Le Corps et le Sang du Seigneur
- Auteur: Cochinaux Philippe
- Temps liturgique: Temps ordinaire
- Année liturgique : A, B, C
- Année: 2008-2009
En finale de la série des grandes solennités ( de Noël à la Trinité), nous fêtons aujourd'hui le Sacrement qui les récapitule toutes et qui les actualise chaque dimanche: le SAINT SACREMENT DU CORPS ET DU SANG DU CHRIST. Puisque nous approchons de la fin de l'ANNEE SAINT PAUL, nous proposons de méditer ce qu'en disait le grand apôtre: en effet c'est de lui que nous tenons le premier récit de la Dernière Cène. Alors qu'il était en train de développer l'Eglise d'Ephèse, Paul reçut des nouvelles de l'Eglise de Corinthe qu'il avait fondée dans les années 50/51. Il est scandalisé par leur façon de vivre l'assemblée dominicale et il ne leur envoie pas dire ! Quand vous vous réunissez en assemblée, il y a parmi vous des divisions...Ce n'est pas le "repas du Seigneur" que vous prenez ! Chacun se hâte de prendre son repas, l'un a faim, l'autre est ivre...Méprisez-vous l'Eglise de Dieu ?... ( I Corinthiens 11, 17 - 30) Les premières générations chrétiennes n'ont jamais disposé de chapelles: les réunions hebdomadaires se déroulaient chez un membre qui possédait une maison assez spacieuse pour accueillir le groupe. (Il n'est pas demandé aux riches de vendre leurs biens mais de les mettre au service de la communauté). Chacun apportait son panier de victuailles car l'Eucharistie s'accompagnait d'un repas en commun ("les agapes"). Et que se passait-il ? L' hôte qui recevait rassemblait les gens de son rang dans la belle pièce réservée aux réceptions tandis que les pauvres étaient relégués dans le patio !... Paul est furieux ! Reconstituer les séparations des classes sociales, faire de la discrimination ? Dans ce cas, hurle-t-il, "ce n'est pas le Repas du Seigneur". Et c'est pour couper court à cette dérive et retrouver la vérité de la réunion eucharistique que l'apôtre rappelle la dernière Cène - où il n'était naturellement pas présent mais dont on lui a transmis le déroulement et la signification: Voici ce que j'ai reçu du Seigneur et ce que je vous ai transmis: le Seigneur Jésus, dans la nuit où il fut livré, prit du pain et, après avoir rendu grâce, il le rompit et dit: " Ceci est mon Corps qui est pour vous; faites cela en mémoire de moi". Il fit de même après le repas en disant: " Cette coupe est la Nouvelle Alliance en mon sang; faites cela toutes les fois que vous en boirez, en mémoire de moi". Car toutes les fois que vous mangez ce pain et que vous buvez à cette coupe, vous annoncez la mort du Seigneur jusqu'à ce qu'il vienne. Alors que naguère le jeune pharisien enrageait d'apprendre que certains de ses compatriotes s'étaient convertis à Jésus Messie, à présent l'ancien persécuteur raconte avec respect l'acte fondateur de l'Eucharistie. A l'heure même où il sait qu'il va être livré aux hommes pour subir le supplice le plus horrible, Jésus se livre, On ne prend pas sa vie: il la donne. L'exécution devient don, offrande. Très consciemment il "se donne" à ses disciples qui pourtant, il ne l'ignore pas, vont l'abandonner dans quelques heures. Jésus se fait l'agneau pascal de la Nouvelle alliance. Pendant des siècles, Israël avait célébré "la pâque", le sacrifice de l'agneau qui commémorait la libération de l'esclavage en Egypte, l'Alliance du Sinaï et la naissance du "peuple de Dieu". Dorénavant il s'agit de consommer, de s'approprier le sacrifice de Jésus afin de célébrer la sortie de l'esclavage du péché, la Nouvelle alliance en son sang et l'entrée dans le Royaume de Dieu. Ce repas ne se déroule pas le jeudi (jour de la dernière Cène) ni le vendredi (jour de la croix) mais le 3ème jour, le lendemain du sabbat, le jour où Jésus est ressuscité. Aussi très vite, on appellera " Le Jour du Seigneur"- qui, à travers le latin (domenica), donnera le mot français "dimanche"- lequel deviendra bien le 1er Jour de la semaine ( et non le week-end comme on dit ). Donc, dès les origines, toute communauté chrétienne se rassemble en ce jour du Seigneur; elle écoute les enseignements, elle se laisse interpeler par la Parole de Dieu, elle partage le Repas du Seigneur en commémorant le don de Jésus sur la croix, en célébrant sa Résurrection et sa Présence vivante aujourd'hui en son sein, et en attendant de la sorte le Retour du Seigneur. Le passé de la Pâque de Jésus, le présent de sa Vie partagée, l'espérance du Royaume définitif: cela crée la communion, fonde une cellule de paix mondiale. Tel est le contenu extraordinaire de l'Eucharistie. On comprend pourquoi Paul ne peut supporter qu'il y ait des scissions selon les "classes sociales": " Que chacun s'éprouve soi-même avant de manger ce pain et de boire à cette coupe; car celui qui mange et boit sans discerner le Corps du Seigneur mange et boit sa propre condamnation ". Les Corinthiens croyaient que le Pain et le Vin distribués par le président d'assemblée étaient bien le Corps et le Sang du Christ mais ils n'en tiraient pas la conséquence immédiate. Ils ne "discernaient "pas LE CORPS DU CHRIST que le Repas du Seigneur constitue: les convives sont UN SEUL CORPS, un organisme vivant, une communauté réelle dont les membres acceptent leurs différences tout en entrant dans la communion les uns avec les autres. Il y avait là des Juifs et des Grecs, des patrons armateurs et des dockers, des vieux et des jeunes, des hommes et des femmes: la messe ne provoque pas un amalgame, elle n'abolit pas les différences mais elle fait de l'ensemble une COMMUNAUTE où chacun est UNE PERSONNE UNIQUE, respectée comme telle. Leçon jamais tout à fait acceptée ! On se rappelle que, au 19ème siècle, les riches étaient installés en avant sur de beaux sièges rouges tandis que les ouvriers étaient relégués derrière sur des chaises en paille ! Et l'Eglise a perdu la classe ouvrière qui s'est sentie non reconnue ! Il fallut attendre l'abbé Cardijn pour entendre le cri célèbre :" Un jeune ouvrier vaut tout l'or du monde". Le temps est fini où il suffisait d'obliger d'aller à la messe du dimanche. Des multitudes - et notamment les jeunes générations - se sont détournées de la pratique. Que faire ? Nous ne pouvons en rester à des plaintes stériles, ni nous répandre en critiques amères, ni nous résigner lâchement. La démarche de "pratiquer" est une décision lourde de sens; elle ne sera jamais celle d'une majorité. Saint Paul n'a pas édulcoré les exigences afin "d'avoir du monde". Pour lui, ce qui importait, c'était de créer une authentique communion chrétienne - peu importait le nombre, dont il ne parle jamais ! L'essentiel était de donner naissance à des chrétiens lucides sur l'engagement qu'ils prenaient. L'heure est à la vérité. Chaque chrétien est responsable. Travaillons à faire des célébrations significatives qui apparaissent comme "le repas du Seigneur". Y allons-nous avec autant d'allégresse que les jeunes à leurs concerts ? Nous empressons-nous d'arriver pour vivre l'acte le plus important de notre semaine ? Nous saluons-nous ? Nous préoccupons-nous les uns des autres ? Renversons-nous les disparités pour nous rejoindre dans le C½ur du Christ ? Sommes-nous UN CORPS ? Voit-on que nous nous aimons les uns les autres ? Le souvenir de la croix nous remplit-il de la joie du pardon et de l'espérance du monde de Dieu qui vient ?..
