5ème dimanche de Carême

Auteur: Philippe Henne
Date de rédaction: 13/03/16
Temps liturgique: Temps du Carême
Année: 2015-2016

Il est mort. Je parle de l’homme adultère. Quand un couple est pris en flagrant délit d’adultère, l’homme est aussitôt mis à mort. Il n’y a pas de discussion et cela se fait tout de suite. Inutile de discuter : il y a flagrant délit. Il est inutile d’attendre : il n’y a pas de prison et on n’a pas le temps de garder ou de nourrir un prisonnier qui ne fait rien. Il faut travailler. Donc, dans la Bible, pas de problème : en cas d’adultère, l’homme est aussitôt mis à mort (Lévitique 20, 10). Pour la femme, c’est plus compliqué. Si le couple est surpris dans la campagne, la femme est épargnée. On ne lui fait rien. Il est possible qu’elle ait été agressée, violée. Il est possible qu’elle ait crié et que personne n’ait rien entendu (Deutéronome 20, 27). Elle jouit du bénéfice du doute. On ne lui fera rien.

            Voilà le contexte de cette scène. Les juifs présentent à Jésus une femme prise en flagrant délit d’adultère. Jésus aurait dû demander aussitôt : était-ce à la maison ou à la campagne ? Il ne dit rien. Il fait juste remarquer : « que celui d’entre vous qui est sans péché lui jette la première pierre ». Et saint Jean d’ajouter, plein de perfidie : « ils se retirèrent un à un, à commencer par les vieux ». Et c’est bien là la question que Jésus pose à chacun d’entre nous : sommes-nous tous avec une pierre en mains, toujours prêts à lapider, toujours prêts à salir l’honneur et la réputation de notre voisin ?

            Jésus ne minimise pas la faute commise. Il ne dit pas que rien ne s’est passé. Il n’est d’ailleurs pas dupe. La femme ainsi accusée ne dit rien. Elle n’essaie même pas de se disculper. Son silence est un aveu. Jésus lui dit : « ne pèche plus. » Il affirme et il reconnaît la faute commise.

            Mais quand il lui dit : « ne pèche plus », il lui dit de retourner chez son mari, car une femme, selon la loi de Moïse, ne peut pas travailler pour gagner sa vie. C’est le drame des veuves. Si elles ne sont pas prises en charge par leur famille, elles sont condamnées à mourir de faim. C’était le cas de la veuve de Sarepta (1 Rois 17, 8 – 16). Lorsqu’Elie la rencontre, elle était en train de préparer la poignée de farine qui lui restait, elle allait manger cette galette de pain et ensuite se laisser mourir de faim. Quand Jésus lui dit : « ne pèche plus », il invite la femme adultère à retourner chez son mari et à reprendre la vie conjugale.

            Et c’est là sans doute le défi qui est lancé à son mari : accueillera-t-il son épouse fautive ? Va-t-il, par la suite, lui faire sentir qu’elle a fauté ? Et c’est là toute la différence avec Jésus. Jésus lui dit : « ne pèche plus. » Il nous dit à chacun d’entre nous : « viens, on recommence tout à zéro. » Et c’est là le défi qui nous est lancé : lâcher les pierres que nous tenons en main, ôter les pierres de nos échecs et de nos erreurs qui écrasent notre cœur et qui nous empêchent de pardonner et d’être pardonné.

5ème dimanche de Carême

Auteur: Dominique Collin
Date de rédaction: 13/03/16
Temps liturgique: Temps du Carême
Année: 2015-2016


5ème dimanche de Carême

Auteur: Raphaël Devillers
Date de rédaction: 13/03/16
Temps liturgique: Temps du Carême
Année: 2015-2016

« LÀ OÙ LE PÉCHÉ A PROLIFÉRÉ, LA GRÂCE A SURABONDÉ »                                              

« Jésus et la femme adultère » : une des scènes les plus magnifiques et les plus célèbres des évangiles. Mais aussi des plus énigmatiques : elle manque dans les plus anciens manuscrits grecs ; Origène et Jean Chrysostome l’ignorent ; parfois elle est insérée à la fin de Jean ou même dans l’évangile de Luc.  En tout cas la tradition l’a fixée au centre de l’ensemble des chapitres 7 et 8 de Jean : c’est ce contexte qui en fait découvrir l’interprétation.  LA FETE DES TENTES (encore fêtée aujourd’hui)  En fin d’année, après les vendanges, tout Israël célèbre dans une joie débordante la Fête des Tentes : on implore Dieu de donner les pluies d’hiver indispensables et surtout on commémore la longue marche des ancêtres qui, campant dans le désert du Sinaï, marchaient vers la terre promise et Moïse avait fait jaillir de l’eau du rocher. Jésus est monté en pèlerinage et sa présence suscite des débats houleux : est-il oui ou non le Messie ? Comment enseigne-t-il alors qu’il n’a pas fait les études ? Le dernier jour de la Fête, pendant le rite solennel de libation, il proclame : « Que celui qui a soif vienne à moi ! » Excédés par ce Galiléen au comportement scandaleux, les autorités sont décidées à le mettre à mort. Le grand tribunal du sanhédrin a envoyé des soldats pour l’arrêter mais, saisis par les paroles de Jésus, ceux-ci n’ont pas osé mettre la main sur lui. Seul un notable, appelé Nicodème, a demandé que l’on procède d’abord à un procès en bonne et due forme  mais il s’est fait remballer par ses collègues. Dépités les juges rentrent chacun chez eux tandis que Jésus va passer la nuit au mont des Oliviers. 

