3e dimanche de Carême, année C

Auteur: Devillers Raphaël
Temps liturgique: Temps du Carême
Année liturgique : C
Année: 2012-2013


« Le carême est un temps de pénitence » nous disait-on et on nous expliquait qu'il fallait donc, pendant 40 jours, pratiquer l'ascèse, s'infliger des privations, renoncer à des plaisirs, prendre un air pieux donc triste. On racontait même que, pendant cette période, dans des monastères, les moines se flagellaient afin d'expier leurs péchés ; en Espagne, des « pénitents », revêtus d'une cagoule noire, déambulaient dans de lugubres processions au son du tambour.
Or ce mot de « pénitence », dans toute la Bible, traduit le mot grec « metanoia » qui signifie : réfléchir afin de changer d'avis et de comportement, donc se convertir. Un pénitent n'est pas celui qui s'inflige des « pénitences » mais l'homme heureux qui reconnaît qu'il a fait fausse route, modifie ses projets et adopte une conduite tout à fait différente afin d'atteindre son but. Le carême est bonne nouvelle. Cette conversion, à cause du poids de nos habitudes, peut être ardue mais elle est toujours sursaut de vraie vie, élan de celui qui repart sur le chemin de Dieu, fidèle à chercher sa propre vérité.
Après Jean-Baptiste, Jésus a proclamé la venue du Règne de Dieu et a sans cesse exhorté à en accepter les exigences donc à se convertir. L'évangile de ce dimanche en fournit un appel pressant.

LES EVENEMENTS INTERPELLENT

Un jour, des gens vinrent rapporter à Jésus l'affaire des Galiléens que Pilate avait fait massacrer pendant qu'ils offraient un sacrifice. Jésus leur répondit : «  Pensez-vous que ces Galiléens étaient de plus grands pécheurs que tous les autres Galiléens pour avoir subi un tel sort ? Eh bien non, je vous dis : et si vous ne vous convertissez pas, vous périrez tous comme eux.
Et ces 18 personnes tuées par la chute de la tour de Siloé, pensez-vous qu'elles étaient plus coupables que tous les autres habitants de Jérusalem ? Eh bien non, je vous le dis ; et si vous ne vous convertissez pas, vous périrez tous de la même manière »

Deux faits divers dramatiques viennent de se produire: les soldats romains ont surpris des résistants juifs en train de prier pour la réussite de leur combat et  ils les ont massacrés- le préfet Pilate était en effet connu pour la férocité de ses actions de répression. D'autre part, dans la capitale, une tour en construction s'est effondrée ensevelissant ses ouvriers. Ces événements alimentent toutes les conversations et éveillent les soupçons de certains: ces victimes n'ont-elles pas été punies par Dieu qui n'approuvait pas leur comportement ? N'était-ce pas des hommes qui avaient commis de grandes fautes et que Dieu avait voulu châtier ? Jésus s'élève avec force contre cette fausse conception qui lie mal et malheur, péché et souffrance : il n'admet pas qu'un accident soit la conséquence d'un comportement immoral.
Ce qui le frappe, lui, c'est l'issue inéluctable et soudaine : ces gens vivaient, travaillaient lorsque tout à coup la mort les a frappés. La leçon vaut donc pour les vivants : maintenant que nous vivons, il est urgent de NOUS CONVERTIR, de changer de conduite, de croire dans le message de Jésus et de vivre selon ses enseignements. Car si on ne le fait pas, on se dirige vers une mort spirituelle infiniment plus grave que celle du corps : « Vous périrez ».
Ainsi les événements doivent être pour nous non seulement l'occasion d'une plainte sur le malheur des hommes, mais un avertissement, un signal. Quelle guerre mènes-tu contre le mal ? Comment construis-tu ta vie ? Mieux qu'un sermon ou un livre, un événement peut nous aider à ouvrir les yeux, à réfléchir et à revenir à la foi de l'Evangile. La suite va nous expliquer qu'il n'y a pas là qu'une belle idée.

LA PARABOLE DU FIGUIER


Jésus leur disait aussi cette parabole : «  Un homme avait un figuier planté dans sa vigne. Il vint chercher du fruit sur ce figuier et n'en trouva pas. Il dit alors à son vigneron : «  Voilà trois ans que je viens chercher du fruit sur ce figuier et je n'en trouve pas. Coupe-le ! A quoi bon le laisser épuiser le sol ? ». Mais le vigneron lui répondit : «  Seigneur, laisse-le encore cette année, le temps que je bêche autour pour y mettre du fumier. Peut-être donnera-t-il du fruit à l'avenir...Sinon tu le couperas ».

En contemplant les paysages de la terre d'Israël, ces beaux vignobles parmi lesquels les propriétaires avaient coutume de planter ci et là un figuier dont les fruits étaient succulents et dont le feuillage donnait une ombre très agréable, les rabbins en tiraient une parabole : Israël est comme une vigne de choix et, en son milieu, Dieu y a installé sa grande Demeure, le Temple de Jérusalem.
Jésus reprend cette image mais, comme les prophètes, il dénonce une religion hypocrite. En effet le drame, c'est que les habitués de ce Temple ne vivent pas comme Dieu (« le propriétaire ») le veut. Constructions imposantes, cérémonies et processions, chants et cantiques, personnel revêtu de magnifiques ornements liturgiques, sacrifices accomplis dans les règles, rituel parfaitement observé : oui certes mais les pratiquants n'observent pas l'enseignement qui y est donné. La liturgie est conforme à ses canons mais ne change pas la vie.
Il en va comme d'un figuier à la belle apparence, au feuillage magnifique mais qui, depuis longtemps, ne produit pas les fruits qu'on en attend. En conséquence ne faudrait-il pas supprimer cet appareil hypocrite ?
Mais Jésus (« le vigneron ») aime ses plantations et en dépit de ses déceptions, il veut encore espérer. Prenons encore un délai d'un an, dit-il : je vais multiplier les efforts, tout faire pour que cet arbre, enfin, donne les fruits attendus. Et il ajoute ce mot pathétique : « PEUT-ETRE...! ».
Si le passé est décourageant, l'avenir est incertain car le culte se satisfait de ses prestations, les hommes sont libres et ils refusent parfois longuement de SE CONVERTIR. Mais à force de soins, de bousculades, d'appels pressants, ne vont-ils pas changer quand même, se mettre à pratiquer ce qu'ils écoutent, à vivre ce qu'ils chantent, à incarner leurs prières dans leur existence quotidienne ?
La CONVERSION est urgente...Encore un an...PEUT-ETRE..Magnifique patience du Seigneur qui ne se lasse pas d'appeler, d'exhorter, d'attendre « les fruits ». Car la conversion n'est pas qu'une idée, une déclaration, la récitation de formules : elle est décision, option pour un changement réel, passage à l'acte.

CONCLUSION

Il est important de remarquer que Jésus ne lance jamais des appels à la conversion aux Romains païens. Et qu'il s'est toujours heurté, et de plus en plus violemment, à ses compatriotes : au peuple qui ne demandait que la guérison des maladies, à des pharisiens qui s'engageaient précisément à observer la Loi avec minutie, à des scribes acharnés à scruter les Ecritures et à les expliquer, à des grands prêtres férus de liturgie et officiant avec le plus grand sérieux. Ce sont eux, qui se croyaient « en règle », que Jésus apostrophait. Il appelait à « se convertir » des gens convaincus qu'ils étaient convertis ! D'où l'étonnement, l'incompréhension, le refus puis la haine.
Donc le carême est un temps spécial pour la conversion des chrétiens et les médias peuvent nous aider à aller en ce sens. En rapportant calamités, accidents, désastres, ils ne nous incitent pas à nous résigner ni à pousser des lamentations ni à désespérer: bien plutôt ils nous secouent et nous pressent de nous convertir.
La parabole, elle, nous rappelle que la piété ne peut se contenter de belles apparences (le figuier au beau feuillage) et qu'elle doit absolument se traduire en actes, en fruits. Jésus, « le vigneron », ne nous laisse pas tranquilles : il nous secoue, nous creuse, aère nos racines, nous envoie des revers qui bousculent notre médiocrité. « Dans quel bourbier je suis » murmure tel chrétien : il ne voit pas que les secousses de sa vie sont comme « le fumier », les « coups de bêche » du vigneron appliqué à le guérir de sa sécheresse.
Alors, peu à peu, « PEUT-ETRE » !!!, nous risquons un nez dehors, nous osons des initiatives, nous menons une lutte acharnée contre le mal, nous construisons une Eglise plus authentique.
Il est sans doute bon de se donner un programme « pénitentiel » : il est bien mieux de se laisser travailler par notre Seigneur. A un journaliste qui lui demandait ce qu'il faut changer dans l'Eglise, mère Térésa répondait : « Moi, Monsieur ».