On raconte qu'un jour, Jésus s'adressa à Pierre par ces mots : « En vérité, Pierre, je te le dis: Y = aX² + bX + C ». Ce à quoi, Pierre répondit : « Heu...oui Jésus, mais ça veut dire quoi ? » et Jésus de lui rétorquer : « Tu ne peux pas comprendre, Pierre. C'est une parabole ». Matthieu aura sans doute été plus à l'aise avec ces notions mathématiques, lui qui avait passé sa vie à compter pour mieux encaisser les impôts. Alors, aujourd'hui si le Christ revenait, il pourrait s'adresser à nous par ces mots : « vous avez appris qu'il a été dit que un plus un plus un égale à trois, moi je vous dit que un plus un plus un égale à un ». Nous serions sans doute un peu comme Pierre face à une telle affirmation. Cela nous démontre que la Trinité que nous célébrons en ce jour n'est pas une équation à résoudre mais un mystère qui se laisse découvrir non pas de manière mathématique mais plutôt par les sciences « partenatiques ». C'est une nouvelle science et je suis heureux de vous annoncer que j'en suis le père fondateur. Oui, les sciences partenatiques peuvent nous apprendre à entrer dans le mystère de la Trinité. Je m'explique. Un être humain est né de la rencontre d'un homme et d'une femme. La relation est inscrite au c½ur même de ce qui fait notre humanité. Il en va ainsi pour nous, comme il en va pour Dieu. Au fil des siècles, nous avons appris à rencontrer un Dieu en qui la relation est également inscrite. Il est Père, Fils et Esprit. Ils sont trois pour ne faire qu'un. Ils sont en relation et ne peuvent se passer l'un de l'autre. Sinon, Dieu serait un éclopé. Mais ce Dieu trinitaire auquel nous nous référons, ne se contente pas de lui-même, mieux encore, il semble ne pas pouvoir se suffire à lui-même. Et c'est là que les sciences partenatiques deviennent intéressantes. Le Père qui s'est révélé à nous en Jésus-Christ et qui nous ouvre la voie de l'Esprit est en quête constante de partenariats. Nous avons été appelés à la Vie et nous sommes également invités à répondre à l'appel divin, c'est-à-dire à accepter d'entrer dans un processus de dynamique divine. Suite à l'événement de la Pentecôte, poussés par l'Esprit Saint, nous partons à la rencontre du Fils qui nous convie à mettre nos pas dans ses traces marquées du sceau de l'amour et ce Fils nous ramène toujours au Père. Ni le Père, ni le Fils, ni l'Esprit ne se suffisent à eux-mêmes. Ils ont besoin l'un de l'autre. Ils sont partenaires l'un de l'autre et, en même temps, ils nous appellent à entrer dans une nouvelle forme de partenariat avec eux. Il est évident que Dieu est, mais en lui, le verbe « être » s'adjoint de la préposition « avec ». Dieu est toujours avec quelqu'un, c'est-à-dire avec nous. Il ne se contente plus d'une simple adoration, d'une prosternation. En effet, les mages s'étaient prosternés devant lui à la crèche, les disciples se prosternent devant lui au moment où il les quitte. Le temps de la prosternation est dès lors dépassé. Dieu semble ne plus attendre nos prosternations. Il nous veut debout sur le chemin de nos vies et ce, même si nous sommes assis ou couchés. Etre debout dans sa vie se décline de différentes manières. Il s'agit tout simplement de continuer à être contagieux de Dieu là où nous en sommes dans nos histoires, où que nous nous trouvions sur notre chemin. La contagion divine a besoin de peu. Elle se nourrit d'un regard, d'un sourire, d'une parole d'amour, d'un geste de tendresse. Une caresse dit parfois tellement plus que des paroles vaines. Grâce à ce Dieu trois en un, nous n'avons plus à nous prosterner devant sa grandeur. Non, il a plutôt choisi de venir s'agenouiller auprès de nous pour entrer en relation avec nous et faire de chacune et chacun d'entre nous de véritables partenaires de sa Création. Oui, reconnaissons-le, en toute humilité, Dieu a besoin de nous. Il ne nous veut pas en-dessous de lui comme si nous étions des êtres inférieurs. Il nous veut avec lui en partenaires responsables et pétris de sa divinité. N'est-ce pas le sens d'un des prénoms donnés au Fils, l'Emmanuel, Dieu avec nous ? S'il est vraiment avec nous, à nos côtés, il passe alors également par nous. La fête de la Trinité nous fait ainsi entrer dans une dynamique divine où nous devenons les partenaires les uns des autres mais des partenaires privilégies puisque c'est par l'amour que nous laissons la divinité éclater et chanter au c½ur de notre humanité. Dieu est notre partenaire et nous sommes ses partenaires. Notre partenariat est une alliance qui nous lie à jamais. Que cette réalité nous fasse, à l'instar de l'histoire de Noé, redécouvrir qu'un arc-en-ciel vit au fond de notre c½ur. Cet arc-en-ciel intérieur est le signe même de cette alliance divine. Qu'il rayonne en nous pour que nous puissions à notre tour rayonner du Père, du Fils et du Saint-Esprit à chaque instant de notre vie. Amen
Une question et une réponse. La question est posée par un savant mais elle est pratique : que faire pour vivre vraiment, pour connaître une vie qui durera toujours ? La réponse de Jésus est simple, traditionnelle, elle résume toute la loi : aimer ! Il faut aimer.