LE LENDEMAIN : LA FETE DE LA JOIE DE LA TORAH

La Torah est vraiment la source d’eau vive, le message qui fait vivre ceux qui l’observent. « Ta Parole, Seigneur, est Vérité et ta Loi, délivrance ». En ce jour, les rabbins circulent dans la foule en exhibant les rouleaux sacrés des Ecritures : transportés d’allégresse, les fidèles dansent et ils baisent les livres qui offrent la révélation de Dieu et donnent la vie à son peuple.  Dès l’ouverture des portes, Jésus est revenu au temple et y reprend son enseignement.  Tout à coup brouhaha : un petit groupe de scribes et pharisiens surgit entraînant une femme terrorisée. « Cette femme a été prise en flagrant délit d’adultère : la Loi prescrit de la lapider. Toi, qu’en dis-tu ? ». Le pouvoir romain s’étant réservé le droit des exécutions capitales, ces hommes savent bien qu’ils n’ont pas le droit d’exercer cette sentence : la question est un piège pour pouvoir accuser Jésus. Et d’ailleurs pourquoi n’ont-ils pas aussi amené l’amant car la Loi prévoit de punir les deux coupables en même temps ? Sans un mot, Jésus se penche (pourquoi ajouter à la honte de cette femme transpercée par les regards méprisants de tous ces hommes ?) et du doigt il trace des traits dans la poussière. Ecrit-il quelque chose ou veut-il dire que son message à lui n’est pas gravé de manière incorrigible dans les tables de pierres, telles les lois données par Moïse qui peuvent devenir des projectiles pour tuer ceux qui les enfreignent ? L’Evangile est une parole de douceur qu’il faut laisser porter par l’Esprit. Autant en emporte le Vent.  Les juges exigent réponse : la voici : « Que celui d’entre vous qui n’a jamais péché lui jette la première pierre ». Et Jésus se penche et se remet à griffonner par terre.  La parole de Jésus ne blesse pas, ne tue pas : elle brille et place chacun devant sa vérité. Un à un les juges – à commencer par les plus âgés qui ont heureusement gardé un peu de mémoire – se retirent. Le cercle mortifère se désintègre. Là encore chacun rentre chez soi (cf supra).  Ils ne sont plus que deux : la femme et Jésus. « La misère et la miséricorde » dit magnifiquement saint Augustin. Et Jésus se redresse : « Femme, où sont-ils ? Personne ne t’a condamnée – Personne – Moi non plus  je ne te condamne pas : va et désormais ne pèche plus ». « Femme… » ? Curieux car c’est ainsi qu’un mari appelle sa femme ! Voilà qui fait basculer notre méditation. 

L’ALLIANCE EST CONJUGALE

Les scribes ne voyaient dans la Loi qu’un code de préceptes à observer impérativement. Mais le prophète Osée, à partir de son expérience personnelle, avait enseigné que la Loi n’est que le contrat écrit d’une Alliance qui est conjugale. Dieu aime Israël comme un époux aime son épouse et hélas, celle-ci lui est infidèle en se laissant aller à l’injustice, à la convoitise, à la corruption, au mensonge. C’est pourquoi le  péché ne se réduit pas à une infraction à un règlement : il est un acte d’adultère, une trahison de l’amour. Or, et là est la merveille, Dieu constate combien son peuple le trompe, le trahit et néanmoins il ne peut s’empêcher de continuer à l’aimer.  Mais alors cette femme adultère (sans amant) ne représente-t-elle pas Jérusalem, Sion, la communauté que Dieu chérit comme une épouse à laquelle il s’est lié, qui lui est infidèle mais à qui il pardonne toujours ? Dans la suite du chapitre 8 de Jean, Jésus justifie sa conduite : « Je suis la Lumière du monde : celui qui me suit ne marchera pas dans les ténèbres, il aura la lumière qui conduit à la vie ». Dans le désert jadis, les Hébreux étaient guidés par une colonne de feu, symbole de la présence divine qui lui indiquait le chemin de la terre promise. Ici c’est Jésus qui s’approprie cette image : celui ou celle, comme cette femme, qui a confiance en lui peut poursuivre son chemin avec assurance. La clarté de la miséricorde de Jésus le rejoint dans sa nuit, illumine ses ténèbres et l’oriente vers les bras du Père.  Jésus lance à ses adversaires : « Vous jugez de façon purement humaine : moi je ne juge personne. Et s’il m’arrive de juger, mon jugement est conforme à la vérité parce que je ne suis pas seul : il y a aussi Celui qui m’a envoyé….Quand vous aurez élevé le Fils de l’homme (sur la croix du Golgotha qui est son trône), alors vous saurez que JE SUIS ». Furieux devant ce qui leur paraît un horrible blasphème, « ils ramassèrent des pierres pour les lancer contre lui mais Jésus se déroba et sortit du temple ». La sentence contre la femme se tourne contre lui. Mais ils ne parviendront à leur fin qu’à la prochaine fête du printemps : à Pâque, il sera donné à tous d’accéder à la révélation suprême. «  Quand vous aurez élevé le Fils de l’homme (sur la croix du Golgotha qui est son trône), alors vous saurez que JE SUIS ».  

LA FEMME DEVANT SA CONDAMNATION 

Après des siècles de jansénisme, d’obsession du péché et de la tyrannie des scrupules, notre société a adopté une conception relativiste où il importe toujours de comprendre, faire la part des choses, ne pas complexer. Il faut souligner ici l’attitude de la femme. Elle ne se soustrait pas au jugement de la Loi, ne cherche pas à apitoyer sur son sort, n’implore pas des circonstances atténuantes, n’accuse ni son époux (qui l’aurait blessée) ni son amant (qui l’aurait séduite). Epouvantée devant la sentence, honteuse devant l’entourage, elle se tait. Figée dans sa vérité. Sans dénégation.  Pour qu’il y ait miséricorde, il faut qu’il y ait misère. Et misère reconnue. Et c’est cette pauvreté, cette solitude, cette épouvante où l’enferment ses juges, qui touche Jésus. La sentence l’emprisonne dans son passé pécheur, la parole de Jésus lui offre un avenir d’espérance. « Va »….Mais « désormais ne pèche plus ». Il ne la somme pas de promettre de ne plus retomber, il sait sa faiblesse incurable. Mais il lui demande de lutter, d’appeler « péché » ce qui est péché. Et lui, l’Innocent, le sans péché, il prend sur lui la peine qu’elle méritait. Il fait une croix – sa croix – sur sa faute. L’Epoux donne sa vie pour faire miséricorde à son épouse !  Bientôt, lors de la Veillée pascale, nous reprendrons la merveilleuse et scandaleuse acclamation de l’Eglise, femme toujours souillée, femme toujours aimée : « FELIX CULPA -  BIENHEUREUSE FAUTE ».  Seule la misère fait ouvrir les yeux sur la Miséricorde.  

