13e dimanche ordinaire, année C

Auteur: Van Aerde Michel
Temps liturgique: Temps ordinaire
Année liturgique : C
Année: 2012-2013

Si vous vous faites une image du bon Jésus, bonne poire qui pardonne à l'infini en souriant toujours, si vous pensez que le chrétien doit toujours être gentil et jamais se fâcher, ces paroles de Jésus, tranchantes et sans appel,  vous surprendront.

Si vous aimez être rassuré, si vous cherchez dans la religion les certitudes et la stabilité, cet évangile n'est pas pour vous. Ici, aucune fausse publicité. Jésus fait tout ce qu'il faut pour décourager de le suivre. C'est l'extrême opposé de la promotion des vocations : « Les renards ont des terriers, les oiseaux du ciel ont des nids ; mais le Fils de l'homme n'a pas d'endroit où reposer la tête. » Pour la promotion de la condition de disciple à plein temps, il est possible de trouver mieux.

En fait il est terriblement franc, il est terriblement clair, il est terriblement vrai. Nous le savons bien, la vie n'est pas un long fleuve tranquille. Le risque zéro n'existe pas et le succès n'arrive jamais sans une certaine prise de risque.

Le mariage à l'essai est une formule verbale. Que ce soit donc dans la vie affective ou dans la vie professionnelle, il est impossible de tout prévoir avant de s'engager. Je me souviens d'un étudiant qui avait affiché dans sa chambre en grosses lettres : « impossible de s'engager sans savoir et impossible de savoir sans s'engager ». J'aimerais savoir aujourd'hui comment il a résolu son énigme et ce qu'il est devenu.

La vie n'est pas seulement un don que l'on reçoit, c'est aussi une affaire à décider. Il en est de même pour le Royaume de Dieu, autrement dit pour le grand projet dans lequel le Dieu vivant se risque le premier, se risque au point d'en mourir, pour montrer que la mort n'existe pas.

Vous ne pourrez pas vérifier si la foi est vraie sans vous s'y engager totalement. Vous ne pourrez pas vérifier les promesses de l'amour sans vous y être engagé, à fond et totalement. Impossible de vérifier la résurrection si l'on a pas d'abord vécu, choisi la vie, défendu la vie, promu la vie de toutes les manières, à en mourir éventuellement ; impossible de ressusciter si l'on ne cesse de se protéger, de s'économiser, de se prolonger... si l'on ne vit pas en engageant toutes ses forces pour lutter contre les germes de mort qui nous empoisonnent partout.

Mais pour se lancer dans cette aventure, il faut y croire. Et pour y croire, il faut qu'il y ait quelqu'un qui trouve en son propre c½ur les images et les mots pour en parler, quelqu'un qui donne corps à ses idées, quelqu'un qui veuille bien le vivre le premier, devant nous, comme témoin.

Imaginez l'oisillon dans son nid. Pensez-vous qu'il se jetterait un jour pour voler de ses propres ailes si n'avait jamais vu d'autres oiseaux déployer leurs ailes et s'élancer devant lui ?

Suivre Jésus, pour vivre avec lui, comme lui. C'est témoigner dans le concret de sa propre vie d'un dynamisme singulier, d'un élan de vie qui fait question, d'un parti pris de confiance qui ne peut s'expliquer que par une source ou un volcan, un socle ou un fondement, une présence jaillissante, celle de la Résurrection.

Suivre Jésus de Nazareth, c'est se risquer en témoin de l'impossible parce que Dieu est le maître de l'impossible. C'est affirmer que l'amour finira par triompher, parce que Dieu est amour. C'est affirmer que l'absolu existe et qu'il est à notre portée, parce que nous sommes limités et qu'il est donc possible de tout donner.

Suivre Jésus, c'est marcher sur les eaux parce tout tient par en haut. C'est vivre cet état d'urgence dont parle l'évangile d'aujourd'hui, parce que le temps est court et qu'il est impossible de s'installer, pas même de prendre le temps de dire au-revoir, parce que seule importe la vie et que les vivants sont unis dans une communion qui transcende toutes les limites, toutes les distances, qu'elles soient celles de la géographie ou celles du temps.

Si ton père ou ta mère te retient, c'est qu'ils ne t'ont pas vraiment mis au monde. Pas la peine de les saluer car, dans la vraie vie, on ne se quitte jamais vraiment, on se retrouve toujours, autrement.

Je me souviens de mon père qui s'interrogeait du geste d'Elisée. Pourquoi brûle-t-il sa charrue ? Pourquoi immole-t-il ses b½ufs ? Pourquoi détruit-il son instrument de travail ? Il y a des gestes de non-retour, et une adhésion radicale à des logiques nouvelles. Il y a une promesse de surabondance paradoxale, de saut qualitatif dans une vie transfigurée, comprenne qui pourra !

14e dimanche ordinaire, année C

Auteur: Devillers Raphaël
Temps liturgique: Temps ordinaire
Année liturgique : C
Année: 2012-2013

CHRÉTIENS DANS LE MONDE

Luc est le seul qui raconte deux envois en mission : celui des 12 apôtres (très bref : 9, 1-6) et celui des 70 (ou 72) disciples (plus long - texte de ce jour). C'est dire que la mission n'est pas un devoir réservé aux apôtres (et leurs successeurs : les évêques) mais une responsabilité confiée à tous les disciples et qui est universelle (70 ou 72 était le nombre des pays connus à l'époque).
Dans les premiers temps de l'Eglise,  beaucoup de croyants jouaient un rôle important dans l'organisation des communautés et dans la diffusion du message (cf. Actes des Apôtres). Après trop de siècles de cléricalisme (prêtres seuls acteurs - laïcs passifs), il est heureux de voir que des baptisés commencent à prendre part active à l'évangélisation. L'évangile de ce jour est donc  à méditer attentivement.

Parmi ses disciples, le Seigneur en désigna encore 72, et il les envoya deux par deux devant lui dans toutes les villes et localités où lui-même devait aller.
Quand Luc nomme Jésus « Seigneur », cela signifie que la scène n'est pas un souvenir du temps de Jésus mais qu'elle reste actuelle, toujours à effectuer sous la Seigneurie du Ressuscité. De même qu'un ambassadeur, au travers de sa personne, représente son pays, ainsi les envoyés n'ont pas à mettre leur personnalité en avant : la mission est un travail qui prépare l'accueil du Seigneur (pas le nôtre) et lorsque la foi s'éveille, les envoyés peuvent s'effacer sans se vanter. Ils vont 2 par 2 : pour se soutenir aux jours d'épreuves et pour vivre d'abord entre eux la charité fraternelle qu'ils prêchent aux autres.

DIRECTIVES DE LA MISSION

Il leur dit : «  La moisson est abondante mais les ouvriers sont peu nombreux. Priez donc le maître de la moisson d'envoyer des ouvriers pour sa moisson....... »
Bien plus que nous n'imaginons, la multitude d'humains prêts à recevoir la Bonne Nouvelle est immense. En Russie, en Chine, au Cambodge, en Albanie, où tout avait été fait pour anéantir toute trace chrétienne, les candidats au baptême, aujourd'hui, se pressent en foule, les églises sont combles, les couvents fleurissent. Comment douter que, dans notre Occident endurci, il n'y ait des âmes avides de découvrir un message qui apaiserait une soif qui n'a pas encore découvert sa Source ? Aussi, avant de lancer en hâte ses disciples, le Seigneur leur recommande au préalable de PRIER beaucoup : le préliminaire est d'ouvrir les yeux à la grandeur universelle des champs, se réjouir que beaucoup d'autres y travaillent également. Tout disciple doit refuser d'accomplir une ½uvre individuelle (si importante qu'il la juge) : c'est toute l'Eglise qui est en mouvement. Chacun ne réalise qu'une parcelle, il admire les succès des autres et il supplie pour que Dieu éveille le zèle apostolique chez beaucoup. Toute rivalité est intolérable.