3e dimanche de Carême, année C

Auteur: Sélis Claude
Temps liturgique: Temps du Carême
Année liturgique : C
Année: 2012-2013

Dans notre chemin vers Pâques, les grands événements de l'Histoire du Salut sont autant de points de repère. Dieu avait vu la misère de son peuple en Egypte, il avait entendu les cris de ses souffrances et voulut l'en délivrer. Dieu voulut confier cette mission à Moïse. Voilà le cadre de cet épisode du buisson ardent. Pourquoi vouloir confier cette mission à Moïse ? Parce qu'auparavant Moïse avait lui-même été sensibilisé à la souffrance et à la condition d'esclave de son peuple. Prince égyptien par adoption, il avait pris la défense des siens au point de devoir s'exiler et de devenir pâtre dans un pays étranger. La première objection de Moïse (non reprise dans la lecture du jour) avait été : Qui suis-je pour aller trouver Pharaon et exiger la délivrance de mon peuple ? ». Dieu avait répondu : « Mais je suis avec toi ! ». La seconde objection était (formulée dans la lecture du jour) : « Et toi, qui es-tu ? Au nom de qui puis-je me présenter devant mon peuple ?». Intervient cette réponse énigmatique : « Je suis celui qui suis », qui pourrait tout aussi bien être une non-réponse que la plus puissante des réponses (« je suis celui qui est par excellence, duquel dépend toute existence »). L'image du buisson ardent double et complète cette définition : comme Dieu, le feu est à la fois quelque chose de très réel (puisqu'on s'y brûle) et de très immatériel (puisque ses flammes ne sont pas des corps solides). De plus, tout en étant très réel, il ne se consume pas dans son existence. Ce feu, l'homme peut le voir mais ne peut le saisir : Dieu ne peut être un objet pour l'homme. En peu de mots, avec une seule image, dans un langage de pâtre, la pensée hébraïque est parvenue à dire ce que la pensée grecque n'est jamais vraiment parvenue à cerner.
La révélation du buisson ardent complétait encore : « Je suis le Dieu de ton père, Dieu d'Abraham, Dieu d'Isaac, Dieu de Jacob ». Cet ancrage dans l'histoire humaine veut bien signifier que ce Dieu de la tradition judéo-chrétienne n'est ni une Idée d'Etre (comme chez Platon), ni un Premier Moteur (comme chez Aristote), ni un Grand Horloger (comme chez Newton ou Voltaire), ni une quelconque de nos projections psychologiques personnelles. C'est un Dieu incarné qui ne considère pas l'histoire comme un conditionnement dégradant mais comme le seul vrai champ de bataille.
Cette histoire de la sortie d'Egypte a été consignée dans les Ecritures pour nous servir d'exemple, nous rappelait St Paul. Quelle en est donc la leçon pour nous ? Il faut savoir que cette période d'esclavage en Egypte a été, très tôt dans la tradition d'Israël, considérée comme le symbole de tout esclavage, de toutes les formes d'esclavage et, en particulier, du plus grave : l'esclavage au péché, l'esclavage à toutes les dépendances (souvent matérialistes) que l'on accepte et qui nous écartent du Salut. C'est de cet esclavage-là qu'il faut sortir ! Et cela n'est pas une affaire du passé mais une affaire de toujours, chaque fois à recommencer, un combat incessant ; et qui ne se passe pas en une terre lointaine mais qui se passe au-dedans de nous et dans les structures de notre société. A défaut de voir des buissons ardents, pourquoi ne voyons-nous pas la misère de notre époque, la misère de nos petits esclavages ou de nos grands esclavages à toutes les idoles et à toutes les tentations de l'époque ? Et si nous étions sensibles, comme Moïse, à ces formes d'esclavage, peut-être nous rendrions-nous plus sensibles aux buissons ardents du milieu desquels Dieu nous interpelle. Peut-être nous poserions-nous à neuf cette question : qui est ce Dieu qui m'interpelle et à quoi m'appelle-t-il ? nous incitant à purifier notre foi et à purifier nos ½uvres.
« Convertissez-vous, convertissez-vous », insiste le Christ à l'occasion de deux petits faits divers relatés dans l'évangile de ce jour. D'une part, Jésus veut couper court à cette opinion (très ancrée dans le judaïsme de l'époque) selon laquelle il y aurait un lien direct entre une calamité (ou un accident) et une culpabilité personnelle mais, d'autre part, il veut signifier que notre conversion, celle de notre regard, celle de notre c½ur, s'impose, que ce soit à partir d'événements majeurs ou à propos du dernier des faits divers.
La parabole du figuier planté dans la vigne ajoute une note d'urgence. La vigne, ce peut être l'humanité entière, ou Israël, ... ou l'Eglise, selon les niveaux de transposition. Le figuier, ce peut être Israël par rapport à l'humanité, ou le clergé d'Israël par rapport à Israël comme peuple, ou le clergé de l'Eglise par rapport à celle-ci comme communauté des croyants, tous lieux censés être lieux de repos et de ressourcement pour ceux qui travaillent à la vigne ; ce peut être chaque fidèle, chacun de nous.
Nous sommes sommés de porter du fruit. Chacun de nous est sommé de porter du fruit car chacun est le figuier d'une vigne (celle de sa famille, de son entourage, de son milieu de travail, de sa cité). A travers de grandes ½uvres comme à travers les moindres gestes nous pouvons, nous devons porter les fruits du Royaume ; nous pouvons, nous devons devenir des buissons ardents révélant le Dieu qui libère des esclavages.

2e dimanche de Carême, année C

Auteur: Devillers Raphaël
Temps liturgique: Temps du Carême
Année liturgique : C
Année: 2012-2013

LE VISAGE DE LUMIERE

Le premier tournant de la vie de Jésus a eu lieu lors de son baptême : dans la PRIERE, l'humble charpentier de Nazareth  a reçu l'appel de Dieu à tout quitter pour inaugurer son Royaume sur terre. Rejetant, dans la PRIERE, les suggestions diaboliques, il s'est livré sur le champ à sa mission dans le respect de la liberté de conscience (il parle, il propose, il dialogue) et dans la compassion pour les souffrants (il guérit malades et handicapés). Après quelques mois où son succès allait grandissant (serait-ce le Messie ? disait-on), Jésus fait un douloureux constat : d'une part les foules l'enferment dans son rôle de bienfaiteur, d'autre part les autorités religieuses (prêtres, théologiens) se montrent de plus en plus excédées par ce laïc qui opère des miracles suspects, mange avec les pécheurs, bafoue les règles sacrées du sabbat et surtout s'attribue le privilège divin de pardonner les péchés.
Devant cette méprise des gens et le refus endurci des responsables, Jésus s'interroge et, à nouveau, se replonge dans une PRIERE instante pour percevoir la décision, le nouveau tournant qu'il est appelé à prendre car seule la volonté de son Père compte. Luc souligne ce moment capital et il est indispensable aujourd'hui d'en parler afin de comprendre l'évangile du jour qui en sera la conséquence.

Comme il était en PRIERE, à l'écart, il interroge ses disciples : « Et vous, que dites-vous que je suis ? ». Pierre répond : « Le Christ de Dieu ». Il leur ordonne de ne pas le dire et il explique : «  Il faut que le Fils de l'homme souffre beaucoup, qu'il soit rejeté par les anciens, les grands prêtres et les scribes, qu'il soit mis à mort et que, le 3ème jour, il ressuscite ».
Et il s'adresse à tous : « Si quelqu'un veut venir à ma suite, qu'il renonce à lui-même et prenne sa croix chaque jour, et qu'il me suive. Car celui qui veut sauver sa vie la perdra... » (9, 18-27)

Jésus décide de prendre un nouveau chemin. Au lieu de condamner les pécheurs et les païens ou de se faire applaudir comme guérisseur, il lui faut « convertir la religion » : purifier un temple où des sacrifices ne peuvent acheter la grâce de Dieu, appeler à sortir du nationalisme étroit en ouvrant la foi à tous les peuples, dénoncer le légalisme des scribes qui écrasent les gens sous le joug d'observances insupportables, montrer l'hypocrisie et la cupidité d'un sacerdoce gangrené par l'ambition. S'engager sur ce chemin, c'est évidemment prévoir le refus et la haine et s'exposer à la mort. Mais le Fils ne doute pas de son Père : par le don de sa vie sur la croix, par amour, il instaurera son Règne. En perdant sa vie, il la trouvera.

