34ème dimanche du temps ordinaire

Auteur: Dominique Collin
Date de rédaction: 8/11/15
Temps liturgique: Temps ordinaire
Année liturgique : B
Année: 2014-2015


 

 

33ème dimanche du temps ordinaire

Auteur: Mark Butaye
Date de rédaction: 15/11/15
Temps liturgique: Temps ordinaire
Année liturgique : B
Année: 2014-2015

Vivre la confiance dans des temps obscurs

On dirait qu’en ces jours, le temps s’est arrêté. Une violence inouïe a déchiré quelques quartiers de Paris ( 13 Novembre 2015 ) – et au delà de ces lieux, ces évènements bouleversent et troublent nos pensées, nos âmes et notre espoir d’un monde meilleur.

C’est comme si le chapitre 13 de Saint Marc qui annonce la fin du temple, la fin du monde et le retour final du Christ, se déroule devant nos yeux.

Et pourtant non ! Combien de fois déjà dans notre histoire avons-nous vécu ce soi-disant “fin du temps”. Sans bagatelliser aucun évènement de violence, notre indignation se souvient malheureusement des grandes guerres, des désastres naturels, des famines, des déportations massives, des dictatures, des émeutes sanglantes, des oppressions, parsemés dans notre mémoire contemporaine. Oui, combien de fois, l’histoire s’est-elle arrêtée au point de bousculer les esprits des âmes justes ?

L’évangile d’aujourd’hui, ce fameux chapitre 13 de Marc qui fait le lien, non sans raison, entre la ‘purification du temple’ et le récit de la passion du Christ en annonçant le ‘dévoilement ou le dénuement final ( άποκαλύπτειν =  l’apocalypse) me pose aujourd’hui – suite aux évènements meurtriers à Paris - la question suivante : “Comment vivre la  confiance en l’homme et en Dieu, dans des temps obscurs ? Comme faire confiance dans l’autre, si l’ennemie déguisé peut se trouver devant nos portes ? Comment vivre en Dieu, s’il semble absent, silencieux, oublié ou carrément nié ? “

La question est récurrente. Il n’est pas difficile de s’adonner en confiance à l’autre et à Dieu, si tout va bien. Il n’est pas difficile de célébrer l’eucharistie – rendre grâce – si la vie nous sourit, si le bonheur fleurit et le salut semble assuré. Par contre, la foi chrétienne, c’est à dire, la confiance en Dieu et en l’homme est mise à l’épreuve et se tient debout ou tombe face aux moments précaires.  La foi chrétienne, c’est à dire la confiance dans l’homme, l’espérance du salut et l’expérience de la résurrection n’est jamais acquise une fois pour toujours et elle retint continuellement dans les écritures comme un questionnement, parfois comme une incertitude et aussi comme un doute. Souvenons-nous seulement de ces paroles qui sortent de la bouche d’une âme profondément délaissée : “Dieu, mon Dieu, pourquoi m’as-tu abandonné ? ” – expression ultime du presque-désespoir dans la bouche…  du Christ … à la croix, au moment de dépérir.  Si donc Lui déjà… , comment pas nous !

Peu de temps avant l’annonce des désastres dans ce chapitre 13 de Marc, les disciples et Jésus se trouvent dans les collines aux abords de Jérusalem. Ils se sont assis. Se reposant ils admirent dans le lointain la splendeur de la ville et le temple brillant dans le soleil.  “ Oh ! Quelles pierres, quelle grandeur”.  Honnête émerveillement des disciples. Tandis que la réponse ou la réaction de Jésus est plutôt une vraie douche froide : “aucune pierre ne restera sur l’autre”. C’est ainsi qu’on annonce la destruction, que l’on brise les rêves. La beauté de la création, celle du travail des hommes à la gloire de Dieu et de l’humanité, est dorénavant déclarée éphémère.

Face au rêve d’un paradis terrestre, d’un temple sacré, d’un refuge sécurisante, Jésus met l’homme à nu et à l’épreuve. Sa réaction est au fond une interrogation que je formulerais ainsi : “Votre confiance, peut-elle tenir, face à la finitude du monde ?” – Et par extension : “face à tout anéantissement” ?

La question n’est pas – et Jésus l’écarte avec fermeté – “ Quand la fin se présentera-t-elle ? “  La question finale ou ultime est celle qui scrute le cœur humain : “Pouvez-vous vivre en confiance, dans la nuit obscure ?” (dans Gethsémani)

C’est ce défi que Job doit traverser et que creuse Dietrich Bonhoeffer dans sa cellule. C’est ce qui réduit au silence le parent au chevet de son enfant, et ce qui désarme l’homme droit face aux interminables injustices. Si la colère, l’impuissance, la tristesse, l’indignation peuvent à juste titre prendre de dessus aux moments cruels où la mort se déchaine ( comme à Paris, aux Twin Towers à New York, aux villes dévastées en Syrie et ailleurs,) il faut qu’après, le lendemain pour ainsi dire, l’homme se redresse et essaie de vivre, de retrouver la confiance.

Vivre en confiance n’est pas évident. Elle ne tombe pas du ciel. Elle est à construire avec de l’intelligence, avec du sens critique, de la connaissance des choses et des humains. Elle nécessite le dialogue et des négociations. Elle a besoin de distance, de résistance et de courage. Elle a besoin d’imagination, de créativité et parfois de beaucoup de patience avant qu’elle ne devienne finalement : désir, quiétude et repos dans l’autre / l’Autre.

Face à l’anéantissement du monde, Jésus fait appel à la difficile liberté et aux conséquences invraisemblables de l’évangile qui consistent à accepter que celui qui se confie à Dieu et à son prochain, risque sa vie.  C’est balancer aux bords d’une falaise.

Le défi est désormais de nourrir, d’éduquer la soif du bien, malgré toute apparence contraire. Vivre le risque de l’évangile, c’est faire l’expérience de foi que toute personne peut devenir “vrai”, “juste”, “bon” - enfant de Dieu - et que moi, toi, nous sommes les co-auteurs de ce processus de l’amour de Dieu, capable d’induire cette bonté dans l’autre et capable de changer le visage du monde, ou au moins de l’espérer sans cesse.  

Aimer son amant, un partenaire, un ami, ceux qui nous comblent de bien n’a rien d’extraordinaire. Mais c’est l’indispensable atelier où l’on apprend à aimer ceux et celles qui doivent devenir aimables et qui le deviendront suite à l’amour qu’ils reçoivent.

L’annonce d’une bonne nouvelle change le cœur de l’homme. Le temple tombe pour faire place au Verbe, à la Parole qui n’a pas besoin de pierres car elle vient m’habiter, purifie les méandres du cœur et sème l’espérance.

Regardez le figuier. Ses branches deviennent tendres. Les bourgeons annoncent le printemps et le soleil, inlassablement chaque année.

En ces jours où nous célébrons dans notre pays l’armistice ( 11 Novembre), signe  et mémoire tangible d’espérance, gardons en nos cœurs et dans nos actes la Paix et la vigilance pour la conversion des cœurs et esprits.