Allez ! Je vous envoie comme des agneaux au milieu des loups. N'emportez ni argent, ni sac, ni sandales, et ne vous attardez pas en salutations sur la route.
Parler d'un Dieu tellement bon qu'il est Père, appeler à la concorde et à l'amour fraternel, promettre la paix : comment ce message ne susciterait-il pas l'enthousiasme du monde entier ? Eh bien non, tout au contraire les envoyés de Jésus qui seront pauvres au lieu d'être riches, faibles au lieu d'être forts, seront comme des agneaux, proies faciles pour les loups. « Le Fils de l'homme sera tué...Celui qui veut me suivre, qu'il renonce à lui-même et prenne sa croix » (9, 23) : Jésus a brisé toute illusion. L'an passé, on a tué plus de 100.000 chrétiens dans le monde (Mgr Tomasi à l'O.N.U., Genève, mai 2013). Dans le silence général.
Mais quelque chose de pire peut survenir (et est arrivé) : que les disciples édifient une Eglise puissante, qui dicte, impose, menace. Rien n'est pire qu'une Eglise qui devient « meute de loups » : alors certes elle recrute (car les peuples aiment la puissance) mais elle ment à sa vocation.
Dans toute maison où vous entrerez, dites : Paix !....Restez dans cette maison, mangeant et buvant ce que l'on vous servira...ne passez pas de maison en maison....
Au cours des premiers siècles, l'Eglise n'a pas construit d'édifices sacrés, elle n'a disposé ni de chapelles ni de cathédrales car tout se déroulait dans les maisons : réunions, enseignement, baptêmes, eucharisties. Les croyants devaient souffrir parfois d'un manque d'espace mais l''Evangile pénétrait l'existence quotidienne dans l'espace familial ; la religion n'était pas une piété limitée à heures fixes et endroits sacrés. En offrant l'hospitalité à l'apôtre itinérant inconnu, en s'invitant à tour de rôle les uns chez les autres, les croyants expérimentaient la force et la beauté de la vie chrétienne dans le quotidien. L'Evangile une nouvelle manière de vivre et l'on comprenait : « Celui qui perd sa vie à cause de moi la sauvera » (9, 24).
Quant aux missionnaires, il leur était interdit de chercher la meilleure table du village : sans possessions et partageant souvent le pain des pauvres, ils contestaient une société dominée par les nantis, ils témoignaient de la vraie joie évangélique et de l'espérance du Banquet éternel.
Là guérissez les malades et dites aux habitants : Le Règne de Dieu est tout proche de vous.
Ici est la définition de l'essentiel du travail missionnaire qui était déjà dit aux 12 apôtres (9, 1.2. 6.) : proclamer la Parole, annoncer la révélation de l'Evangile, faire connaître Jésus Seigneur. « La foi vient de la prédication, et la prédication, c'est l'annonce de la Parole du Christ » (Romains 10, 17). Cette Parole, loin de rester une utopie pour les belles âmes, mobilise au contraire les croyants dans un combat incessant contre le mal. Mal et souffrance des corps (tout missionnaire en pays pauvre organise un dispensaire médical). Et plus encore mal des esprits et des âmes : péché, méchanceté, vices, rancunes, cupidité, indifférence, orgueil. La Miséricorde est une puissance thérapeutique.
Lorsque l'Evangile est reçu et mis en pratique, lorsque la communauté chrétienne s'attelle à la guérison totale de l'homme, alors « le Règne de Dieu est tout proche » c.à.d. qu'il est déjà présent et les signes visibles sont assez manifestes pour convaincre les baptisés de sa réalité. Et il est encore à venir car, vu nos imperfections, nos duretés et nos lâchetés, son accomplissement parfait est futur.
Aussi nous continuons à prier : « Notre Père.....que ton Règne vienne »

Mais dans toute ville où vous ne serez pas accueillis, sortez et dites : « Nous secouons la poussière de nos pieds pour vous la laisser. Pourtant sachez-le : le Règne de Dieu est tout proche ».
L'accueil ne va évidemment pas de soi : les envoyés peuvent être accueillis par des rires, des injures avant qu'on les chasse de la localité au plus vite. En ce cas il ne faut pas s'imposer, se lamenter de l'échec, chercher des méthodes plus attrayantes : le refus d'ici envoie vers l'ailleurs. L'essentiel est de ne jamais se décourager : on ne bâillonne pas la Bonne Nouvelle. Mais les gens sont prévenus : ce n'est pas Dieu qui les châtiera et les détruira par la foudre. Refusant l'Evangile des Béatitudes et optant pour d'autres chemins de bonheur (argent, violence, orgueil, égoïsme), les hommes se condamnent eux-mêmes : se voulant « des loups », le monde devient une jungle où sans pitié les prédateurs dévorent les faibles, où les inventions deviennent des bombes, où la cupidité saccage la nature et détruit la planète.
Mais les chrétiens, sans découragement, continuent à leur dire : Quoi que vous fassiez, quelle que soit la force de votre résistance, Dieu s'approche des hommes.
Et rien ne peut l'arrêter. Même la croix. Surtout pas la croix.

13e dimanche ordinaire, année C

Auteur: Croonenberghs Didier
Temps liturgique: Temps ordinaire
Année liturgique : C
Année: 2012-2013

LA VIE DE FOI N'EST PAS UN LONG FLEUVE TRANQUILLE

A la grande stupeur des disciples, Jésus vient d'annoncer qu'il va au-devant d'un danger mortel et il les a invités à le suivre. Mais il a beau leur répéter cette issue inéluctable, « ils ne comprennent pas cette parole ; elle leur reste voilée de sorte qu'ils n'en saisissent pas le sens. Ils craignent même d'interroger le maître sur ce point » (9, 45). Ne leur ressemblons-nous pas ? Il est plus gai de s'inscrire pour un pèlerinage que de s'engager pour ce voyage.
Un jour, Jésus commence « sa montée vers Jérusalem » (La section sera très longue : 10 chapitres avant l'entrée dans la ville). Le moment est capital et Luc le souligne par un ton solennel (ici en traduction littérale) :
Or il arriva, quand furent accomplis les jours de son enlèvement,
lui-même durcit sa face pour aller vers Jérusalem.
Rien n'est fortuit. Jésus connaît bien cette route qu'il a prise chaque année depuis sa jeunesse, il sait combien de jours à peu près va durer ce voyage : « il lui faut » arriver à Jérusalem pour la fête de la Pâque. Car Moïse et Elie (la Loi et les Prophètes, donc les Ecritures) lui ont révélé dans sa prière sur la montagne qu'il doit faire son « exode » (9, 31) : il accepte d'être l'agneau pascal qui doit être immolé pour libérer les hommes de l'esclavage du péché.
Il sera « enlevé » : au sens premier, on lui prendra la vie ; mais ce mot « enlèvement » désignera plus tard l'Ascension (Actes 1, 2. 11. 22). Donc il sera enlevé à la vue des hommes (tué) mais « élevé » dans la Gloire de son Père du ciel.
Cette décision, mûrie dans la prière (9, 18) et annoncée aux disciples (9, 22), est tragique : la perspective de la croix est effrayante. En disant « il durcit sa face », Luc montre que Jésus est le Serviteur souffrant que le prophète Isaïe évoquait :
« Dieu m'a fait dresser l'oreille pour que j'écoute. Et moi je ne me cabre pas, je ne me rejette pas en arrière. Je livrerai mon dos à ceux qui me frappent ; je ne cacherai pas mon visage face aux crachats. Car le Seigneur Dieu me vient en aide : je ne céderai pas aux outrages. Je rends mon visage dur comme un silex, je ne serai pas ébranlé » (Isaïe 50, 4-7).

On le voit, ce verset 9, 51 est d'une extraordinaire richesse : il est inoubliable car il donne le sens de tout ce qui va arriver.....et de ce que nous devons vivre puisque « celui qui veut me suivre, qu'il renonce à soi et prenne sa croix chaque jour » (9, 23). Oui nous avons peur, nous remettons à demain, nous cherchons une alternative. Il n'y en a pas.

LE REFUS DE CERTAINS

Il envoya des messagers devant lui ; ils entrèrent dans un village de Samaritains. Mais on refusa de le recevoir...Les disciples Jacques et Jean intervinrent : «  Seigneur, veux-tu que nous ordonnions que le feu tombe du ciel pour les détruire ? ». Mais Jésus se retourna et les réprimanda vivement.
Et ils partirent pour un autre village.
Pour aller en Judée, les Galiléens doivent passer par la Samarie où un village refuse de laisser passer des pèlerins de Jérusalem. Les disciples n'ont toujours rien compris au message de douceur du Maître. Ordonner au ciel de foudroyer ces gens : c'est ce qu'avait fait jadis le prophète Elie contre les soldats qui voulaient l'arrêter (1 Rois  1, 10. 12). Et Jean-Baptiste lui-même avait cru que le Messie qu'il annonçait se comporterait de la même façon (9, 17). Mais Jésus va aller lui-même dans la fournaise de la souffrance du Golgotha afin de plonger ses disciples, enfin convertis, dans le feu d'amour et de pardon du Saint-Esprit » (3, 16).
Comment comprendre que des chrétiens aient pu livrer des hérétiques au feu et incendier des villes ? C'est à l'Esprit-Saint d'éteindre le feu de la colère et de la rage.  Le refus de certains est l'occasion de présenter l'Evangile à d'autres.
L'enchaînement est clair : la croix sera suivie de la Résurrection (Pâques - 9, 22) qui provoquera l' « enlèvement » (Ascension- 9, 51) lequel aboutira au don de l'Esprit de feu (la Pentecôte).