C'est en enchaînant sur cette 1ère annonce de la Passion - qui, après celle de Jésus, doit devenir celle du disciple authentique - que survient la scène de la transfiguration et Luc marque le lien des deux épisodes (ce qu'il ne fait jamais et qui malheureusement est omis dans la liturgie) ;

Or environ 8 jours après ces paroles, Jésus prit avec lui Pierre, Jean et Jacques, et il alla sur la montagne pour PRIER. Pendant qu'il PRIAIT, son visage apparut tout autre, ses vêtements devinrent d'une blancheur éclatante. Et deux hommes s'entretenaient avec lui : c'était Moïse et Elie, apparus dans la Gloire. Ils parlaient de son « exode » qui allait se réaliser à Jérusalem.

Sur la montagne, le Père réconforte son Fils et le couvre de Lumière : « Tu es dans la Vérité ». Et parce qu'il est aujourd'hui VISAGE TRANSFIGURÉ, Jésus pourra, au jardin des Oliviers, avoir le VISAGE DÉFIGURÉ par l'angoisse mais le c½ur inébranlable : la nuit de l'agonie débouchera dans la splendeur du matin de Pâques.
Moïse, le géant, avait jadis apporté la Loi de Dieu et Elie, le plus grand des Prophètes, l'avait défendue avec un zèle farouche ; tous les deux avaient gravi la montagne afin d'y rencontrer le vrai et unique Dieu et Moïse avait même le visage lumineux après ce séjour. Mais tous les deux n'avaient pas renoncé à l'usage d'une certaine violence. Aujourd'hui qu'ils sont vivants dans la Gloire de Dieu », ils viennent encadrer Jésus et l'encourager dans son dessein : Par le don de ta vie, par ton amour écartelé, tu vas accomplir la Pâque, tu vas « passer » dans la Gloire de ton Père et, de la sorte, tu permettras l'EXODE de l'humanité qui, avec et par toi, pourra entrer dans la véritable Terre promise, le Ciel où Dieu et l'humanité ne sont qu'un.

Les deux hommes s'en allaient quand Pierre dit à Jésus : «  Maître, il est heureux que nous soyons ici : dressons trois tentes, une pour toi, une pour Moïse et une pour Elie ». Il ne savait pas ce qu'il disait ! Il n'avait pas fini de parler qu'une Nuée survint et les couvrit de son ombre. Ils furent saisis de frayeur lorsqu'ils y pénétrèrent. Et, de la Nuée, une voix se fit entendre : «  Celui-ci est mon Fils, celui que j'ai choisi : écoutez-le ».
Les apôtres sont transportés par cette vision qui leur paraît comme l'ouverture subite du Royaume divin. Là-haut, dans la paix de la solitude, dans la splendeur d'une Lumière venue d'ailleurs, que l'on est heureux !  Comme l'on aimerait prolonger ce temps béni ! Mais il est fini le temps de dresser un sanctuaire, d'enfermer le sacré dans des lieux clos. Pierre doit comprendre qu'il n'est plus un disciple à l'école de son maître et qui lui reste extérieur. La NUEE, symbole manifeste de la Présence de Dieu, se déploie sur tous les acteurs : Jésus, Moïse, Elie et les 3 apôtres sont ensemble « sous la Tente de Dieu ». Il n'y a plus l'Ancien et le Nouveau Testament, la Loi et les Prophètes, un maître et des disciples : l'humanité universelle devient unie dans la Lumière du Visage de Jésus.
A une condition : que les hommes croient ce que Dieu leur révèle : « Ce Jésus est mon FILS » et qu'ils ECOUTENT ce que Jésus vient de leur annoncer : il faut passer par la croix pour entrer dans le Royaume.

Quand la voix eut retenti, on ne vit plus que Jésus seul. Les disciples gardèrent le silence et, de ce qu'ils avaient vu, ils ne dirent rien à personne à ce moment-là.
La fulgurance n'a duré qu'un moment et les apôtres se retrouvent avec JESUS SEUL. Un homme que Dieu a appelé « MON FILS » et qui reste décidé à aller jusqu'au bout de sa mission. Il faut remballer les tentes, renoncer à un bonheur solitaire sur la montagne, redescendre sur la terre des hommes et poursuivre la route vers Jérusalem. Il n'y a pas d'autre chemin.

CONCLUSION

L'animal suit le chemin de son instinct : l'homme, lui, dispose du privilège redoutable de la liberté. Devant des alternatives, il doit choisir et il est évidemment toujours tenté de prendre la voie la plus facile, où son instinct vital l'écarte de la souffrance et où les slogans de la société le poussent à jouir du bonheur immédiat. Jésus, lui, était persuadé que l'essentiel est de créer la communion entre Dieu et l'humanité, donc de transformer la mort en un « exode », un passage, une renaissance. Même au risque de décevoir les foules en quête, seulement, d'une bonne santé et d'affronter ceux qui se présentent comme les représentants de Dieu mais ferment la porte de son Royaume.

Le 1er dimanche de carême nous a rappelé la source de notre engagement : le baptême.
Le 2ème, aujourd'hui, nous apporte une pause de bonheur : qu'il est heureux de se réfugier avec le Seigneur sous la  douce protection du Père. Mais si chaleureuse soit l'Eucharistie, si réconfortantes les retraites au désert, si emballantes les J.M.J et les grandes manifestations de masse, il reste que, lorsque l'enthousiasme s'éteint, nous sommes tenus, à travers la grisaille des jours et les cérémonies banales, à prendre le chemin de l'exode même s'il faut nous heurter à des frères qui ne veulent rien changer dans l'Eglise.
Sur ce chemin ténébreux, la douce clarté du Visage de Lumière nous persuade de « ne plus voir que Jésus seul », de l'écouter c.à.d. de lui obéir lorsqu'il nous parle de l'exode de la mort.
En communauté recouverte par l'Esprit de force, nous descendons de notre piété évanescente et superficielle pour suivre Jésus avec notre croix. Vers la Transfiguration éternelle.

 

2e dimanche de Carême, année C

Auteur: Croonenberghs Didier
Temps liturgique: Temps du Carême
Année liturgique : C
Année: 2012-2013

Chaque année en cette période, une exclamation de fatigue et de lassitude refait régulièrement surface... Une petite ritournelle dont il faudra encore s'habituer pour quelques jours : « vivement la fin de l'hiver !»??Il est vrai que nous pouvons éprouver parfois une certaine fatigue chronique, ?au c½ur de l'hiver. ??Mais s'il y a des saines fatigues qui nous invitent au repos et à refaire nos forces,?il est une autre fatigue, plus profonde, qui nous guette également.
Elle est cette lassitude de vivre qui nous amène à ne plus voir l'essentiel ;?cette somnolence qui nous fait oublier nos lieux mêmes de ressourcement.

Ceux qui traversent cette fatigue existentielle éprouvent parfois l'envie de tout laisser tomber, ou d'appuyer sur pause, de figer l'instant, de planter leur tente comme Pierre dans l'Evangile, pour profiter du moment présent. ?Notre culture de l'image ne fait que renforcer ce besoin de figer, de fixer, de saisir, d'immortaliser l'instant plutôt que de le vivre. ??Or, à force de vouloir immortaliser tous ces instants qui nous sont donnés, ?nous passons justement à côté d'eux, à côté de leur goût d'éternité. ?
Et aujourd'hui, en ce temps de Carême, au c½ur du tourbillon de nos vies, au c½ur peut-être de nos hivers intérieurs, l'évangile nous invite à gravir la montagne et à prendre de la hauteur pour vivre pleinement les moments privilégiés de nos vies. Pour cela, il nous faut gravir notre propre montagne et sortir d'une certaine somnolence... 
Ces moments d'éternité sont tous ces moments privilégiés qui nous ressourcent, où sommes citoyens des cieux, pour reprendre l'expression de Saint Paul. Ce sont ces petits moments d'amitié, de rencontre en vérité, ?de tête à tête, de face à face, à visages découverts et transfigurés. ??La beauté de ces moments est justement qu'ils ne durent que quelques instants. Il ne sert à rien de vouloir s'y accrocher. Ils ne nous font pas croire à notre immortalité mais ils donnent à la fragilité de nos existences une saveur d'éternité. 

Ces instants nous aident aussi à franchir des étapes dans nos vies. En effet, dans l'évangile de Luc, le récit de la transfiguration est une tournant. Il se situe entre deux annonces de la passion. A partir de cet instant, le chemin de Jésus sera sa montée vers Jérusalem et sa passion.

Quant à nous, de part et d'autres de nos lieux de ressourcements, nous avons nous avons toutes et tous nos difficultés à traverser certaines phases de notre vie. Ces étapes sont chaque fois un deuil sur nous-mêmes, ?sur ce que nous voudrions devenir. La transfiguration ne peut en effet se vivre que si elle prend en compte l'annonce de la passion. 