Mais la question rebondit : aimer qui ? Car notre juriste, notre docteur de la Loi est averti : aimer tout le monde, c'est n'aimer personne en particulier. Aimer suppose des choix. Qui est donc mon prochain ? Ma femme, mes enfants, mes collègues, mes voisins ? Vous connaissez la réponse d'usage « charité bien ordonnée commence par soi-même ». Elle justifie l'égoïsme mesquin et rejoint la boutade de Jean-Marie Lepen : « Jésus n'a pas dit d'aimer son lointain mais d'aimer son prochain ». Autrement dit, il faut être solidaire du clan mais pas plus loin.
Tous ces petits arrangements de la bonne conscience bourgeoise volent en éclat aujourd'hui avec la parole de Jésus. C'est une parole absolument neuve, transcendante, sans aucun compromis. Elle n'a rien de culturellement conditionné. Elle appelle à une ouverture de c½ur et d'esprit, toujours bien au-delà de ce que nous pratiquons. Elle introduit à une vie nouvelle, dont on ne peut avoir aucune idée tant qu'on n'a pas essayé.
Jésus raconte une petite histoire, il ne répond pas à la question, il y revient tout à la fin pour vérifier si l'interlocuteur a deviné. Je vous propose à mon tour un petit jeu. Tout d'abord ne regardez plus votre feuille. Est-ce que vous vous souvenez de la réponse à la question ? Qui est le prochain dans cette histoire ?
Spontanément nous répondons « l'homme blessé ». Cela signifie que nous nous identifions à celui qui aide, à celui qui a le beau rôle, à celui qui ne souffre pas. Nous comprenons le mot aimer comme le mot aider, comme le mot donner. Et la main qui donne est toujours au dessus de la main qui reçoit. Ce rôle est gratifiant.
Mais la question de Jésus se formulait ainsi : « A ton avis, lequel des trois a été le prochain de l'homme qui était tombé entre les mains des bandits ? » Le point de vue est inversé. Il s'agit de se mettre à la place de l'homme blessé, à la place de celui qui était à moitié mort, que l'on a soigné, que l'on a hébergé, que l'on a aidé. La place de celui qui a reçu, gratuitement.
Beaucoup de choses peuvent nous choquer dans cette histoire. C'est une relation d'amour inégale. Il n'y a pas ici de réciprocité : ni amitié ni sentiment. Ils n'échangent pas un mot, pas de problèmes de traduction ! Le samaritain est pressé, il n'attend pas la guérison. Cet « amour du prochain » est très distant, pas du tout fusionnel : les nationalités sont différentes et même les religions. Pour le moins que l'on puisse dire, il n'est pas captatif !
Aimer mon prochain, celui qui s'est fait proche, ici, c'est aimer celui qui m'a aidé, celui qui m'a aimé, être capable de reconnaissance, pour ensuite être capable de faire de même.
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Une autre chose attire mon attention : quand on va de Jérusalem à Jéricho, en passant par la route jadis construite par le roi de Jordanie, on traverse le cimetière du mont des oliviers et l'on découvre un panneau qui dit ceci : route interdite aux Cohen et aux Lévi. Route interdite aux prêtres. En, dans la Loi, un prêtre n'a pas le droit de toucher un mort ni donc d'entrer dans un cimetière, il deviendrait impur et ne pourrait plus servir au Temple. L'attitude des deux premiers personnages s'explique donc très bien : ils se conforment à l'usage, ils ne transgressent pas les interdits de leur temps.
La question que je vous pose est redoutable : peut-on aider quelqu'un vraiment sans transgresser certains tabous sociaux, comme toucher ce qui est sale. Celui qui est malade, à demi-mort, peut être contagieux, et contagieux à tous les sens du mot ! Interrogez votre expérience. Peut-on être humain sans parfois se compromettre auprès de gens suspects, sans transgresser les règlements, sans risquer de devenir soi-même impur, à tous les sens de ce mot ?
Se faire proche, c'est descendre de son piédestal pour se mettre à hauteur que l'autre. C'est franchir une frontière qui peut être celle de la vie et de la mort, du pur et de l'impur, parfois même du légal et de l'illégal.
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Je terminerai par une note théologale car la morale ne sert à rien si elle ne communique pas la vie même de Dieu. La foi chrétienne affirme précisément que le Dieu Tout Puissant fait le pas de rejoindre l'humanité blessée. Dieu s'est fait homme pour nous sauver. « Jésus Christ, lui qui est de condition divine, n'a pas considéré comme un privilège exclusif, le rang qui l'égalait à Dieu mais il s'est dépouillé, prenant la condition de serviteur devenant semblable aux hommes, et il s'est abaissé, devenant obéissant jusqu'à la mort, à la mort du paria, la mort de la croix. » (Ph 2,5)
C'est d'un même mouvement que je peux aimer Dieu et mon prochain. Dieu s'est fait mon prochain. Vivre cet amour-là, c'est connaître dès maintenant une vie que la mort ne brisera pas car elle est capable de franchir toutes les frontières et toutes les limites.
"Carême" ? Encore un mot devenu insignifiant. Aussi importe-t-il d'abord de ressaisir le sens de cette période qui nous prépare à Pâques. Au moment même où la nature figée par l'hiver frémit sous le renouveau du printemps, l'Eglise nous propose non pas la tristesse mais au contraire un sursaut de vie, une "ré-surrection". Ne tirons pas "une face de carême", quittons cette piété morose et sinistre qui fait fuir les jeunes et osons un christianisme de vie. Notre bonheur, en effet, consiste dans l'équilibre des trois relations qui nous constituent : relation à nous-mêmes et à notre corps - rectifiée par le JEÛNE relation aux autres- justifiée par le PARTAGE DES BIENS relation à Dieu. - établie par la PRIERE
Jadis, on nous invitait à un "carême de pénitence" - 1ère relation - : faire des sacrifices, jeûner, nous priver de dessert, manger du poisson à certains jours. On risquait de tomber dans le formalisme et l'enfantillage. Pharisaïsme ! Dans les années 60, avec le Concile et la découverte de la tragédie de la faim dans le monde, on inventa le "carême de partage"- 2ème relation - : donner de l'argent pour soutenir des projets de développement dans le tiers-monde. Bien ! mais combien de chrétiens ne donnent même pas le 1/10ème de ce qu'ils dépensent pour leur superflu et leurs voyages ?...Pharisaïsme !