32ème dimanche du temps ordinaire

Auteur: Laurent Mathelot
Date de rédaction: 8/11/15
Temps liturgique: Temps ordinaire
Année liturgique : B
Année: 2014-2015

L'épisode de la veuve de Sarepta dont nous parle la première lecture est traditionnellement présenté comme étant le prototype, dans l'Ancien Testament, de l'Eucharistie. Et c'est effectivement le cas.

 

Élie est aux prises avec le roi Acab, qui est un roi impie, « plus encore que tous ceux qui l’avaient devancé » – nous dit le chapitre précédant la lecture d’aujourd’hui [1R 16,30s]. Sous l'influence de son épouse, la terrible Jézabel, il construit le temple de Baal à Samarie et fabrique le Poteau sacré d'Ashéra, la déesse cananéenne de la fécondité.

 

L’idolâtrie est le péché que dénonce avec force l'Ancien Testament. On se souvient de l'épisode du Veau d'or, bien sûr, et aussi du commandement divin : « Tu n’auras pas d’autres dieux que moi. Tu ne feras aucune idole. (...) Tu ne te prosterneras pas devant ces images pour leur rendre un culte. Car moi, le Seigneur ton Dieu, je suis un Dieu jaloux » [Dt 5, 7-9]. La Genèse déjà présente Terah, le père d'Abraham, comme idolâtre [Gn 24,2]. Le prophète Ezéchiel dénonce, lui, le peuple d'Israël comme un peuple qui n'a cessé de l'être [Ez 20, 8.24.28]. Josué, Jérémie, Jonas, Esdras, dans le Deutéronome surtout, dans les Psaumes aussi, partout la même dénonciation vigoureuse de l’idolâtrie comme étant toujours mortifère.

 

Et Élie vient effectivement annoncer la colère de Dieu : « pendant plusieurs années il n’y aura pas de rosée ni de pluie » [1R 17,1]. A la suite d'Acab et de Jézabel, le Peuple juif se détourne de Dieu et c'est donc la sécheresse, et puis la famine. La veuve de Sarepta, qui n'est pas juive mais phénicienne, ramassait du bois, pour cuire un dernier pain pour elle et son fils, avant de mourir ; l’idolâtrie des uns provoque la mort des autres. Mais parce qu'elle croit ce que prophétise Élie, parce qu'elle lui donne tout ce qui lui reste pour vivre, elle vit.

 

Le Christ, nous dit l'Épître aux Hébreux, s'est offert lui-même « pour enlever les péchés de la multitude » [He 9,28] ; lui aussi a donné sa vie en rançon de l'idolâtrie. Non pas comme le faisait le grand prêtre du Temple de Jérusalem, qui offrait le sang d'animaux sacrifiés : c'est son propre corps que Jésus offre en sacrifice sur la Croix. Et c'est parce qu'Il se donne totalement, qu'éternellement Il vit.

 

Enfin, la pauvre veuve dont parle l'Évangile met, elle aussi, dans le Trésor du Temple tout ce qu’elle possède, tout ce qu’elle a pour vivre. Et l'Écriture nous le rapporte après que Jésus ait reproché aux scribes leur hypocrisie, eux qui tiennent à se promener en vêtements d’apparat, aimant les salutations et les places d’honneur. « Ils dévorent les biens des veuves » nous dit le Christ. Là aussi une forme d'idolâtrie, celle de l'ego.

 

Ces trois passages nous permettent en effet de sonder plus avant le mystère de l'Eucharistie ; la présence réelle de Dieu dans le pain et le vin consacrés sur l'autel.

 

Eucharistie – εὐχαριστία en grec que l'on traduit généralement par « action de grâce » signifie littéralement le « don offert en reconnaissance », la « bienveillance offerte à Dieu ». Et sans doute le paroxysme de ce don, est-il le don de sa vie, le sacrifice de soi pour autrui, pour Dieu. Tandis que sa forme la plus élémentaire est celle du pain partagé, de la nourriture offerte pour sustenter. L'Eucharistie que nous célébrons balaye tout ce champ qui va du pain au don ultime de soi.

 

C'est sans doute une évidence pour toutes celles qui ont été mères qu'il y a un lien continu entre la nourriture que l'on ingère et le don de la vie, entre les aliments que l'on ne garde pas pour soi et le sacrifice de son corps pour l'enfant que l'on porte. Ça ne devrait pas être une moindre évidence pour les pères, qui donnent aussi de leur corps, par leur travail, la sueur de leur front, pour nourrir leur progéniture. Il y a dans la maternité, dans la paternité un lien direct entre le don de son corps et la vie offerte à ses enfants. Et il n'y a pas un lien moins évident entre la nourriture et la croissance du corps. On pourrait aller jusqu'à dire que le corps des parents est finalement nourriture pour l'enfant ; que le sacrifice parental est en soi, une eucharistie.

 

A l'inverse, l'idolâtrie actuelle, la culture de l'ego, du selfie revient à « dévorer le bien des veuves ». L’idolâtrie de soi entraîne à n'envisager que pour soi le sacrifice. Et de là, l'accumulation des richesses et la culture de la consommation personnelle. C'est vrai au plan matériel, bien sûr ; mais c'est surtout vrai au plan spirituel : mon bien-être, mon bonheur passent avant celui des autres. La culture du repli sur soi prive les réfugiés de pain, de toit et d'humanité ; notre égoïsme, notre incessante préoccupation de nous-mêmes privent ceux qui nous entourent d'amour, de tendresse et d'affection. Et dénué de tout – de pain, de toit, d'amour et d'humanité – pauvre, ultimement pauvre, on meurt affamé ; comme dévorés par l'idolâtrie de l'ego.

 

La veuve de Sarepta croit qu'elle va mourir mais elle croit aussi Élie quand il lui dit qu'elle va vivre si elle sacrifie le pain qu'il lui reste. Le Christ sait qu'Il va mourir mais Il sait aussi qu'Il va vivre s'Il se sacrifie sur la Croix . La pauvre veuve de l'Évangile offre à Dieu tout ce qu'elle possède et Jésus en fait un exemple vivant pour l'éternité.

 

Il y a dans le pain, lorsqu'il est consacré – quand il est Eucharistie – la présence réelle de Dieu comme il y a la présence réelle de toute la vie de la veuve de Sarepta dans la galette qu'elle offre à Élie, comme il y a réellement toute la vie de la pauvre veuve dans les deux piécettes qu'elle offre au Trésor du Temple, comme il y a toute la vie réelle d'une mère, d'un père quand ils offrent leurs biens, leur énergie, leur corps, quand littéralement ils se donnent en nourriture à leurs enfants.

 

Il y a dans le pain, lorsqu'il est consacré – quand il est Eucharistie – la présence réelle du Christ quand il se donne en sacrifice sur la Croix.

 

Lorsque vous avalerez l'hostie tout à l'heure, pensez bien qu'entre en vous, réellement, tout l'amour de Dieu qui se donne.

