaines, d’une vie facile pour prendre le tournant qu’a pris son Seigneur et s’engager, derrière lui, sur ce chemin.

Ne nous étonnons pas de nos réticences, de nos appréhensions : souvent, comme Pierre et les autres, nous fuirons encore quand l’ombre de la croix se dessinera.

« Prendre sa croix » ne veut donc pas dire se faire souffrir, s’infliger des pénitences, se mépriser, s’en vouloir mais entreprendre le même projet que Jésus : vouloir annoncer le véritable Evangile contre ceux qui s’y opposent et donc qui vous refusent et cherchent à vous détruire. L’homme qui se décide n’est pas masochiste : au contraire il veut éperdument accomplir son existence et trouver la Vie comme Dieu l’entend.

C’est « à cause moi et de l’Evangile » - et non par stoïcisme - que cette décision est prise, par désir de suivre Jésus sur son chemin, par amour pour lui, par désir de communiquer la Bonne Nouvelle à l’humanité entière, pour que le monde soit sauvé.

Jérusalem (la cité de Dieu, l’Eglise) doit se convertir pour que l’Evangile soit proclamé à Césarée (la ville païenne de l’Empereur).

Demain, lundi, la fête de « La Croix glorieuse » nous rappellera la victoire de l’amour assassiné. De saint Pierre à l’évêque Romero et aux récents 21 martyrs d’Egypte, les preuves abondent.