Entre ces moments privilégies et ces étapes à franchir, il nous faut néanmoins marcher, sans vouloir nous protéger, sans vouloir planter une tente comme les disciples. Comme Pierre, Jacques et Jean, les proches disciples de Jésus, nous pouvons être traversés par ces forces qui nous invitent à figer l'instant, à immortaliser l'instant plutôt que de le vivre.

L'Évangile d'aujourd'hui nous invite donc à traverser une étape de notre vie. Pour certains, il s'agira d'apaiser un deuil, de porter désormais un regard non douloureux sur une cicatrice de l'existence ; pour d'autres, il s'agira de quitter un lieu qui les retient en arrière.
Cette étape est toujours un moment de transfiguration authentique et profond où nous pouvons montrer un autre visage ; accepter le défi d'être plus encore devant les autres ce que nous sommes en vérité devant Dieu, ses fils et ses filles bien aimés.

2e dimanche de Carême, année C

Auteur: Henne Philippe
Temps liturgique: Temps du Carême
Année liturgique : C
Année: 2012-2013

Ce soir, nous avons le grand honneur d'accompagner quatre adultes vers le baptême.  Ce n'est pas seulement une grande fête pour eux, c'est aussi un grand événment pour nous.  J'ai peur que nous commettions un déni de baptême, comme il existe un déni de maternité.  Il arrive que des femmes tombent enceintes et refusent cette situation.  Elles vivent même sans sa laisser en aucune façon déranger ou perturber par cette transformation.  Il existe des hommes qui se sont mariés et ont eu des enfants et qui jamais ne les ont vraiment aimés.  Ils s'en sont occupés, mais ils n'ont jamais joué avec eux, jamais discuté avec eux, jamais essayé de les entendre ou de les comprendre.  C'était des éléments nouveaux dans leur vie.  Ils ne se sont pas laissé perturber par cette nouvelle situation.
Je me demande si nous aussi nous n'allons pas passé à côté de quelque chose de beau, de quelque chose qui peut nous aider à grandir.  Je pense à cela à cause d'une vieille coutume qui existait au début de l'histoire de l'Eglise.  En Syrie actuelle, durant les deux premiers siècles, certaines communautés chrétiennes avaient l'habitude de jeûner, de pratiquer le jeûne avec les candidats au baptême.  Il y avait donc les catéchumènes, ceux qui allaient être baptisés qui étaient obligés de pratiquer le jeûne.  Il y avait aussi le prêtre ou l'évêque qui allait pratique ce baptême qui devait jeûner.  Mais il y avait aussi tous les croyants, tous les chrétiens déjà baptisés qui étaient invités à jeûner.  Et je trouve cela très beau parce que cela veut dire que les croyants étaient non seulement invités à participer à la préparation du baptême, mais que les croyants étaient également invités à se préparer à ce grand changement, à ce grand bouleversement qu'allait être le baptême non seulement pour les catéchumènes, mais aussi pour chacun des croyants et des baptisés.
J'ai découvert cela grâce au frère Bernard.  Le frère Bernard est un frère dominicain camerounais qui est ici, au couvent des dominicains.  Il a été ordonné prêtre au début du mois de décembre, dans son pays, au Cameroun.  J'ai eu le plaisir et la surprise de le voir se préparer à cette ordination et de la voir après son ordination.  Il s'est préparé en toute vérité, par la prière.  Il est revenu transformé, transfiguré par ce sacrement.  C'est vrai.  C'est une chose qu'on oublie peut-être parfois, mais un sacrement, ce n'est pas un examen qu'on réussit, un cadeau qu'on reçoit, un gadget qu'on utilise.  Un sacrement, c'est la grâce de Dieu qui pénètre dans nos c½urs et qui peut nous transformer, nous transfigurer.  Et cette grâce peut couler sur nous comme la pluie sur les vitres de notre indifférence, comme elle peut pénétrer en nos c½urs et nous enrichir de sa nouveauté.
Car, et c'est cela qui est beau dans l'hospitalité, accueillir quelqu'un, c'est accepter d'être transformé par lui, d'être dérangé par lui, d'être amélioré par lui.  Pourquoi ? Parce qu'il a raison ? Non, pas nécessairement.  Je ne sais pas s'il a raison, mais je sais qu'il peut m'apprendre quelque chose, qu'il peut me permettre de découvrir quelqu'un.  Il a une autre manière de parler de Dieu, une autre façon de le prier, d'autres attentes de la part de l'Eglise et de chacun d'entre nous.  Je ne sais s'il a raison, mais je sais que j'ai quelque chose à apprendre de lui sur Dieu, sur l'Eglise et sur moi-même. 
Et c'est là sans doute le mystère de la Transfiguration que nous célébrons aujourd'hui.  Pierre, Jacques et Jean voient le Christ dans sa gloire, transfiguré, bien différent de cet homme qu'ils aiment et qu'ils suivent depuis des semaines.  Il est brutalement rayonnant, entouré de Moïse, le saint homme qui a transmis la Loi, et d'Elie, le plus grand des prophètes, qui n'a pas eu peur de se révolter contre les mauvais rois.  Oui, vraiment, ce n'est plus Jésus qu'ils ont devant eux, c'est le Fils de Dieu qui parle avec eux.  Mais pour qu'ils puissent voir cela, il a fallu que les trois apôtres acceptent d'oublier d'avoir raison.  Oui, trop souvent, nous sommes là, toujours prêts à donner des leçons, toujours prêts à corriger l'idée de notre voisin, de notre conjoint.  Les apôtres ont accepté de se dire que ce que Jésus leur dit, c'est beaucoup plus beau, beaucoup plus grand que tout ce qu'ils pouvaient imaginer.  Alors au cours de cette Eucharistie laissons-nous surprendre par tous ceux et toutes celles qui, avec nous, essaient de prier Dieu, de l'adorer et de le servir.  Ouvrons tout grands les yeux de notre âme et de notre c½ur pour découvrir une nouvelle façon d'aimer Dieu et de le servir.  Accueillons avec reconnaissance ce cadeau admirable de l'Eucharistie où le Dieu tout-puissant se fait nourriture pour notre âme et notre corps.  Alors transfigurés par son amour nous pourrons rayonner de sa tendresse au milieu de tous nos frères humains.

Philippe Henne

2e dimanche de Carême, année C

Auteur: Sélis Claude
Temps liturgique: Temps du Carême
Année liturgique : C
Année: 2012-2013

Cette scène de la Transfiguration se situe entre la 1° et la 2° annonce de la Passion, ce qui justifie sa place dans notre contexte de Carême et qui en éclaire le sens. En effet, le Christ de la Passion est tout entier déjà le Christ en gloire. Sa Passion elle-même est « théophanie », c'est-à-dire présence de Dieu, Dieu rendu visible pour nous.
Déjà Abraham demandait un signe visible. Dieu lui avait fait une promesse d'une descendance nombreuse et d'un pays où ruissellerait le lait et le miel. Depuis, il avait dû séjourner en Egypte pour échapper à la famine et, de retour en Canaan, il n'était toujours pas maître de ce pays et n'avait toujours pas de descendance. La promesse est ici réitérée mais on comprend qu'Abraham souhaiterait quelques précisions. Le Seigneur répond en faisant faire à Abraham un sacrifice énigmatique. La solution de l'énigme est sans doute à lire dans le sommeil profond d'Abraham. Le sacrifice du Christ, quelques 1.200 ans plus tard, ne sera plus une simple réitération mais bien l'accomplissement de la Promesse.
Moïse et Elie avaient également demandé des signes. Dieu avait envoyé Moïse en mission auprès de son peuple pour le libérer d'Egypte. Moïse avait fait remarquer à Dieu : « Mais au nom de qui puis-je parler ? ». Dieu avait répondu du milieu du buisson ardent en révélant son nom. Plusieurs éléments de la théophanie chez Luc sont d'ailleurs repris à cette théophanie du Sinaï. Elie de son côté en avait fait appel à Dieu pour départager entre les faux prophètes sacrifiant à des idoles et le vrai prophète annonçant la Parole de Dieu dans toute son exigence. Dieu avait répondu à son appel par un geste spectaculaire mais était aussi apparu à Elie dans le moins spectaculaire des signes : dans une brise légère. Moïse et Elie, les deux bénéficiaires de théophanies divines dans l'Ancien Testament et devenus les deux piliers de la foi juive, l'un représentant la Loi, l'autre la Prophétie, sont ici réunis dans cette manifestation du Dieu en gloire aux disciples. Comment mieux exprimer le lien, la continuité entre les deux Traditions ?
Pierre et ses compagnons étaient accablés de ce profond sommeil qui avait déjà accablé Abraham. Pierre se rend compte malgré tout, confusément, de l'importance du moment et de son caractère bienheureux. En proposant de dresser trois tentes, il ne propose pas de faire du camping. Il se réfère et fait appel à toute la symbolique des la fête des Tentes dans le judaïsme. Il s'agissait, à l'origine, d'une fête agraire célébrant la fin des récoltes et ayant pour cadre des huttes dressées dans les champs et les vignes. Cette fête recevra plus tard une signification religieuse liée au souvenir historique du séjour au désert et où Dieu avait été tellement présent à son Peuple et où la Loi elle-même avait été abritée sous une tente au-dessus de laquelle se plaçait la nuée divine (la shekina). Tous ces éléments sont présents ici et veulent bien signifier la présence de Dieu.
L'épître aux Philippiens souligne le fait que nos « pauvres corps » seront également transformés à l'image du corps glorieux du Christ lui-même. Cet enseignement de Paul vient utilement compléter les leçons à tirer de la Transfiguration du Christ : celle-ci nous concerne aussi et nous pouvons y être associés. Il y a cependant des choix à faire : ou bien nous nous comportons en « citoyens des cieux », ou bien nous restons esclaves des « choses de la terre ». Et là, nous revenons très concrètement à l'effort d'ascèse et de purification intérieure que nous demande le Carême.