 

32ème dimanche du temps ordinaire

Auteur: Philippe Cochinaux
Date de rédaction: 8/11/15
Temps liturgique: Temps ordinaire
Année liturgique : B
Année: 2014-2015

L’évangile de ce jour pourrait se résumer par cet adage : « le bien ne fait pas de bruit et le bruit ne fait pas de bien ».  Voilà, tout a été dit et vous auriez avoir pu entendre l’homélie la plus courte de votre vie.  Mais comme je suis un frère dominicain, je ne peux me contenter d’une prédication aussi brève.  Vous devrez donc une fois encore vous farcir mes propos.  J’en suis bien désolé.  En fait, pour être tout à fait honnête, pas tant que cela.

Reprenons l’adage : « le bien ne fait pas de bruit et le bruit ne fait pas de bien ».  Le bruit qui ne fait pas de bien est celui représenté dans l’attitude des scribes de l’évangile.  Jésus dénonce ici ce besoin de se mettre en avant, cette quête incessante de la première place. Pire cette ostentation ne se complait pas en elle-même. Elle est devenue un moyen pour pouvoir écraser les personnes les plus fragilisées par la vie et qui avaient déjà tout perdu.  Lorsque le « m’as-tu-visme » est porté à son paroxysme, il peut aller jusqu’à nier les droits les plus fondamentaux des autres.  Le « m’as-tu-visme » conduit à utiliser les autres pour grandir soi-même.  L’autre n’existe plus comme une personne mais juste comme un objet que je peux utiliser pour grandir plus encore à mes propres yeux.  En ce sens, il y a lieu de toujours dénoncer toute forme de « m’as-tu-visme » car elle est par essence contraire à ce que Dieu attend de chacune et chacun de nous.  Selon les lectures de ce jour, par les exemples de la veuve de Sarepta et de la pauvre veuve de l’évangile, notre Dieu préfère la première partie de l’adage : « le bien ne fait pas de bruit ».  C’est ce bien qui est vécu de manière discrète et vraie.  Le bien qui ne fait pas de bruit est ce bien empreint d’une qualité précise : celle du dépouillement.  Dieu ne se contente pas du superflu. La qualité de notre don ne peut en aucune manière appartenir à notre trop-plein, à notre excédent.  Notre don s’inscrit dans notre tout.  Un tout capable de se dépouiller de tout ce que nous estimons nécessaire pour pouvoir l’offrir.  Comment le savoir si notre don est un dépouillement ?  Peut-être en acceptant cette idée que tout don coûte.  Il ne s’agit pas d’abord d’un montant.  En effet, dépenser dix euros pour quelqu’un que nous aimons nous semblera moins coûteux que de devoir mettre deux euros dans une cagnotte pour offrir un cadeau à quelqu’un avec lequel nous nous sentons nettement moins en sympathie.  Le dépouillement n’est pas d’ordre quantitatif mais qualitatif.  En effet, le véritable dépouillement nous coûte car nous avons accepté de donner de notre temps, de partager ce qui nous est le plus cher, d’offrir ce à quoi nous tenons, d’octroyer ce que nous sommes.  A l’instar de ces deux veuves, nous sommes à notre tour invités à entrer en toute confiance dans ce chemin de dépouillement.  Se dépouiller, ce n’est pas tant chercher à s’appauvrir.  Se dépouiller, c’est plutôt chercher à inscrire une dimension de qualité dans tout ce que nous offrons.  Ce qui importe alors, c’est l’intention que nous avons mis dans notre geste ou pour le dire encore autrement, c’est la manière dont il dit quelque chose de notre cœur.  Dieu regarde le cœur de l’être humain.  Et c’est justement parce que notre dépouillement s’enracine dans notre cœur qu’il prend tout son sens.  Dans toutes nos relations, qu’elles soient avec les autres ou avec le Tout-Autre, nous sommes invités à nous dépouiller afin d’arriver à donner le tout de nous-mêmes.  Toute rencontre vécue en vérité passe par un tel dépouillement lorsque nous sommes capables de mettre nos masques au placard, lorsque nous osons la confiance d’une rencontre en vérité, lorsque nous partageons nos fragilités constitutives de notre humanité.  Par définition, nous sommes des êtres relationnels, nés d’une relation et nourris par toutes celles que nous créons tout au long de nos vies.  Ces relations prennent tout leur sens lorsque nous sommes à même de nous dépouiller de tout ce qui nous encombre, de tout notre superflu pour pouvoir offrir le tout de notre être.  Deux être dépouillés vivent alors une relation en vérité.  Et il en va de même avec Dieu.  Comme le dit Maître Eeckart, mystique dominicain, c’est lorsque nous avons dépouillé Dieu de tout ce dont nous l’avons affublé et lorsque nous nous sommes dépouillés de toutes nos protections, que nous sommes à même de vivre une relation privilégiée en toute intimité avec le Père dans le Fils et par l’Esprit.  Donnons Lui alors qui nous sommes tout en discrétion car le bien ne fait pas de bruit.

Amen

 

32ème dimanche du temps ordinaire

Auteur: Raphaël Devillers
Date de rédaction: 8/11/15
Temps liturgique: Temps ordinaire
Année liturgique : B
Année: 2014-2015

Ne pas se fier aux apparences

Les évangélistes notent à plusieurs reprises les controverses que Jésus a eues avec les pharisiens, l’opposition à laquelle il s’est heurté de la part des scribes, l’hostilité manifestée par des grands prêtres de Jérusalem et qui les poussera finalement à demander l’exécution de ce blasphémateur. Ils rapportent également certains propos très durs de Jésus à l’endroit de ses adversaires : « Malheur à vous, pharisiens… » (Matt 23, 13 ; Marc 7, 1 ; …). Et ensuite, les « Actes des Apôtres » et les lettres de Paul montrent que les premières générations chrétiennes ont été combattues par ces mêmes autorités juives.

Mais dans la suite la situation s’est complètement retournée et c’est l’Eglise qui, s’appuyant sur ce passé, a développé un antijudaïsme de plus en plus farouche, tournant parfois à la haine et provoquant des massacres. On disait que c’est « le peuple d’Israël » ( ??) qui a refusé le Christ et on taxait la religion juive de « pharisaïsme »( ??) compris désormais comme hypocrisie et fourberie pieuse.

Une lecture historique perçoit que la dévotion hypocrite, le légalisme endurci et le culte mensonger ne sont pas des fautes spécifiquement juives mais des dérives qui guettent toutes les religions. Si les évangiles dénoncent tous ces défauts et ces perversités qui ont aveuglé les responsables d’Israël, ce n’est pas parce qu’ils étaient juifs mais parce que ces mêmes défaillances guettaient à présent les Eglises chrétiennes. Le pharisaïsme n’est pas juif mais religieux en général ; la foi chrétienne, elle aussi, peut se durcir en un catalogue de lois, des prélats peuvent devenir haineux, des tribunaux chrétiens peuvent porter des condamnations mensongères.

Tout évangile n’est pas un souvenir d’hier mais un avertissement pour aujourd’hui.