4ème dimanche de Carême

Auteur: Philippe Cochinaux
Date de rédaction: 6/03/16
Temps liturgique: Temps du Carême
Année: 2015-2016

4ème Dimanche de Carême

Jos 5, 9a.10-12 – Ps 33 (34), 2-3, 4-5, 6-7 – 2 Co 5, 17-21 – Lc 15, 1-3.11-32

Mais quelle famille, pourrait se dire le psychologue systémicien qui reçoit ce père et ses deux fils en thérapie.  Un père et pas de mère.  Un fils aîné, fils mais très peu frère vu la façon dont il se compare avec ce dernier et un frère cadet, frère mais très peu fils vu la manière dont il réclame son héritage à son propre père.  Quelle famille ! Et pourtant, comme nous le savons toutes et tous, la famille parfaite n’existe pas puisqu’elle est le lieu par excellence de notre socialisation, c’est-à-dire de notre apprentissage à vivre ensemble en tenant compte les uns des autres.  La famille est ce laboratoire humain vivant où nous découvrons les joies et les frustrations, les règles et le besoin de liberté.  Toutefois, la famille est, j’ose espérer pour la majorité d’entre nous, le cocon où nous avons découvert ce que c’était d’être aimé par nos parents qui nous ont fait le don de la vie. Un vieux frère dominicain me disait un jour, si tu veux comprendre un de nos frères, cherche d’abord à rencontrer sa mère. De cette rencontre, tu comprendras beaucoup de choses.  Il avait transformé l’adage « tel père, tel fils » en «  telle mère, tel fils ».  Ce qui est en tout cas clair avec cette famille que nous découvrons dans l’extrait d’évangile que nous venons d’entendre c’est que l’adage « tel père, tel fils » n’est plus de mise.  En effet, le père est dans une dynamique exceptionnelle du don tandis que ses deux rejetons sont plutôt dans celle du dû.  Le fils cadet estime avoir droit à son héritage.  Ce dernier est un dû pour lui et il ne juge même pas nécessaire  d’attendre la mort de son propre père pour pouvoir en bénéficier. Quant à l’aîné, ce n’est pas beaucoup plus brillant.  Il est également dans cette dynamique du dû.  Puisqu’il a tout donné à son père, celui lui doit retour.  Le donnant-donnant est également une forme de dû puisque qu’il y a une attente voire une exigence non avouée de toujours recevoir en retour.  Heureusement que dans cette famille, il en va tout autrement dans le chef du père.  Lui, il est vraiment dans le don.  Il ne compte pas.  Il donne.  Et son don est à la mesure de sa démesure.  J’irais même jusqu’à oser prétendre que le don du père est énigmatique.  Cet extrait d’évangile ferait ainsi la joie non seulement des psychologues mais également des romanciers qui aiment inventer des énigmes. La première énigme se situe dans le fait que le père donne son héritage sans broncher.  Il accède à une demande qui paraît irrévérencieuse et immature vu la manière dont cet argent va être dilapidé. Ce père laisse partir son fils au risque de le perdre.  Dans l’amour, il refuse toute forme de pouvoir à son égard.  Dans l’amour, il lui fait le don de sa liberté.  Tel pourrait être un des sens de la première énigme.  Quant à la deuxième, nous pouvons nous étonner qu’il ne punisse pas son fils à son retour.  Il ne lui demande aucun remboursement même pas en plusieurs mensualités.  Il l’accueille et court à sa rencontre.  Est-il besoin de rappeler que dans la tradition biblique, un notable ne court jamais ?  Il marche toujours posément avec cette dignité qui lui sied. Le père de la parabole s’empresse donc retrouver son fils et dans l’amour lui fait le don de sa miséricorde.  Comme le disait récemment un enfant, la miséricorde, c’est la corde qui permet de tirer quelqu’un de sa misère et cette corde s’appelle tout tendrement l’amour.

La première énigme peut se résoudre par le don de la liberté, la deuxième par le don de la miséricorde.  Quant à la troisième, l’énigme se situe dans le fait que le père ne cherche pas à donner des explications rationnelles à son fils aîné en lui prouvant le bien fondé de son attitude.  Non, dans l’amour, il lui fait découvrir qu’il y a de l’indicible, du mystère.  En d’autres termes que l’amour n’a pas à s’expliquer mais qu’il se vit dans une confiance en un lâcher prise sur la vie.  Trois énigmes qui se résolvent ainsi en trois dons : le don de la liberté, le don de la miséricorde et le don de la confiance dans un lâcher prise.  Finalement, la morale de cette histoire est que le dû tue et que le don ouvre à la vie.  Une vie de dus ou une vie de dons ?  A chacune et chacun d’entre nous de choisir et de vivre en conséquence. Que cette parabole éclaire notre conscience.

Amen

 

 

 

 

4ème dimanche de Carême

Auteur: Laurent Mathelot
Date de rédaction: 6/03/16
Temps liturgique: Temps du Carême
Année: 2015-2016

4ème Dimanche de Carême, de Lætare

Jos 5, 9a.10-12 – Ps 33 (34), 2-3, 4-5, 6-7 – 2 Co 5, 17-21 – Lc 15, 1-3.11-32

 

Nous sommes à la mi-carême, réjouissez-vous.

 

C'est en effet aujourd'hui le dimanche de Lætare, et c'est ce que signifie ce terme : réjouissez-vous.

 

Lætare est le mot qui ouvre l'introït du propre de la messe de ce matin, le premier mot de la version latine d'un verset du Livre d'Isaïe : « Réjouis-toi, Jérusalem ! Exultez en elle, vous tous qui l’aimez ! Avec elle, soyez pleins d’allégresse, vous tous qui la pleuriez ! Alors, vous serez nourris de son lait, rassasiés de ses consolations ; alors, vous goûterez avec délices à l’abondance de sa gloire. » [Isaïe 66, 10-11]

 

Notre exercice spirituel – notre carême – consiste à nous rendre volontairement au désert ; à organiser en nous la faim ; à vouloir nous pencher sur notre manque et la vivacité de notre désir ; pour mieux savourer ensuite le don de Dieu ; la joie dont rayonne Jérusalem ; le salut d'une Terre promise ; et pour nous – ici et maintenant – la paix du Christ en nos cœurs.

 

Nous sommes à mi-chemin. Il reste moins à parcourir que ce que nous avons déjà parcouru. Réjouissez-vous, la délivrance est plus proche de nous ; que les déserts que nous sommes en train de quitter. La mi-carême symbolise cette frontière, où l'on passe des larmes, de la soif et de la récrimination – proprement de la souffrance du désert – à la première vision d'une Terre promise, au soulagement que Dieu promet, à la joie de se sentir enfin tournés vers la Paix.

 

Les versets que nous venons de lire du livre de Josué symbolisent à merveille ce moment, ce passage de la considération du désert – de la faim et du manque – à celle d'une terre d'abondance d'où émanent délivrance et Salut, une terre où coule le lait et le miel. Les fils d'Israël sortent du désert comme nous entamons aujourd'hui notre sortie de carême : nous avons déjà accompli le plus gros de l'effort, la délivrance est proche. Imaginez, nous sommes à ce moment précis où la vigie crie après la traversée d'un océan : « Terre, terre ! ». Nous sommes là, à ce moment d'exultation et de joie. Oui, réjouissez-vous ! votre délivrance est effectivement en vue.