PAS FACILE DE SUIVRE JESUS

Luc raconte ensuite trois scènes de « vocation » : les hommes entretiennent des perspectives de triomphe, cherchent un Messie glorieux, désirent une Eglise qui chemine paisiblement au milieu des acclamations du monde.
En cours de route, un homme dit à Jésus : «  Je te suivrai partout où tu iras ».
Jésus lui déclara : «  Les renards ont des terriers, les oiseaux du ciel ont des nids ; mais le Fils de l'homme n'a pas d'endroit où reposer la tête ».
Quand Jésus n'était qu'un guérisseur, il pouvait recevoir l'hospitalité généreuse et les compliments de tous. A partir du moment où le Messie parle de croix, les visages se crispent et les portes claquent. La vie selon l'Evangile véritable entraîne à la pauvreté. La foi n'est pas un mol oreiller.

Jésus dit à un autre : «  Suis-moi ». L'homme répondit : «  Permets-moi d'abord d'aller enterrer mon père ». Mais Jésus répliqua : «  Laisse les morts enterrer leurs morts. Toi, va annoncer le Règne de Dieu ».
Stupéfiant ! Il s'agit d'une des sentences les plus scandaleuses dites par Jésus et elle a dû susciter des hurlements d'indignation : ne bafouait-il pas le 5ème commandement qui inculquait un des devoirs les plus sacrés : « Honore ton père et ta mère » (Ex 20, 12) ? Sous l'expression exagérée, on comprend la leçon : le disciple ne peut se laisser enliser dans la tristesse, le regret des temps passés, les affections brisées. La mort doit au contraire l'inciter à courir annoncer la Bonne Nouvelle avant qu'il ne soit trop tard: « Convertissez-vous, croyez à l'Evangile pour que la mort ne vous plonge dans le désespoir ».

Un autre dit encore : «  Je te suivrai, Seigneur, mais laisse-moi d'abord faire mes adieux aux gens de ma maison ». Jésus lui répondit : «  Celui qui met la main à la charrue et regarde en arrière n'est pas fait pour le Royaume de Dieu ».
Allusion est clairement faite à la scène où  le prophète Elie, en passant, appelle Elisée en train de labourer son champ et où celui-ci répond par la même demande : aller d'abord dire adieu à ses parents (1 Rois 19, 19-21). A nouveau la réplique de Jésus est très dure mais elle souligne fortement la coupure à opérer par le disciple, l'urgence d'annoncer la Bonne Nouvelle et le danger de l'atermoiement.
Lorsque l'appel de Jésus à le suivre vers la croix nous atteint, nous cherchons inconsciemment des prétextes : les parents, les affaires, une visite, un temps de réflexion. Tout devient subitement important. Mais notre OUI risque bien de s'éteindre si nous ne nous élançons pas - tout de suite, maintenant - à la suite de Jésus. A l'Annonciation, Marie n'a pas demandé un délai. Comme elle, dis OUI même si tu as peur, même si les autres te traitent de fou. Rien ne sera jamais plus urgent que d'annoncer la Bonne Nouvelle.

12e dimanche ordinaire, année C

Auteur: Devillers Raphaël
Temps liturgique: Temps ordinaire
Année liturgique : C
Année: 2012-2013

QUI  PERD  GAGNE

L'évangile de ce dimanche commence par une notation brève mais capitale car elle ouvre toute la suite.
Un jour Jésus priait à l'écart.
A tous les moments importants de sa vie, Luc note que Jésus priait : lors de son baptême, il priait (3, 21) ; assailli par les foules quémandant des guérisons, il se retirait pour prier (5, 16) ; avant de choisir les 12 apôtres, il passa une nuit en prière (6, 12) ; il prie avant d'enseigner le « Notre Père » (11, 1) ;..... il mourra en priant (23, 46). Pourquoi ?
Parce que Jésus a reçu une mission capitale de Celui qu'il appelle avec affection « Abba - Père » et il entend  l'accomplir à la perfection. Il ne lui suffit pas de prendre des initiatives audacieuses, de se lancer dans l'action avec générosité : il ne veut rien inventer de lui-même, il entend agir au moment où il le faut.
Car Jésus n'est pas un robot programmé pour réaliser une tâche fixée. S'il se jette perpétuellement dans la prière, c'est justement parce qu'il n'est pas un automate ni un adolescent se figurant naïvement que la liberté, c'est de faire ce que l'on veut -  alors qu'elle est l'accomplissement d'un être qui répond à l'Amour divin. Seule l'écoute, longue, attentive, patiente, peut lui souffler (par l'Esprit) l'initiative à prendre et le moment précis pour telle action.
Ici, après des mois de circulation à travers la Galilée, Jésus pressent qu'il est arrivé à un tournant de son existence : une décision grave est à prendre. Que faire maintenant ? Où aller ? Dans la nuit et la solitude, il prie, il demande réponse à son Père. Et il a obtenu une révélation glorieuse mais sanglante !

Comme ses disciples étaient là, il les interrogea : « Pour les gens qui suis-je ? ».
Ils répondent : « Jean-Baptiste ; pour d'autres Elie ; ou un prophète d'autrefois qui serait ressuscité ». Jésus leur dit : « Et vous que dites-vous ? Pour vous, qui suis-je ? ».
Pierre prit la parole : «  Le Messie de Dieu ».
Jésus a d'abord été célèbre pour ses guérisons miraculeuses qui lui attiraient des foules enthousiastes. Comme il prêchait et annonçait que Dieu venait, avec lui, inaugurer son Règne, on le prit pour un prophète : dans la lignée d'Elie et d'Isaïe, de Jérémie et Jean-Baptiste, il devait être un envoyé spécial de Dieu chargé de convertir les m½urs. Toutefois ses comportements et ses déclarations sur lui-même déconcertaient et scandalisaient : il fréquentait des pécheurs, il offrait le pardon de Dieu, il observait le shabbat avec beaucoup de liberté, il se disait même « l'Epoux » d'Israël (privilège de Dieu !). Toutes choses inouïes, que nul n'avait faites avant lui.
« Qui était donc cet homme ? » qu'on ne pouvait ranger dans aucune catégorie (5, 21 ; 7, 49 ; 8, 25). Même le roi Hérode, dans son palais, était intrigué par ce qu'on lui rapportait à son sujet (9, 9)
Ici maintenant Jésus interpelle directement les siens : nous vivons ensemble depuis des mois, vous avez tout vu et entendu. Ne répétez pas des rumeurs, des on-dit ; prononcez-vous vous-mêmes, dites franchement votre conviction.
C'est la question à laquelle chacun de nous doit répondre de façon personnelle. Pas répéter un catéchisme ni garder une opinion secrète car la foi chrétienne est option personnelle et confession orale.
Tout de suite l'impétueux Simon-Pierre s'élance et, pour la première fois, un homme exprime ce qui sera la confession de foi de l'Eglise : « Pour moi, je crois que tu es le Messie de Dieu ».  Donc non pas un prophète, si grand soit-il, mais réellement le Sauveur que les Ecritures annonçaient à demi-mot et qui brûlait l'espérance d'un peuple opprimé depuis plus de 90 ans.
Juste réponse. Mais Pierre et les autres qui rêvent d'indépendance nationale sont loin d'imaginer la révélation que Jésus va leur confier. Comme si la foudre s'abattait près d'eux !

Jésus leur défendit vivement de le révéler à personne en expliquant :
«  Il faut que le Fils de l'homme souffre beaucoup, qu'il soit rejeté par les Anciens, les chefs de prêtres et les scribes, qu'il soit tué et que, le 3ème jour, il ressuscite ».
Mystérieux « il faut » qui revient plusieurs fois à travers les 4 évangiles et qui peut être mal compris. Il ne signifie pas que Dieu a établi pour son Fils un destin qui le vouerait à la mort. Dieu n'est pas une idole avide de sang. Mais il veut que son Fils poursuive l'accomplissement de son dessein : ouvrir une société au règne de Dieu.
Or, depuis quelque temps, on a fait comprendre à Jésus que ce qu'il dit et fait est intolérable, qu'on ne peut le laisser poursuivre ce qui apparaît aux autorités religieuses comme un blasphème. Luc a dit peu avant : «  A la sortie de la synagogue, scribes et pharisiens étaient remplis de fureur et ils parlaient entre eux de ce qu'ils pouvaient faire à Jésus » (6, 11). Point n'est besoin d'être devin,  Jésus sait que la capitale est prévenue de ses faits et gestes et de ce qui est en train de naître en Galilée : y aller c'est se jeter dans la gueule du loup. Il ne peut se taire ni essayer de se faire accepter en édulcorant l'acidité de son message. Il se heurtera au refus catégorique et sera condamné à la mort. Mais son Père ne pourra abandonner son fils qui aura accompli son ½uvre jusqu'à en mourir  donc qui aura aimé jusqu'au bout - et il lui rendra la vie. Et c'est ainsi que, paradoxalement, s'ouvrira le Royaume de Dieu.
Un Messie que l'on va tuer ? Scandale impensable ! Mais ce n'est pas tout.