  1. LE GOÛT DES HONNEURS

Dans son enseignement, Jésus disait : « Méfiez-vous des scribes, qui tiennent à se promener en vêtements d’apparat et qui aiment les salutations sur les places publiques, les premiers rangs dans les synagogues, et les places d’honneur dans les dîners. Ils dévorent les biens des veuves et, pour l’apparence, ils font de longues prières : ils seront d’autant plus sévèrement jugés. »

L’entièreté et l’intégrité de la religion d’Israël reposant sur la Torah, il était indispensable que des intellectuels, des érudits subtils, se consacrent à l’étude et à l’interprétation des Ecritures sacrées. Ces maîtres étaient vénérés par le peuple qui admirait leur érudition et les consultait en cas de litige. La plupart d’entre eux étaient des hommes humbles, pauvres, pleins d’amour de Dieu et de leur peuple mais, comme partout, certains se haussaient le col, se grisaient de leur science.

Et Jésus a de longtemps remarqué que cette vanité guette ses apôtres : ils se disputaient pour savoir qui était le plus grand parmi eux (9, 34) ; ils ne voulaient pas accueillir les petits enfants (10, 13) ; ils rivalisaient pour occuper les places d’honneur autour d’un Messie glorieux (10, 37). Jésus les met en garde.

« Pas de vêtements d’apparat » : Pierre, Jean, Paul seront toujours vêtus comme tout le monde, nul insigne ne signalera leur importance, ils ne connaîtront pas d’habits liturgiques.

« Pas de recherche d’acclamations » : pas de fans, pas de piédestal, pas de fascination de l’audimat.

« Pas de places d’honneur » : que le plus grand se glisse à la dernière place, désire servir, soit esclave des autres (10, 43)

« Pas de cupidité » : pas de ruse pour capter des héritages, pas d’intrigue pour devenir riche.

« Pas de dévotion hypocrite » : « pas faire de longues prières ostentatoires pour se faire applaudir car vous aurez là votre récompense près des gens… » (Matt 6, 5)…mais vous serez d’autant plus jugés par Dieu.

  1. QU’EST-CE QUE LA GÉNÉROSITÉ ?...

Jésus s’était assis dans le Temple en face de la salle du trésor, et regardait comment la foule y mettait de l’argent. Beaucoup de riches y mettaient de grosses sommes.

Une pauvre veuve s’avança et mit deux petites pièces de monnaie.

Jésus appela ses disciples et leur déclara : « Amen, je vous le dis : cette pauvre veuve a mis dans le Trésor plus que tous les autres. Car tous, ils ont pris sur leur superflu, mais elle, elle a pris sur son indigence : elle a mis tout ce qu’elle possédait, tout ce qu’elle avait pour vivre. »

Sur l’esplanade, le long d’un bâtiment du Temple, il y avait 13 réceptacles en forme de cornes de bélier (selon les 13 attributs de Dieu – Ex 34,6) et destinés à recevoir les dons des pèlerins qui affluaient surtout à l’approche de la Pâque. Alors que certains riches montraient avec ostentation combien de grosses pièces ils glissaient dans les troncs sous les regards admiratifs de l’entourage, voici qu’une femme à l’apparence bien misérable s’approche et met quelques centimes.

A ses disciples portés à admirer les riches donateurs, Jésus va faire une leçon : la générosité ne se mesure pas à l’importance du don mais au rapport avec ce que l’on possède. Quelqu’un qui gagne beaucoup d’argent n’a guère de mérite de faire ce qu’il croit « une largesse somptueuse »: le don ne lui coûte pas grand-chose et n’a aucun effet sur son train de vie. Il ne donne que de son superflu tandis qu’un pauvre sans ressources qui donne le peu qu’il a fait preuve d’une immense générosité.  

Ce n’est pas la première femme qui joue un rôle important dans la vie de Jésus. La femme qui souffrait d’hémorragie croyait qu’il suffisait de s’approcher de Jésus et de le toucher pour être guérie (5, 25) ; la Phénicienne de Tyr lui a ouvert la route des païens (7, 28) ; bientôt une pécheresse, affrontant le mépris général, achètera un parfum de grand prix pour le oindre (14, 3) ; Marie Madeleine et ses compagnes auront le courage de le suivre jusqu’à la croix et d’assister à son ensevelissement (15, 40-47) ; elles seront donc les premières annonciatrices de la Résurrection. Toutes ces femmes en remontrent même aux Apôtres !

La pauvre veuve qui donne tout ce qu’elle a encourage Jésus à aller encore beaucoup plus loin et à donner ce qu’il est. Non de l’argent mais sa vie. Trois jours plus tard en effet, le don total de lui-même sur la croix permettra de commencer la fondation du Nouveau Temple : son Corps qui est l’Eglise.

 

Toussaint

Auteur: Dominique Collin
Date de rédaction: 1/11/15
Temps liturgique: Temps ordinaire
Année liturgique : B
Année: 2014-2015

Toussaint

Auteur: Philippe Henne
Date de rédaction: 1/11/15
Temps liturgique: Temps ordinaire
Année liturgique : B
Année: 2014-2015

Quand on parle des saints, nous ressentons tous comme un léger malaise et même parfois un mouvement d’impatience et de dégoût.  Nous craignons tous qu’on nous propose une image douce et mièvre de l’humanité, la tête penchée, les yeux mi-clos, la bouche en cœur.  C’était comme si l’idéal de la vie chrétienne serait un salon bourgeois, doux et feutré, où les personnes de bonne éducation murmurent et chuchotent.  Ce serait comme si les bons chrétiens sortaient tous d’un pensionnat de jeunes filles tenu par des religieuses aussi vertueuses que revêches.  Eh bien, non ! Les saints que je connais, et j’en connais beaucoup, ne sont pas tous des personnes douces et mièvres.  Ce sont des hommes et des femmes forts et courageux dans la simplicité de leur vie.  Je connais des saints, ai-je dit.  Mais bien sûr, depuis quarante ans, j’étudie les Pères de l’Eglise et ce n’étaient pas des personnes qui vivaient dans la facilité.  La plupart d’entre eux ont connu les persécutions.  Ils ont encore dans les oreilles les cris des suppliciés.  Ils ont encore dans les narines la puanteur des chairs brûlées.  Ils ont encore dans le ventre la peur qui les ronge et les taraude.  Ils ont non seulement les persécutions, mais aussi les divisions et les trahisons à l’intérieur même de leurs communautés.  Je connais un évêque qui a été dénoncé par un chrétien et qui a été ainsi livré aux bêtes dans le grand cirque de Rome.  J’en connais un autre qui a été chassé de son église par la jalousie et la méchanceté d’hommes soi-disant intelligents et tolérants.  Et pourtant malgré toutes ces épreuves, ils n’ont pas sombré dans la rancune ou la mélancolie.  Ils ont pu traverser toutes ces épreuves parce qu’ils se sont laissé emporter par ce qu’ils avaient reçu : l’immense amour de Dieu pour chacun d’entre nous et son infinie sollicitude de chaque instant.  Et ils ont ainsi pu continuer à offrir ce qu’ils avaient reçu.  Et c’est cela sans doute que nous aussi nous pouvons, nous devons offrir à tous nos frères.