1er dimanche de Carême, année C

Auteur: Van Aerde Michel
Temps liturgique: Temps du Carême
Année liturgique : C
Année: 2012-2013


« Ayant ainsi épuisé toutes les formes de tentations, le démon s'éloigna de Jésus jusqu'au moment fixé ».
« Toutes les formes de tentations » : Jésus est tenté au niveau du manger, c'est à dire des besoins basiques, liés à la survie. Il est tenté au niveau du pouvoir, le pouvoir universel, sur toutes les nations. Et il est tenté au niveau de la foi : instrumentaliser Dieu pour obtenir certains prodiges, en quelque sorte pratiquer la magie.
L'Evangile concentre dans un récit stylisé ce qui fut le problème permanent de Jésus tout au long de sa vie : lorsque le peuple veut le prendre comme roi, lorsque les disciples veulent faire descendre le feu du ciel sur un village récalcitrant, ou encore lorsqu'au bord du puits, fatigué par le chemin, il a soif.
Jésus est tenté. Cela nous montre qu'il est normal d'être tenté, mais interrogeons-nous sur la nature de la tentation. Jésus a faim et il souhaite transformer les pierres en pain. C'est ce que tout agriculteur pratique dans son métier. Il souhaite le pouvoir sur les nations car c'est l'objet même de sa mission pour les conduire à Dieu. Il pense se jeter en bas sans se casser les os. Il vivra l'ascension, le parachute ascensionnel ! La tentation ne porte pas sur l'objet, mais sur la manière de l'obtenir. La tentation comme telle n'est pas mauvaise. Contrairement à certains courants de pensée comme le bouddhisme, pour le christianisme le désir est bon. Sauf si nous sommes psychiquement malades, nous désirons des choses très bonnes et très belles. Mais nous sommes tentés de les obtenir de manière dévoyée : les obtenir immédiatement, alors qu'il faudrait travailler, patienter, respecter, entrer en relation. Pour changer les pierres en pain, il faut au moins semer, récolter, moudre le grain, faire cuire le pain. Pour devenir un artiste, il faut beaucoup s'entraîner. Pour exercer sa mission, comme tout le monde, Jésus est tenté par la facilité. Nouvel Adam, il est tenté de jouer au petit dieu. Et nous aussi, nous sommes tentés d'attendre de lui ce qui ne convient pas.
« Descend de ta croix, et nous croirons en toi ! » disaient les passants. Qu'attendons-nous de Jésus ? Que lui demandons-nous ? Quelle relation avons-nous avec lui et avec Dieu ? Quel rôle lui faisons-nous jouer ? N'est-ce pas nous qui venons le tenter ?
Jésus est le messie et, pour accomplir sa mission, il est tenté d'utiliser des moyens qui ne sont pas des moyens humains. Il est tenté d'échapper aux limites de la condition humaine. Dans nos projets, pour faire face à nos responsabilités, nous sommes nous aussi souvent tentés de nous prendre pour des messies triomphants et de nous prendre pour des petits dieux.


L'actualité de cette semaine éclaire d'un jour particulier ce récit des tentations. Le pape Benoît XVI vient de démissionner. Pourquoi donc cette démission a-t-elle provoqué un pareil « coup de tonnerre » ? Pourquoi paraissait-elle impensable il y a quelques semaines ? Pourquoi la suggérer serait alors passé pour sacrilège ? Pourquoi donc avoir peur ? Pourquoi être plus papiste que le pape ?
Il y aurait une manière de sacraliser le personnage, d'en faire une sorte de demi-dieu, d'idole sacrée. On attendrait tout de lui. Il n'aurait droit ni à l'erreur ni au vieillissement. Certains se disent abandonnés, désemparés, comme des enfants dans la rue. Ils lui reprochent d'avoir démissionné et quasiment de trahir sa mission. Il faudrait qu'il meure à la tâche. Ils le sacrifieraient volontiers à sa fonction.
Que signifie cette papolâtrie ? Un pape n'est qu'un pape. Il ne doit pas se prendre ni se laisser prendre pour « bon dieu ». Le cardinal de Paris l'a dit avec humour. Le pape est avant tout l'évêque de Rome, dont la cathédrale est la basilique Saint Jean du Latran. Les cardinaux qui l'élisent sont les curés doyens de la ville, une église qui leur est attribuée. Du fait de l'allongement de l'espérance de vie, depuis le Concile Vatican II, les évêques prennent leur retraite à 75 ans, les cardinaux n'ont plus voix active à partir de 80 ans, n'est-ce pas suffisant ? La vie terrestre est limitée, les forces humaines sont limitées.


De même que Jésus accepte les limites de sa condition sans entrer dans la tentation de toute-puissance, l'évêque de Rome accepte les limites qui sont les siennes. Lorsque la fonction exige plus qu'il ne peut assumer, il a le droit de démissionner. La surprise qu'a déclenché ce geste magnifique, éminemment libre et évangélique, montre que les tentations se trouvent des deux côtés.
Lorsqu'un jour Jésus a déclaré qu'il devrait souffrir et même mourir, Pierre lui a dit « Non, Seigneur, cela ne t'arrivera pas ! » et vous savez ce qu'a répondu Jésus : « Arrière, Satan ! »
N'oublions pas cette parole du Christ : « il vous est bon que je m'en aille! »  et que l'exemple de Benoît XVI nous aide à ne pas trop attendre de ceux qui sont en responsabilité. Quand nous exerçons ces fonctions, ne nous prenons pas trop au sérieux, ne nous prenons pas pour des messies, des sauveurs, des personnages providentiels, irremplaçables. Sachons aussi, le moment venu, céder la place et nous effacer.
Vous connaissez la réplique de Jean XXIII lorsque s'est présentée à lui la supérieure générale des mères du Saint Esprit. Il lui dit gentiment « Moi, je ne suis que le pape » !

1er dimanche de Carême, année C

Auteur: Devillers Raphaël
Temps liturgique: Temps du Carême
Année liturgique : C
Année: 2012-2013

CARÊME   :   LE  CHEMIN  DU  COMBATTANT

Entrés depuis mercredi dans la période du carême, nous interrogeons : que faut-il faire ? On nous répond par des exhortations peu emballantes : nous infliger certaines privations, jeûner, participer avec générosité aux collectes du « carême de partage ». Très bien mais pourquoi ces actions ? Au préalable, avant d'obéir aveuglément à des consignes, il serait sans doute nécessaire de reprendre conscience de notre identité de baptisé : qui suis-je donc devant Dieu ? Savoir plus précisément qui l'on est incite à chercher ce que l'on doit être, donc à vérifier ses choix de vie et à opter plus décidément car nous sommes toujours devant des alternatives : faire ceci ou cela ?
Lors de son baptême, Jésus a fait une expérience bouleversante en entendant la voix de Dieu: « Tu es mon Fils ; moi aujourd'hui je t'ai engendré ». Dieu lui dit qui il est, il l'intronise afin d'inaugurer le Royaume divin parmi les hommes. « TU ES » et non « TU DOIS FAIRE CECI OU CELA». Aucune précision sur les initiatives à prendre, sur les moyens à utiliser, sur les méthodes d'action. Dieu a dit sa relation à son Fils et le laisse inventer son existence.
Sans prétexter de sa jeunesse, de sa pauvreté, de son manque total de ressources financières,  de son état de petit laïc de la campagne, laissant là ses amis qui retournent au village, Jésus assume sa vocation et s'enfonce dans la solitude. Il est parfaitement libre donc placé devant des choix donc soumis aux tentations. Celles-ci ne sont pas un péché mais un test qui précise les options et renforce les convictions. Comment faire pour inaugurer AUJOURD'HUI le Règne de Dieu son Père ?...