Tout à coup à côté des apôtres, la foule est présente si bien que Jésus lance un appel qui s'adresse à chacun et chacune. Phrase choc qui est la plus répétée dans les 4 évangiles (6 fois) tellement elle est dure à entendre. Nous nous rebiffons : « faut-il » vraiment aller jusque là ?...

Jésus dit à la foule : «  (traduction liturgique rectifiée) Si quelqu'un veut venir derrière moi, qu'il renonce à lui-même, qu'il prenne sa croix chaque jour et qu'il me suive. Car celui qui veut sauver sa vie la perdra ; mais celui qui perdra sa vie pour moi, la sauvera ».
Jésus a pris sa décision, il s'est engagé et rien ne l'arrêtera. Maintenant il propose : quiconque croit en lui et veut rester disciple (« chrétien » en acte) doit nécessairement prendre la même décision. En totale liberté : « SI... ». C'est dire que l'annonce et la venue du Règne de Dieu devront se poursuivre inlassablement et se heurteront, partout et jusqu'à la fin des temps, au même refus, à la même haine.
De qui ? D'abord de la part des autorités religieuses chargées du temple. Puis ce seront les autorités romaines, puis les autres, toutes les autres...même parfois les autorités de l'Eglise de Jésus. Incroyable possibilité mais qui, de fait, s'est réalisée bien des fois au cours de l'histoire. Tant de saints, de théologiens, de fidèles ont, comme Jésus, et à sa suite, dénoncé les abus de pouvoir des dictatures, les dérives d'un système religieux (à étiquette chrétienne !!) et ont été écartés, condamnés, emprisonnés !
Dans cette lutte terrible, il ne faudra pas user de violence, enlever la vie des opposants mais au contraire, donner la sienne. La mission assumée par tout disciple l'obligera au don de soi. A certain moment, comme Jésus, il devra renoncer à sa tranquillité, à ses fausses idées sur le bonheur, à ses rêves d'un salut facile. La vérité l'obligera non à s'infliger des petites pénitences, à se résigner, à se plaindre mais à affronter l'adversité. Le disciple ne fait pas sa croix : ce sont les autres qui la confectionnent et la lui imposent. Elle n'est pas contretemps fâcheux, épreuve passagère, vite surmontée : elle devient sa charge quotidienne (« chaque jour »)
Devant les perspectives de souffrances, la tentation sera permanente de vouloir à tout prix se préserver, de suivre les chemins de bonheur que le monde fait miroiter de façon si agréable, si insidieuse. Que de fois nous nous laissons prendre par la musique enjôleuse des médias qui savent si bien nous inciter à « sauver notre vie » (comme le serpent de la Genèse !). On essaie de nous faire croire qu'il est  possible de juxtaposer certains comportements païens et la foi : c'est et ce sera toujours rigoureusement impossible. « Qui veut sauver sa vie la perdra ».
Comme vient de le dire le pape François : « Tout chrétien doit être anticonformiste ».
Quel tournant devons-nous prendre aujourd'hui ? Quelle conversion est exigée ? Quelle communauté chrétienne est prête à prendre le chemin douloureux de la Vérité ?
Seule la prière - insistante, longue, dure comme celle de Jésus -  nous donnera lumière et force.

11e dimanche ordinaire, année C

Auteur: Van Aerde Michel
Temps liturgique: Temps ordinaire
Année liturgique : C
Année: 2012-2013

Quel titre pourrions-nous donner à ce récit ? Je propose le titre « Extrêmes », au pluriel. C'est court (un seul mot) et c'est précis, pour désigner aussi bien l'attitude de l'inconnue, une femme qui ne dit rien et dont on ne connaît pas le nom, que l'attitude de Jésus qui se laisse soigner les pieds d'une manière pour le moins peu conventionnelle, à la limite érotique, dans un engagement affectif quasiment sans retenue.
Extrême : l'engagement corporel, des larmes abondantes au point de pouvoir laver les pieds d'un marcheur, les cheveux pour essuyer. Extrême : le luxe d'un parfum hors de prix. Extrême le risque pris par Jésus de laisser faire, de s'affirmer comme prophète et de pardonner, au nom de Dieu !
Il fallait oser pareille expression d'affection, il fallait oser affirmer le pardon. La symétrie est parfaite entre ces deux là. Ils sont tous deux dans l'extrême, dans l'excès, en est exclu le brave Simon, un modéré, un homme pieu et réservé, qui sait résister aux enthousiasmes comme aux passions, qui observe la loi, toute la loi mais rien que la loi, sans jamais s'aventurer au-delà.

***

Dans ce récit tout est excessif et démesuré. Rien n'est sous contrôle bien sûr car comment pourrait-on contrôler l'amour ? Et comment pourrait-on contrôler Dieu ? Ne faut-il pas un jour avoir perdu pied pour prétendre savoir nager ? Ne faut-il pas un jour avoir perdu pied pour prétendre avoir aimé ? « Qui veut sauver sa vie la perdra ». Se préserver, se conserver, c'est tout le contraire de ressusciter ! Parole de Jésus « celui qui perdra sa vie pour moi et pour l'Evangile, la sauvera ». Il faut se perdre pour se trouver !
Regardez les enfants, ils adorent se jeter dans le vide pour aboutir dans les bras de leurs parents. Ils s'élancent en porte à faux, sûrs d'être accueillis et, dans cet exercice, ils s'entraînent à la confiance, ils éprouvent leur propre audace et prennent ainsi confiance en eux. Ils ont besoin de répéter l'expérience pour bien vérifier la fiabilité d'un monde qu'ils ne contrôlent pas mais qui est bien là, de ces deux bras qui vont s'ouvrir, amortir la chute et leur donner contact avec le sol, doucement.
N'est-ce pas  ce que vit cette fille que l'on ne veut pas voir ? Elle ne demande la permission de rien, elle entre chez le pharisien, elle approche Jésus, elle le touche, ce qui est contraire à la Loi. Elle risque le tout pour le tout, à corps perdu, n'ayant plus rien à perdre et tout à gagner. Larmes, parfums, baisers : elle dépose tout aux pieds de Jésus, toute honte bue, sans crainte de tout montrer, avec le courage des désespérés. Mais elle n'est pas désespérée justement, elle y croit à ce pardon, seulement pressenti, pas encore exprimé. Elle joue son va tout, comme un coup de poker sans retour.
C'est après coup seulement, que Jésus raconte sa petite histoire de dette annulée. C'est après qu'elle ait montré beaucoup d'amour qu'elle apprend que, de toutes façons, elle était déjà pardonnée. Alors on ne sait plus si elle montre de l'amour parce qu'elle est pardonnée ou si elle est pardonnée parce qu'elle a beaucoup aimé. La logique, elle aussi, perd pied, comme si Jésus lui aussi ne savait plus bien ce qu'il dit car ce qui importe, c'est le cadeau, et que le cadeau soit accepté. La relation est alors bien nouée entre ces deux êtres extrêmes, brûlants, excessifs, qui se risquent tous deux à c½ur perdu.

***

La question que je me pose maintenant est celle du réalisme de ce récit. Peut-on le raconter à des jeunes, à des adolescents ? Puis-je aujourd'hui vous prêcher un tel comportement ? Serait-ce responsable ? Serait-ce vraiment sérieux ?
Dans ce monde chaque jour davantage réglementé, où tout est calculé, vérifié, contrôlé, y a-t-il place pour un tel gaspillage d'affection, pour un tel oubli des erreurs passées, pour un tel pardon ? Dans ce monde mesquin et frileux, apeuré au moindre risque, y a-t-il place pour une telle humanité ? Dans ce monde hyper rationalisé, y a-t-il encore place pour une telle folie ? Y a-t-il encore place pour un amour aussi extrême ? Y a-t-il encore place pour Dieu ?