Car si nous ne connaissons la persécution religieuse brutale et sanguinaire, nous sommes rongés par un mal universel  bien plus grave encore.  C’est le désespoir.  Le vingt-et-unième siècle commence par une immense vague de désespoir.  Désespoir de ce jeune Tunisien qui, pour survivre, avait ramassé quelques objets pour les vendre dans la rue à la sauvette.  La police a saisi tous ces petits objets.  Le jeune homme s’est immolé par le feu et ce fut le début du printemps arabe.  Des peuples entiers se sont révoltés par désespoir.  Désespoir de ces hommes et de ces femmes qui, par milliers, traversent le désert du Sahara pour s’échouer sur les bords de la mer Méditerranée.  Ils n’ont plus rien à perdre et, s’ils meurent en cours de route, ils le disent, ils auront au moins essayé quelque chose.  Désespoir de ces Arabes, chrétiens et musulmans, qui fuient la guerre et la persécution religieuse et qui tombent dans un monde sécularisé où on ne peut plus parler de Dieu.

C’est dans ce monde-ci que nous sommes appelés à être des saints.  Il y a ici à Louvain-la-Neuve tant de personnes qui sont seules.  A l’âge de la retraite, certaines d’entre elles sont venues s’installer ici parce que c’était plus facile et plus convivial.  Et personne ne leur parle.  Personne ne les accueille.  Il y a ici à Louvain-la-Neuve tant d’étudiants étrangers, loin de leur pays, de leur culture.  Ils n’ont pas d’argent.  Ils n’ont pas d’amis.  Et aujourd’hui, dimanche, personne ne va leur dire bonjour ou leur demander comment ça va, parce qu’il n’y a pas de cours, parce que les magasins sont fermés.  Ce dimanche sera pour eux une journée vide, sans rencontre.  Et c’est dans ce monde-ci que nous sommes appelés à partager ce que nous avons reçu : la grâce de connaître Jésus.  Et c’est à nous à l’offrir aujourd’hui.  Certes, nous connaîtrons sans doute l’échec et la déception d’être rejeté alors que nous voulons offrir le sourire de l’amitié, le silence de l’écoute, la parole de réconfort.  Mais n’est-ce pas cela que Dieu a connu de toute éternité ? Le rejet devant ses offres d’amitié, la trahison lors de son Incarnation.  Nous n’avons pas le droit de laisser moisir notre foi.  Nous n’avons pas le droit de laisser nos torrents d’amour et de tendresse se solidifier en un marécage de rancune et de tristesse.  La pauvreté, la misère, le désespoir, ce ne sont pas des sujets de conversation, ce sont des devoirs de décision.  Bouleversés par l’amour infini de Dieu pour chacun d’entre nous, offrons nous les uns les autres la grâce, la beauté, la dignité de redevenir des enfants de Dieu pour l’éternité.

Philippe Henne

 

 

Toussaint

Auteur: Raphaël Devillers
Date de rédaction: 25/10/15
Temps liturgique: Temps ordinaire
Année liturgique : B
Année: 2014-2015

DU BONHEUR TERRESTRE AU BONHEUR DU CIEL

 

Chaque fois que survient une catastrophe ou une calamité naturelle, il y a toujours un journaliste ou un témoin rescapé pour s’exclamer : « Une vision d’apocalypse ! ». Ce mot est devenu synonyme d’horreur, de destruction épouvantable. Curieuse dérive car les dictionnaires grecs nous apprennent que « apocalypse » signifie « révélation », dévoilement d’une réalité cachée. Lorsque Jean, jadis, à Patmos, intitule son livre « Apocalypse de Jésus Christ », il transmet l’heureuse révélation qu’il a reçue : si l’histoire des hommes ressemble souvent à un enfer de crimes,  de cruautés et de désastres, à travers ces dévastations qui font des millions de victimes, Dieu réalise le salut des hommes.

L’Apocalypse est donc une Bonne Nouvelle : en dépit des apparences, il n’y a pas une fatalité de la victoire du mal, une dictature de la mort, une déchéance inéluctable vers l’abîme. Jean contemple la réussite du projet de Dieu et nous y sommes convoqués. – 1ère lecture de ce jour.

 

J’ai vu une foule immense, que nul ne pouvait dénombrer, de toutes nations. Ils se tenaient debout devant le Trône de Dieu et devant l’Agneau, vêtus de robes blanches, avec des palmes à la main. Et ils s’écriaient d’une voix forte : « Le salut appartient à notre Dieu qui siège sur le Trône et à l’Agneau ! » Tous les anges  se prosternèrent devant Dieu et ils disaient : « Amen ! Louange, gloire, sagesse et action de grâce, honneur, puissance et force à notre Dieu, pour les siècles des siècles ! Amen ! » L’un des Anciens me dit : « Ces gens vêtus de robes blanches viennent de la grande épreuve ; ils ont lavé leurs robes, ils les ont purifiées par le sang de l’Agneau. C’est pourquoi ils sont devant le trône de Dieu, et le servent, jour et nuit, dans son sanctuaire. Celui qui siège sur le Trône établira sa demeure chez eux. L’Agneau qui se tient au milieu du Trône sera leur pasteur pour les conduire aux sources des eaux de la vie. Et Dieu essuiera toute larme de leurs yeux. »

La vie de ces hommes a toujours été un dur combat contre les tentations mais ils sont devenus tous saints non par leur héroïsme, leurs talents, leurs extases mais parce qu’ils ont cru que le sang de Jésus leur donnait le pardon de toutes leurs fautes et les comblait de Vie.

Maintenant déjà, en suivant l’Agneau qui leur montre le chemin dans l’Evangile, leur existence est comme un pèlerinage qui les conduit à leur Père tandis que la multitude des Anges loue Dieu capable de cette merveille. Ils ne pleureront plus, ils étancheront leur désir d’amour aux sources du salut.

Prodigieuse vision apte à nous remplir d’espérance et de force pour continuer le combat. Marie, la Mère de Jésus, Joseph, Pierre et les Apôtres, les plus grandes figures de l’histoire – St Benoît, St François, St Dominique, St Vincent de Paul, P. Damien, M. Kolbe…- mais également les milliards d’hommes et de femmes, de tous âges, de toutes conditions, de toutes nations : enfin l’Humanité est reconstituée dans sa beauté. Enfin apparaît sa véritable grandeur, non celle que donnent la richesse, la gloire, la renommée, mais celle de l’amour portant les stigmates du service, des coups et de la persécution.

 

S’ils ont atteint le terme bienheureux de leur existence, c’est parce que, ici bas, ils avaient décidé de chercher le bonheur par le chemin révélé par Jésus, le Bon Pasteur qui veut nous éviter les impasses, les bonheurs mensongers pour nous accomplir en plénitude. – évangile du jour.

 

HEUREUX CEUX QUI S’ENGAGENT SUR LA VOIE DES BEATITUDES

 

Portique d’entrée de la mission de Jésus, ce message ne promulgue pas une loi : il invite quiconque à entrer, à prendre ce chemin étroit sans s’égarer sur la route large de la perdition.

Les huit Béatitudes vont par paires : nous ne cesserons jamais de les méditer.

 

Heureux les pauvres de cœur, car le royaume des Cieux est à eux.

Heureux les doux, car ils recevront la terre en héritage.