 

Comment ne pas faire de rapprochement entre le cri de la vigie qui voit enfin la terre tant espérée et les paroles du psaume que nous venons de chanter : « Magnifiez avec moi le Seigneur, exaltons tous ensemble son nom. Je cherche le Seigneur, il me répond : de toutes mes frayeurs, il me délivre » ?

 

Le désert que nous quittons, c'est évidement le manque de la présence de Dieu dans notre vie ; la faim que cherchons à éprouver pendant ce carême, c'est celle de la miséricorde de Dieu, de ses dons pour nous. Et pour nous Chrétiens, c'est la faim de l'amour du Christ qui nous anime. Comme le dit S. Paul, notre Terre promise par le Christ, c'est la réconciliation avec Dieu. Réjouissez-vous : « Dieu n’a pas tenu compte des fautes ».

 

La mi-carême c'est précisément ce moment où le fils prodigue accablé par la famine décide de se lever et de retourner vers son père et, pour le père, c'est exactement cet instant où il aperçoit son fils revenir au loin : « mon fils que voilà était mort, et il est revenu à la vie ». Quel soulagement pour le fils de voir la joie de son père de loin ; et quelle joie pour nous aujourd'hui de nous souvenir de ce soulagement.

 

Essayons d'encore mieux saisir cet instant : le fils a gaspillé l'héritage de son père en vain ; il a sombré dans la déchéance jusqu'à désirer disputer leur nourriture aux porcs ; il ne s'estime plus digne d'être considéré comme fils ; indigne de l'amour de Dieu. Il est pétri de honte. Et pourtant, il trouve le courage de se lever et de retourner vers son Père, le courage d'affronter sa honte ; le courage d'une démarche de réconciliation. Il ne le sait pas encore, mais à ce moment précis, sa vie se tourne à nouveau vers la joie – la joie de son père qui le voit revenir, une joie débordante qui demande d'apporter le plus beau vêtement pour l’habiller, de tuer le veau gras, de manger et de festoyer.

 

Le dimanche de Lætare symbolise cet instant de toutes les traversées du désert dans notre vie ; précisément ce moment où la délivrance apparaît enfin en vue ; quand la vigie de notre cœur entrevoit à nouveau la terre de son repos ; quand l'espérance reprend subrepticement le dessus sur la tristesse ; quand nous entrevoyons à nouveau possible la réconciliation avec la tendresse du Père.

 

Et devant nos yeux, c'est alors l'image d'un Père débordant de joie qui se présente. Il y a une exubérance de Dieu à nous voir revenir vers lui. C'est déjà cet avant-goût de la fête qui se présente à nous aujourd'hui. « Goûtez et voyez comme est bon le Seigneur ! » disait le répons du psaume.

 

Nous sommes encore dans l'effort, c'est vrai. Et on peut rapprocher cet effort de celui de se tourner vers le sacrement de réconciliation, cet effort du fils qui se lève et repars enfin vers son père, qui vainc la honte et ressuscite ainsi déjà à la vie. La mi-carême nous invite à redécouvrir que cet effort s'imprègne déjà de joie.

 

Le dimanche de Lætare est en soi une première anticipation de Pâque ; c'est le jour où se célèbre l'avant goût de la résurrection, le jour où l'exubérant amour du Père envers nous revient à notre esprit – précisément l'instant où la joie, après les larmes et la souffrance, ressurgit.

 

Alors si vous êtes inscrits dans une démarche de carême, faites de ce jour – je vous en prie – un jour de fête ; faites de ce jour un jour de joie ; un jour où vous méditez sur le sentiment de délivrance ; un jour où vous vous penchez sur la résurrection, en vous, de la joie.

 

« Réjouis-toi, Jérusalem ! Exultez en elle, vous tous qui l’aimez ! Avec elle, soyez pleins d’allégresse, vous tous qui la pleuriez ! » Car c'est aujourd'hui la joie du fils prodigue et ce sera demain la joie du Fils ressuscité. Notre Père est là qui nous attends ; le Christ a déjà commencé à nous réconcilier avec Lui.

 

Aujourd'hui, particulièrement, soyez donc dans la joie.

 

 

 

 

3ème dimanche de Carême

Auteur: Philippe Henne
Date de rédaction: 28/02/16
Temps liturgique: Temps du Carême
Année: 2015-2016

L’Evangile d’aujourd’hui me fait penser à une discussion entre parents. Leur grand garçon qui vient d’avoir 18 ans vient de rater pour la deuxième fois les examens au collège. C’est fini ! Il est condamné à tripler son année. Le père est furieux. Il ne veut pas entendre cela. Il veut mettre son fils à la porte, lui couper les vivres, l’obliger à se débrouiller seul. Et la maman, comme c’est souvent le cas dans les familles, essaie d’apaiser le courroux paternel. La Bible aime bien ce genre de situation : un homme qui négocie avec Dieu pour apaiser la colère divine. C’est le fameux marchandage d’Abraham avec le Seigneur au sujet de Sodome (Genèse 18, 17 – 33). L’horreur est à son comble. Le Seigneur a décidé de détruire cette ville. Et Abraham intervient et se met à négocier. « Oui, mais s’il y a cinquante justes, est-ce qu’ils doivent périr avec toute la ville ? Et s’il n’y en a que quarante, trente, vingt, dix, est-ce qu’ils doivent périr avec toute la ville ? » C’est un véritable marchandage. On se croirait au souk, à Marrakech. Et ça marche. Et cela nous apprend quelque chose : Dieu se laisse émouvoir par la prière d’intercession.

            C’est une très belle chose que l’Evangile nous invite aujourd’hui à méditer : la prière d’intercession. On a une mentalité tellement matérialiste qu’on en oublie la dimension spirituelle de notre vie. Oui, c’est beau de prier les uns pour les autres. C’est encore mieux de pouvoir aider les autres de façon concrète et saint Jacques a bien raison de mettre en garde les beaux parleurs. « Allez vous réchauffer et vous rassasier », disent-ils, mais ils ne donnent rien aux pauvres qui les interpellent. Mais, parfois, nous sommes démunis devant l’épreuve que traverse notre frère. Alors nous pouvons prier pour lui. C’est ce que je recommande souvent aux personnes qui sont seuls et qui se plaignent de leur solitude. Je leur dis : chaque jour, priez pour quelqu’un en particulier. Cela va l’aider. Cela aussi transforme la personne qui prie sans cesse.