11e dimanche ordinaire, année C

Auteur: Devillers Raphaël
Temps liturgique: Temps ordinaire
Année liturgique : C
Année: 2012-2013

LA JOIE FOLLE DU PARDON GRATUIT

Contrairement à leur réputation d'hypocrites et de faux dévots (que certains d'entre eux sans doute méritaient), les Pharisiens étaient des Juifs très pieux, très généreux, voués sincèrement à défendre l'intégrité de la foi d'Israël devant la prestigieuse civilisation hellénistique qui entraînait bien des Juifs dans l'apostasie. Ces hommes observaient la Loi dans ses moindres détails et veillaient à imposer au peuple une pratique rigoureuse. Organisés en petites confréries, ils avaient coutume, le jour du shabbat, de se réunir dans la maison de l'un d'eux pour partager un bon repas, fraterniser dans la joie et discuter sur certains points de la Torah. Justement une grave question se posait alors : ce Jésus de Nazareth qui circulait en annonçant la venue du Règne de Dieu et en opérant des guérisons, qui donc était-il ? Un envoyé de Dieu ou un faussaire ? C'est ainsi que Luc montrera, à trois reprises, Jésus acceptant une invitation à participer à un banquet chez un Pharisien (encore 11, 37 et 14, 1). 
Un incident grave va se produire et pour le comprendre, il faut imaginer la disposition de la pièce de la maison : les tables sont disposées en U pour que les serviteurs puissent apporter les plats par le milieu et les invités sont allongés sur des divans à l'extérieur. Bizarre ? C'était la mode grecque qui s'était imposée. Lors de ces banquets, la porte reste ouverte...ce qui autorise l'entrée impromptue d'une intruse !

Survient une femme de la ville, une pécheresse. Elle avait apporté un vase précieux plein de parfum. Tout en pleurs, elle se tenait derrière Jésus, à ses pieds, et ses larmes mouillaient les pieds de Jésus. Elle les essuyait avec ses cheveux, les couvrait de baisers et y versaient le parfum.
« Shoking, n'est-il pas ? »..... Qu'est-ce qu'il prend à cette folle ? Les convives contemplent la scène, bouche ouverte et esprit stupéfait, tandis que Jésus, lui, accepte, imperturbable, ces marques, il faut le dire, un brin scabreuses.
Le pharisien se dit : «  Si cet homme était prophète, il saurait qui est cette femme qui le touche, et ce qu'elle est : une pécheresse ! ».
La femme n'a pas de nom mais une étiquette : « pécheresse ». On dit souvent, sans être sûr, « prostituée » : en tout cas elle est connue, cataloguée, méprisée par cette pieuse assemblée.
Mais le soupçon porte tout de suite sur Jésus : s'il était un véritable envoyé de Dieu, il devrait connaître l'état de cette femme et refuser de se laisser contaminer par son impureté.

Alors Jésus raconte à son hôte Simon une petite parabole qui semble anodine mais qui va se refermer sur lui comme un piège.
Un créancier avait 2 débiteurs : le premier lui devait 500 pièces d'argent, l'autre 50. Comme ni l'un ni l'autre ne pouvait rembourser, il remit à tous deux leur dette. Lequel des deux l'aimera davantage ? - - C'est celui à qui il a remis davantage, il me semble.
- Tu as raison, dit Jésus.  --- Et il montre le contraste des comportements des deux personnages.
- A l'entrée, tu ne m'as pas versé de l'eau sur les pieds ; elle les a mouillés de ses larmes.
- Tu ne m'as pas embrassé ; elle embrasse mes pieds.
- Tu ne m'as pas versé du parfum sur la tête ; elle m'a versé un parfum précieux sur les pieds.
Je te le dis : si ses péchés, ses nombreux péchés, sont pardonnés, c'est à cause de son grand amour. Mais celui à qui on pardonne peu montre peu d'amour.
Puis il dit à la femme : « Tes péchés sont pardonnés ».
Les invités se dirent : «  Qui est cet homme qui va jusqu'à pardonner les péchés ? ».
Jésus dit à la femme : «  Ta foi t'a sauvée : va en paix ».
On pourrait penser, de prime abord, que ce sont les gestes d'affection de la femme qui lui méritent son pardon. Il n'en est rien évidemment. Elle ne se conduit pas de la sorte pour être pardonnée mais parce qu'elle l'est ! Auparavant elle a dû écouter Jésus, elle a été bouleversée, elle lui a fait confiance, elle a compris qui il était et qu'il pouvait en effet lui donner le pardon de ses péchés.
Foi extraordinaire car le pardon de Dieu ne pouvait s'obtenir que par les offrandes et les sacrifices au temple - et jamais par « un confesseur » ! La femme avoue donc la gravité et l'impureté de ses péchés et elle croit que Jésus fait miséricorde à sa misère. D'où l'achat de ce « parfum précieux » donc coûteux, cette démarche audacieuse et ces effusions d'une femme tellement transportée de reconnaissance qu'elle brave le jugement de ces messieurs bien.
Car Simon, le pharisien, était un brave homme, fidèle à son épouse, sage en affaires, qui ne manquait aucune liturgie, priait, observait le shabbat, donnait aux pauvres. Il n'avait à se reprocher que des peccadilles : « J'ai eu des distractions dans les prières, j'ai eu un geste d'énervement, j'ai été un peu gourmand... ». C'est tout ? Oui c'est tout. Comment alors sauter de joie quand on n'a presque rien à se laisser pardonner ? D'ailleurs il avait accueilli Jésus sans aucune marque de déférence et il ne lui serait pas venu à l'idée de lui demander de lui offrir le pardon divin : c'eût été un blasphème !

Femme, ta foi t'a sauvée : tu as eu confiance en moi, Jésus ton Sauveur. Tu peux aller en paix : tes fautes ne sont plus un poids écrasant, et ton passé, un boulet à tirer. Ne crois pas ces hommes qui te jugent encore souillée, « impure » ; va et chante ta joie.
La très grave question à nouveau se pose, comme déjà lors de la guérison du paralytique (5, 21) : comment ce Jésus ose-t-il pardonner ? Qui est-il pour parler de la sorte ?

REFLEXIONS SUR LE PÉCHÉ, LE PARDON ET LA RECONNAISSANCE

Cette scène nous invite à une réflexion sur le péché et le pardon : le premier existe bien et le second n'est pas qu'un coup d'éponge.
Le péché n'est donc pas simplement une infraction à un règlement, une faute contre la morale et qu'il suffirait de minimiser avec un sourire ou d'oublier : il concerne Dieu, il est comme une dette (« Remets-nous nos dettes » dit le Notre Père : Matt 6, 12 ; voir Luc 11, 4). Il est une réalité essentielle et ce n'est pas parce que jadis on en faisait une obsession et une cause de scrupules maladifs qu'il faudrait aujourd'hui le dévaloriser ou même le nier. C'est comme si l'homme prenait indûment quelque chose à Dieu et qu'il devait lui rendre. Or personne ne peut rendre. Créance petite ou grande, péché léger ou grave : nul ne peut restituer puisque l'Autre est en question.
Mais voilà, proclame Jésus, que Dieu vient inaugurer son Règne de paix, il offre le pardon général : « il remit à tous deux leur dette ». Gratuitement. La Croix est croix sur nos fautes. C'est pour cela qu'elle est sanglante. Car le péché tue.
Celui qui se déclare indemne, qui n'a conscience que de broutilles, ne comprend rien au privilège du pardon. Le danger du pharisaïsme est là : à force d'efforts, de générosité, de pénitences, le bon croyant se croit en règle, il perd conscience de sa faiblesse, il n'a plus rien à se reprocher. En voulant obéir en tout à Dieu, en croyant lutter pour son honneur, au fond il bâtit sa propre statue. En conséquence, il considère le pardon comme anodin, allant de soi...et il juge durement ceux et celles qui n'ont pas « sa perfection ».

Par contre le plus grand pécheur, celui qui porte le plus lourd poids de fautes, s'émerveille d'apprendre que sa dette lui est remise. Le pardon lui révèle l'horreur de ce qu'il a fait et l'amour de Celui qui lui pardonne.
En conséquence, au lieu d'acquitter une redevance pour un code transgressé, il aime celui qu'il a blessé et qui l'aime malgré tout. Et cet amour ne reste pas un soulagement secret, gardé à l'intérieur, un apaisement de l'âme, la fin d'une culpabilité : cet amour s'exprime, explose dans la gratitude envers le Seigneur, il se manifeste dans la joie, l'action de grâce, la reconnaissance.
Heureux ce pécheur pardonné s'il ne se heurte pas à de « bons croyants » qui trouvent inconvenante son allégresse, c.à.d. qui sont jaloux de ce pardon énorme et « immérité ».
Nos assemblées, habituées à marmonner des kyrie eleison sans trop y penser, n'auraient-elles pas besoin parfois de manifestations aussi impétueuses et choquantes ? Elles nous guériraient du pharisaïsme qui, on l'a compris, parasite toute religion, y compris la chrétienne.

10e dimanche ordinaire, année C

Auteur: Van Aerde Michel
Temps liturgique: Temps ordinaire
Année liturgique : C
Année: 2012-2013

Nous aimerions pouvoir ressusciter les morts. Il serait formidable de pouvoir agir comme Jésus et, lors d'un enterrement, s'approcher pour remettre le mort debout. Mais nous n'avons pas ce don radical. Nous ne mettrons pas le corps soignant au chômage technique... Nous ne pouvons pas consoler les endeuillés en faisant revenir les morts.