Le temps est venu de redécouvrir en priorité notre relation à Dieu et de faire un "carême de prière". Non de rabâchage de formules mais d'oraison courageuse à l'écoute de Dieu, dans le silence et la solitude. Car c'est la vérité de ce rapport essentiel qui nous permettra de convertir les autres relations
LE CAREME INAUGURAL DE JESUS AU DESERT
En effet telle fut bien l'action première de Jésus au lendemain de son baptême, comme le rapporte Marc dans l'évangile de ce 1er dimanche : il ne dit pas que Jésus n'a plus mangé ni qu'il s'est lancé dans l'action humanitaire ni qu'il s'est mis à prêcher aux foules. Il est allé prier tout seul.
Comme beaucoup de jeunes de son temps, le charpentier de Nazareth, avait répondu à l'appel de Jean-Baptiste qui annonçait la venue du Messie. Sous l'exhortation du prophète, Jésus était descendu dans le Jourdain mais, en sortant de l'eau, il avait soudain perçu l'appel de Dieu : " Tu es mon fils bien aimé : en toi j'ai mis mon bon plaisir".
Tous les autres baptisés retournèrent chez eux et reprirent leur vie ordinaire. Ils avaient accompli un rite mais allaient-ils se convertir réellement comme l'exigeait le Baptiste ? Rien n'est moins sûr. Jésus, lui, bouleversé par la Voix de Dieu, s'enfonça dans la solitude du désert.
Jésus venait d'être baptisé. Aussitôt l'Esprit le poussa au désert. Et dans le désert, il resta 40 jours, tenté par satan. Il vivait parmi les bêtes sauvages et les anges le servaient.
Jésus vient de recevoir son ordre de mission : il est le Fils chéri de son Père du ciel qui le charge d'instaurer aujourd'hui le Royaume de Dieu parmi les hommes. Son identité et sa mission lui sont solennellement proclamées, mais dès lors que faire ? Aucune précision ne lui a été communiquée. Le Fils de Dieu n'est pas un pantin manipulé mais un homme libre qui doit réfléchir, méditer, chercher afin d'accomplir le projet de Dieu tel que Dieu le veut.
Sous la poussée de l'Esprit, Jésus commence une retraite personnelle. Elle durera 40 jours - claire allusion au peuple de ses ancêtres, les esclaves hébreux, libérés d'Egypte, et ayant passé la Mer pour marcher pendant 40 ans dans le désert du SinaÏ. Jésus reprend l'aventure de son peuple qui, à cause de ses infidélités, a échoué à faire venir le Royaume de Dieu.
Jésus est "tenté par satan" - La tentation n'est pas un péché : elle est la conséquence normale de notre liberté. Si l'animal est conduit par ses instincts, l'être humain se trouve perpétuellement devant un choix : deux chemins s'offrent à lui. Au contraire des Hébreux dans le désert qui succombaient sans cesse aux tentations, renâclaient devant les volontés de Dieu, "râlaient" devant les circonstances précaires, refaisaient des idoles, Jésus, lui, discerne le bien du mal, il écarte les suggestions mensongères et opte pour Dieu seul !
Inaugurer le Royaume de Dieu : par quelle méthode, par quel moyen ? A la différence de Matthieu et Luc, Marc ne précise pas les trois tentations fondamentales auxquelles Jésus est soumis ( le matérialisme, le prestige du miracle, l'emploi de la violence). Elles sont celles que tout homme rencontre.
Il vit "parmi les bêtes sauvages du désert" : il retrouve la paix du paradis, il échappe à la cruauté, à la loi de la jungle, à la dictature de la violence. Avec lui déjà la création retrouve son harmonie.
Et "les anges le servent" : les mystérieuses créatures spirituelles s'inclinent devant cet homme qu'elles reconnaissent d'un statut supérieur au leur.
Un jour, Jésus apprend que Jean-Baptiste vient d'être arrêté. La voix du précurseur s'est tue : la voix du Messie peut retentir. Jésus est décidé et il sait que sa mission le conduira sans doute au même destin. Il retourne dans sa province. Le héraut de l'Evangile se fait entendre et appelle les libertés :
Jésus partit pour la Galilée, il proclamait la Bonne Nouvelle de Dieu : " Les temps sont accomplis ; le Règne de Dieu est tout proche. Convertissez-vous et croyez à l'Evangile"
POUR NOTRE CAREME EN VERITE
Voilà la scène, brève mais capitale, que l'Eglise met sous nos yeux en ce jour inaugural. Qu'est donc le carême ? D'abord reprendre conscience de notre identité nouvelle. Au baptême, en nous disant : " Tu es mon fils, tu es ma fille" et en nous donnant son Esprit, Dieu nous a offert la communion de vie avec lui et donc entre nous. Nous sommes devenus le peuple des enfants de Dieu, des frères et s½urs animés du même Esprit. Cet Esprit nous pousse à débusquer les tentations insidieuses qui nous éloignent de Dieu. Redécouvrons l'essence de notre mission et la manière de l'accomplir. Nous sommes le peuple messianique : telle est notre vocation fondamentale, notre profession. Donc comme Jésus, entrons en désert : solitude, silence, recul, réflexion. Ecartons les divertissements futiles.
-- -Quel est le signal de la crise actuelle ? On se rend compte que l'on a adoré l'Argent, couru après le profit, oublié les pauvres, gaspillé les ressources . L'Evangile avait prévenu que là était le mal, l'ignominie, le péché !!
-- - Alors que le Concile avait promu une formidable réforme afin de nous offrir une liturgie vivante, parlante, interpellante, pourquoi nos assemblées s'amenuisent-elles à ce point ? Pourquoi cette hémorragie des pratiquants ? Faut-il accuser la société ou prendre conscience de l'insuffisance de nos engagements devant les défis de la modernité ?
Mc 9:2-10
Mes amis, nous aurions aimé être là, nous aussi. Nous aurions aimé participer à cette expérience extraordinaire, sentir la présence du Père, entendre sa voix, être enveloppés dans la nuée de tendresse, rencontrer les grands témoins (Moïse, Elie) et les entendre parler avec celui qui accomplit l'Ecriture en franchissant l'épreuve qu'ils n'ont fait que désigner. Voir le Christ en pleine lumière, rayonnant de fragilité, comme le filament brûlant d'une lampe survoltée, l'humanité de Jésus saisie dans cette expérience limite, dans la tension de l'amour donné, à c½ur ouvert face à la mort, en plein saut vers la réciprocité. Nous aurions aimé être là, discrets, tout petits, et faire l'expérience de Dieu Trinité. Nous aurions aimé être là et vivre avec Jésus, l'expérience du oui sans aucune restriction.