            Car il est dit qu’il faut prier sans cesse. Et c’est vrai, c’est beau, cela transforme le cœur. Imaginons que je prie tous les jours pour être le chef à la place du chef. Au bout d’un certain temps, comme ça ne marche pas, je peux me demander si c’est vraiment une bonne idée, s’il n’y a pas une autre façon d’être heureux, de rendre service aux autres et à moi-même. Prier transforme parce que cela m’oblige à ne plus regarder les personnes et les événements de la même façon, mais cela m’oblige à me placer sous le regard de Dieu. Cela m’oblige à me demander : « et toi, Jésus, que ferais-tu à ma place ? »

            C’est cela, la prière d’intercession. C’est peut-être Dieu qui se transforme, qui change d’avis, qui passe d’une parole de condamnation à un geste de réconciliation. C’est aussi et surtout moi qui me transforme, qui regarde ma vie et mon entourage à la lumière de l’amour infini de Dieu pour chacun d’entre nous. prions donc les uns pour les autres, non pas pour éviter de les aider concrètement, mais pour mieux voir et comprendre comment les aider comme Dieu le ferait à notre place, comme Dieu le fait depuis toute éternité. Car Dieu est allé jusqu’à mourir pour nous alors que nous étions plongés dans l’entêtement de notre erreur et dans la solitude de notre orgueil. Prions chacun pour un de nos frères ou une de nos sœurs pour mieux participer à l’œuvre d’amour et de salut que Dieu entreprend pour chacun d’entre nous.

3ème dimanche de Carême

Auteur: Didier Croonenberghs
Date de rédaction: 28/02/16
Temps liturgique: Temps du Carême
Année: 2015-2016

Dans son célèbre roman ‘Le mythe de Sisyphe’, Albert Camus pose la vieille question existentielle suivante: “Oui ou non, la vie vaut-elle la peine d’être vécue?”. “Oui ou non la vie a-t-elle un sens?” Y a-t-il un destin qui préside à nos relations ?  La question du sens et de l’absurde traverse toute l’oeuvre de Camus et vous connaissez peut-être les circonstances de sa mort. Deux ans après avoir reçu le prix Nobel de littérature, Albert Camus meurt dans un tragique accident de voiture sur la route qui reliait la ville de Sens à Paris. De plus, on aurait retrouvé dans la poche de sa veste un billet de train, qui aurait pu le ramener sain et sauf dans la capitale ce jour-là…  Curieusement, bien des personnes ont relaté l’événement, en jouant sur les mots, en disant que Camus avait librement choisi de tourner le dos au sens, à la ville de Sens, et qu’il avait choisi de se rendre au rendez-vous que lui avait fixé le destin… ce destin que tout au long de ses romans il avait nié !

L’être humain est ainsi fait qu’il n’aime pas l’absence d’explications. D’ailleurs, une certaine forme de liberté nous fait parfois peur. Dans les situations les plus tragiques, il peut même nous arriver de vouloir relire, réécrire notre histoire pour tenter d’y trouver un sens caché, une soi-disant destin.  “Et ces 18 personnes tuées par la chute de la tour de Siloé, pensez-vous qu’elles étaient plus coupables que tous les habitants de Jérusalem?”  “Et ces 180 personnes tuées lors du premier jour du cessez-le feu en Syrie”  “Et cet enfant, cet être aimé, parti trop tôt”.  Y a-t-il une raison, une volonté derrière?  Non. Trois fois non nous dit Jésus. 

Nous n'aimons pas être victimes. Nous sommes des êtres appelés à la liberté, à vivre notre destinée et non à subir un destin. Toutefois, confrontés à l’absurde d’expériences douloureuses, nous mettons souvent en place —de manière inconsciente— un mécanisme quelque peu pervers. Pour comprendre ce qui nous arrive, nous cherchons des explications là où il n’y en a peut-être pas. Nous préférons nous rendre victime de la situation qui s'impose à nous. Nous passons ainsi de l’état de « victime » à l’état de « victimisé »,  cet état qui veut rationaliser l’inexplicable ;  cette approche qui veut donner du sens —fût-il en Dieu— là où il n’y en a pas.  Si je suis responsable et victime, alors au moins j’ai une explication.  Si je suis coupable, alors ceux que j’aime ne le sont peut-être pas !  Une fausse culpabilité vient parfois nous rassurer, mais elle ne fait jamais l’épreuve du temps. Elle nous rend ainsi doublement victime : victime du mal subi, d’une part, et « victimisé » par ce mécanisme de culpabilité. L’être humain est ainsi fait que dans certaines circonstances, la liberté — l’absence d’explication— est plus lourde à porter que la fatalité.  Et lorsque le mal nous enserre, la conjonction « Si » et l’adverbe « Pourquoi » s’invitent dans notre explication du malheur… « Pourquoi est-il parti si vite ? », « Si j’avais été plus près d’elle, de lui, il ou elle n’aurait jamais commis cela » « Pourquoi moi, pourquoi maintenant ? »  Lorsque le tragique frappe ainsi à la porte de notre vie, les textes de ce-jour nous invitent à ne pas y voir la plume d’un destin. A ne pas chercher à comprendre, mais à prendre vraiment en compte ce « Je suis qui je suis », qui n’offre pas d’explication. Dieu est au-delà de nos définitions, de notre volonté de comprendre. Chercher Dieu, c’est dans le même moment lutter contre tout idolâtrie qui ne respecterait pas son altérité, qui ferait de Dieu cette volonté expliquant nos histoires.  L’Evangile refuse toute réponse au pourquoi du mal. Mais il nous convie au pour    quoi. Qu’en faire ? Comment avancer malgré tout. Pour cela, il nous invite simplement à cette sagesse de la patience.  La patience est cette confiance qui dans nos moments de malheur  nous permet d’endurer, de durer, de persévérer, de fructifier, d’avancer, d’imaginer de nouveaux chemins, sans fuir la réalité.  « Maître, laisse-le encore cette année, le temps que je bêche autour pour y mettre du fumier. Peut-être donnera-t-il du fruit à l’avenir »  Etre patient, c’est accueillir l’inconnaissance, bêcher, creuser au plus profond de nous-mêmes, pour accueillir ce qui se présente.   Etre patient, dans les deux sens du terme,  c’est lutter contre la souffrance  sans jamais la justifier,  c’est donner du temps à la confiance,  reconnaître qu’il n’y a pas toujours d’explications,  sans verser pour autant dans la résignation,  c’est éviter les ‘si’ et les ‘pourquoi’ mortifères,  pour passer de la culpabilité à la responsabilité.   Cette sagesse de la patience —que Dieu vient inscrire dans nos cœurs— nous invite accueillir l’inexpliqué, tout ce qu’il y a d’irrésolu dans nos vies. Voilà cette sagesse qui, à travers l’adversité, apprivoise le temps que Dieu nous offre et rend l’espérance toujours possible.