Ce récit nous intéresse pourtant car il montre l'attitude fondamentale de Jésus à l'égard de la mort. Il ne la justifie pas. Il ne dit pas aux gens de se résigner. Jésus n'explique pas la mort, il n'aide pas à la supporter, il n'a aucune parole de consolation. Il ne nous dit rien sur la mort, rien sur l'au-delà, rien sur ce qui nous attend concrètement. Et ce silence est éloquent. Ce silence en dit long sur l'attitude de Jésus à l'égard de la mort. Ce silence implique toute une théologie et s'inscrit en faux contre les discours bavards et peu respectueux de la douleur des gens.

Je le répète donc, et c'est mon premier point : Jésus reste silencieux. Il ne soigne pas avec des mots et cela peut engendrer une déception. Car l'attitude de Jésus ne correspond pas à ce que l'on attend d'une religion : une ouverture sur l'au-delà, une géographie pour nous dire comment s'y orienter, une économie pour nous dire comment y accumuler un petit capital (indulgence et compagnie), une administration pour nous expliquer comment avoir un passeport et un visa (baptême des enfants morts-nés, limbes et autres histoires compliquées)...

***
Jésus reste silencieux, mais il agit. Et c'est là mon deuxième point. Il agit à un plan qui n'est pas celui des explications mais tout proche, immédiat. Il arrête le processus du départ : il touche la civière et les porteurs s'arrêtent. Il parle, mais pas à l'entourage, il parle au mort : « Jeune homme, je te l'ordonne, lève-toi. » ?En lui parlant ainsi, il l'appelle à la vie. Il le convoque à être debout, à se lever et le mot est celui-là même pour ressusciter : tenir sur ses pieds, répondre présent. C'est tout un symbole pour un jeune homme... Celui-ci d'ailleurs se met à parler. Il n'est pas un pantin ni un animal mais un être parlant, un être humain.

Finalement, Jésus le rend à la relation « il le rendit à sa mère ». Il le rend à la vie, à cette vie ci. Il ne parle pas de l'autre, du moins pas en ces occasions là.
Conclusion : Jésus est contre la mort, il inverse le processus, il nous rend vivant, ce qui ne nous apprend rien sur l'au-delà...

***
Mais comme nous n'avons pas ce pouvoir de ressusciter physiquement (du moins moi...), je m'interroge sur la signification de ce récit, sur son sens symbolique et figuré.

Mon troisième point porte sur les raisons de cette mort et sur le processus de résurrection. Pourquoi la mort ? J'aimerais savoir pourquoi cet enfant est mort mais rien ne nous en est dit. Je ne peux donc pas voir à quel type de mal Jésus s'affronte en ce cas précis. Impossible ici de diaboliser ni de faire du manichéisme. Reste à imaginer mais sans fondement, par exemple penser à un accident, ou à une malveillance comme lors de la mort du jeune parisien tout récemment ou encore à une maladie.

L'évangile ne nous dit rien sur la cause de la mort ni sur le mal qui s'agirait de combattre. L'évangile nous dit qu'il y a une foule considérable et que c'est une femme précise que Jésus voit. En s'intéressant à elle, il s'intéresse à chacun d'entre nous, et à toutes les femmes qui ont perdu un enfant. Jésus « fut pris de pitié pour elle », pour la mère donc, plus que pour l'enfant. Il nous dit que « Jésus le rendit à sa mère », il restaure une relation brisée, il redonne un soutien vital à cette femme esseulée.

***
Ce récit éveille en écho un autre récit, réel, où une autre mère perd elle aussi un fils, un fils unique. Les raisons, cette fois, sont clairement connues. Il s'agit d'un assassinat collectif orchestré par les pouvoirs, politiques et religieux. Et, tandis que cet enfant unique agonise sur son instrument de torture, ce fils a le souci de sa mère. Vous connaissez son nom. Et, pour qu'elle ne soit pas abandonnée à la solitude, ce fils unique lui indique un autre enfant. Nous sommes les frères et les s½urs de ce fils unique, nommé Jésus, qui est mort. Nous sommes filles et fils de cette mère là, qui s'appelle Marie.

Jésus n'a pas ressuscité tous les enfants, pour consoler toutes les mères de la terre, mais il est devenu l'un d'entre eux. « Il n'a pas supprimé la souffrance mais il l'a remplie de sa présence ».



10e dimanche ordinaire, année C

Auteur: Cochinaux Philippe
Temps liturgique: Temps ordinaire
Année liturgique : C
Année: 2012-2013

Il y a une dizaine d'années, lorsque j'étais responsable de l'accueil des candidats à la vie dominicaine, je reçus un jour un beau spécimen.  Il avait la quarantaine et il voulait entrer dans l'Ordre.  Après quelques minutes, je découvris qu'il était déjà père de deux enfants.  Je lui rappelai qu'il fallait que ces enfants soient majeurs et puissent subvenir à leurs propres besoins avant qu'il puisse envisager une vie religieuse consacrée.  Vint ensuite la question de l'épouse.  « Ce n'est pas un problème », me dit-il, « je la mettrai dans un couvent ».  Nous avons alors poursuivi notre conversation lorsqu'il m'annonça qu'il n'était pas question qu'il se sépare de son chien.  Sa femme et ses enfants, d'accord mais surtout pas le chien.  Il me proposa d'installer le chien dans un mobilhome qu'il laisserait à côté du couvent.  Comme je lui fis savoir que cela n'était pas possible, il me dit qu'il chercherait une congrégation plus ouverte aux animaux...  Cet homme voulait tout avoir en même temps, le beurre, l'argent du beurre et peut-être également le sourire de la crémière.
Honnêtement, au-delà de la situation rocambolesque que je viens de vous raconter, n'agissons-nous pas aussi parfois de la même manière vis-à-vis de Dieu ?  Ne voulons-nous pas tout avoir en même temps : une liberté totale et un Dieu tout-puissant ?  Oui, une liberté totale où nous pouvons vivre notre vie comme nous l'entendons, où Dieu nous laisse conduire nos existences au gré de nos propres désirs.  Une liberté totale même si nous avons bien évidemment conscience que l'exercice de notre liberté est limité et que la liberté signifie non pas faire ce que l'on veut mais plutôt vouloir ce que l'on fait.  La liberté humaine se caractérise donc par notre capacité à opérer des choix.  Le choix donne ainsi toute sa dignité à notre liberté et dans la mesure du possible, nous souhaitons nous trouver devant la plus grande variété possible.  Tout cela est tout à fait compréhensible car, dans nos vies, la liberté est à chérir puisqu'elle est le moteur à partir duquel nous pouvons exercer notre pouvoir de co-création. Le Père nous l'a confié pour conduire notre humanité à son achèvement.  Nous sommes donc ajustés à la volonté divine lorsque nous mettons la liberté au c½ur de nos vies. Et en même temps, face à l'injustice de la souffrance, nous souhaiterions, à l'instar des deux récits que nous venons d'entendre, que Dieu intervienne dans le cours des événements, qu'il transforme la réalité à laquelle nous sommes confrontés lorsque celle-ci nous semble trop lourde, trop difficile, voire trop injuste.  Tout comme ces deux femmes, il n'y a rien de pire que de perdre un enfant et nous aimerions tant qu'un miracle puisse s'accomplir pour ramener l'être aimé à la vie comme le firent Elie et Jésus. Il est vrai que dans la vie nous sommes confrontés à l'injustice de la souffrance ou de la maladie.  C'est injuste et pourtant, tant mieux qu'il en soit ainsi car ce serait tellement pire si c'était juste.  C'est justement parce que la souffrance est injuste que l'être humain se révolte contre celle-ci.  Il développe alors des sentiments de compassion, d'empathie, de tendresse pour accompagner l'être en souffrance.  Si la souffrance était juste, je pense que nous vivrions dans un monde plus injuste encore.  En effet, si la souffrance est juste, elle est méritée.  L'être humain considérera la personne responsable de ses souffrances puisque ces dernières sont justes, donc justifiées.  Elles sont les conséquences de ses actions.  En poussant cette logique à son paroxysme, nous assisterions à l'élimination de tout système de solidarité entre nous.  Pourquoi devoir payer pour celles et ceux qui sont en faute.  Nous entrerons de la sorte dans une société intolérante, inhumaine où il n'y aurait plus de place pour l'attention à l'autre.  C'est donc bien l'injustice de la souffrance qui nous bouleverse et nous conduit à accompagner et à soutenir celles et ceux confrontés à cette situation par nos regards de réconforts, par nos paroles de douceurs, par nos caresses de tendresse. A l'instar d'Elie et du Fils de Dieu, laissons-nous émouvoir par les réalités de la vie et accompagnons dans la finesse de l'amour celles et ceux qui traversent certaines épreuves. Etre libres, comme nous le sommes aujourd'hui, a donc un prix, celui de devenir nous-mêmes la toute puissance de Dieu à l'½uvre au c½ur de notre humanité.