Nous aurions aimé être là. Nous y sommes à l'instant, par le témoignage de Pierre, Jacques et Jean. Nous y sommes aussi lorsque nous vivons, à notre tour, nos propres transfigurations.
Mais nous avons respiré dans l'air ambiant, telle quantité de miasmes réducteurs, anti-mystère, anti-miracles, anti-merveilleux, que nous ne pouvons, en Europe, entendre cet épisode comme sérieux, vécu tel quel physiquement. Je serais donc tout naturellement porté à faire une lecture mythique de ce récit en l'interprétant symboliquement. A la lumière, substituer la conscience : la perception de la relation au Père dont on entend la voix. A la présence de Moïse et d'Elie, substituer la méditation biblique de la Pâque de ces deux précurseurs. Jésus réfléchit à sa vocation, à son destin et il se comprend lui-même dans le contexte de la rumeur biblique. La Transfiguration ? Un événement mental en quelque sorte : « rassurez-vous braves gens, nous ne sommes pas des illuminés ! Nous avons à votre disposition une lecture moderne de l'Ecriture, qui tient compte de l'exégèse et des genres littéraires ! » J'ironise, mais cette lecture a sa valeur, elle est même très intéressante car elle pointe le sens de l'événement, plus important que tout, finalement. Mais elle est ici peut-être rétrécie, aseptisée, désincarnée. Cette lecture s'intéresse au sens, mais elle refuse la réalité qui porte le sens. Elle n'entre pas dans l'expérience, elle en a peur. Mais si c'était vrai ?
M'affranchissant de mes soupçons, je prends le risque d'entendre le témoignage comme il est présenté : une expérience limite vécue par Jésus dans son corps, en présence de trois disciples qui ont peur et gardent le secret.
Car l'expérience spirituelle existe ! Qu'il y ait des charlatans et des contrefaçons ne contredit pas ce fait. Certes l'expérience mystique, s'exprime comme elle peut, toujours dans un contexte donné, ici, l'Exode et la Nuée . Mais tout ne se réduit pas à un procédé littéraire. Il ne s'agit pas d'une prise de conscience seulement, cela va bien plus loin qu'un événement mental. Ils sont trois témoins et si, en Occident, nous avons des stigmatisés, en Orient, les spirituels sont des transfigurés. Le corps, écorce de l'âme, se fait alors sa parfaite expression ; d'enveloppe d'argile, il devient rayonnant. Puisque le Verbe s'est fait chair, la chair devient révélation ! Dieu s'est fait homme pour que l'homme devienne Dieu, et la vie humaine va beaucoup plus loin que ce que nous avons exploré !
Pour que le récit nous parle vraiment, il faut qu'il éveille dans notre expérience personnelle certains échos. Or il y a dans l'homme un désir de transgresser les limites de sa condition historique, celles des lois physiques et celles du temps. Ce désir conduit certains à l'autodestruction, d'autres à l'évasion, il peut, et nous le voyons ici, conduire au dépassement et à l'accomplissement de soi dans une transfiguration furtive qui anticipe la résurrection définitive. L'autodestruction : c'est la drogue, depuis les simples stimulants, en passant par l'alcool, pour aboutir à la cocaïne, l'héroïne ou cette mal nommée 'Ectasy'. L'évasion : c'est le rêve, avec tout ce que l'on trouve dans le courant du New Age où le monde est tel qu'on veut l'imaginer. Vous vous mettez la vidéocassette que vous voulez, dans le genre de l'horreur ou du sucré. Tout cela doit être dénoncé. Mais il y a aussi une expérience qui dépasse celle du quotidien et qui ne peut être soupçonnée de folie, d'hystérie ou de perversion, l'Evangile d'aujourd'hui en est la garantie.
Conversions soudaines et inattendues, larmes et abandon de soi dans la confiance en Dieu, visions qui confirment un appel pressenti, transfigurations comme en connaissent les staretz en Orient... ces expériences sont d'une telle intensité que le sujet est comme « retourné ». Il est marqué dans son histoire par ces moments intimes et germinaux. Il peut en avoir peur et ne pas oser parler. Joie intense et solitude mêlées : il a le sentiment d'être devenu différent.
C'est une expérience qui est donnée, elle ne se provoque pas. Il s'agit avant tout d'une surprise et n'est en rien le résultat d'un entraînement, ni le produit magique d'une formule, ni l'effet d'un médicament. Il s'agit de l'éblouissement d'une rencontre qui doit se prolonger en communion. Tout est vécu dans la relation au Père, et tout est reçu. Impossible de le figer, de mettre la main dessus, de s'y installer. Pierre confond l'expérience de Dieu et Dieu lui-même ; la joie d'aimer et l'amour vécu. Dans la vie spirituelle comme dans l'amour adolescent, il peut y avoir beaucoup d' « amour de l'amour » et cela n'est pas encore l'amour vrai. La transfiguration est un moment, mais Dieu est amour et l'amour est élan. Le transfiguré sait qu'il sera bientôt défiguré. Il se libère de son image, de son apparence ou de son personnage, il ne fait pas écran, il ne se crispe pas sur lui même mais se reçoit du Père qui l'envoie. Il rayonne cette relation de confiance et de vie qui le constitue dans son identité. Vous l'avez entendu : sa transfiguration survient tandis qu'il médite son passage, le moment où, comme le dit Isaïe, il n'aura plus 'figure humaine', son passage par la défiguration. C'est toute la différence d'avec les marchands d'illusion.