Le trésor du Royaume ne peut être donné qu’aux pauvres. La pauvreté est d’abord intérieure, « en esprit », celle du cœur débarrassé de son orgueil et de sa vanité ; mais elle entraîne évidemment la sobriété, la simplicité du mode de vie. En effet « les doux héritant la terre » sont, d’après le psaume 37, les croyants qui jugulent leur avidité, n’accumulent pas les possessions, n’usent pas de violence pour accroître leurs biens, ont pitié des malheureux. Le pauvre attend le Seigneur avec confiance, il limite son avidité, il partage, il est désencombré de lui-même.

 

Heureux ceux qui pleurent, car ils seront consolés.

Heureux ceux qui ont faim et soif de la justice, car ils seront rassasiés.

Il ne s’agit pas des gens qui sont en deuil et que l’on console par une vague promesse mais « des endeuillés de Sion » (Isaïe 61, 7), c.à.d. des gens qui souffrent terriblement de voir les impies saccager la Ville que Dieu voudrait bâtir avec les hommes qui désirent la justice de tout leur cœur. Que de raisons de sangloter en constatant la perversité de certains, en énumérant les victimes de leurs carnages, en voyant des femmes vendues comme esclaves et des enfants violés ! Ces spectacles à répétition nous jetteraient par terre, nous entraîneraient dans le désespoir : Jésus nous appelle à tenir bon dans l’espérance. Tandis que s’écrouleront les unes après les autres les folles constructions des impies, ceux qui ont faim de la justice et de la paix seront rassasiés.

Heureux les miséricordieux, car ils obtiendront miséricorde.

Heureux les cœurs purs, car ils verront Dieu.

Dans la Bible, le cœur ne désigne pas l’affection mais le lieu central de la personne, là où elle prend ses décisions, où elle opte pour des valeurs. Le cœur peut se fermer, devenir insensible à autrui : il étouffera dans son blockhaus. Mais il est heureux s’il se garde tendre et fragile, s’il compatit aux détresses des autres, s’il se donne afin d’alléger leurs peines, les guérir de leurs maladies. Ce cœur recevra au centuple ce qu’il a pu donner, Dieu le comblera de sa miséricorde infinie.

Le cœur peut aussi être indécis, voltiger dans tous les sens, s’ouvrir à toutes les mixtures et impuretés : refusant d’opter, il reste aveugle. Mais le cœur qui rassemble ses énergies pour chercher vraiment, celui qui sera unifié, purifié par sa recherche de vérité,  découvrira Dieu.

Heureux les artisans de paix, car ils seront appelés fils de Dieu.

Heureux ceux qui sont persécutés pour la justice, car le royaume des Cieux est à eux.

Heureux êtes-vous si l’on vous insulte, si l’on vous persécute

et si l’on dit faussement toute sorte de mal contre vous, à cause de moi.

 Réjouissez-vous, soyez dans l’allégresse, car votre récompense est grande dans les cieux !

C’est ainsi qu’on a persécuté les prophètes qui vous ont précédés.

Certains rêvent de paix, y aspirent, se fient à d’autres pour la faire ou, lassés, abandonnent toute recherche. Le croyant « heureux de Dieu » n’attend pas la paix : il la construit peu à peu, à longueur de vie comme un petit artisan. Il ne rate aucune occasion, il invente des procédés, il multiplie les démarches et lorsque son œuvre est détruite par les impies, sans se lasser il recommence. L’essentiel n’est pas que la paix surgisse définitive mais que le travail, l’artisanat opéré par la charité, se poursuive.

Pire que ses maladresses et ses échecs, l’artisan de paix fera l’expérience douloureuse, sanglante, de l’opposition, de la contradiction, des injures, des coups et même de la mort. Car la paix qu’il veut n’est pas celle d’un clan, d’une nation, d’une armée mais celle qui cherche à rassembler la diversité des hommes en une seule humanité, celle qui croit au respect de l’autre et non à la violence, celle qui se bâtit par le dialogue et le pardon. Toujours, hélas, certains enragés se lèveront contre cet idéal.

Devant le danger, la peur risquera de nous arrêter : aussi Jésus insiste fortement. Si on t’injurie, si on te frappe, si on te condamne au nom de ta foi et par attachement à Moi, ne crains pas. Car c’est alors que tu vivras l’ensemble des 8 Béatitudes :

Tu seras vraiment pauvre, dépouillé de tes biens et surtout de toi-même ; tu seras atteint par la souffrance des hommes, tu gémiras, tu pleureras avec eux sur tant de vies perdues ; ainsi ton cœur sera purifié de ses scories, unifié par un seul amour ; alors comblé par la miséricorde du Père tu pourras pardonner de tout ton cœur ; sans idéologie ni illusions mais avec patience et ténacité, tu apporteras ta petite pierre pour bâtir la paix. Et « ta récompense » sera d’être parfois incompris, critiqué, moqué et parfois frappé, condamné, persécuté pour ta foi.

Et tout cela, nous le recevrons, nous le vivrons comme une Bonne Nouvelle, un « Bonheur ». Alleluia !!

En suivant l’Agneau en compagnie de la multitude infinie de nos frères en foi, ensemble, rescapés de la grande épreuve, nous exulterons dans la Louange éternelle.

30eme dimanche du temps ordinaire

Auteur: Raphaël Devillers
Date de rédaction: 18/10/15
Temps liturgique: Temps ordinaire
Année liturgique : B
Année: 2014-2015

Seigneur, fais que je voie

La première partie de l’évangile de Marc, qui présente l’apparition de Jésus et ses missions à travers la Galilée, culmine sur la profession de foi de Pierre. A Jésus qui demande : « Et vous, qui dites-vous que je suis ? », Pierre enfin voit et répond : « Tu es le Messie ». Ce n’est donc pas un hasard si, juste avant, Marc raconte que Jésus guérit un aveugle à Bethsaïde (8, 22). Ce miracle n’est plus une anecdote passée qui suscite admiration ou scepticisme, mais le signe de la véritable ouverture des yeux : Pierre a été guéri et il a pu enfin « voir » que Jésus était plus qu’un prophète comme Jean-Baptiste, qu’il était le point final de l’histoire, celui qui seul peut conduire l’humanité à Dieu.

La seconde partie de l’évangile révèle de quelle manière Jésus exerce cette fonction messianique. Ses disciples rêvent d’un Messie qui impose sa puissance, qui rétablit un royaume d’Israël débarrassé de ses ennemis et de ses malfaiteurs et dont ils seront les grands ministres. Or sur la route de Jérusalem, Jésus donne des enseignements radicalement contraires: un disciple doit suivre un messie qui sera refusé, jugé, condamné et mis à mort, il doit porter sa croix, perdre sa vie pour Jésus, se faire serviteur des autres, prendre la dernière place, prôner le mariage définitif, devenir comme un enfant, éviter le piège de la richesse (évangiles des dimanches précédents). Chaque fois, les disciples sont déconcertés, abasourdis : « ils ne voient pas » pourquoi il faut aller jusque là ni comment le règne messianique peut être instauré de cette façon.