Amen

10e dimanche ordinaire, année C

Auteur: Devillers Raphaël
Temps liturgique: Temps ordinaire
Année liturgique : C
Année: 2012-2013

LA MORT ET LA VIE SE RENCONTRENT

Après 4 mois consacrés à préparer puis célébrer « Pâques-Pentecôte-Eucharistie », donc l'essentiel du mystère chrétien, nous reprenons aujourd'hui « le temps ordinaire » c.à.d. la lecture suivie de l'évangile de Luc. D'emblée nous tombons sur un récit de miracle - et quel miracle ! - : la résurrection d'un garçon à Naïn, petit village au sud-est de Nazareth. Si l'événement avait été raconté sur le champ par un journaliste présent, quel tintamarre : « Ouf ti !», (les Liégeois comprendront) gros titre, accumulation de détails, appel à l'émotion, cris, larmes. Mais Luc raconte le fait 50 ans plus tard, de façon très sobre, comme s'il s'agissait d'un incident très ordinaire : rien de sensationnel, nul effort pour convaincre de la réalité du fait. A quoi bon en effet se battre les flancs pour tenter de convaincre des gens qui de toute façon refuseront d'y ajouter foi ? Et d'ailleurs s'agit-il seulement de persuader de la vérité précise du fait ou d'en révéler le sens ?...

Jésus se rendait dans une ville appelée Naïn. Ses disciples faisaient route avec lui, ainsi qu'une grande foule. Il arriva près de la porte de la ville au moment où l'on transportait un mort pour l'enterrer : c'était un fils unique et sa mère était veuve. Une foule considérable accompagnait cette femme.

Deux foules se rencontrent inopinément : Jésus suivi par ses disciples, émerveillés par ses guérisons miraculeuses, et un cortège funèbre où les gens pleurent autour d'une maman effondrée, avec des pleureuses qui crient des lamentations. La joie et la tristesse. La vie et la mort. L'espérance et la tragédie.

En la voyant, le Seigneur fut saisi de pitié pour elle et lui dit : «  Ne pleure pas ». Il s'avança et toucha la civière : les porteurs s'arrêtèrent et Jésus dit : «  Jeune homme, je te l'ordonne, lève-toi ». Alors le mort se redressa, s'assit et se mit à parler. Et Jésus le rendit à sa mère.

Trois ! : Jésus voit cette maman écrasée de chagrin - il est touché - il agit.
Le mot « pitié » est bien trop faible pour traduire Luc qui écrit : « Jésus est bouleversé aux entrailles », un verbe construit sur la racine « matrice » et qui n'est utilisé par les évangélistes que pour Jésus : il est touché au plus profond de son être devant les hommes perdus, devant les foules affamées, devant les pauvres aveugles de Jéricho, devant le lépreux qui l'interpelle, devant le père de l'enfant épileptique (Mt 9, 36 ; 14, 14 ; 20, 34 ; Mc 1, 41 ; 9, 22 ) ; il est le bon Samaritain choqué devant le moribond, il est le père bouleversé qui retrouve son fils prodigue (Luc 10, 33 ; 15, 20).

Nous, trop souvent hélas, nous essayons de ne pas voir les faits qui nous dérangent, ou nous ressentons une vague pitié qui nous serre le c½ur un instant et, la larme à l'½il, nous sentant impuissants, nous retournons à nos affaires en tentant d'oublier au plus vite.
Jésus, lui, ose regarder vraiment l'autre souffrant, il entre dans son affreux malheur, il en est retourné comme une mère qui perd « le fruit de ses entrailles » (c'est le côté féminin de Dieu qui n'est certes pas qu'un homme !) ; ce drame l'interpelle, il se sent « responsable » (tenu de répondre) ; il s'approche au lieu de fuir ; il passe à l'action.
« Je te l'ordonne : lève-toi » : ce verbe tout simple est un des deux que les apôtres emploieront pour désigner la Résurrection de Jésus à Pâques : « Son Père l'a relevé...Il s'est réveillé ». Mais tandis que le jeune homme bénéficie d'un sursis qui lui permet de retrouver sa mère, de vivre encore quelques années sur cette terre avant de connaître une mort définitive, Jésus, lui, vivra de la Vie éternelle.
C'est pourquoi il serait mieux de parler de la « réanimation » de ce jeune plutôt que de sa « résurrection » comme la T.O.B.

La crainte s'empara de tous et ils rendaient gloire à Dieu : «  Un grand prophète s'est levé parmi nous et Dieu a visité son peuple ». Et cette parole se répandit dans toute la Judée et les pays voisins.
La crainte ne se confond pas avec la peur : elle est le saisissement de l'homme lorsqu'il perçoit qu'il se trouve devant une intervention divine qui le dépasse complètement. Il ne s'agit pas seulement d'un prodige qui suscite l'étonnement et l'incompréhension mais d'une action qui provoque la foi et l'action de grâce.
Qui est donc ce Jésus ? Il est certainement un envoyé de Dieu, avec lui Dieu vient parmi nous, il nous visite pour nous combler de bienfaits : c'est ce que chantait déjà Zacharie, le père de Jean-Baptiste :
« Béni soit le Seigneur, le Dieu d'Israël, parce qu'il vient visiter son peuple...C'est l'effet de la Bonté profonde de notre Dieu : grâce à elle, l'astre levant nous a visités. Il est apparu à ceux qui se trouvent dans les ténèbres et l'ombre de la mort afin de nous guider sur la route de la paix » (1, 68. 78).

Luc s'inspire du récit du prophète Elie qui releva un enfant (1 Rois 17, 10 = 1ère lecture de ce jour) et dont on attendait le retour. Jésus est Elie revenu mais beaucoup plus puissant puisqu'il relève le mort d'un mot. En outre, Luc montre que cette scène est comme une anticipation de la fin de l'évangile. De la sorte, les 3 récits sont en relation : là est leur lumière et leur force de conviction.

A la fin de l'évangile, une autre maman, MARIE, veuve,
verra son fils unique exécuté sur la croix ignominieuse
et enseveli, comme un gredin, au Golgotha (à la porte de la ville de Jérusalem).
Mais Dieu verra sa souffrance,
il sera bouleversé dans ses entrailles,
il relèvera son fils (qui est le Sien)
qui se remettra à parler
et il le rendra à sa mère.
Alors les disciples seront convaincus de « la visite de Dieu », de son intervention extraordinaire,
ils rendront gloire non pour « un grand prophète » mais pour le FILS UNIQUE
et cette proclamation retentira dans « tous les pays voisins »jusqu'aux extrémités de la terre.

CONCLUSIONS

Notre société moderne est très fière de s'être débarrassée des vieilles superstitions religieuses et des légendes de la Bible : la seule chose qui vaille, c'est de goûter le bonheur, profiter de la vie, aménager un nid douillet, jouir des loisirs inédits, donc gagner plus d'argent et se divertir devant les hautes manifestations culturelles comme Eurovision, the Voice, et autres du même acabit.
Mais chaque lundi, la presse présente d'effrayantes photos d'accidents de voiture et les corps des jeunes fracassés. Combien chaque année ? Combien de mères et de pères effondrés, brisés à jamais par le chagrin, quand la présence chérie n'est plus qu'une photo au mur ?
Deux cortèges : le monde et l'Eglise se rencontrent.
L'absurde d'une jeune vie brisée et l'espérance.
Quand nulle TV, nul CD ne peuvent exprimer quelque chose, une maison est ouverte à tous et elle accueille. Non pour y marmonner des discours pieux, appeler à la résignation, consoler à bon compte.
Mais pour VOIR réellement les personnes, ETRE BOULEVERSES par leur drame, nous RENDRE PROCHES, TOUCHER le cercueil et les parents.
L'Eglise alors est celle du Vendredi Saint quand, en silence, les femmes au Golgotha  regardaient le crucifié mourant et assistaient à son ensevelissement.
Celle du Samedi Saint, du grand silence de l'absence.
Mais en osant, malgré tout, chanter la victoire de Pâques, la communauté chrétienne compatissante célèbre le retour du FILS UNIQUE - et des FILS qui « se lèveront »  pour ne plus jamais mourir.
Les temps de deuil sont un haut lieu d'évangélisation.