DE QUOI L'HOMME DOIT-IL VIVRE ?

Rempli de l'Esprit Saint, Jésus quitta les bords du Jourdain ; il fut conduit par l'Esprit, à travers le désert où, pendant 40 jours, il fut mis à l'épreuve par le démon. Il ne mangea rien et quand ce temps fut écoulé, il eut faim. Le démon lui dit alors : «  Si tu es Fils de Dieu, ordonne à cette pierre de devenir du pain ». Jésus répondit : «  Il est écrit : « Ce n'est pas seulement de pain que l'homme doit vivre ».
La faim de l'homme n'est pas  une servitude, un bas instinct qu'il est tenu de satisfaire tous les jours ; elle n'est pas non plus une convoitise qui tourne à la goinfrerie. En jeûnant, Jésus ne pratique pas un exercice ascétique de maîtrise de soi : il s'interroge sur ce qui fait vivre l'homme. Le pain, certes, et tous les aliments, car il a besoin de restaurer ses forces pour accomplir son travail. Mais suffit-il d'assouvir ses besoins, la satiété donne-t-elle le bonheur ? La grande cuisine la plus raffinée ne comblera jamais ce désir d'accomplissement qui est notre tension profonde. Le pauvre Vincent Van Gogh préférait la misère plutôt que d'être infidèle à son art. « Pas seulement... » : Jésus sait que l'essentiel n'est pas le menu mais la raison de vivre. Que fais-tu de cette vie que tu alimentes ? Le jeûne chrétien libère l'esprit des lourdeurs quotidiennes, aiguise la perception et permet une prise de recul afin de percevoir comment Dieu veut que nous menions notre vie et réalisions notre mission. « Ma nourriture, dira Jésus, c'est de faire la volonté de Celui qui m'a envoyé et d'accomplir son ½uvre » (Jn 4, 34). Ecouter la Vérité vaut plus que manger.
Notre société, avec ses prouesses culinaires et son alimentation riche et variée, offre du plaisir, permet une meilleure santé corporelle donc une augmentation de l'espérance de vie. Mais alors pourquoi ces dépressions, ces consommations excessives d'alcools, de drogues, d'antidépresseurs, de somnifères ? Pourquoi cette somme de suicides ? On nous donne des moyens de vivre mais si peu de raisons de vivre (Paul Ric½ur). La longévité n'est pas l'éternité. Dans un régime matérialiste, l'homme étouffe.

ON NE FAIT PAS LE BONHEUR DES HOMMES CONTRE LEUR GRE

Le démon l'emmena alors plus haut, et lui fit voir d'un seul regard tous les royaumes de la terre. Il lui dit : «  Je te donnerai tout ce pouvoir et la gloire de ces royaumes, car cela m'appartient et je le donne à qui je veux. Toi donc, si tu te prosternes devant moi, tu auras tout cela ». Jésus lui répondit : « Il est écrit : Tu te prosterneras devant le Seigneur ton Dieu, et c'est lui seul que tu adoreras »
L'instauration du Royaume que Dieu vient de confier à son Fils ne peut naturellement qu'être universel, planétaire. Et il y a tant de misères, tant d'injustices, tant de situations insoutenables. Ne serait-il pas bien que le Royaume de bonté s'inaugure sur le champ, que le Messie sèche les larmes, anéantisse les armements, apporte la paix ? Mais ce ne pourrait être qu'au prix de la violence, en imposant un ordre par la tyrannie, en dictant ses volontés. L'ivresse du pouvoir a enivré tant d'ambitieux ! Leur orgueil a provoqué, et provoque encore, des morts par millions, des désastres infinis, des souffrances indicibles. On ne fait pas le bonheur de l'homme contre son gré ; on ne baptise pas un peuple ; on n'outrepasse pas les délais de la liberté humaine ; on n'établit pas une religion nationale.
Jésus n'adore que son Père : c'est pourquoi il ira à pied, lentement, les mains vides mais le c½ur plein d'amour. Il ne hurlera pas des slogans pour galvaniser les siens et les envoyer à la boucherie : il parlera doucement, il respectera chaque conscience car il sera « doux et humble de c½ur » (Matt 11, 29).
Et, hélas, il sera bien scandalisé quand il verra son Eglise user de coercition, de dureté, d'intolérance, allumer des bûchers au lieu de brûler d'amour pour les hommes si dévoyés soient-ils.

LA MAGIE RELIGIEUSE

Puis le démon le conduisit à Jérusalem, il le plaça au sommet du temple et lui dit : «  Si tu es le Fils de Dieu, jette-toi en bas ; car il est écrit : « Il donnera pour toi à ses anges l'ordre de te garder ... Ils te porteront sur leurs mains de peur que ton pied ne heurte une pierre ».
Jésus répondit : «  Tu ne mettras pas à l'épreuve le Seigneur ton Dieu »
Après la dictature politique, la magie religieuse. Les hommes aiment le merveilleux : « Accomplis des prodiges, sidère les publics naïfs, joue au prestidigitateur qui ébahit les foules, fais des miracles, plane au-dessus des foules pâmées ». Mais le Fils de Dieu reste un homme, comme nous soumis à la pesanteur. On n'a pas le droit de braver Dieu, de le sommer de faire de l'extraordinaire : « Fais cela, Dieu, et je croirai ! ». Au contraire Jésus dira : « Je crois en toi, homme, donc fais cela ». Oui Jésus accomplira des miracles  mais en petit nombre et jamais à son profit : il agira toujours par compassion afin de guérir tous ces malades et handicapés qui criaient au secours et très souvent il leur demandera de ne pas divulguer ses bienfaits pour ne pas être confondu avec un guérisseur.
*
Ayant épuisé toutes les formes de tentation, le démon s''éloigna de Jésus...jusqu'au moment fixé.
Ces trois sollicitations résument toutes les autres et reviendront vivaces. Le combat n'est jamais terminé. Appuyé sur ses options de base, Jésus quitte la solitude et s'en va accomplir sa mission. Mais 2 ans plus tard, au « temps fixé », « le démon » (qui est-ce ?) déchaînera ses assauts. A nouveau Jésus vaincra les trois tentations exacerbées par la haine :
Manger. Il offrira le pain à ses disciples : sa Vie.
Dominer. Il les obligera à ranger leurs armes (Matth 26, 52) et les enverra, pauvres et démunis, pour annoncer la Bonne Nouvelle de la Paix dans toutes les nations du monde.
Planer. Il ne se jettera pas en bas de la croix, comme ses ennemis le lui demandaient (Luc 23, 35) : en mourant par amour, il les sauvera. C'est pourquoi son Père le sauvera !

CARÊME : temps de lucidité où le chrétien débusque les man½uvres qui l'éloignent de son Dieu, où il découvre les ornières dans lesquelles il patauge et où il apprend la triple réponse aux tentations fondamentales : la sobriété, la douceur, l'humilité.
Que chacun lutte de son mieux. Nos défaites seront nombreuses mais notre Chef, notre Seigneur, lui, a vaincu. Le c½ur fixé sur l'horizon de Pâques, combattons avec les armes de la foi (Ephésiens 6,10-18).