Amen. 

3ème dimanche de Carême

Auteur: Michel Van Aerde
Date de rédaction: 28/02/16
Temps liturgique: Temps du Carême
Année: 2015-2016

Le récit de la vocation de Moïse est un récit fondateur (Ex3) . Fondateur pour le peuple juif, fondateur pour les chrétiens, fondateur pour tout peuple qui souffre et qui peut y puiser l’espérance d’en sortir. On connait les gospels américains, « let my people go », le chant des esclaves de la Louisiane qui, bien avant Martin Luther King, bien avant Mandela, bien avant Obama, exprimaient déjà, anticipaient, une libération pourtant tout à fait improbable. Ce récit de la vocation de Moïse, nous pouvons l’imaginer, habitait les millions de juifs, déportés vers les camps d’extermination. Il s’agit d’un rapport à la foi, d’un rapport à la vie, d’un rapport à soi-même et à Dieu, d’une vision de l’avenir, qui renverse toutes les apparences.
La théologie de la libération, développée en Amérique Latine, l’a bien exprimé. Quand plus rien ne semble possible, quand on se trouve, comme beaucoup d’êtres humains, de jeunes, d’exploités, de réfugiés, dans une situation de « no future », c’est alors que tout commence, que tout est possible. Parce qu’il y a un Dieu qui voit et qui entend. « J’ai vu, oui j’ai vu la misère de mon peuple et j’ai entendu ses cris ! »

L’initiative ne vient pas de Moïse. Il est certes la figure même du leader, du libérateur, du chef. « Comme s’il voyait l’invisible, il tint ferme ! » nous dit la Bible, mais ce n’est pas lui qui décide d’aller voir Pharaon. Il ne se sent pas capable d’une telle mission parce qu’il ne sait pas parler : « il est bègue ». Pour un prophète, c’est gênant ! Parce qu’il a peur, parce qu’il s’est réfugié à l’étranger, parce qu’il a tué un égyptien, parce qu’il peut être dénoncé, parce que, parce que… Mais Dieu a pris parti. Ce Dieu là, qui est le Dieu des pères, d’Abraham, d’Isaac et de Jacob, le Dieu qui a été auprès d’eux dans le passé, voici qu’il dit à Moïse, au présent : « je suis avec toi » et qu’il dit au futur : j’agirai. Il est Celui qui était, qui est et qui sera. Le nom par lequel les hébreux pourront le reconnaître, « Eyé asher Eyé » ne se traduit pas « Je suis celui qui est », mais plutôt « Je serai qui je serai », ou encore, « Je serai avec toi qui tu verras », j’agirai avec toi. Autrement dit, en pensant au buisson ardent : tu verras de quel bois je me chauffe.

A Moïse, l’Etre, l’existant, se révèle en disant « Je ». L’Etre se manifeste au futur ! Et nous pouvons nous demander ce que cela signifie que de considérer l’Etre comme quelqu’un qui parle et comme une personne qui se présente au futur. L’Etre comme ouvert, comme un horizon de promesses, comme un avenir et comme un guide, un compagnon de route, qui voit et qui entend.

Faut-il penser que le peuple méritait d'être libéré ? Que ce peuple était meilleur que les autres ? Il semble bien que non. Comme tous les peuples, laissé à lui-même lorsque Moïse se trouve sur la montagne, il n'a de cesse de se fabriquer une idole : un taureau en or. Il est fasciné par l'or et, comme tous les peuples, il adore la puissance et la fécondité. Si l'on parle du "veau d'or", c'est par dérision. Le peuple ne mérite donc rien, mais Dieu voit l'injustice et il entend les cris. Il prend parti pour le délivrer, il noue une alliance. Comme le peuple ne la respecta pas, il en assumera les exigences de manière finalement unilatérale. C'est ainsi qu'il manifestera sa fidélité.

Cette histoire est fondatrice, car elle décrit un fait permanent, en manifestant l'action Dieu. Nous pouvons nous approprier cette expérience et la vivre dans toute son intensité.
La communauté en prière est, pour nous, un buisson ardent qui brûle sans se consumer, où l’Esprit du Ressuscité est présent, où la charité vient se réchauffer, où la Parole de Dieu se transmet, où les projets de Dieu, toujours déroutants, sont communiqués. La liturgie est ce foyer toujours accessible, de tradition et de mise en route, d’envois.

Quels sont, aujourd’hui, les cris à entendre, les plaintes à recueillir, les souffrances collectives à dénoncer ?
Ne voyons-nous pas les personnes déplacées, les millions de réfugiés, les peuples en plein exode, hommes, femmes, enfants, qui fuient comme ils le peuvent, à travers la mer - et rarement à pied sec ?

Transformer la situation dépasse nos forces. Comme Moïse, nous sommes limités mais, pour lui comme pour nous, il y a un Dieu qui marche à nos côtés.

2ème dimanche de Carême

Auteur: Didier Croonenberghs
Date de rédaction: 21/02/16
Temps liturgique: Temps du Carême
Année: 2015-2016

vouez qu’il y a tous les ingrédients dans ce récit pour en faire une merveilleuse adaptation au cinéma. Car le récit de Luc est plein d’images grandioses et de personnages prestigieux. Il y a de la lumière, des stars, des décors montagneux splendides. Dans les récits bibliques, d’ailleurs, les passages clés sont souvent situés sur la montagne : sur le mont Horeb, le mont Tabor, au Sinaï. C'est sur le Golgotha que Dieu nous dévoilera ultimement son vrai visage. Et pour mettre en scène ce récit de Luc, je vous laisse imaginer les stars et le casting de rêve pour incarner ces figures de l’ancien testament comme Moïse et Elie et les seconds rôles de Pierre, Jacques et Jean ! Quant à la voix off qui nous dit “Celui-ci est mon Fils bien aimé”, j’imagine volontiers Michael Lonsdale, avec sa tendre et chaude voix !  Bref, en ce deuxième dimanche de Carême, nous sommes face à un blockbuster, une série à succès que l’on retrouve dans tous les évangiles, un récit tout simplement crucial, puisqu’il préfigure l’annonce de Pâques. 

La transfiguration est ce récit clé dans lequel Jésus traverse une étape essentielle de sa vie, où il se dévoile, se découvre lui-même. Il se reçoit de son Père, qui lui dit “Celui-ci est mon Fils”. Jésus découvre ainsi cette verité sur lui-même. Et cette parole est adressée à chacun d’entre nous, au plus intime de nous, car nous ne pouvons jamais nous construire seul. “Regarde, tu es mon Fils bien aimé.” Voilà ce qui nous est adressé également : Deviens ce que tu es au plus intime de toi, regarde-toi ! Même si tu te construits par les autres, tu ne te réduis pas à cela. Tu es autre que ce que la société veux pour toi, différent de ce que les autres —tes collègues, ta famille— rêvent pour toi, de ce que tes proches projettent sur toi. Ton visage est autre que ces masques que tu portes. Il y a toujours au plus profond de toi une clarté qui peut réellement resplendir, briller davantage. 