Le Corps et le Sang du Seigneur

Auteur: Devillers Raphaël
Temps liturgique: Temps ordinaire
Année liturgique : A, B, C
Année: 2012-2013

L'EUCHARISTIE, MULTIPLICATION DE L'AMOUR

De Moïse à Elie, d'Isaïe à Jean-Baptiste, les prophètes ont proclamé la Parole de Dieu, se sont donnés à leur mission jusqu'à en mourir, mais nul d'entre eux n'a jamais eu l''idée de se donner à manger à ses disciples. Comment Jésus, et lui seul, a-t-il osé dire : « Mangez : ceci est mon corps ....»? Comment ses disciples n'en ont-ils pas été épouvantés ? Comment tout au contraire ont-ils fait de la réitération de cet acte le rite constructeur de leur communauté - car on dira : « L'Eucharistie fait l'Eglise » ? Comment Saül de Tarse, qui avait hurlé de rage en apprenant que certains de ses compatriotes célébraient ce rite, en est-il devenu l'apôtre intrépide ? En 56, il écrit à la communauté de Corinthe qu'il a fondée en 51-52 (20 ans à peine après le Golgotha) : « Je vous ai transmis ce que j'ai reçu ». Cette pratique n'est pas de son invention, comme s'il avait voulu copier certains repas des religions païennes : il l'a acceptée de l'Eglise qui, dès son origine, célébrait donc l'Eucharistie. Elle voulait refaire l'acte ultime de Jésus : « la nuit qu'il fut livré, le Seigneur Jésus prit du pain... ». Dans sa Passion, il paraîtra un « objet » que les puissants se passent de l'un à l'autre : son Repas prouvait à ses disciples qu'en réalité  il était « sujet » libre. Donc manger son Pain et boire à sa Coupe, c'est « faire mémoire de lui...proclamer la mort du Seigneur jusqu'à ce qu'il vienne ». Le souvenir du crucifié devient partage aujourd'hui de sa Vie pour l'ouverture à un avenir de Gloire. Ainsi est scellée, et sans cesse commémorée, « le premier jour de chaque semaine » (1 Cor 16, 2), « la Nouvelle Alliance ». La Croix passée devient Repas présent pour une espérance future.
L'Eucharistie est sacrement de la FOI, elle provoque une communauté d'AMOUR qu'elle guide sur le chemin de l'ESPERANCE. La mémoire actuelle de Jésus passé lance à la rencontre de Jésus Seigneur.

L'EUCHARISTIE ANTICIPEE

Ce dernier repas de Jésus avec les siens a été précédé par la convivialité vécue naguère sur les chemins de Galilée et surtout par un certain jour où, avec eux, il a nourri une foule - geste tellement mémorable qu'il est le seul « miracle » qui soit narré par les 4 évangélistes. Luc ne cherche pas à nous persuader de la réalité historique d'un scoop. L'intérêt profond de cette scène est de nous aider à comprendre le mystère de l'Eucharistie dont elle est le signe prémonitoire évident.
Pour cela, il est important de commencer la lecture un peu plus haut.

Ayant réuni les Douze, il leur donna de guérir les maladies. Il les envoya proclamer le Règne de Dieu et faire des guérisons. Ils partirent, allant de village en village (..........)
A leur retour, les apôtres racontèrent à Jésus tout ce qu'ils avaient fait. Il les emmena et se retira à l'écart du côté de Bethsaïde. L'ayant appris, les foules le suivirent. Jésus les accueillit : il leur  parlait du Règne de Dieu à la foule et il guérissait ceux qui en avaient besoin.
Le jour commençait à baisser. Les Douze s'approchèrent de lui : « Renvoie cette foule ; ils pourront aller dans les villages des environs pour y loger et trouver de quoi manger ». Jésus leur dit : «  Donnez-leur vous-mêmes à manger ! ». Ils répondent : «  Nous n'avons pas plus de 5 pains et 2 poissons - à moins d'aller nous-mêmes acheter de la nourriture pour tout ce monde ! » (Il y avait bien 5000 hommes). Jésus leur dit : «  Faites-les asseoir par groupes de 50 ». Ils obéirent et firent asseoir tout le monde.
Jésus PRIT les 5 pains et les 2 poissons et, levant les yeux au ciel, il les BENIT, les ROMPIT et les DONNA  aux disciples pour qu'ils les DONNENT  à tout le monde.
Tous mangèrent à leur faim et l'on ramassa les morceaux qui restaient : cela remplit 12 paniers.   

PROCLAMER LE REGNE DE DIEU.  Surtout ne pas omettre le début : Jésus parle. « Au commencement est la Parole ». L'action essentielle de Jésus dès son baptême a été de parler, d'annoncer la Bonne Nouvelle : écoutez, faites-moi confiance, Dieu m'a envoyé pour inaugurer son Règne sur terre. N'attendez pas des apparitions fulgurantes, décidez-vous en toute liberté, rompez avec le mal, commencez à vivre comme je vous l'enseigne, soyez le changement que vous rêvez pour le monde. Ne croyez pas les sages « à qui on ne la fait pas », les blasés qui reviennent de tout et ne vont nulle part, les prudents qui se résignent (surtout au malheur des autres).
Donc le repas de Jésus est d'abord Parole reçue, accueillie, « mangée » parce qu'elle fait vivre. Une des erreurs monstrueuses de l'Eglise a été, pendant des siècles, de rendre la proclamation de la Parole - lectures et homélie - facultative : ne parlait-on pas d' «avant-messe » ? Et, malgré la rectification du concile Vatican II, on en paie encore les conséquences : beaucoup de chrétiens trouvent banal d'arriver en retard à la célébration et ils ne prêtent guère attention à l'enseignement. Tous les peuples savent pourtant que tout repas commence par un échange de paroles. La messe n'est pas un self-service !

GUERIR LES CORPS.


En appui à cette Parole, Jésus opère des guérisons. Non pour prouver sa puissance et presser à la conversion mais parce que le Royaume de Dieu n'est pas une réalité évanescente, et que l'homme est corps et âme et qu'une piété désincarnée serait signe d'une religion aliénante.
Donc la prédication doit être accompagnée par une charité thérapeutique mais celle-ci n'est pas le tout. Jésus ne vide pas les hôpitaux car la bonne santé n'est pas la solution finale ainsi que le montre notre la société où les exploits de la médecine n'empêchent pas les dépressions, les suicides, les adductions aux alcools et aux drogues. Donner une pièce, un vêtement, un médicament n'est qu'un préalable à plus.   

PARTAGER LE PAIN.

De prime abord le fait étonne, éveille le scepticisme : y avait-il urgence de nourrir ces gens - qui d'ailleurs ne demandaient rien ? N'est-ce pas une légende ? Mais une lecture attentive perçoit comment ce récit prophétise le dernier repas de Jésus et les Eucharisties célébrées par les premières communautés.
-    Le soir approche : heure de la dernière Cène, du souper d'Emmaüs et des réunions chrétiennes.
-    À l'écart, endroit désert. L'eucharistie n'est pas une cérémonie publique : la communauté se retire.
-    Autour de Jésus, il y a le groupe particulier des apôtres. Excédés parfois par la lourdeur de la foule, ils seraient parfois tentés de la renvoyer d'autant qu'ils ne disposent guère de moyens et sont accablés par les problèmes à résoudre (« Nous n'avons que 5 pains... »). Jésus leur ordonne de donner eux-mêmes ce qu'ils ont, même si cela leur paraît dérisoire en face des nécessités. Les apôtres n'ont pas à faire des collectes sans avoir d'abord donné ce qu'ils détiennent car c'est à  partir de leurs dons que Jésus va agir.
-    Jésus PREND nos dons...prononce dessus L'EUCHARISTIE (action de grâce à son Père)...ROMPT (car il est important que chaque communiant reçoive non une hostie séparée mais un morceau d'un ensemble : ainsi peut-il comprendre qu'il est membre d'une communauté et que le don de Jésus unifie les hommes en UN)...puis Jésus DONNE.. à ses apôtres qui, à leur tour, DONNENT.
-    Tous rassasiés. Les nourritures terrestres calment nos besoins pour un temps tandis que le Pain du Seigneur comble notre c½ur. Aucun trésor, aucun cadeau ne peut valoir le DON DE DIEU ; aucun plaisir, aucune joie ne peut atteindre la joie d'être pardonnés, introduits dans le Royaume du Père comme des enfants bien-aimés, membres vivants du Corps du Christ, dans l'espérance de la Gloire éternelle.
-    12 paniers de restes.  Aucune messe n'épuise le don de Dieu, chaque Eucharistie s'origine à la précédente et envoie vers la suivante. Les apôtres qui s'étaient dépouillés constatent qu'ils ont toujours des surplus car la source de l'amour du Christ ne tarit jamais, elle rejaillit toujours à nouveau pour ceux qui ont accepté de quitter une société où chacun accumule au détriment des autres pour entrer dans une communauté où le don de chacun devient l'avoir de tous.
Merveille de l'Eucharistie, du Partage du Corps et du Sang du Seigneur. Véritable « communauté de consommation » où le convive reçoit dans la mesure où il a donné, où la Parole de Vie devient Pain partagé afin que s'accomplisse, de dimanche en dimanche, la communion en Christ. Donc la communion fraternelle.