 

1er dimanche de Carême, année C

Auteur: Sélis Claude
Temps liturgique: Temps du Carême
Année liturgique : C
Année: 2012-2013

En faisant précéder sa mission par une période de 40 jours de solitude et d'ascèse au désert, Jésus revit en condensé -et donc réassume- les 40 ans du peuple hébreu au désert, 40 ans qui l'avait préparé spirituellement à son entrée en Terre Promise. La Terre Promise du chrétien, c'est le Royaume de Dieu dont la Résurrection du Christ sera l'entrée. Nous sommes donc invités, nous aussi, comme le Peuple hébreu et comme Jésus, à revivre ce temps de retrait et d'ascèse. Temps de retrait et d'ascèse par rapport au monde, c'est-à-dire par rapport au mode de raisonnement habituel du monde, ici représenté par les trois tentations.
La première objection que le « monde » trouvera à faire au message de Salut du Christ sera la nécessité concrète de se nourrir, de pourvoir aux besoins vitaux. La réponse de Jésus : « L'homme ne vit pas seulement de pain » est une remise en question du caractère absolu de cette évidence. L'homme qui passe tout son temps et toute son énergie à satisfaire ses besoins vitaux et instinctuels n'est autre qu'un animal. Sous prétexte de satisfaire des besoins vitaux, il en arrive même à gâcher sa vie et souvent aussi celle des autres, ce qui entre manifestement en contradiction avec le soi-disant idéal de servir les besoins vitaux et ce qui montre qu'il s'agit bien souvent d'un prétexte. La première des évidences est bien plutôt que l'homme ne vit pas seulement de pain !
La seconde objection du « monde » sera de trouver dans le pouvoir politique (« le pouvoir et la gloire de ces royaumes ») un moyen bien plus concret, immédiat et efficace de salut. Combien de systèmes politiques n'ont-ils pas et ne continuent-ils pas à faire cette promesse ? On sait ce qu'il en est advenu quand des systèmes politiques prétendaient offrir ce salut ! La formulation du démon pose bien l'enjeu : le pouvoir politique estime, de facto, que le monde lui appartient (« je te donnerai ce pouvoir car cela m'appartient » dit le démon à Jésus) et il a l'inexorable tendance à se sacraliser lui-même. La réponse de Jésus nous rappelle -à nous- que seul Dieu justifie adoration ou, autrement dit, qu'il n'y a pas de système ou de pouvoir politique à sacraliser.
La troisième objection est la plus pernicieuse. En insinuant le doute sur le statut divin de Jésus, ce à quoi pousse le démon c'est en fait à l'auto-humiliation de la religion par la religion (« jette-toi en bas »). Sur les trois pièges, c'est le seul où le démon cite lui-même des versets bibliques pour mettre Jésus au défi. Dans sa réponse, Jésus neutralise cet argument usurpé en citant lui aussi les Ecritures. L'épisode de la manne auquel il est fait allusion est un épisode  majeur de l'Histoire du Salut développé par les livres de l'Exode et du Deutéronome. Le peuple hébreu avait voulu mettre Dieu à l'épreuve en le sommant de lui donner à manger en plein désert. Tout en n'appréciant pas ce genre de mise à l'épreuve, Dieu avait bel et bien compati à la détresse de son peuple et s'était soucié même de cet aspect très matériel de sa subsistance. Il l'avait finalement conduit dans « ce pays ruisselant de lait et de miel », comme nous le rappelait la lecture du Deutéronome. Il avait mis sa Parole « près de nous, dans notre bouche et dans notre c½ur », comme le rappelait St Paul, citant d'ailleurs un verset du même Deutéronome.
En ce début de Carême, le chrétien doit reconsidérer ces questions et se méfier des réponses du « monde », ces tentations qui sont celles qu'il rencontrera immanquablement dans sa marche vers Pâques.

5e dimanche ordinaire, année C

Auteur: Devillers Raphaël
Temps liturgique: Temps ordinaire
Année liturgique : C
Année: 2012-2013

UN PÉCHEUR PÊCHEUR POUR PÊCHER LES PÉCHEURS

Lors de l'expérience de son baptême, le charpentier de Nazareth a compris qu'il ne construirait plus les maisons de son village mais qu'il lui fallait reconstruire l'humanité blessée et chancelante. Que cette ½uvre immense que Dieu son Père lui confiait était le travail le plus urgent à accomplir, sans perdre une minute. Il circule donc en Galilée et il fait deux choses: il parle et il guérit les malades. Evidemment son renom de thaumaturge se répand très vite et les foules accourent, le suppliant pour recouvrer la santé.
Mais l'essentiel pour lui n'est pas là : c'est le c½ur de l'homme qui est malade, c'est son âme qu'il faut soigner. Pour cela, un seul moyen : LA PAROLE. Car on ne sauve pas l'homme contre son gré, ni par séduction ni par violence : il faut qu'il écoute, qu'il accueille des mots qui pansent ses plaies intérieures, exorcisent son angoisse et lui donnent un avenir de lumière. Jésus prêche, et ce sera là son occupation principale jusqu'à la fin de sa vie. « Prêcher » : peut-on encore utiliser ce mot qui prête à sarcasme tellement il s'est confondu avec hurler, reprocher, sermonner, menacer ? Jésus ne crie pas : il propose, il explique, il encourage avec des mots tout simples, des images que le petit peuple peut comprendre.
Ses prédications sont de deux sortes.  D'abord il proclame, il annonce la venue du Règne de Dieu. De même que les souverains de l'époque disposaient de hérauts (en grec : « kèrux ») qui parcouraient le pays afin de répandre les nouvelles importantes (victoire militaire, naissance d'un prince...), ainsi Jésus est le héraut de son Père et il proclame la Bonne Nouvelle : avec moi, Dieu vient (ce qu'on appelle par conséquent « le kérygme »). Ensuite il explique : il prouve que sa mission correspond à ce qu'annonçaient les Ecritures, montre quel genre de Messie il est et comment il faut se comporter en tant que citoyen du royaume.
« Kérygme et catéchèse » : annonce et enseignement. L'évangile montre Jésus en cette double action.

Un jour Jésus se trouvait sur le bord du lac de Galilée :
la foule se pressait autour de lui pour écouter la Parole de Dieu.

Les  gens écoutent un homme qui leur annonce la venue du Royaume avec des mots humains mais, écrit saint Luc plus tard, en fait, par Jésus, c'est Dieu lui-même qui leur parle. « Aujourd'hui les Ecritures se réalisent » affirme-t-il, comprenez la valeur unique de ce moment : Dieu vous  prévient qu'il est en train d'entrer en humanité non par des déflagrations fulgurantes et des manifestations spectaculaires mais comme un ami parle à un ami. Sommes-nous « empressés » de nous mettre à l'écoute de cette Parole ? Quelle ruée pour écouter un virtuose, un chanteur, un humoriste, un conférencier...et quel vide lorsque la paroisse propose une écoute de l'Evangile !

Jésus vit deux barques amarrées au bord du lac : les pêcheurs en étaient descendus et lavaient leurs filets. Jésus monta dans une des barques qui appartenait à Simon et il lui demanda de s'éloigner un peu du rivage.
Puis il s'assit et, de la barque, il enseignait la foule.

Après l'annonce initiale vient le temps de l'explication. Le déplacement de Jésus n'est pas anodin. Il « s'assied », ce qui était la position du maître enseignant devant ses disciples : il est « dans la barque » c.à.d. qu'il domine les profondeurs, il apporte une parole qui clarifie, qui n'est pas engloutie dans l'abîme obscur, qui permet d'affronter les bourrasques de l'existence. Et cette embarcation appartient à Simon, que Jésus connaît bien, qu'il a déjà surnommé Pierre : par là il veut nous apprendre à écouter son même message qui, désormais, sera lancé à partir de la « barque de Pierre », symbole de l'Eglise.      
Là est l'obstacle pour beaucoup ! Reconnaître la beauté de l'Evangile, la grandeur fascinante du personnage Jésus, oui - mais prêter l'oreille à l'Eglise qui tente de divulguer cette même parole, non, jamais ! Scandale d'une Parole divine exprimée en paroles humaines. Et, hélas, il est vrai, elle est si souvent énoncée platement, récitée sans élan, inaudible dans une acoustique déficiente, et même parfois, hélas, déformée ! Mozart n'a pas écrit de la musique pour vendre des partitions mais il l'a laissée dans les mains de ses interprètes. Jésus nous questionne : « Qu'avez-vous fait de mes paroles ? ». Et comment l'assemblée dominicale répond-elle lorsque l'officiant, après la lecture, exhibe le Livre et lance : « Acclamons la Parole de Dieu » ? Si souvent on ne reçoit en réponse qu'un bredouillement ennuyé alors qu'il faudrait un cri de joie et de bonheur puisque Dieu vient de nous faire l'honneur de nous parler. 

Quand il eut fini de parler, il dit à Simon : « Avance au large et jetez les filets pour prendre du poisson. Simon lui répondit : «  Maître, nous avons peiné toute la nuit sans rien prendre mais sur ta parole, je vais jeter les filets ». Ils le firent et ils prirent une telle quantité de poissons que leurs filets se déchiraient.
Ils firent signe à leurs compagnons de l'autre barque de venir les aider.
Ceux=ci vinrent et ils remplirent les deux barques à tel point qu'elles enfonçaient.