Il y a une luminosité qui peut rayonner, transparaître; une lucidité —et le mot dit bien— sur nous-mêmes que nous avons à découvrir profondément, lorsque dans l’intimité d’une rencontre, de la prière, d’une lecture, d’une parole, d’un dialogue, nous parvenons à prendre de la hauteur sur nous et sur notre vie. C’est dans ces moments lumineux que nous parvenons à faire le deuil d’une histoire, d’un proche, d’un espoir, d’un projet. Lorsque nous quittons la somnolence, celle qui nous accable et empêche une telle lucidité sur nous-mêmes— et que nous nous éveillons à la vie; à ce que nous sommes réellement.  Voilà cette vérité que Jésus découvre pour lui-même sur la montagne. Il se découvre lui même, en présence de ses disciples, il découvre sa mission, son chemin, son exode, sa Pâques. Il pose un regard neuf sur sa route, sur son histoire. Il s’entretient avec Moïse et Elie —son passé et son passif— non avec ceux qui sont présents à ses côtés. Comme s’il relisait sa vie en silence, pour la vivre plus intésément.

Ces moments de vraies transformations, de métamorphoses, nous pouvons toutes et tous en vivre. Et c’est à tout âge qu’il est possible changer de vision, transformer notre regard, prendre de la hauteur, déserrer la focale sur sa vie.  Là où nous parvenons à être —ne fût-ce qu'un instant— en harmonie avec nous-mêmes, là où nous nous sentons compris, acceptés, aimé peut-être, pour ce que nous sommes et pas pour ce que nous avons fait. Et chaque fois que nous poserons sur les autres un tel regard de lucidité, qui ne juge pas, c'est peut-être la transfiguration de notre monde qui est, elle aussi en marche...

Car la transfiguration —osons encore une fois le mot— n’est pas la vision d’une autre réalité, mais une autre vision de celle-ci. C’est-à-dire une interprétation plus lucide de la vie du monde, moins sombre de nous-mêmes, l’espace d’un instant. C’est une lecture de la vie pleine de lumière, un regard d'éternité! Dans ces moments-là, avouez qu’il est difficile d’en parler ! « Les disciples gardèrent le silence et, en ces jours-là, ils ne rapportèrent à personne rien de ce qu’ils avaient vu. » Dans une culture où il faut tout partager, liker, forwarder, commenter, selfier, les disciples ont la sagesse du silence. “Ce dont on ne peut parler, il faut parfois le taire” Si de telles découvertes dans nos vies, restent toujours incibles, intransmissibles, elles ne nous isolent pas pour autant. Car nous pourrons toujours rayonner davantage. Non dans la brillance et l’éclat, mais la lucidité d’un regard neuf, sur nous-mêmes. En ce sens, la transfiguration est cette manière divine d'éclairer la banalité de nos histoires, l'ordinaire des jours. Et là où une situation semble inextricable, un sens est toujours possible pour celui qui choisit la confiance. Car lorsque notre regard se transforme, de la banalité du quotidien peut surgir un horizon nouveau, aux couleurs de l'éternité. Amen.

1er dimanche de Carême

Auteur: Dominique Collin
Date de rédaction: 14/02/16
Temps liturgique: Temps du Carême
Année: 2015-2016

5ème dimanche du temps ordinaire

Auteur: Philippe Cochinaux
Date de rédaction: 7/02/16
Temps liturgique: Temps ordinaire
Année: 2015-2016

« Moi, je n’aime pas ce garçon » disait Monsieur Beulemans dans le fameux vaudeville bruxellois traitant du mariage de sa fille. En méditant l’évangile de ce jour, j’imagine bien Zébédée, le père de Jacques et de Jean, se dire le même type de phrase au moment où il voit ses deux fils tout quitter pour suivre un inconnu. C’est vraisemblablement tout son business familial qui a été mit en difficulté. Une lecture littérale d’un tel récit peut nous conduire à une attitude très radicalisée. Tout quitter instantanément pour se mettre au service d’un nouvel idéal de vie. Toutefois l’actualité récente nous montre à quel point la radicalisation peut conduire à des attitudes néfastes et profondément dangereuses pour les personnes elles-mêmes mais aussi pour toutes celles qui n’adhéreraient pas à leur cause. C’est pourquoi, il est fondamental de dénoncer le fait que toute radicalisation est une instrumentalisation de la foi au nom d’une cause nettement moins noble. Et il n’y a pas lieu de pointer une religion plutôt qu’une autre. L’histoire de notre propre église a également été parfois teintée de radicalisation et ce, durant de nombreuses années.

Mais alors comment répondre à l’appel de Dieu donné à tout être humain sans pour autant tomber dans une forme de radicalisation qui nous éloigne du Seigneur. Tout d’abord en acceptant que notre Père révélé en son Fils par l’Esprit nous appelle avant tout à la Vie. Tous nos choix, toutes nos attitudes, tous nos faits et gestes doivent s’inscrire dans la perspective de la Vie, c’est-à-dire dans notre participation à la construction du royaume de Dieu par les armes de la miséricorde. Celle-ci enveloppe les notions de bienveillance, d’empathie, de compassion, de tendresse, d’amour, de pardon et de réconciliation. La miséricorde divine est l’option fondamentale de notre Dieu pour la vie, pour toute vie, pour tout retour à la Vie. Répondre ainsi à l’appel de Dieu, c’est accepter de remettre de la vie dans la Vie et par conséquent de refuser toutes les formes de mort qui peuvent surgir à l’occasion de choix erronés, voire mauvais. Pour ce faire, nous devons accepter que jamais nous ne posséderons la Vérité. Nous la cherchons. La quête de la vérité nous anime et nous libère mais elle est toujours au-delà de nous. Puissions-nous ne jamais oublier ce que disait Mamie Rose à Oscar dans le roman d’Eric-Emmanuel Schmitt : « les questions les plus intéressantes restent des questions. Seules les questions sans intérêt ont une réponse certaine ». La foi, la Vie, Dieu font partie du registre des questions intéressantes. Nous n’aurons jamais dans cette vie-ci la réponse à celles-ci. Nous cherchons à comprendre. Nous avançons à notre rythme. Mais pour nous, dans la foi, la Vérité est en Dieu. Pour ce faire, nous avons à prendre exemple sur Pierre qui tombant à genoux, dit : « Éloigne-toi de moi, Seigneur, car je suis un homme pécheur ». Pierre a sans doute saisi que pour répondre à l’appel de Dieu, il fallait vivre l’expérience de l’humilité. En effet, devenir humble, nous permet de ne plus craindre le dévoilement de nos propres imperfections. Devenir humble, nous convie à accepter l’inconnaissance que nous avons de nous-mêmes. Devenir humble, nous autorise à vivre avec nos failles intérieures. Se reconnaître « humble » face à Dieu nous permet de le regarder en toute confiance. Et c’est ce qui lui permet alors de dire à chacune et chacun de nous : « sois sans crainte ». Puissions-nous entendre ces mots que le Christ nous adresse aujourd’hui encore : « n’aie pas peur, ce n’est que moi, je suis tout humain, tout divin comme toi aussi tu es appelé à le devenir. Ne crains pas, je ne suis pas un Dieu qui juge et condamne. Je suis un Dieu miséricordieux, un Dieu d’amour et de tendresse qui t’accompagne sur ton propre chemin de vie. Je suis là à tes côtés, je ne te laisserai jamais tomber. Viens et suis-moi, tout fragile puisses-tu être. Cela m’importe peu puisque c’est dans ta propre fragilité que se révèle ta beauté. Sois sans crainte, je t’accompagne sur ton chemin tel que tu es. N’aie pas peur, mon ami, je ne suis que Dieu et je t’aime ».