Donc ce n’est pas un hasard si, à l’ultime étape de cette montée à Jérusalem, Marc raconte à nouveau la guérison d’un aveugle. Qu’il est difficile de « voir » exactement ce qu’est la foi !

LE FILS DE TIMEE VOIT LE FILS DE L’HOMME

Jésus et ses disciples arrivent à Jéricho. Et tandis que Jésus sortait de Jéricho avec ses disciples et une foule nombreuse, le fils de Timée, Bartimée, un aveugle qui mendiait, était assis au bord du chemin. Quand il entendit que c’était Jésus de Nazareth, il se mit à crier : « Fils de David, Jésus, prends pitié de moi ! » Beaucoup de gens le rabrouaient pour le faire taire, mais il criait de plus belle : « Fils de David, prends pitié de moi ! » Jésus s’arrête et dit : « Appelez-le. » On appelle donc l’aveugle, et on lui dit : « Confiance, lève-toi ; il t’appelle. » L’aveugle jeta son manteau, bondit et courut vers Jésus. Prenant la parole, Jésus lui dit : « Que veux-tu que je fasse pour toi ? » L’aveugle lui dit : « Rabbouni, que je retrouve la vue ! » Et Jésus lui dit : « Va, ta foi t’a sauvé. »

Aussitôt l’homme retrouva la vue, et il suivait Jésus sur le chemin.

Dans la vallée du Jourdain, la magnifique oasis de Jéricho, célèbre pour ses baumiers et ses lauriers-roses (Sir 24, 14), est le lieu où les voyageurs bifurquent vers l’ouest et entament la dure montée qui les conduira à la capitale. Pâque est maintenant toute proche et c’est en foule, dans l’allégresse et les chants, que les gens suivent ce Jésus annoncé comme le messie. Ah que l’espérance est violente !

Sans illusion sur cette fougue qui l’entoure, Jésus « sort » (un verbe rendu célèbre par notre pape !) de la ville et va faire une rencontre. Remarquons tous les détails du texte.

L’homme n’est pas nommé de son nom propre mais par sa relation de filiation : Bar-…

Il est enfermé dans sa cécité, obligé de mendier, en-dehors de la ville.

Assis, arrêté, alors que tout le monde marche. Il est marginal : dans le fossé, à côté du chemin.

Il est aveugle : il doit demander ce qui se passe, il a besoin qu’on lui explique. Un  vrai pauvre !!

Mis au courant, il ne peut qu’appeler au secours : sa seule force est son cri.

Ses cris s’adressent à un autre fils, « le fils de David », désignation du Messie qui est attendu comme descendant du grand Roi. Pour lui, ce fils de David, avant de monter à sa capitale, se doit de le soigner, lui, le pauvre aveugle, fils de Timée. Avant les palais, les troupes, les fastes de la Cour, il y a son malheur, son enfermement.

La foule n’a que faire de cet importun et tente de le faire taire : ses appels semblent malséants aux gens sérieux, à ceux et celles qui croient marcher vers le renouveau messianique du monde. Les disciples n’ont pas de temps à perdre avec ce mendiant sans importance.

Mais, au milieu du brouhaha, Jésus, lui, a perçu l’appel et, à son tour, il appelle. La miséricorde a entendu le cri de la misère. Un cortège triomphal ne vaut rien devant la souffrance d’un homme.

Quelques-uns servent d’intermédiaires : ils invitent l’aveugle à la confiance, le pressent de se lever, lui transmettent l’invitation de Jésus.

Bouleversé, Bartimée se débarrasse de sa seule protection, son manteau, et il se presse comme il peut.

Il n’est plus qu’un cri, une supplication, un sanglot : « Fais que je voie » !

Parce que la foi n’est pas récitation de formules mais confiance, démarche vitale de l’homme enfermé dans sa nuit, remise de soi dans  l’amour actif du Messie, Bartimée « est sauvé » et il recouvre la vue.

Et – sommet du texte -, au lieu de courir en ville, de fêter sa guérison, « il suit Jésus sur le chemin »- ce fameux chemin que Jésus a pris à Césarée, au long duquel il a multiplié les annonces et les enseignements lourds à porter, comme une croix, et où, au terme, à Jérusalem, il va donner sa vie.

VOIS-TU CE QUE VEUT DIRE « VOIR » ?

L’homme moderne voit tant de gens et de choses. Les médias lui permettent de voir en temps réel tout ce qui se passe dans le monde ; il a vu le dernier film dont tout le monde parle, la pièce de théâtre qui fait un triomphe, et les Baléares, et l’Inde, et New-York, et Saint-Domingue…Où n’est-il pas allé ? Que n’a-t-il pas vu ?...Je vois donc je sais.

Mais voit-il comment il convient de vivre ? Le monde est-il une scène où l’on entre par hasard, où l’on se débrouille comme on peut et d’où l’on sort par nécessité ? Suffit-il d’être au courant, de voir comment gagner beaucoup d’argent ?

Bartimée m’apprend beaucoup de choses. D’abord que je suis aveugle sur les enjeux profonds de l’existence, sur le sens, sur le mystère de l’amour, sur ce qu’on appelle « Dieu ». Que mon avoir me laisse sans pouvoir. Que les divertissements ne me libèrent jamais de ma prison.

Ensuite que je dois m’écarter du troupeau de moutons de Panurge qui suivent les slogans de la publicité et écoutent les ténors de la pensée unique.

Que je serai alors doute traité de marginal, d’original. Que je connaîtrai des moments de découragement, que je résisterai au dur devoir d’être homme. Alors, sans issue, je deviendrai cri.

Non un S.O.S. vers un leader, un génie, un Prix Nobel, un prédicateur, un prophète, un gourou. Mais vers Jésus le Messie. C’est-à-dire  le seul qui me rend confiance, me remet debout, m’entraîne derrière lui sur la route qui monte, plus loin que Jérusalem et Rome, vers le Royaume du Père.

Le « fils de David » me rend, comme lui, « fils de Dieu ». Non pour goûter des moments exaltants ni pour fuir la cité. Mais pour VOIR que celui qui perd sa vie pour Jésus la trouve, que l’amour qui se donne à mort débouche dans la vraie Vie.

Mais si déjà je fais partie du groupe des disciples, je dois faire attention de ne pas être étourdi par les tintamarres des cantiques, des catéchèses, des sermons afin de percevoir, en marge, au-delà des discours pieux, le cri ténu mais insistant de la multitude des aveugles qui, enfermés dans leur nuit, appellent un Libérateur. Il ne faut pas que je reste coincé avec ceux qui ne veulent pas être dérangés dans leurs habitudes et qui font taire ceux dont le malheur risque de troubler leur piété tranquille.