Nous aurions aimé être là, comme Pierre et construire trois tentes pour durer dans ce moment hors du temps. Mais il nous faut voir en vérité : Jésus rayonne de vie au moment précis où il accepte sa mort, une mort horrible, elle-même transfigurée en don de soi et chemin de résurrection. Pour nos frères orientaux, la Transfiguration est la fête la plus importante de l'année. C'est le monde entier, tout le cosmos, saisi par le Christ, qui aspire maintenant à être transfiguré. « Mes bien aimés, dit saint Jean, dès à présent nous sommes enfants de Dieu, mais ce que nous serons n'a pas encore été manifesté. Nous savons que, lorsqu'il paraîtra, nous lui serons semblables, puisque nous le verrons tel qu'il est » . 1 Jean 3:2
UN SUCCES AMBIGU .... ET UNE OPPOSITION GRANDISSANTE
Jésus circule donc à travers sa province de Galilée (le Royaume commence là où l'on vit) : prophète, prédicateur, il se montre aussi guérisseur, thérapeute. Car le Royaume de Dieu n'est pas une réalité idéale, un rêve désincarné : il atteint les c½urs mais également les corps. Aussi son succès est-il immédiat ...mais très ambigu : ce que les gens demandent, c'est la guérison des maladies et des handicaps et ce qu'ils guettent, c'est le signal qui déclenchera la révolution triomphale ! Par ailleurs, les scribes et les pharisiens sont de plus en plus exaspérés par ce Jésus qui multiplie les déclarations blasphématoires : " Le Fils de l'homme a autorité pour pardonner les péchés sur la terre (2, 10).Je suis venu appeler non pas les justes mais les pécheurs (2, 17)...Je suis l'Epoux qui apporte le temps des Noces de Dieu ( 2, 19)...Le Fils de l'homme est maître du sabbat (2, 28)..". Pour qui se prend-il ??...Des accusations très graves sont lancées contre lui : " Cet homme a le diable en lui !!...C'est par le chef des démons qu'il chasse les démons" (3, 22)". La furie est telle que, très vite, certains d'entre eux ont décidé de le tuer (3, 6).
LE GRAND TOURNANT
Après un long temps de mission, Jésus emmène ses disciples près de la ville de Césarée et là il les somme de lui dire ce qu'il pensent de lui : " Tu es le Christ" répond Pierre. A nouveau Jésus leur ordonne de ne pas proclamer cela aux foules pour lesquelles Messie signifie chef de guerre.
Et il inaugure un enseignement tout à fait inouï : " Il commença à leur enseigner qu'il fallait que le Fils de l'homme souffre beaucoup, qu'il soit rejeté par les grands prêtres et les scribes, qu'il soit mis à mort, mais le 3ème jour il ressuscitera" (8, 31). Pierre sursaute, proteste contre cette éventualité mais Jésus le rembarre avec violence : " Derrière moi, satan !". Et à tous, foule et disciples, il déclare : " Si quelqu'un veut venir à ma suite, qu'il renonce à lui-même et prenne sa croix...".
Là est le grand tournant, le deuxième après celui du baptême : Jésus a décidé d'annoncer le Royaume à Jérusalem donc d'y affronter ses ennemis dans leur fief, le Temple. Il y encourra la mort mais il est certain que son Père ne l'abandonnera jamais. Marc note bien que c'est peu après cette décision que se passe l'étonnante scène de la Transfiguration - évangile du jour
Six jours après, Jésus prend avec lui Pierre, Jacques et Jean et les emmène seuls à l'écart sur une haute montagne. Il fut transfiguré devant eux : ses vêtements devinrent resplendissants...Elie leur apparut avec Moïse et ils s'entretenaient avec Jésus. Pierre dit : " Rabbi il est heureux que nous soyons ici : dressons trois tentes, une pour toi, une pour Moïse, une pour Elie". Il ne savait que dire tant était grande leur frayeur. Survient une nuée qui les couvrit de son ombre et une voix se fit entendre : " Celui-ci est mon Fils bien-aimé" ; écoutez-le". Soudain regardant tout autour ils ne virent plus que Jésus seul avec eux.
Cette "transfiguration" n'est donc pas un prodige gratuit, une fulgurance divine pour ébahir les disciples, une parenthèse extatique. Au moment où Jésus a décidé d'obéir à son Père au prix de sa vie, Celui-ci lui répond en le rendant resplendissant de sa Gloire. Oui, il lui faut poursuivre sa mission jusqu'au bout, proclamer le message quoi qu'il en coûte. Les hommes le tueront mais Dieu lui rendra la Vie. Car faire advenir le Royaume, ce n'est pas seulement prêcher la Bonne Nouvelle et opérer des bienfaits : c'est aimer les hommes même quand ils vous suppriment.
"Ecoutez-le" dit la Voix de Dieu. L'ordre porte sur l'annonce des jours précédents : l'annonce de la croix vous semble une folie intolérable et vous avez envie de la rejeter comme absurde. Or, au contraire, c'est lorsque vous rêvez de violence et de prodiges que vous êtes du côté de satan et que vous prenez part à la destruction du monde. Il n'y a pas d'autre salut que dans l'amour authentique et " l'amour, c'est tout donner et se donner soi-même " ( St Thérèse de Lisieux).
Moïse et Elie, les piliers de l'histoire d'Israël, viennent encadrer Jésus. Les deux hérauts de la libération - qui ont jadis fait usage de violence - s'inclinent devant Celui qu'ils annonçaient. La Loi et la Prophétie culminent dans l'Evangile.
Et le pauvre Pierre, une fois encore, se trompe. Là il avait rejeté la perspective d'un Messie crucifié, ici il voudrait prolonger une grâce d'exception !...Mais il faut aller à la croix et on ne peut prolonger un moment fugitif de lumière. Une Nuée survient - symbole de la Présence de Dieu - et les englobe tous : l'Esprit rassemble autour de Jésus les grands personnages de l'Ancien et du Nouveau Testament. Car il n'y a qu'une histoire du salut, un seul Sauveur qui unit tout en lui. Il ne faut plus faire des tentes, enfermer dans des niches, placer sur des piédestaux mais - travail bien plus ardu !- se laisser prendre dans la communion de Vie divine !! Nous sommes tous sous "la Tente de Dieu".
On le sait, la splendeur de la vision ne réussira pas à convaincre les apôtres : quelques semaines plus tard, Pierre, Jacques et Jean lâcheront leur maître en danger de mort. Mais après la prière du baptême dans le désert, après la prière de trans-figuration sur la montagne, Jésus vivra la prière de la dé-figuration par l'agonie au jardin des Oliviers. Pour la 3ème et dernière fois, il redira OUI à son Père : celui-ci l'introduira dans la Vie éternelle, il donnera l'Esprit et enfin le Royaume de Dieu pourra éclore et se répandre sur la terre. Le salut du monde sera effectivement réalisé.