Amen

4ème dimanche du temps ordinaire

Auteur: Didier Croonenberghs
Date de rédaction: 30/01/16
Temps liturgique: Temps ordinaire
Année liturgique : C
Année: 2015-2016

Frères et soeurs,

Connaissez-vous le paradoxe du menteur? Il s’agit d’une contradiction logique qui pourrait être résumée par la situation suivante. Imaginez qu’une personne vous dise: « Je mens ». Je vous demande maintenant quelque secondes d’attention… Si ce qu’elle dit est vrai, alors ce qu’elle dit est faux, puisqu’elle ment ! Et si ce qu’elle dit est faux, cela veut dire qu’elle ne ment pas… et qu’elle dit donc la vérité ! C’est tout simplement une situation paradoxale, une énigme qui a donné du fil à retordre aux philosophes durant des siècles… Pour ceux qui me suivent encore, le logicien dira qu’ « aucune proposition ne peut exprimer quelque chose au sujet d’elle-même » ! Autrement dit, la vérité d’une proposition ne s’atteste, se vérifie de l’extérieur, par une autre proposition ! Si vous avez déjà décroché, ce n’est pas grave ! Jésus, lui, s’exprime de manière plus claire ! “Nul n’est prophète en son pays”. Comme si la vérité des prophètes que nous sommes, ne pouvait être reçue que de l’extérieur. Cette petite maxime —qui ne doit pas décourager les plus casaniers d’entre nous— nous rappelle fondamentalement qu’on ne s’atteste jamais par soi-même. Sans recul, nous avons d’ailleurs une grande facilité à mentir à nous-mêmes. Pour grandir, avoir une parole prophétique, il faut donc nécessairement un peu de distance, de l’écart, pour que la vérité puisse. Bien souvent donc, c’est l’autre, l’être aimé, le conjoint, le prochain, qui vient faire naître en nous la vérité, et non dire la vérité sur nous. La vérité finalement n’est jamais contenue dans ce que nous disons, mais elle vient de l’extérieur. Dès lors, pour que la bonne nouvelle s’accomplisse aujourd’hui dans notre vie, il faut redécouvrir une réalité toute simple, mais tellement difficile à mettre en pratique. Il s’agit de l’étonnement.

L’étonnement est cette sagesse de l’émerveillement en toute circonstance, cette conviction que notre connaissance, notre foi, est toujours partielle. Il est tellement fréquent d’enfermer les autres, de ne plus se laisser surprendre par eux. Vous le savez, la banalité du quotidien fait que des réputations nous précèdent et que nous perdons ainsi notre capacité à nous laisser étonner. A la synagogue de Nazareth, Jésus n’a eu devant lui que des compatriotes qui pensaient tout savoir de lui. Rien ne laissait présager quelque chose d’exceptionnel dans la vie de ce banal charpentier. Pourtant, avec les personnes que l’on connaît ou croit connaître, seul l’étonnement offre toujours un passage. Seul notre curiosité leur propose toujours un chemin. Seule cette capacité à nous étonner préserve toujours dans leur coeur cette part de mystère. Vraiment, seule cette capacité à s’émerveiller maintient vivant l’amour et permet des sentiments renouvelés. Cet étonnement est donc au commencement de toute relation et de toute sagesse de vie. “Etre amoureux” écrivait d’ailleurs le poète, “c’est toujours rester étonné”

Vous le savez, cette vertu de l’étonnement crée toujours un petit décalage avec le monde qui nous entoure; une manière de questionner les évidences, une façon de ne pas prendre tout au sérieux. D’ailleurs, quand on perd cette capacité de s’étonner, les autres deviennent prévisibles. Et lorsqu’ils sont pré-visibles, ils deviennent tôt ou tard in-visibles à notre coeur. C’est pourquoi, seule cette sagesse de la surprise permet de recréer du lien dans la banalité de notre vie. “Nul n’est prophète en son pays”.

Voilà pourquoi il ne faut jamais se croire chez soi, en pays conquis, mais toujours face à des terres à découvrir, à des horizons jamais atteints. Seul celui qui sait toujours voir dans le visage de l’autre quelque chose de potentiellement indicible restera sur ce chemin de la surprise et de l’étonnement, malgré les exigences et les soucis de la vie. Finalement, l’étonnement est ce qui délie les autres de leurs étiquettes, des cases dans lesquels nous les rangeons, de tout ce qui les enferme. C’est ce qui leur permet de passer leur chemin, d’être libres. La question que nous avons à nous poser est bien la suivante. Grâce à notre étonnement, autorisons-nous vraiment les autres à prendre leur chemin? Nous autorisons-nous d’ailleurs à prendre le nôtre? Mais si à cause des aléas de la vie, de nos souffrances ou de nos peurs, nous perdons cette capacité à nous étonner, nous pouvons garder vive cette confiance que Dieu s’étonnera toujours de ce que nous sommes. Pour celui qui se risque à croire en ce dieu qui s’émerveille, il y aura toujours cette voix divine pour nous dire tendrement: au milieu des peurs et des préjugés: passe, avance sur ton chemin.

Amen.