29eme dimanche du temps ordinaire

Auteur: Didier Croonenberghs
Date de rédaction: 18/10/15
Temps liturgique: Temps ordinaire
Année liturgique : B
Année: 2014-2015

Je ne sais pas si vous avez remarqué, mais dans la langue française, les expressions liées au service sont souvent de l’ordre du devoir, du pouvoir ou de l’argent. Le service militaire, le service public, le service après vente, le service compris… Le service est vu comme un devoir accomplir, quelque chose qui se paie, qu’il faut rendre, un dû, ou une tâche imposée par la fonction, une prestation contre rémunération. Comme si le service était toujours calculé ! Il est d’ailleurs éclairant de voir que lorsqu’un service est gratuit, il faut le préciser… Comme si la notion de service impliquait toujours un rapport synallagmatique entre deux personnes…

Comme je vois que certains froncent les sourcils, permettez-moi de vous définir ce terme ! En droit, un contrat ou une relation est dite synallagmatique lorsqu’elle fait naître des obligations, à la charge des deux parties. C’est une relation bilatérale, donnant donnant, où on attend toujours quelque chose en retour !

Et telle est bien ce qui caractérise la demande de Jacques et de Jean. Ils voient Jésus en terme de puissance, comme un Messie utile qui donnerait du pouvoir en retour de ce qu’ils ont fait. Bref, ils ont l’image d’un Dieu protecteur, censé répondre à leurs attentes, à leurs demandes. Ils sont dans le pouvoir et l’avoir.

Jacques et Jean veulent se placer, comme on dit, ils veulent mettre Dieu au service de leur ambition. Jésus, quant lui, veut que s’opère en eux un déplacement. La réponse qu’il leur adresse de manière surprenante, il nous l’adresse également : « Que voulez-vous que je fasse pour vous ? ». « Que veux-tu ? » « Quel est ton désir profond ? » « Quel est le vrai désir au fond de toi, celui qui n’attend rien en retour, qui donne sans calculer ? »

Finalement, il n’y a de réel « pouvoir » que dans le service. Et se mettre au service, ce n’est pas être dans le calcul, dans l’attente de quoi que ce soit. C’est pourquoi, il y a un réel paradoxe dans le fait d’être serviteur. Si on y réfléchit bien, être serviteur, c’est être dans la gratuité et ne pas avoir besoin de la gratitude des autres pour exister. Le vrai service n’attend rien en retour, même pas un merci !! Il n’est en rien un lieu de reconnaissance, mais il rend libre. S’il y en a qui sont amoureux de leur liberté, et en devennient esclaves au point de ne plus choisir, il y a ceux qui découvrent leur vraie liberté, en choisissant le service, gratuitement ! Le service n’est pas une arme pour recueillir de l’affection. Mais un langage pour en donner.

Ne faisons donc pas dire à l’Evangile ce qu’il ne dit pas ! Nous ne sommmes pas invités à nous faire tout petits, à nous enchaîner. Jésus nous invite bien à la croissance : “Celui qui veut être grand” dit-il. Mais être grand au sens de l’Evangile, c’est quitter ce stade enfantin de la maîtrise, du “je veux”, de la BA qui attend quelque chose en retour, pour entrer dans la dynamique non violente du service et de la gratuité.

Pour l’Evangile, être grand, c’est n’est pas être au centre de son propre monde, mais c’est prendre le monde dans son coeur, le regarder, l’écouter, le servir. C’est pour cela que, pour être grand à la manière de Jésus, il nous faut “recevoir notre baptême”, être capable de traverser l’échec, de sublimer le manque. Etre plongé dans le baptême, c’est grandir pour affronter la vie telle qu’elle se présente, dépasser la frustration de l’attente, revêtir l’homme nouveau, qui se met au service…

Car finalement, être dans un rapport de pouvoir, c’est toujours “attendre” quelque chose. Attendre des résultats, du profit, de la reconnaissance. Mais se mettre dans la tenue de service, être plongé dans le baptême, c’est ne rien attendre en retour.

A ceux qui attendent des résultats comme autant de sécurités et lieux de reconnaissance, l’Evangile proposera toujours de suivre une autre approche plus risquée mais plus profonde : celle des serviteurs, qui osent la gratuité et n’attendent rien en retour. Amen.

29eme dimanche du temps ordinaire

Auteur: Philippe Henne
Date de rédaction: 18/10/15
Temps liturgique: Temps ordinaire
Année liturgique : B
Année: 2014-2015

Il y en a qui ne manquent pas d’air et les deux apôtres, Jacques et Jean, les fils de Zébédée, font partie de ce groupe.  Tous deux demandent à Jésus la plus belle place alors qu celui-ci venait d’annoncer pour la troisième fois que lui, le Sauveur, allait être crucifié et mis à mort.  Le moins qu’on puisse dire, c’est que ces deux là ne manque pas d’ambition.

            Attention ! L’ambition n’est pas toujours un défaut.  Le fœtus dans le ventre de sa mère ne demande qu’une chose à un certain moment : sortir et vivre autrement.  Le bébé quitte les barreaux étroits de son parc pour partir à la découverte du monde.  Avec l’adolescent, c’est autre chose.  Quand on lui demande ce qu’il veut faire dans la vie, il répond : bof ! Et on commence à s’inquiéter parce que tous, nous devons avoir un projet dans la vie, une ambition à vouloir réaliser.  Evidemment, l’ambition évolue avec l’âge.  Aux jeunes années, les grandes entreprises.  A l’âge mûr, des buts accessibles et proportionnés. Mais tous, nous avons besoin d’un rêve, d’un idéal, le matin pour nous lever, le midi pour continuer, le soir pour espérer.  Et quel est l’idéal que nous propose l’Evangile ? Servir.

            Voilà qui refroidit l’enthousiasme ! Servir, cela ne veut-il pas dire aussi se laisser berner, abuser ? Parce que le mot ambition rime avec domination.  Et tout le monde se souvient d’un petit caporal allemand avec une petite moustache qui hurlait tout le temps et qui rêvait de grandes choses pour l’Allemagne et qui a conduit le monde à la mort et à la destruction.  Alors qu’est-ce que cela veut dire : servir dans ce cas-ci ? L’Evangile nous le dit lui-même.  Ce passage d’aujourd’hui se trouve juste après l’annonce de la Passion.  Et c’est là sans doute le premier service que nous puissions nous rendre les uns les autres : écouter, entendre mon frère ou ma sœur qui soupire de douleurs ou qui chante de joie.  Nous sommes souvent tellement enfermés dans notre ambition, dans notre façon de voir la vie et le monde que nous n’entendons plus notre voisin, notre conjoint.  Nous sommes tellement enfermés dans nos propres préoccupations que nous sommes incapables de communiquer.  Et il y a tellement de détresses et de solitudes autour de nous. 

            Mais quel est le passage de l’Ecriture qui nous montre Jésus entouré de deux personnes, comme s’il était sur un trône entouré de deux ministres ? C’est lors de la crucifixion.   Jésus est entouré de deux bandits et l’attitude de chacun de ces deux bandits symbolise notre attitude face à la vie, face à l’échec.  Le premier hurle ses reproches à Jésus, parce que c’est toujours la faute des autres, la faute de Dieu s’il y a le mal sur la terre.  Le second demande simplement à Jésus de pouvoir rester avec lui.  Et n’est-ce pas là la plus belle de toutes les ambitions : rester auprès de Bien-aimé quoi que cela puisse coûter, car cette présence, cette amitié, cette complicité avec le Bien-aimé est la plus belle de toutes les choses que l’on puisse espérer et ambitionner.