Les pêcheurs du lac ont l'habitude de pêcher la nuit : c'est pourquoi Luc nous a fait remarquer que Simon et son frère nettoyaient leurs filets avant d'aller prendre du repos. Or cette nuit, ils sont restés bredouilles. Et voilà que Jésus leur demande de recommencer. Un charpentier va-t-il faire la leçon à des hommes du métier ? Doit-on reprendre une action que l'on a accomplie sans résultat pendant des heures ? Eh bien oui justement. La foi, c'est aller un pas plus loin que le découragement,  reprendre le sac que l'on vient de déposer, se lever lorsqu'on voulait dormir, aller ailleurs alors qu'on a échoué dans son entourage. « Va au large ». Ne restez pas confinés dans votre territoire mesquin, allez à la recherche d'inconnus qui écouteront ce message que vos enfants rejettent. Ainsi au moment où nos églises d'Occident se vident, les monastères fleurissent en Russie, l'Eglise cambodgienne totalement anéantie sous Pol-Pot renaît de ses cendres, les baptêmes en Chine se comptent par milliers. « Va au large ». Ne te plains pas de tes échecs, surtout ne te décourage jamais.  Eveille-toi et recommence. Toujours plus loin. 

A cette vue, Simon-Pierre tomba aux pieds de Jésus en disant : «  Seigneur, éloigne-toi de moi car je suis un homme pécheur ». L'effroi en effet l'avait saisi, lui et ceux qui étaient avec lui devant la quantité de poissons qu'ils avaient pris. Jésus dit à Simon : « Sois sans crainte, désormais ce sont des hommes que tu prendras ». Alors ils ramenèrent les barques au rivage et, laissant tout, ils le suivirent. 

Pourquoi n'adoptons-nous pas le rite congolais où la demande de pardon a lieu seulement après les lectures et la prédication ? Car de quoi demander pardon en entrant dans une église ? Dieu m'attend-il pour m'accabler de reproches ? Mais lorsque nous avons (vraiment) écouté l'Evangile et les exhortations des prophètes, des Apôtres et du prêtre, devant les merveilles que Dieu accomplit pour nous, alors nous devenons conscients de nos péchés, de nos lâchetés.
Ainsi en ce jour je peux avouer : « Je ne me suis pas empressé d'écouter la Parole de Dieu ; je me suis laissé abattre ; je n'ai pas osé recommencer mon témoignage chrétien ; je me suis désintéressé de la mission ». A ce moment la conscience de pécheur est vraie ; le péché n'est plus un vague remords, un sentiment de culpabilité mais, comme toujours dans la Bible, un refus d'écouter et un émerveillement devant les bienfaits du Seigneur.  
Devant sa prise inattendue, Pierre s'effondre : Oui je suis pécheur. Alors, et alors seulement, parce qu'il avoue sa faiblesse, il peut devenir un « apôtre ». Le 1er sauvé, c'est lui. Sa profession lui fait comprendre que les hommes « s'engloutissent » dans les abîmes, « sont noyés » dans les sollicitations des médias,  « coulent » sous les soucis, « basculent » dans l'ignoble, « sont submergés » par les doutes, « étouffent » dans l'angoisse.   Oh la joie, après avoir écouté la Parole de Jésus, de respirer dans la liberté, de dilater sa poitrine pour recevoir le Souffle de l'Esprit. 
Telle est la mission : elle n'est pas un projet que l'on se donne, mais un appel à accueillir, une ½uvre qu'il faut apprendre à l'école de Jésus, en le suivant, car c'est lui « qui fait les pêcheurs d'hommes ».  Et elle demande de couper les amarres, de rejeter « la pensée unique », de se détacher des habitudes de l'entourage. Peut-on être conformiste et se dire chrétien ?...
Certains ressentiront même l'appel à laisser tout là - métier, parents, entourage - pour partir sur les pas de Jésus. En disant ce qu'il disait. En parlant comme il parlait.

5e dimanche ordinaire, année C

Auteur: Cochinaux Philippe
Temps liturgique: Temps ordinaire
Année liturgique : C
Année: 2012-2013

Il y a une vingtaine d'années, à la sortie d'une messe de mariage que je venais de célébrer, mon supérieur de l'époque vint vers moi avec un air très contrarié me disant : « Philippe, il ne faut pas confondre les lieux.  L'église n'est pas un endroit où l'on peut faire de l'humour ». Je l'ai alors regardé et avec un large sourire, je me suis permis de lui répondre : « dommage pour toi.  Il ne fallait pas m'envoyer faire mes études de théologie en Angleterre.  Car là-bas, j'ai découvert que l'humour avait toute sa place dans les églises.  Tu devras donc t'y habituer car je ne changerai pas ».  Il quitta la sacristie en bougonnant.  Mais peut-on rire dans une église ?  Il est vrai que de nombreux chrétiens sont souvent tellement sérieux quand ils sont dans un tel lieu.  Il y a un équilibre à trouver entre intériorité et plaisir d'être ensemble.  Autre question tout aussi importante : Jésus avait-il le sens de l'humour ?  Certains en doutent.
Et pourtant, à cette question, il est aisé de répondre positivement et ce, sur base de l'évangile que nous venons d'entendre.  Il est vrai que l'humour du Fils de Dieu est très fin.  Revenons au texte.  Dans un premier temps, Jésus invite Pierre à avancer au large et à jeter les filets pour prendre du poisson.  Le pêcheur par définition va chercher des poissons vivants et en les retirant de l'eau, il les fait mourir.  Telle est la condition même de toute pêche : passer de la vie à la mort.  Suite à cela, le Christ s'adresse de nouveau à Pierre et lui dit : « désormais ce sont des hommes que tu prendras ».  Et c'est ici que ce situe l'humour du Christ.  Il reprend la même image de la pêche mais il l'inverse complètement.  En effet, être pêcheur d'hommes, c'est conduire les êtres humains de la mort à la vie.  Voilà donc la mission qui est confiée à chacune et chacun d'entre nous.  Devenons des pêcheurs d'humains.  Heureusement pour nous, le pêcheur est loin d'être une personne merveilleuse, dotée de qualités exceptionnelles.  La pêche divine n'est pas une tâche réservée à quelques privilégiés.  Toute personne peut devenir pêcheur d'humains.  Notre Dieu nous prend là où nous en sommes, tels que nous sommes.  Un peu à l'image des trois personnages clés des lectures de ce jour : Isaïe est un homme aux lèvres impures, Paul se définit comme un avorton n'étant pas digne d'être appelé Apôtre et Pierre demande à Jésus de s'éloigner car il est un homme pécheur.  Trois hommes, trois frères dans la foi, trois êtres qui sont loin d'être parfaits.  Ils sont comme nous, humains, sur le chemin de leur vie.  Ils avancent à tâtons avec leurs doutes et leurs espérances.  Et pourtant, ce sont précisément ces hommes-là que Dieu choisit pour poursuivre son ½uvre créatrice.  S'il en est ainsi, toutes et tous, aujourd'hui, nous sommes également dignes de cette mission. Devenons des pêcheurs d'humain vivants. Il est heureux que nous ayons autour de nous ou que nous soyons pour les autres, ces personnes qui jettent leurs filets dans l'océan de la vie qui n'est pas toujours aisée.  Lorsque nous la traversons, nous nous confrontons à l'injustice de la souffrance, au mal gratuit, aux conséquences de l'égoïsme de certains et nous pouvons nous sentir tirés vers les eaux profondes.  En nous aussi, il y a des zones qu'il nous est parfois difficile d'accepter, de vivre avec.  Nous avons nos propres failles qui peuvent nous blesser nous-mêmes ou nos proches.  Toutes ces réalités personnelles peuvent nous enfermer au risque de nous engloutir au plus profond d'une désespérance.  Il est alors heureux qu'il y ait autour de nous des personnes qui jettent leurs filets pour que nous puissions, à notre tour, nous y agripper.  En agissant de la sorte par la tendresse de leurs regards, par la douceur de leurs mots, par la caresse de leurs gestes, ils nous font passer de la mort intérieure à la vie.  Notre vocation d'hommes et de femmes, à la suite de Jésus, fait de nous des transmetteurs de vie.  Telle est la merveille de l'évangile.  Au cours de l'histoire de l'humanité, il y a eu et il y a encore ces faux prophètes qui peuvent également exister dans nos églises et qui, par leurs propos, cherchent à imposer aux autres des fardeaux impossibles et souvent déshumanisant.  Dénonçons avec force ces personnes car leur attitude est une insulte à l'évangile.  Le Fils de Dieu ne s'est pas incarné pour que nous croulions sous le poids de règles, sous la charge d'attitudes infantilisantes.  Non, le Christ est venu parmi nous pour faire de nous des vivants.  En lançant sur nous le filet de son amour, il fait de nous des pêcheurs d'humains vivants, c'est-à-dire des transmetteurs de vie, des transmetteurs d'amour.  Avec lui, nous passons toujours de la mort à la vie.  Passer de la vie à la mort, c'est se tromper de route.  Passer de la mort à la vie, c'est mettre ses pas dans ceux du Fils de Dieu.  Il n'y a plus à hésiter : devenons des pêcheurs d'humains vivants et des transmetteurs de vie.

Amen