Le carême est le temps où nous avons à nous approprier le message de mort et résurrection. Annonce terrifiante ! L'Eglise, comme Pierre, a souvent cherché à échapper à cette issue en affichant des signes de puissance ou en multipliant des bienfaits et des cadeaux. Mais sa mission essentielle est d'annoncer la venue du Royaume, de proclamer un Messie crucifié (1 Cor 1, 23), de dénoncer l'idolâtrie qui entraîne notre société à sa perte - et donc de subir critiques, sarcasmes et persécutions.
Elle doit même critiquer les responsables religieux lorsqu'ils remplacent la Parole de Dieu par des traditions humaines (Marc 7, 8). Car pour Jésus, le grand malheur de son peuple n'est pas dû à Pilate et ses légionnaires, ni aux pécheurs et malfaiteurs, mais bien à ceux qui faussent la religion.
S'il accepte d'entrer sur ce chemin de fidélité, le chrétien recevra des grâces de lumière. Tel ce malade vivant d'atroces souffrances, longtemps révolté contre son état, tenté par le blasphème, et que je trouvai un jour, le visage apaisé, comme rayonnant. " J'accepte", murmura-t-il. L'Esprit l'avait comme transfiguré : il pouvait aller au don total de lui-même.
Jésus ne cherchait pas à mourir : il voulait de toute son âme que la Vérité de son Père soit entendue et mise en pratique. Cette décision ne pouvait que lui attirer la haine et la mort. Regardons aujourd'hui son Visage de Lumière. Il est sans dépit ni impatience, sans rancune ni mépris. Il est le Visage humain, humano-divin que Dieu nous présente et où il nous dit : "Voilà comment je vous aime".
Seul l'amour rayonnant de cette face adorée nous permettra d'obéir à la Voix qui nous dit : " Jésus est mon Fils bien-aimé : écoutez-le , prenez son chemin, portez votre croix, suivez-le. Le gibet de la Croix est l'arbre de Vie".
LA CRISE ET L'EXIGENCE DE CONVERSION !
Bruxelles, 7 déc 2008, fr Michel Van Aerde op
Veillez, nous dit Jésus ! Convertissez-vous, dit ce grand escogriffe de Jean baptiste, surgi dans le désert comme un bon sauvage, 100% écologique.
S'ils avaient prévu la crise financière, les banquiers de Fortis, Dexia, Lehman brothers et tant d'autres encore, auraient pris leurs précautions ! Et pourtant nous savons que ces gens là ne dorment pas, ils ont le nez sur les courbes, les pourcentages, ce qui monte et ce qui descend. Les riches sont toujours sur le qui vive, sinon, ils perdraient vite tout ce qu'ils ont. L'expression « veiller » ne doit donc pas être prise à la lettre, comme s'il fallait passer des nuits blanches à prier en attendant le retour du Christ. Veiller, c'est être attentif à l'essentiel.
Les grands financiers savaient bien que cela ne pouvait pas durer. Ils connaissaient la fragilité de leur système et pourtant ils ont été surpris. Une partie du réel leur échappait, la vraie vie était ailleurs. Se convertir, c'est lui donner la priorité.
N'y a-t-il pas un certain message de Dieu dans cette remise en cause forcée de notre train de vie, personnel mais aussi collectif, à l'échelle mondiale ? Le modèle de développement dont l'humanité s'était comme rendue prisonnière n'allait-il pas tout droit vers une catastrophe, écologique bien sûr mais aussi culturelle et finalement spirituelle. Le dogme du libéralisme radical suivant lequel il fallait laisser agir la « main invisible » du marché - une sorte de « providence » masquant la loi du plus fort - pour tout organiser, ce dogme s'est effondré. L'humanité doit prendre ses responsabilités, assumer sa liberté, les soit disant « lois économiques » ne sont pas une fatalité qui puisse nous terroriser. Veillez, nous dit Jésus, regardez, observez la nouveauté, analysez-la et adaptez-vous aux imprévus. Convertissez-vous, dit Jean Baptiste, apprenez à vivre de peu pour être plus heureux !
Nous vivons un moment très particulier où tout semble suspendu. Les choses vont changer sans que l'on sache précisément comment, ni vers où. La crise ne fait que commencer, nous en avons ressenti les premières secousses mais d'autres vont suivre, sur des plans plus profonds. Nous entrons dans une ère de bouleversements. C'est un moment charnière, « un temps favorable » comme dit la Bible, un temps de conversion et de renouveau. Rien ne sera jamais plus comme avant.
Dans ce grand basculement comment les chrétiens vont-ils se situer ? Qu'avons-nous à vivre ? Qu'avons-nous à dire ? De quoi témoigner ? Qu'allons-nous communiquer à la petite Marie Victoria qui va être baptisée ? Elle symbolise la mondialisation : ses parents viennent de deux continents différents et vivent avec elle dans un troisième !
Nous sommes au c½ur d'une crise financière, une crise fiduciaire, comme on dit, c'est-à-dire une crise de confiance. « Fiduciaire », confiance, c'est la même racine que le mot « foi ». En quoi peut-on se confier ? En qui peut-on mettre sa foi ? On doute des crédits, on doute de la réciprocité dans les prêts, on doute de l'autre, on doute de l'avenir. On doute de la vie et, en même temps, et c'est le côté positif des crises, on est obligé de réagir ensemble, solidairement, comme pays, comme pays européens, et finalement comme pays d'un monde globalisé.
Jamais autant qu'aujourd'hui, l'humanité n'a été obligée à s'unifier pour faire des choix, pour prendre des mesures, pour décider d'une route à suivre. Jamais autant qu'aujourd'hui, l'humanité n'a été aussi responsable de son propre avenir commun.
La crise est profonde et va bien au-delà des questions d'argent. C'est véritablement une crise de civilisation. Notre train de vie se réduit et notre mode de vie est différent. Réduit parce que la richesse a diminué de 30%, et différent parce qu'il faut découvrir d'autres richesses : un autre rapport à la nature (et le pape Benoît insiste toujours sur les lois naturelles), un autre rapport à l'autre, un autre rapport à Dieu, une autre convivialité, une autre spiritualité.
Pouvons-nous dire, comme chrétiens, que nous y voyons la présence de Dieu ? Un message de Dieu, inscrit dans ces grands changements de l'histoire, de la société et de notre mode de vie ? Dieu aurait-il besoin, pour être entendu, d'apparaître sur les écrans ou d'hurler à la radio ? Il se dit tout simplement dans la cohérence du réel, dans les chemins possibles de la vie, de l'amour, et de la vraie joie.
Il y a un message de vie et de bonheur qui se dit dans l'Evangile. Le mettre en pratique, c'est choisir la vie et l'avenir possible : le « développement durable », les vraies solidarités, les vraies sécurités. Mais les béatitudes supposent bien des conversions ! L'évidence de leur vérité apparaît de plus en plus au fur et à mesure de notre développement. Impossible d'utiliser les armes, elles sont si puissantes que nous serions tous détruits : nous sommes conduits à la négociation comme seul chemin d'avenir. Impossible de spéculer sans contrôle, les baudruches financières se dégonflent. Impossible de consommer sans limite, les ressources de la planète s'épuisent et elle se réchauffe trop. Nous devons inventer d'autres moyens de nous déplacer pour ne pas toujours mobiliser plusieurs tonnes de ferraille pour transporter 80 kilos !
Nous redécouvrons la vérité de cette frugalité heureuse dont nous parle toujours l'Evangile. Le bonheur, le royaume de Dieu est en nous, au milieu de nous et il y a plus de joie dans quelques tartines partagées que dans beaucoup de banquets où chacun regarde l'autre avec jalousie, parce qu'il y a toujours plus beau, plus riche, mieux habillé ! Il y a même quelque chose d'inouï que nous découvrons ces jours-ci : sous peine de voir tout le système se bloquer, il nous faut donner aux banquiers et leur remettre leurs dettes, leur pardonner puisqu'ils ont eux-mêmes prêté à des gens qui ne leur rendront jamais !!!
La crise dans laquelle nous entrons va être celle de l'espérance et du sens de la vie. Un doute profond en l'économie, en possibilité de vivre en société, un doute vis à vis de l'avenir... Les chrétiens, comme la petite Marie Victoria devront être des hommes et des femmes de foi. Témoins de la douceur de Marie et de la victoire du Christ, de l'espérance du Magnificat où l'on voit les riches les mains vides et les pauvres rassasiés. Comme Maria Victoria, ils devront être les témoins de la victoire de l'amour, la victoire de la vérité, la victoire de la vie, dans la résurrection de Jésus.
Ils devront être des hommes et des femmes de foi, de confiance, d'invention, de création. A chaque génération sa vocation ! Ce sont des chrétiens, Galtieri, Schuman, Monnet... qui, au lendemain des guerres mondiales, ont inventé l'Europe pour en incarner l'idée contre toutes les résistances, en ouvrir les chemins. Qu'allons-nous inventer, au niveau où nous sommes chacun, dans ces années qui commencent et où tout va changer ? Nous le devons pour nous-mêmes, nous le devons pour ceux qui commencent dans la vie. Voici Marie Victoria qui nous y appelle. Nous allons la baptiser, c'est-à-dire plonger dans la foi de l'Eglise, dans la passion-ressuscitante de Jésus-Christ, dans l'amour vainqueur du Dieu vivant, Père, Fils et Saint Esprit !
Mc 1:1-8
The text of Isaiah we have just heard is a text for captives. In its historical context it was addressed to the Jews living in exile in Babylon. But beyond the historical context, it is pertinent for any era. It is relevant for us today. For those who live in exile here in Belgium with or without official papers, for those who, working at the European institutions or not, live away from their roots for those who are captives in their body suffering from illness and those who are captives in their mind suffering from depression, for those who are trapped in contemporaries ideologies, for those who are entangled in complicated human relationships, for drug or internet addicts and workoholics. Aren't we all captives somewhere ?
So this text is for us. It unfolds in three steps. Consolamini, consolamini... comfort, give comfort. Here is a task given to us. It is not God alone who will come and comfort us. We are asked to console. It expresses God's unlimited trust in the human race. God is suggesting that we, as captives, can console others. However caught we are in our captivity and addictions, there is potential for ourselves to become comforters of people. And possibly, it is because we make the experience of being captives, that we can become compassionate men and women and that we can listen to the cries of others. The path of comforting then becomes a path out of our captivity. Here is a first liberating message of hope. Our God is a trusting God, who beliefs that any captive has something to give, that any addict can offer a path to destiny to others. Give comfort and God will lead you out of captivity. Secondly. Prepare the way of the Lord. Prepare your way to return to freedom. Don't set out immediately, but prepare the journey. Again God takes us from where we are and gives us time before we find our way back to freedom. The way proposed by God is not any way : it is a way through the desert. Isaiah means, not the usual way from Babylon to Jerusalem avoiding the desert by the long detour in the north. No ! The direct way from Babylon to Jerusalem : through the desert. God is impatient to get us back to freedom : he offers a direct way. This does not mean an easy way : deserts are no easy place for a human being to survive, but it is a direct way. He is prepared to many changes to make this pilgrimage possible : Every valley shall be filled in, every mountain and hill shall be made low ; The rugged land shall be made a plain, the rough country, a broad valley. On this proposed direct way to freedom, his glory will shine and guide us. This is a second hopeful message. God will be at our side before and during our journey to freedom. Troisième étape du texte d'Isaïe : la proclamation. Après les expériences de captivités, après les préparations pour partir vers le chemin de la liberté, après le cheminement à travers le désert, alors seulement nous sommes appelés à proclamer le nom de Dieu, le berger qui rassemble son troupeau. Riche du chemin parcouru, nous pourrons proclamer notre expérience de la présence de Dieu sur notre chemin de vie. La joie du chemin parcouru ensemble nous donnera les forces nécessaires pour encore monter une montagne et témoigner.
Peut-être la chanson de Jean-Jacques Goldman, Ensemble vous dit-elle quelque chose. (http://www.youtube.com/watch ?v=qjM2QKiqhfU&NR=1). Souviens-toi... je ne me souviens que d'un mur immense, mais nous étions ensemble, ensemble nous l'avons franchi. Nos captivités, nos dépendances ne sont-elles pas comme un mur immense, qui peut paraître infranchissable. Le chanteur ne précise pas avec qui il a franchi ce mur. Peut-être un ami, une épouse... je ne sais pas. Mais pourquoi ne s'agirait-il pas aussi de Dieu à qui nous demandons de revenir de loin pour croiser nos chemins ? Un Dieu qui est ensemble avec nous pour franchir des murs qui nous semblent trop hauts, de profonds creux de foi ou d'affection, des désarrois de peur ou de maladie. C'est ce Dieu dont nous préparons la venue. L'avent est une période de temps qui nous rassemble, un temps de préparation pour commencer ou recommencer le chemin que Dieu-avec-nous offre pour nous libérer de nos servitudes et franchir les murs qui nous enferment. Que l'espérance de cet accompagnement nous amène ensemble à notre destinée.
Amen.